Belgique, pays du surréalisme
Pays du surréalisme où après qu’une de ses composantes – entendons le parti le plus important en termes de sièges – ait claqué la porte, le gouvernement fédéral devient minoritaire (les francophones l’étaient dès le début). Ce même gouvernement, chargé de la gestion des affaires courantes à la suite des élections législatives de mai 2019 et toujours sans majorité, s’est vu privé de son premier ministre qui a pris sa fonction de président du conseil européen, s’est donc vu obligé de se trouver un remplaçant.
Pressenti, parmi d’autres, pour occuper le poste de Charles Michel resté vacant, Didier Reynders, opportunément blanchi dans une affaire de corruption, quitte, lui aussi, la politique nationale pour se réfugier à l’Europe où il deviendra dès le 1er novembre commissaire européen à la justice.
Et nous voilà sans ministre des affaires étrangères !
Voilà donc un pays où deux membres d’un parti ayant perdu les élections sont récompensés par une nomination à des postes européens de prestige et, ce qui ne gâche rien, extrêmement bien rémunérés.
Alors que les gouvernements wallon, bruxellois et flamand sont déjà en place, le fédéral qui détient encore les fonctions régaliennes, semble ne plus intéresser grand monde. Jan Jambon, par exemple, qui briguait le poste de premier ministre y a renoncé pour occuper la présidence du gouvernement flamand.
Pas de gouvernement fédéral, une « première ministre » ad intérim issue d’un parti toujours minoritaire, tout comme le nouveau ministre des affaires étrangères. Et nous voilà avec un gouvernement fédéral en affaires courantes dont seuls subsistent six ministres de l’équipe d’origine et personne au sein de la population pour s’en inquiéter !
Il faut dire que la vacance du pouvoir avait duré cinq cent quarante et un jours dans l’attente du gouvernement Leterme, créant bien davantage d’émoi à l’étranger que dans notre cher pays. Mais au moins, le gouvernement intérimaire détenait une assise parlementaire.
Afin de pallier l’absence d’un gouvernement issu des urnes, certains, parmi les élus, proposent de mettre en place un exécutif de technocrates faisant fi de la volonté de l’électeur qui s’est exprimé démocratiquement. Incapables de former un gouvernement de plein exercice, ils pourraient donc le faire avec des spécialistes ?
D’autres envisagent un retour aux urnes avec le risque et il est grand, d’un renforcement des partis extrémistes et la possibilité que les résultats de ce nouveau scrutin ne permettent pas davantage de dégager des majorités capables de s’accorder.
Voilà un pays dans lequel une certaine politique se joue en insultes. Bart De Wever et ses amis flamands, dans l’espoir d’une scission du pays, n’ont de cesse de traiter les Wallons avec haine et arrogance. Le patron de la N-VA refuse désormais de « prélever des milliards d’euros d’impôts en Flandre pour entretenir des électeurs passifs ».
C’est oublier un peu vite qu’il fut un temps – quelques dizaines d’années quand même – où la Flandre bénéficiait largement de la générosité de la Wallonie alors à l’apogée de sa prospérité. L’argent wallon a été investi dans l’aéroport de Zaventem, dans les ports d’Anvers et de Zeebrugge sans que les Flamands ne soient accusés de manger le pain de leurs voisins du « Sud ».
Voilà un pays où, dans l’indifférence générale, le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, est nommé en tant que parlementaire au Conseil de l’Europe, institution chargée de faire respecter la Convention européenne des Droits de l’Homme !
Voilà un pays dans lequel le carnaval flamand de la ville d’Alost est exclu de la liste du patrimoine de l’Humanité de l’Unesco pour ses relents racistes et son antisémitisme.
Voilà un pays où un chirurgien plastique, Jeff Hoeyberghs (dont la clientèle est probablement constituée majoritairement de femmes) se permet, à l’université de Gand et devant un public hilare de jeunes catholiques pour le moins extrêmes, de tenir des propos sexistes d’une rare violence, déclarant notamment « les femmes veulent les privilèges de la protection masculine et de l’argent, mais elles ne veulent plus ouvrir les jambes ».[1]
Voilà un pays dans lequel le gouvernement régional bruxellois récemment mis en place a pour but d’interdire la circulation de tout véhicule à propulsion thermique dans la ville de Bruxelles à l’horizon 2035.
Si cette décision peut paraître sympathique, il n’en reste pas moins qu’elle pose un certain nombre de problèmes et peut avoir des conséquences pour le moins inattendues voire contraires au but recherché qui est de rendre la ville plus conviviale.
Comment se fera l’approvisionnement des commerces si les camions et camionnettes de livraison deviennent indésirables ? verra-t-on mourir le centre des villes ?
Comment le citoyen fera-t-il ses courses ? on vous conseillera d’utiliser vos pieds ou votre vélo pour vous rendre dans les commerces de « proximité » !
En voilà une bonne idée ! Qui, dans les villes, a encore la chance d’avoir, dans un périmètre raisonnable, une boucherie, une boulangerie, une droguerie, une épicerie, une poissonnerie, … ? sera-t-on condamné à effectuer désormais nos achats dans les « petites surfaces » des grandes enseignes (Carrefour express, city Delhaize, …) ?
Si la volonté de cet exécutif régional est d’engraisser ces multinationales, il ne s’y prendrait pas autrement !
Voilà un pays, parmi les plus riches du monde, dont la capitale détient le triste record de la pauvreté des enfants à Bruxelles, mais aussi en Wallonie !
Il faut savoir, d’après une étude réalisée par Frank Vandenbroucke et Anne-Catherine Guio, que l’état de déprivation des petits Bruxellois est comparable à celui des enfants pauvres de Pologne ou de Roumanie et celui des enfants wallons aux petits Lituaniens.
L’état de déprivation qui concerne 40% des petits Bruxellois et 25% des petits Wallons, est celui dans lequel se trouvent des enfants qui, par exemple, vivent dans un logement mal chauffé, qui ne peuvent participer aux excursions scolaires, qui ne peuvent inviter leurs amis chez eux, …
Comment évaluer la pauvreté ? il suffit de se baser sur le revenu du ménage. Celui-ci est considéré comme pauvre si son revenu représente moins de 60% du revenu médian national à savoir 885,00 euros par mois, ce qui, il faut le reconnaître, est déjà scandaleusement bas.
Ces enfants pauvres vivent principalement dans des ménages sans emploi qui seraient, toujours selon l’étude, 54% en fédération Wallonie-Bruxelles (pour 41% en Flandre), plaçant la Belgique à la triste première place européenne pour cet indicateur.
La cause de ce malheureux record : l’étude pointe des prestations sociales (indemnités de chômage, revenu d’intégration sociale, …) insuffisantes et ne permettant pas à ceux qui en « bénéficient » de sortir de la pauvreté et de vivre dignement.
Les enfants ne sont pas les seules victimes d’un système inadapté, nos rues sont envahies par des sans-abris de plus en plus nombreux, certains d’entre eux ayant un travail rémunéré mais insuffisant pour permettre de payer un loyer et une garantie locative.
Pauvreté scandaleuse d’un côté, salaires et primes indécents d’un autre …
Le patron de la poste, Johnny Thijs, alors que le gouvernement envisageait la limitation à 290.000,00 euros de la rémunération des tops managers – ceux payés par les deniers des citoyens – se déclarait « prêt à faire un effort », mais pas à voir son salaire passer de 1,1 million (trois fois le salaire du président des Etats-Unis) à un salaire de misère et comparait ce montant à des cacahuètes juste bonnes pour des singes. Il faut croire que le pays est peuplé de singes ! Dans le même temps, il mettait en place un plan drastique de réduction des effectifs tout en exigeant de son personnel, une augmentation de la productivité.
Louis Michel, ancien ministre et député européen, déclarait dans une interview au VIF, non sans cynisme et mépris, que la limiter à 4.800 euros nets mensuels, les émoluments des parlementaires (ils avoisinent actuellement les 9.000 euros[2]), serait une mauvaise chose car seuls les enseignants – ne le fut-il pas lui-même ? – et les fonctionnaires pourraient être intéressés par ce salaire de misère ajoutant que cela « couperait le Parlement de la réalité ».[3] Une réalité à 4.800 euros ?
Il faut aussi savoir que les ministres belges sont parmi les mieux rémunérés. Le site d’information français Direct Matin cité par La Libre révèle que le salaire du premier ministre ne serait dépassé que par celui du président des Etats-Unis. [4]
Didier Bellens, ancien CEO de ce qui était encore Belgacom, a touché en 2012, la modique somme de 2.400.000,00 euros. Dominique Leroy qui lui succéda à la tête de l’entreprise aurait quant à elle perçu pour l’ensemble de ses rémunérations un peu plus de 940.000,00 euros annuels. Montant manifestement insuffisant puisqu’elle envisageait de doubler cette rémunération en rejoignant KPN aux Pays-Bas. Mais ça, c’était avant d’être rattrapée par la justice pour une sombre affaire de délit d’initié.
La palme de l’indécence revient bien évidemment à Stéphane Moreau, patron de Nethys, avec ses 11 millions d’euros de primes (10 fois son salaire annuel).[5]
Il faut croire que ces patrons, ministres, députés, … sont à ce point indispensables et irremplaçables qu’en leur absence, leurs entreprises et pire encore, l’Etat, … s’effondreraient, nul autre n’ayant les compétences suffisantes pour assurer leurs tâches.
Et, malgré cela, …
Les Belges sont les champions d’Europe du bonheur, eh oui, ils détiennent parfois des records positifs ! C’est en effet dans ce pays que l’on retrouve en moyenne – 76% – le plus de gens qui se disent heureux !
Comment expliquer cette propension au bonheur quand pas grand-chose ne va ?
Humour belge, sens de la dérision ? Peut-être.
Surréalisme ? sûrement !
Patricia Keimeul
Directrice FAML
[1] https://www.rtbf.be/info/regions/detail_l-ugent-suspend-le-kvhv-pour-deux-mois?id=10388476
[2] https://www.rtbf.be/info/dossier/la-prem1ere-soir-prem1ere/detail_indemnites-de-sortie-et-salaire-des-deputes-des-montants-trop-eleves?id=10249591
[3] https://www.rtbf.be/info/dossier/la-prem1ere-soir-prem1ere/detail_indemnites-de-sortie-et-salaire-des-deputes-des-montants-trop-eleves?id=10249591
[4] https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/le-salaire-brut-des-ministres-belges-parmi-les-plus-eleves-51b8ead8e4b0de6db9c693b7
[5] https://www.google.com/search?q=limitation+des+salaires+des+tops+managers&rlz=1C1GCEU_frBE824BE824&sxsrf=ACYBGNQYs1PgLeaAstxjrfnpFjBYA9EuEg:1574339086113&ei=DoLWXajCBpKXkwX-xqrQAg&start=10&sa=N&ved=2ahUKEwioge-PpvvlAhWSy6QKHX6jCioQ8NMDegQICxA_&biw=1366&bih=625