Démocratie et libertés fondamentales bafouées

Sujet éthique particulièrement délicat et clivant que celui de la perte de libertés fondamentales au nom de la « santé publique », une situation qu’analysent également pour « ML Magazine » des citoyens de trois pays différents. La conclusion est qu’il y a urgence à réagir face à des exemples concrets ou des menaces larvées d’abus des suppressions et de manipulations des citoyens.

Quand des « décideurs » ont comme seule ambition une production accélérée pour une reprise « rentable » tous azimuts des affaires, même au détriment de l’environnement et de l’éthique… Qu’ils désirent absolument satisfaire des actionnaires aux aguets et permettre que des multinationales concoctent et peaufinent, techniquement et juridiquement, l’intelligence artificielle (IA) et autres mainmises sur la vie privée des citoyens… Que ces décideurs côtoient sans état d’âme des lobbyistes qui leur conseillent de raboter ou de supprimer des acquis sociaux, d’imposer des mesures, législations, des règles drastiques, antidémocratiques, au nom, air du temps, « de la crise sanitaire mondiale »…, il est plus que temps de réagir.

Autorités juges et parties

Prenons un exemple concret de libertés fondamentales bafouées avec un projet immobilier qui devrait impacter pour des générations des milliers d’habitants d’un quartier à caractère « villageois » de Woluwe-Saint-Pierre. Là, où les autorités communales et régionales désirent construire un immeuble-paquebot en lieu et place de sept petites maisons individuelles avec jardinets et d’un espace de verdure y attenant. Là, où des centaines de citoyens ont réagi contre cette atteinte à leur environnement et qu’ils ont été empêchés, au nom du coronavirus, de mener leurs arguments à bon port comme initialement prévu par l’enquête publique.

Ainsi, celle-ci fut (re)lancée en plein confinement, la concertation proposée dans des conditions antidémocratiques (trois personnes entendues au lieu de l’assemblée commune de tous les riverains ayant fait la démarche), maints riverains qui demandaient une preuve officielle du dépôt de leur lettre à la maison communale ont essuyé un refus catégorique, le bureau de l’Urbanisme renseigné pour le dépôt des missives était inaccessible pour cause de Covid-19, également impossibilité totale de comptabiliser – en toute transparence – le nombre de dépositions écrites et orales…, ce qui entraîna un fort sentiment de méfiance à l’égard de la procédure et, par corollaire, des autorités communales qui, dans ce dossier, sont juges et parties, ce qui est éthiquement inacceptable. Des riverains ont réclamé l’annulation de la procédure et, dans la foulée du projet…

Ce « petit » exemple prouve à suffisance que la justification du COVID-19 a bon dos pour édicter en quatrième vitesse des règlements, voire des lois, contrecarrant les procédures légales normales et, de la sorte, contourner les légitimes droits et revendications citoyens. D’aucuns prédisaient qu’après le confinement, la Société ne serait plus la même, que cette crise sanitaire allait permettre l’éclosion d’un monde plus social, plus égalitaire, plus fraternel, que la classe politique en tirerait les leçons pour davantage d’éthique. Quel leurre !

Témoignages et réflexions

« La liberté emprisonnée… La liberté sous le joug de lois… La liberté sous la pression de l’argent, surtout le sale… Jean-Jacques Rousseau ne dit-il pas que l’Homme naît libre mais que c’est la Société qui le rend esclave ? Dans ma Kabylie, la famille, le clan, la tribu… priment sur l’individu. Il en est exclu et voué à l’errance ou au bannissement s’il ne se conforme pas aux us et coutumes. C’est un certain aspect de la thématique des libertés bafouées.

D’une manière plus générale, si l’ONU reconnaît la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, après s’être libérés du colonialisme, par exemple, cela n’empêche pas les dictatures de jeter en prison les gens libres d’esprit au motif qu’ils sont des alliés de l’ancien colonialisme ou de l’impérialisme… De nouvelles « valeurs » virent le jour : marxisme, gauchisme, arabisme, islamisme, à présent le culturalisme…, et, dans ma région, le dogmatisme villageois est remplacé par un dogmatisme plus élaboré sur son appartenance à une « race », à un groupe social ayant la même origine…

À ce titre, si les « ismes » sont souvent dangereux pour l’Humanité, dit-on, nos luttes pour les libertés, elles, ont principalement besoin de solidarité et non de fanatisme ! »

« Dans le numéro de mai 2020 d’Espaces de liberté, il y avait un très intéressant article d’Arnaud Zacharie…. disant que nous sommes à la croisée des chemins : soit on revoit les choses de fond en comble (dans tous les domaines) et on rompt avec le dogme mortifère du néo-libéralisme, soit ce sera des tentations de plus en plus totalitaires, autoritaires à la Trump, Bolsonaro, Orban…

Pré-totalitarisme, on y est avec les réseaux sociaux qui sont des réseaux asociaux. Le pré-totalitarisme, on s’en rapproche en Belgique, quand le nombre d’heures d’histoire à l’athénée est réduit.

La Flandre de Bart de Wever, c’est-à-dire celle du VOKA, nous prépare une société ‘‘hygiéniste’’, de libertés surveillées, de tout le pouvoir aux plus riches et de quelques miettes distribuées aux plus pauvres pour que cela reste propre, la misère invisible, que les miséreux quand même ne fassent pas caca sur les trottoirs, ce serait fâcheux.

Mais gardons-nous de glorifier Wallonie et Bruxelles bilingue, qui n’ont pas offert, depuis trois mois, un visage vraiment alternatif, positif. Euphémisme. Une analyse intéressante d’Anne-Emmanuelle Bourgaux, constitutionnaliste, critique de façon très documentée les abus nombreux dans l’utilisation des pouvoirs spéciaux depuis un trimestre. Or, selon elle, les champions en matière d’abus, de nombre d’arrêtés d’exception, de manque de respect démocratique sont venus du gouvernement de la région…. wallonne.

Bien entendu, en aucun cas, et plus encore en situation de crise, la liberté d’expression individuelle et collective ne peut être supprimée en tout ou partie. Cela étant, je pense qu’on peut et qu’on doit réfléchir, en période de pandémie, à des modalités qui concilient sécurité des populations, protection des manifestants et des autres.

En fait, ce que la crise nous a montré, au-delà bien entendu du mépris de classe de nos dirigeants, c’est un océan de médiocrité et d’incompétence. Pourquoi ? Pour des raisons politiques, car l’option néo-libérale est en soi une injure à l’intelligence collective. Malheureusement l’option réformiste, sociale-démocrate, certes meilleure, en matière de « compétence » ne s’est pas montrée non plus à la hauteur.  Nos sociétés ont perdu la boule car nos dirigeants sont de plus en plus coupés des acteurs de terrain. Or sans prise en considération de leur intelligence, de leurs propositions et critiques, il n’y a pas de démocratie et pas d’efficacité. Pas d’efficacité sans démocratie élargie, et irruption des citoyens dans le débat. »

«  Les droits sexuels et reproductifs font partie intégrante des droits humains et permettent de renforcer la liberté, l’égalité et la dignité Or, ces droits sont menacés partout dans le monde.

Ainsi, aux États-Unis, plusieurs États traditionnellement anti-avortements se saisissent de la pandémie COVID-19 pour tenter de restreindre encore plus l’accès aux IVG (Interruption Volontaire de Grossesse). Les gouverneurs du Texas, de l’Ohio, de l’Iowa…, en appellent même à cesser les avortements.

En Pologne, autre exemple édifiant, ce pays présente une des lois les plus restrictives du Vieux Continent. Ainsi, l’avortement n’est possible que dans trois cas : si la grossesse est le résultat d’un viol ou inceste, si la vie de la mère est en danger ou si le fœtus présente des dommages irréversibles, et c’est cette dernière disposition que l’ultra-catholique institut Ordo IURIS veut abroger. De plus, il y a la proposition de punir les femmes qui ont recours à l’avortement, ainsi que le personnel médical qui y aurait participé. Tenter de faire passer ces propositions de lois dangereusement régressives, serait une honte, selon la présidente d’Amnesty International.

En Belgique, une Commission nationale d’évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l’IVG a déposé diverses recommandations ; néanmoins, juste avant la pandémie, des députés sociaux-chrétiens flamands ont clamé vouloir mettre un terme à cette Commission…

Mais, un Planning familial n’est pas qu’un établissement qui se penche sur l’IVG, et il propose également des permanences d’accueil, des consultations médicales, d’aide sociale, juridique et psychologique, de la médiation familiale…, pour tout public, précarisé ou non. Pour certains politiciens, au nom d’économies budgétaires, par exemple, c’est tout le système du Planning familial qui doit être supprimé et la vigilance s’impose aussi à ce niveau. »

« J’ai l’impression, et elle est confirmée par mon entourage professionnel, que l’on va vers le totalitarisme. Les gens sont pris pour des objets et trop de médias veulent nous faire avaler des couleuvres. Il y a une perversion de beaucoup de nos dirigeants davantage animés par des convictions financières que politiques au service des citoyens. La Société n’a plus de visionnaires et quand elle en a un, ils le ridiculisent ou le boycottent.

À présent, ils veulent faire des tests d’intégration à de pauvres gens qui fuient la guerre, certains, pour avoir travaillé avec eux, ont pourtant un savoir-faire indéniable et sont traités comme des déchets, voire menacés d’expulsion. On très mal vu si on vient en aide à ces gens qui, pour la plupart, désirent travailler avec nous. Quand je dis que cela me concerne en tant qu’être humain, d’aucuns me cataloguent de communiste ! Tout cela me fait peur. Je suis pour le dialogue et l’écoute mutuelle, mais…

De plus, ces mêmes dirigeants nous imposent des téléphones connectés, la 5G et autres technologies pour pêcher davantage d’informations et de données personnelles des citoyens, y compris la taille de leurs sous-vêtements ! Le milieu ouvrier et artisanal est conscient de toute cette dérive qui, aussi, se dirige de plus en plus vers la répression au détriment de la compréhension et de la compassion.

Que faire face à cette situation ? Conscientiser les citoyens sur le fait que les dirigeants prennent notre dignité ! »

« À notre naissance et durant notre petite enfance, la notion de liberté est omniprésente, sans aucune ségrégation. Puis, au fil du temps, la socialisation s’installe avec ses premières règles et ses premiers principes ; du coup, notre mentalité change et le regard sur l’autre également. En somme, la simplicité de l’existence disparaît et, par corollaire, les règles sociales et le droit nous éloignent de l’autre. Nous ne sommes plus « libres » ! Tel est le cours de la vie et, en définitive, ceux qui restent libres sont ceux qui vivent en marge de la société. Et, ceux qui veulent rester un pied dans la société tout en gardant leur liberté, souffrent.

Il y a donc lieu d’agir face à une situation pressante, que nous devons très majoritairement au manque de motivation de nos dirigeants. Ceux-ci s’évertuent à entretenir un modèle qu’ils trouvent prospère, et ils le presseront jusqu’à la dernière goutte. Personne n’est dupe. Nombreux sont mes collègues journalistes qui, parfois au péril de leur vie, dénoncent les pratiques des puissants lobbyings qui financent et achètent nos politiques.

Si nous voulons nous lancer dans une nouvelle aventure, il faudra qu’elle soit écologique. En résumé, il faut apprendre à faire des économies. Ralentir notre production, mieux consommer. Arrêter les pertes. Mieux rationaliser… C’est ce que nous appelons le ‘‘durable’’.

J’insiste sur le fait que ces notions n’ont rien à voir avec la perte d’un éventuel pouvoir d’achat ou avec une éventuelle régression ou décroissance. L’écologie nous offre un confort de vie bien plus sympathique que notre modèle actuel ! Confort, santé, respect de la planète. C’est à notre portée… Très rapidement qui plus est.

C’est quand tout est fini, que l’Homme devient solidaire. Et c’est avec son voisin qu’il reconstruit. Et ne pensez pas que ce temps-là est si éloigné ! Nous nous en approchons à grands pas. Il dépendra du coût des catastrophes à venir, de leur nombre et de leur impact. Elles sont de plus en plus nombreuses chaque année. Il ne serait pas invraisemblable de voir nos primes d’assurances commencer à grimper en flèche dans les cinq ou six prochaines années… »

Concluons par ce constat paru dans « Vivre ensemble » (Charlie Hebdo, 10 juin 2020) : « Désormais, le téléphone portable sert à tout sauf à téléphoner et aux dernières nouvelles, il servirait même à lutter contre le Covid »… et à pister le citoyen dans sa vie la plus privée et à répercuter les actions de « l’illuminé dangereux » Elon Musk qui met sa fortune au service de procédés de haute technologie qui pourraient prendre toutes les décisions à notre place…

Un milliardaire qui a prénommé son dernier fils, né en mai 2020, XE-E A-XII. Tout est-il dit ? Non !

C’est sans parler de la « guerre contre l’argent liquide » menée par Bill Gates (Microsoft), un consortium d’intérêts faramineux (Visa, Mastercard, Citibank…), le Fonds monétaire international, le Trésor américain… qui sont, selon l’économiste Norbert Häring « une menace pour nos libertés civiles ». Il signale que ces gens utilisent le « COVID-19 et le grand confinement » en affirmant que l’argent liquide est sale et propage le virus (ce qui est formellement démenti par les experts de la Santé) au contraire des cartes et solutions de paiement mobiles. « Tout cela est incompatible avec la démocratie et une société libre », conclut l’économiste.

Pierre Guelff
Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

 

 

Le Centre d’Action laïque a une nouvelle présidente

L’ancienne eurodéputée PS Véronique De Keyser vient d’être élue présidente du Centre d’Action laïque (CAL), la coupole fédératrice des organisations humanistes et de libre pensée en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle est la première femme à occuper cette fonction, et relève ce défi après d’autres personnalités fortes telles que Pierre Galand ou Henri Bartholomeeusen. Psychologue, professeur émérite de l’Université de Liège, femme engagée à gauche, elle a été député européenne durant trois législatures, de 2001 à 2014, et connaît donc bien les mondes politique, associatif et académique — ce qui lui sera assurément utile dans ses nouvelles responsabilités. Elle aura aussi à déterminer de quelle manière elle va s’inscrire dans la ligne de son prédécesseur et faire face aux défis de la laïcité aujourd’hui — c’est l’inventaire de ces défis qui est développé ci-dessous.

D’emblée, au lendemain de son élection, Véronique De Keyser a affiché sa volonté de développer l’action laïque sur trois axes. Le premier sera celui de l’action sociale, en tirant les leçons de la crise du coronavirus que nous traversons, et en mettant en avant la dimension éthique de la reconstruction de nos sociétés, de nos systèmes de santé et de nos économies. Cette crise a également montré, plus que jamais, le rôle des scientifiques face à la rupture sanitaire et la nécessité de faire le partage entre le vrai et le faux, entre connaissances fiables et opinions.

Son deuxième axe sera donc celui de l’insistance sur le rôle de la science et des savoirs dans nos sociétés fragmentées et livrées à la querelle des informations.

Enfin, la crise du COVID-19 a été un révélateur des failles de nos démocraties et nous amène à poser la question de savoir quel monde nous voulons construire. Le troisième axe de Véronique De Keyser sera dès lors celui la réflexion sur un redémarrage économique et social qui ne pourra faire l’économie des leçons à tirer de ce qu’il s’est passé. La laïcité sera aux yeux de la nouvelle présidente la réponse universaliste pour un monde à reconstruire, face au déni des droits humains qui émerge de plus en plus dans des démocraties illibérales ou en perte de crédibilité, le socle humaniste indispensable face à un repli identitaire, populiste et nationaliste fondé sur les peurs que l’état de nos sociétés entretient.

Véronique De Keyser arrive à un moment particulier de l’histoire du mouvement laïque, puisque outre son président sortant, Henri Bartholomeeusen, qui depuis près de six ans en assurait la direction, le secrétaire général du CAL, Jean De Brueker, quitte également ses fonctions pour partir à la retraite. Durant le mandat précédent, le Centre d’Action laïque a soigné sa communication et développé de nombreux chantiers, dans le domaine de la défense des valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité, dans la défense des migrants, dans la défense de l’égalité entre les hommes et les femmes, dans la lutte contre la pauvreté, la paupérisation et la marginalisation sociale, dans l’enseignement et en particulier l’enseignement de la philosophie et du civisme démocratique à l’école publique.

Fidèle aux traditions d’un mouvement laïque qui en appelle depuis cinq décennies à favoriser l’émergence d’une société plus juste, plus progressiste et plus fraternelle, c’est en matière de choix éthiques et de politiques de l’intime que le Centre d’Action laïque a aussi mis le curseur, en militant pour le choix de mourir dans la dignité et pour une dépénalisation pleine et entière de l’interruption volontaire de grossesse. Le bilan est donc celui d’une insistance sur le principe d’une solidarité active, dans les domaines politique, social, éthique et climatique, et d’un combat pour assurer l’autonomie de la personne dans ses choix de vie.

Quant à la question de la laïcité proprement dite, le Centre d’Action laïque a veillé à ce que des parlementaires portent la reconnaissance de ce principe au cœur de la Constitution, par son inscription dans un préambule constitutionnel toujours en débat en 2020. Il a au sein de ses propres instances veillé à clarifier sa définition de la laïcité, comme un principe humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits de l’homme sur l’impartialité du pouvoir civil démocratique, dégagé de toute ingérence confessionnelle. Enfin, à l’occasion de son cinquantième anniversaire, il a lancé un appel à l’adresse des autorités de toutes les démocraties, mais avant tout à l’intention des pouvoirs publics en Belgique, de manière à les inviter à adhérer au principe de laïcité comme à une exigence démocratique primordiale — à inscrire dans les lois fondamentales des pays concernés et dans les traités internationaux.

L’enjeu pour Véronique De Keyser, très certainement, sera de reconnecter le mouvement laïque aux plus jeunes générations, des plus jeunes qui partagent manifestement les mêmes préoccupations que la laïcité dite organisée mais n’y adhèrent pas ou peu. Ici, le rôle de la transmission des valeurs et des combats historiques de la laïcité belge sera crucial. Un autre enjeu sera de construire des ponts avec les milieux confessionnels et des convergences avec les grands courants convictionnels du pays sur des thèmes communs, tels que les migrations, les questions sociales ou les questions de santé publique — là où néanmoins les clivages philosophiques peuvent aussi ré-émerger et menacer le dialogue interconvictionnel. Et il lui faudra, inlassablement, faire œuvre de pédagogie afin de d’opérer la démonstration, aux plus jeunes en particulier, que la laïcité ne serait ni ringarde ni exclusive, et que les crispations qu’elle suscite parfois sont injustifiées.

En la matière, son prédécesseur a balisé le terrain déjà. C’est en effet sous l’impulsion de son président sortant que le Centre d’Action laïque s’est attelé à une refondation, laquelle s’est matérialisée en 2016 par une nouvelle définition de ses objectifs. Face à des mésusages fréquents du terme laïcité et sa polysémie ambiguë, face à la perspective d’une polarisation stérile entre laïcité et religions, face à des interprétations variées qui vidaient la laïcité de son sens — entre laïcité ouverte, laïcité plurielle, laïcité inclusive ou exclusive… —, face surtout à une définition adoptée en 1999 qui faisait le partage entre une conception politique et une conception philosophique de la laïcité, le Centre d’Action laïque est en 2016 revenu, en le rajeunissant, à ce qui était le propos des fondateurs du mouvement, en 1969.

Plutôt que circonscrire l’’humanisme qu’il porte en étendard à une communauté non confessionnelle étroite, plutôt que réduire son combat à la séparation des Églises et de l’État, le Centre d’Action laïque a fait le choix d’une nouvelle définition qui désormais se décline plus clairement et en surplomb de la variété des actions qu’il peut mener. Il est vrai que cette définition peut se comprendre comme moins engageante, plus ample et moins combative. Dans le même temps, le mouvement laïque considère que son orientation et sa coloration sont apportées par ses engagements et ses combats plutôt que par des statuts trop particularistes, et qu’il convenait dès lors de séparer le principe de l’action.

Voici ce que propose donc depuis 2016 l’article 4 de ses statuts : « Le CAL à pour but de défendre et de promouvoir la laïcité. La laïcité est le principe humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits humains sur l’impartialité du pouvoir civil démocratique dégagé de toute ingérence religieuse. Il oblige l’État de droit à assurer l’égalité, la solidarité et l’émancipation des citoyens par la diffusion des savoirs et l’exercice du libre examen ».

La laïcité que défend le Centre d’Action laïque n’est donc plus d’une part politique, d’autre part philosophique, mais à la fois politique et philosophique, à la fois politique et humaniste, vectrice de l’émancipation et de l’égalité. Ce

faisant, la laïcité belge francophone entend être plus ancrée dans son siècle et sortir de l’ornière d’un anticléricalisme désuet — un anticléricalisme que la sécularisation de la société et l’évolution manifeste de l’Église et surtout du monde catholique après Vatican Il ont rendu quelque peu anachronique. Dans le même temps, elle veut continuer à défendre l’idée forte que le progrès vient d’une émancipation des individus par l’apprentissage de la liberté, s’appuyant sur le principe du libre examen et du développement d’un savoir critique. Elle entend aussi se départir de l’image d’une organisation qui défendrait les seuls intérêts d’une communauté parmi d’autres, fût-elle non confessionnelle et libre — l’ambiguïté demeure pourtant, puisque c’est bien au nom de la dite communauté philosophique non confessionnelle que le mouvement laïque a obtenu d’être financé par les pouvoirs publics au même titre que les six cultes reconnus en Belgique.

Parmi les combats essentiels que le Centre d’Action a menés ces dernières années, il y a eu celui qui a abouti à la mise sur pied d’une heure obligatoire d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté dans les établissements de l’enseignement officiel en Belgique francophone, tant au niveau primaire que secondaire. Un objectif qui a participé de l’intégration d’un cours de philosophie qui jusque-là n’existait pas au programme, qui a à vrai dire participé également d’un processus d’érosion des cours de religion à l’école publique — mais a aussi eu pour conséquence de saper la légitimité du cours de morale non confessionnelle, suscitant une fronde des professeurs de morale à l’égard du Centre d’Action laïque.

Il n’est pas indifférent que la nouvelle présidente soit une progressiste, alors que le défi est de déplacer le curseur et de faire en sorte que la gauche se réapproprie la laïcité, là où pour des motifs compassionnels elle a depuis une vingtaine d’années plutôt pris le parti de défendre la diversité culturelle ou le respect des croyances et de se départir de l’universalisme abstrait que véhicule le mouvement laïque. Il s’agira pour Véronique De Keyser de remettre le mot laïcité au cœur de l’agenda politique, là où il a pour l’essentiel disparu. Chose difficile pourtant dans un contexte qui certes a évolué au lendemain des attentats de 2014, 2015 et 2016, contexte qui n’est plus celui d’une aspiration débridée à un multiculturalisme qui ferait la part belle à la diversité et au relativisme culturel, mais un contexte pourtant où la place de l’islam en milieu urbain, les interrogations nouvelles sur le partage entre le public et le privé, la mise en cause de droits que l’on croyait acquis… tout cela oblige la laïcité à se repositionner dans un rapport de force mouvant et qui ne lui est pas toujours vraiment favorable.

Jean-Philippe Schreiber
Université libre de Bruxelles

Nouvelle présidence du CAL – Le mot du Past-Président

Chère Véronique,

Chères amies, chers amis,

Mon mandat de président a pris fin. Je m’adresse à vous pour souligner une dernière fois, bénévoles et permanents, l’immense travail que vous accomplissez.

Le mouvement composé d’hommes et de femmes sincèrement attachés à nos valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité agit, débat, bouscule, innove, transgresse et propose à travers ses associations, ses régionales et le CAL communautaire. Militants, nous savons que rien n’est acquis. Que la réalisation de l’idéal laïque exige rigueur, détermination et persévérance.

À chacune et chacun, merci.

Au cours des six dernières années, les chantiers furent nombreux.

Relevons parmi ceux-ci, la défense des migrants. Étrangers voyageurs méprisés en dignité et traités de façon injuste. Fiers de nos actions solidaires, de nos revendications pour la régularisation de leur situation, premiers à nous opposer au projet des visites domiciliaires, souvenons-nous que la solidarité n’est pas un crime, mais un devoir.

Épinglons notre combat permanent pour l’égalité des hommes et des femmes. Pour le plein exercice de leurs droits. Pour un féminisme universaliste. Pour une dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse. La législation évolue et nous y contribuons largement.

Les plus vulnérables, les plus démunis, les détenus ou encore les toxicomanes ont aussi occupé le cœur de nos préoccupations. C’est que la dignité humaine ne s’accommode pas de situations où les droits fondamentaux seraient moins accessibles à certains qu’à d’autres.

Quant à ceux qui font choix de mourir dans le respect de leur dignité, ils ont plus que jamais pu compter sur notre soutien. Les conditions de la mort peuvent résulter d’un choix de vie. Pas à pas, nos propositions font adhésion.

L’instruction et le partage des savoirs sont un vecteur essentiel de liberté et d’égalité.  Le moyen pour chacun de s’émanciper. De participer à la construction d’un destin individuel et collectif. Le programme de deux heures de cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté obligatoires dans l’enseignement fondamental franchit progressivement les obstacles. Il illustre parfaitement notre aspiration à vivre libres, ensemble.

Porteurs d’un projet de société, nous le clarifions désormais par notre définition de la laïcité, principe humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits de l’Homme sur l’impartialité du pouvoir civil démocratique dégagé de toute ingérence religieuse.

Nous postulons qu’elle oblige l’État de droit à assurer l’égalité, la solidarité et l’émancipation des citoyens par la diffusion des savoirs et l’exercice du libre examen.

Ainsi fallait-il, outre nos publications nous réapproprier le contenu, la direction, la responsabilité de nos émissions concédées et élargir nos communications aux nouveaux réseaux sociaux. Ce fut réalisé avec brio par nos nouvelles équipes.

Ainsi fallait-il nous battre pour replacer le principe de laïcité au centre de nos démocraties et sa reconnaissance en préambule ou au cœur de la loi fondamentale, de la Constitution. Nous avons porté le débat au Sénat et les travaux parlementaires s’en firent largement l’écho.

Ainsi fallait-il, à l’occasion du 50ème anniversaire du Centre d’Action Laïque oser un appel universel à l’adresse des autorités publiques de tous les continents. Les inviter à affirmer leur adhésion à ce principe considéré comme une exigence démocratique essentielle et défendre son inscription dans les Constitutions nationales et les traités internationaux.

Tout cela fut rendu possible et réalisé grâce à votre engagement. Et puisque je ne puis vous citer tous, permettez-moi de vous représenter à l’image de notre Secrétaire Général.

Jean De Brueker, par sa compétence et sa connaissance du mouvement, sa disponibilité et sa fraternité éclairée, a assuré la cohésion des équipes, la synergie des travaux, l’assistance aux associations et la mise en œuvre effective des orientations et décisions du bureau et du conseil d’administration.

Jean nous quittera dans quelques semaines. Il laissera sur place de remarquables directions et l’excellent duo composé de Benoît Vandermeerschen  et Hervé Parmentier.

En d’autres circonstances nous aurions pris davantage plaisir à exprimer et partager notre joie et la satisfaction du travail accompli.

Les temps difficiles du confinement ne l’auront pas permis. Temps difficiles que nous avons néanmoins la chance de vivre en démocratie, en un pays, chose unique au monde, qui subsidie l’assistance morale et la laïcité.

L’appel de Liège était prémonitoire. À la solidarité politique, éthique, humaine et climatique s’ajoute aujourd’hui la prise de conscience d’une nécessaire dépendance sanitaire à l’échelle Universelle. L’Humanité se fait une et de moins en moins divisible. Sans doute assistons-nous aux premiers balbutiements d’une révolution anthropologique plutôt qu’idéologique.

Ainsi, si les Cassandre le disputent actuellement aux messies, il me plait de citer l’historienne Françoise Hildesheimer qui propose plutôt de mesurer l’impact des épidémies aux changements que leur disparition engendrent.

« La disparition de l’épidémie, à partir des années 1772, pour la France, est un phénomène majeur de l’histoire de la peste (…) Quand la maladie est devenue une simple possibilité au lieu d’être une quotidienne réalité, il est devenu possible de raisonner à son endroit et à la raison de triompher de l’irrationnelle maladie avant que la science n’apporte des connaissances valables.

L’importance de la cessation de la peste ne se situe pas seulement en ce domaine : elle affecte également la démographie, l’économie, les relations sociales, à tel point (…) que sa cessation a eu au moins autant d’importance que sa durable présence, en permettant un renversement de conjoncture en tous domaines.

À partir du moment où elle a cessé, le règne du bonheur et du progrès a été à l’ordre du jour des Lumières et le développement démographique a été ininterrompu. ».

Chers amis, chères amies, je suis heureux de passer le flambeau laïque à une femme remarquable, d’accueillir en notre nom à tous notre nouvelle (et première) présidente Véronique De Keyser dont les qualités contribueront à relever ces défis qu’annonce la fin prochaine de la pandémie.

Bonjour et bonne santé à tous,

Henri Bartholomeeusen

Waterloo, le 26 mai 2020

 

Le COVID-19, nouvel ennemi des droits des femmes ?

La pandémie de COVID-19 met en évidence, encore davantage, les inégalités femmes-hommes et la condition des femmes dans nos sociétés pourtant dans un projet égalitaire. La commission Jeunes du Conseil des femmes francophones de Belgique a souhaité faire le point et passer en revue, de façon synthétique, les différentes thématiques qui touchent aujourd’hui les femmes dans cette situation particulièrement difficile.

Après avoir détaillé plusieurs aspects saillants de la situation actuelle, nous proposons des pistes grâce auxquelles l’État et les citoyen∙nes peuvent agir pour aider les femmes durant la crise.

“N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.”

Nous découvrons aujourd’hui que cette citation de Simone de Beauvoir est malheureusement aussi valable dans le cadre d’une crise sanitaire. Cette crise que nous vivons a déclenché une crise à la fois politique, économique et spirituelle.

Depuis le début de cette crise, si les femmes sont en première ligne dans de nombreux secteurs de première nécessité, elles sont pourtant, toujours et encore, frappées par des inégalités croissantes, conséquences entre autres des mesures de confinement.

Que ce soit l’augmentation des violences au domicile, les menaces sur les droits sexuels et reproductifs, ou encore les risques de précarité et de pauvreté qui sont, comme auparavant, plus élevés pour les femmes, le chemin à parcourir pour une réelle égalité femmes-hommes est encore long. Il faut s’en rendre compte maintenant pour pouvoir réfléchir le monde de demain !

I. Comment les femmes sont-elles touchées par le Covid-19?

Pourquoi parler des femmes en particulier ? Parce qu’en première ligne, elles sont par conséquent et indéniablement les plus touchées par la maladie. En Belgique, les chiffres de l’ONSS quantifiant l’emploi des femmes par secteur d’activité le démontrent:

  • 80% dans le secteur hospitalier
  • 88% dans les maisons de repos et de soins
  • 86,5% dans les maisons de repos pour personnes âgées
  • 96% dans les crèches
  • 95% dans le secteur des aides familiales à domicile
  • 60% dans le secteur du commerce de détail en magasin non-spécialisé (grande distribution)

Les femmes sont donc bien majoritaires dans les secteurs les plus touchés par la crise, les métiers dits du care (soins aux personnes) ou encore des professions dites « féminines ». Ce sont des secteurs essentiels, et pourtant ils sont, socialement et financièrement, dévalorisés et peu soutenus par les pouvoirs publics.

Ce sont donc, encore et toujours, les femmes qui payent le prix fort. En effet, cette crise aggrave profondément les inégalités et la précarité de ces métiers, mais également les discriminations que subissent les femmes en général.

Santé

Les droits sexuels et reproductifs sont déjà, en temps normal, particulièrement attaqués. La crise renforce ces menaces dans le monde entier.

Interruption Volontaire de Grossesse (IVG)

Les menaces visant le droit à l’IVG s’aggravent durant cette période, les anti-choix ayant bien évidemment saisi le prétexte de la crise sanitaire pour tenter d’imposer des restrictions dans l’accès à ce droit. Que ce soit aux États-Unis, en Pologne, ou encore en France, les défenseu∙r∙se∙s du droit à l’avortement sont tou∙te∙s extrêmement préoccupé∙e∙s de l’impact de la crise sur l’accès à l’IVG.

L’argument principal des anti-choix est de dire que l’IVG n’est pas un acte essentiel durant cette crise, et que les femmes occuperaient « inutilement » des lits dans les hôpitaux qui devraient plutôt être réservés pour les personnes gravement atteintes du coronavirus.

En Belgique, les centres de planning familial (CPF) ont été définis dès le début du confinement comme des secteurs essentiels qui devaient rester ouverts ; leur travail en tant que tel n’est donc pas pour l’instant menacé. Mais sur le terrain, de nombreux centres sont fermés, restant accessibles seulement par téléphone.

La proposition de loi qui prévoit une extension du délai pour une IVG jusqu’à 18 semaines ayant fait l’objet de manœuvres juste avant le début de la crise pour retarder son adoption par la large majorité qui la soutient (8 partis politiques sur 12), le délai légal en Belgique reste à 12 semaines. Par conséquent, les femmes belges ou résidentes belges dépassant le délai doivent se rendre aux Pays-Bas, où le délai est de 22 semaines. Chaque année, elles sont entre 400 et 500 à le faire, ce qui signifie que les mesures de sécurité actuelles leur sont particulièrement défavorables et peuvent entraver leur droit à l’IVG. Pour le moment, les CPF rédigent une attestation de soins urgents gynécologiques, soins qui sont indisponibles en Belgique, afin de permettre aux femmes de passer la frontière. Cette situation est très stressante pour un grand nombre de femmes, qui n’oseront peut-être pas se rendre dans un CPF pour une IVG (par peur de la maladie, ou parce qu’elles pensent que les médecins ont mieux à faire). Les professionnel∙l∙es craignent donc de devoir faire face à un grand nombre de demandes d’IVG qui seront hors-délais lorsque le confinement sera levé.

Contraception

En Belgique, la contraception régulière se délivre habituellement sous ordonnance. Avec les mesures de sécurité actuellement en vigueur, il est plus difficile pour les femmes de se procurer cette ordonnance. Les raisons en sont nombreuses : pas de médecin généraliste, peur de contacter un∙e médecin qui a « sûrement mieux à faire », pas de possibilités de se rendre dans une pharmacie, etc.

Les CPF enregistrent une baisse de 80% par rapport aux demandes habituelles, ce qui les inquiètent fortement. Si les femmes peuvent demander aux centres de planning familial une prolongation de contraception, celle-ci est unique et ne peut donc pas être renouvelée…

Les professionnel∙le∙s de la santé encouragent actuellement les femmes à opter pour une contraception de longue durée, plus sûre étant donné les circonstances, d’autant que personne ne connaît la date à laquelle nous pourrons circuler à nouveau sans entrave.

Autre problème d’envergure : la contraception d’urgence. En pharmacie, la contraception d’urgence est disponible sans prescription. Il faut alors payer le prix plein et ensuite, puis demander le remboursement à sa mutualité (remboursement soit total, soit la contraception d’urgence vous aura coûté moins d’1€). Le coût peut cependant s’élever jusqu’à 50€. Là encore, certaines femmes en situation de précarité ont davantage de difficultés à mettre 50€ dans cette contraception d’urgence, ce qui une fois de plus renforce les inégalités sociales et la précarité des femmes. Ne pas pouvoir prendre la contraception d’urgence, c’est risquer une grossesse non-désirée, ce qui peut résulter dans quelques semaines en une demande d’IVG. Les CPF redoutent un pic de demandes d’IVG après le confinement.

En ce qui concerne la production et l’expédition des marchandises, nous avons appris qu’il y a un risque certain de pénurie de préservatifs dans les prochains mois. Les retards importants causés par la fermeture des usines, notamment celles qui produisent des contraceptifs, augurent d’une pénurie au niveau mondial de tous les moyens de contraception en 2020-2021. Il est urgent que les pouvoirs publics s’en saisissent d’autant que le secteur de la pharmacie est renommé et bien développé en Belgique.

Accouchements

En France, on interdit dans certains hôpitaux à l’autre parent ou à un proche d’assister à l’accouchement, par mesure de sécurité. Cette interdiction est source d’angoisses et de traumatisme chez la femme qui, sur le long terme, peuvent aussi provoquer un syndrome de stress post-traumatique.

En Belgique, cette interdiction n’est pas constatée ; il faut cependant rester vigilant∙e∙s !

Violences

Les chiffres le démontrent, en Belgique comme partout ailleurs, les violences envers les femmes augmentent en période de confinement.

Confinées avec un compagnon violent sans possibilité de s’échapper, dans une promiscuité qui augmente les tensions, ces femmes ne peuvent pas ou difficilement appeler au secours, étant surveillées et sans possibilité de s’isoler pour lancer un appel à l’aide.

En Belgique, on a constaté une hausse de 70% d’appels au numéro d’Écoute violences conjugales (0800/30.030). Une initiative à saluer : à Mons, les pharmacies ont mis en place un dispositif qui permet aux femmes de demander de l’aide discrètement.

Depuis #metoo, les violences envers les femmes ont enfin été considérées comme un dossier prioritaire par les politiques. Ainsi, une task force a récemment été mise en place par la Wallonie, la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), la Région bruxelloise et la Cocof, dont la mission est de s’assurer que les infrastructures d’accueil sont suffisantes pour répondre aux besoins d’éloignement en urgence du domicile.

Une campagne de communication, rappelant les différents numéros des services d’urgence, d’écoute et de soutien est aussi diffusée tout comme le rappel de la ligne d’écoute gratuite pour les violences conjugales : 0800/30.030.

Le 2 avril, la Conférence interministérielle (CIM) rassemblant 12 cabinets ministériels s’est réunie, dans l’objectif de lutter contre les violences et de nombreuses mesures ont été prises ou accentuées. Par exemple : les lignes d’écoute/chat ont été renforcées, la prise en charge des auteurs assurée, via Praxis ou les Maisons de justice, par téléphone et vidéoconférence.  Quant aux Centres de Prise en charge des Violences Sexuelles (CPVS), ils continuent à fonctionner 24h/24 et la COL 4/2006 destinée aux procureurs généraux, une circulaire connue sous le nom de  « tolérance zéro » doit être strictement appliquée.

On constate cependant un manque de coordination entre les différentes zones de police de Bruxelles. Celle de Bruxelles-Nord a décidé, dès le début du confinement, de reprendre contact avec les victimes qui avaient déposé plainte précédemment, démarche pro-active à saluer, alors que les autres zones de police ont tardé à s’aligner sur cette démarche, qui s’est heureusement généralisée depuis.

Sur le plan judiciaire,  nous connaissons les difficultés rencontrées par les femmes pour se faire entendre, et la suspicion qui continue à peser sur leurs plaintes et les constats de violences, qu’elles demandent à la justice de condamner.

En cette période, l’inquiétude reste donc de mise, car le monde policier et judiciaire reste très peu formé à la prise en compte et à la compréhension des mécanismes de violence. Ils sont peu ou pas formés pour la déceler et l’appréhender.

Concernant les femmes en situation de prostitution, la crise les touche tout particulièrement. En effet, elles n’ont plus aucun revenu, et n’étant pas déclarées elles ne touchent aucune aide sociale. Elles sont donc particulièrement à risque : si elles arrêtent, elles sont confrontées à une pauvreté et précarité immédiate ; si elles continuent, elles risquent de tomber malade et de propager l’épidémie. La situation tragique dénoncée en France n’est pas différente chez nous ; iI est en conséquence urgent d’aider ces femmes invisibles aux yeux de l’État belge qui ne leur garantit pas les droits fondamentaux qui leurs reviennent.

Sexisme et stéréotypes

80% des chef.fe.s de familles monoparentales sont des femmes. Le sexisme d’avant confinement aggrave leur situation dans de nombreux domaines de la vie quotidienne.

 Charge ménagère

En plus d’occuper les métiers essentiels dans la lutte contre l’épidémie, ce sont aussi les femmes qui sont principalement confrontées au travail invisible et non-rémunéré, regroupant les tâches ménagères, la cuisine, les courses, etc. Selon une étude de l’Iweps en 2017, les hommes consacrent 8% de leur temps aux tâches ménagères et familiales, tandis que les femmes y consacrent 13%. Chez nos voisins français, une étude de l’Insee a démontré que les femmes accomplissaient en moyenne 70% du travail familial et domestique.

Avec deux parents à la maison, on aurait pu imaginer une meilleure répartition des tâches, une prise de conscience de la part du compagnon … C’est beau de rêver ! Malheureusement, les inégalités dans les foyers se renforcent, et les mécanismes mis en place ne changent pas nécessairement. Les femmes sont ainsi au service du foyer 24h/24h. Cela peut s’expliquer par le fait que l’humain, en temps de crise, doit s’appuyer sur des habitudes et des repères, ce qui veut donc dire que la répartition des tâches peut difficilement changer durant cette période.

En plus de cette charge ménagère, une grande partie de la prise en charge émotionnelle repose sur les femmes. Cette charge émotionnelle explose en temps de crise, puisqu’il s’agit pour les femmes de rassurer leurs proches tandis que personne ne les rassure en retour.

Injonctions de beauté aux femmes

Depuis le début du confinement, on voit beaucoup de posts d’« humour » qui circulent sur les réseaux sociaux vis-à-vis des femmes et de leur apparence durant cette période. Même en confinement, il faudrait se maquiller, être bien habillée, bien épilée, et être toujours gracieuse et élégante, et bien sûr tout faire pour rester mince ou le devenir. Quelle que soit la situation, les injonctions envers les femmes sont multiples et concourent à les responsabiliser quant à leur physique, et à la culpabiliser si elles ne correspondent pas aux critères esthétiques édictés par les autres.

Il est essentiel de rappeler que le corps des femmes leur appartient, et de combattre ces injonctions et stéréotypes sexistes.

Le harcèlement de rue

On aurait pu espérer que, vu la distanciation physique et la raréfaction des sorties dans l’espace public, les femmes subiraient moins de harcèlement.

Au contraire, la situation semble s’aggraver. Même lors de sorties exceptionnelles et nécessaires,  les femmes subissent encore sifflements, remarques et insultes sexistes, regards insistants de harceleurs « qui s’ennuient et sont encore plus excités ». De plus, les rues étant plus désertes, les femmes se sentent moins en sécurité et sont donc plus vulnérables face à aux agresseurs.

Les plaintes à la police n’augmentent pas pour autant : d’une part, les femmes évitent un maximum de déplacements et d’autre part, le harcèlement est à ce point quotidien qu’elles ne rapportent pas ces faits à la police, car soit elles les minimisent, soit elles ne sont pas informées qu’il s’agit de délits punissables.

Quotidien, vous êtes sûres ? Oui ! Les chiffres parlent d’eux-mêmes, avec plus de neuf femmes sur dix qui affirment avoir déjà été confrontées publiquement à des comportement sexistes. Alors si le coronavirus va peut-être changer la face du monde tel qu’on le connaît, il ne changera pas le fait que les femmes détesteront toujours autant se faire alpaguer en rue, comme être réduite par des insultes et autres manifestions déplacées à une dimension sexuelle infériorisante.

Précarité et pauvreté

Perte d’emploi et de revenus

Il a déjà été constaté que les personnes les plus démunies d’un point de vue sanitaire et économique étaient les premières victimes du virus. Être une femme constitue donc une double peine. En effet, pour les femmes, l’impact économique négatif du Covid-19 est exacerbé.

Pourquoi ? Car elles ont davantage d’emplois précaires de manière général (près de 60% d’entre-elles travaillent dans l’économie informelle c’est-à-dire non-régulée par l’État) et ont un salaire généralement plus bas que les hommes, ce qui rend difficile la possibilité d’économiser à long terme et renforce donc les inégalités durant le confinement. En outre, le taux de perte d’emploi a touché, à l’échelle mondiale, plus rapidement et de manière disproportionnée les femmes, notamment dans le secteur des titres-services. Comme nous l’avons dit précédemment, les métiers les plus exposés au virus sont occupés majoritairement par des femmes et restent aussi sous-payés. Tout cela aggrave et aggravera la situation précaire de beaucoup de femmes.

Sur ce plan, l’ONU a alerté sur les risques accrus de diminution des revenus des femmes comme sur leur moindre participation économique à la société d’après crise sanitaire. Les femmes déjà en situation précaire avant celle-ci risquent de tomber dans l’extrême pauvreté alors qu’elles auront joué plusieurs rôles indispensables durant cette crise.

A l’échelle de la planète, les jeunes filles et adolescentes qui vivent dans la pauvreté seront les premières sacrifiées lorsqu’il faudra reprendre l’école. En plus de devoir consacrer plus d’heures aux tâches ménagères en raison du confinement, elles seront davantage contraintes d’abandonner leur scolarité à la fin de la crise. En effet, elles sont statistiquement plus exposées au décrochage scolaire lorsque la situation économique de leur famille est plus fragile. La crise aggravant cette situation, cette donnée risque de s’accroître.

Mères célibataires

En ce qui concerne les familles monoparentales, il faut savoir que la plupart sont gérées par des femmes (80% en Wallonie) et que 46% de ces familles ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Le confinement aggrave encore la charge psychologique : faire les courses avec leurs enfants, aider pour les devoirs, etc.

Étant donné qu’avant la crise, les femmes avaient un salaire moins élevé et qu’elles sont généralement davantage touchées par les pertes d’emploi que les hommes, il y a et aura encore plus de risques pour les femmes de tomber dans la pauvreté.

Précarité menstruelle

La précarité menstruelle représente un problème conséquent pour les femmes dans une situation de pauvreté en temps normal, que la crise ne fait qu’intensifier. En effet, les associations qui luttent contre la précarité menstruelle ont moins de ressources pour continuer leurs collectes et le gouvernement semble oublier cette problématique. Les femmes en situation précaire et, plus particulièrement, les femmes sans-abri et/ou en situation irrégulière sont considérablement touchées par l’absence de prise en charge, ce qui rend leur état de santé davantage à risque de complications.

Par exemple, en France, des colis de première nécessité ont été distribués aux personnes les plus démunies, mais ceux-ci ne comportaient pas de protections hygiéniques. À nouveau, elles ont été « oubliées » car non considérées comme essentielles. En Belgique, rien n’a été mis en place par les autorités à ce niveau. C’est une nouvelle preuve du tabou qui pèse sur les règles.

II. Maintenant que l’on sait ce qui se passe, que fait-on ?

La situation est donc plus que catastrophique pour les femmes. La question est donc, comment l’État peut-il agir ? Et comment nous, en tant que citoyen∙ne∙s, pouvons-nous agir à notre niveau ? Nous devons, tou∙te∙s ensemble, exiger de l’État qu’il remplisse ses obligations de protection vis-à-vis de tou∙te∙s ses citoyens, et nous pouvons agir en solidarité avec toutes ces femmes.

De façon générale, il est indispensable de revaloriser les métiers du soin aux personnes. La majorité de femmes qui compose ce secteur n’ont pas envie d’être acclamées telles des héroïnes, elles préfèreraient pouvoir travailler dans des conditions respectables et qui favorisent leur bien-être. Nous devons écouter aujourd’hui ces femmes actives dans ces secteurs ainsi que leurs revendications, sans quoi la prochaine crise pourrait se révéler encore plus dramatique.

On observe enfin que beaucoup de citoyen∙ne∙s sont aujourd’hui bénévoles, ce qui est particulièrement encourageant car il faut un esprit de solidarité. Cependant il est également nécessaire que, d’une part l’État encourage cette solidarité en donnant plus de moyens aux associations qui la coordonnent, et que, d’autre part l’État prenne ses responsabilités. On constate par exemple qu’une très grande majorité de femmes couturières ont aidé à pallier le manque de masques de protection. Procurer des masques est clairement une des obligations de l’État compétent en matière de santé publique, et les femmes couturières qui ont aidé n’ont pas été rémunérées pour ce travail absolument essentiel. Cela démontre une fois de plus que quand les femmes travaillent gratuitement cela ne gêne personne, et qu’au contraire on les encourage à prester gratuitement, au mépris de leurs apport social et d’une juste rétribution financière.

Santé

Le droit à l’IVG doit être réaffirmé en tant qu’acte médical essentiel même en temps de crise. La télémédecine, non encadrée aujourd’hui en Belgique, doit également être envisagée afin de faciliter les téléconsultations pour la contraception régulière par exemple.

La contraception d’urgence devrait être, au moins pendant le confinement, gratuite sans ordonnance. La production et l’approvisionnement des contraceptifs doivent être une priorité.

Concernant les accouchements, la tendance, à la hausse durant cette période, est celle d’accoucher à la maison. Cela comporte cependant des risques évidents pour la santé des femmes et ne doit pas devenir la norme. Les femmes doivent disposer de toutes les informations utiles quant à leur santé et aux risques patents de complications, souvent graves, inhérents à un accouchement avant de faire un tel choix.  Une femme enceinte sur cent, en Belgique, doit être prise en charge en soins intensifs pour cause de grossesse ou d’accouchement.

Violences

L’éclatement des compétences suivant les niveaux de pouvoir constitue un frein réel à la prise en charge globale et efficace pour lutter en faveur des droits des femmes en général, et contre les violences en particulier.

Ensuite, pourquoi la Belgique ne coordonnerait-elle pas un dispositif anti-violences dans toutes les pharmacies, comme cela est fait en France et à Mons ? Ou encore mettre à disposition un numéro de téléphone d’écoute violences conjugales via lequel on peut communiquer par sms ? Il reste de nombreux autres points à améliorer, comme la formation du secteur judiciaire et des policiers, ou encore l’accessibilité des services d’aide aux femmes en situation de handicap.

Au niveau de la prostitution, il faudra se soucier évidemment de l’impact de la crise sur la précarité et de la pauvreté de ces femmes. Les stigmatiser et les plonger dans une plus grande pauvreté et insécurité ne résoudra pas le débat autour de la prostitution, et ne correspond pas aux valeurs d’une société démocratique.

Pour toutes les femmes qui subissent des violences, de tous ordres, il faut investir en amont par la prévention, la sensibilisation, le maillage local et des relais efficaces dans la chaîne socio-judiciaire.

Les violences qu’auront subies les femmes pendant ce confinement vont coûter énormément à la société, tandis que si une réelle prévention et prise en charge étaient mises en place, comme l’exige la Convention d’Istanbul ratifiée par la Belgique en 2016, il y aurait une diminution certaine du nombre de violences faites aux femmes, comme l’a démontré l’Espagne.

Sexisme et stéréotypes

Pour alléger les charges ménagères et émotionnelles des femmes, comme les injonctions esthétiques, l’État peut également intervenir. Pourquoi ne pas envisager une campagne nationale à destination des hommes, avec comme message une dénonciation de ces stéréotypes sexistes ?

Les citoyen∙ne∙s doivent en parallèle continuer à dénoncer ces injonctions et à les contrer.

Précarité et pauvreté

Les recommandations dans ce domaine sont innombrables. Pour dresser un rapide tableau, il nous semble essentiel aujourd’hui de porter un regard beaucoup plus attentif sur les femmes et familles monoparentales en situation de précarité et à risque de pauvreté, ainsi que sur les femmes qui, une fois les enfants partis, se retrouvent âgées et démunies.

Il faudrait également prendre en compte la situation singulière que vivent les femmes sans-abris et/ou en situation irrégulière, et les femmes en situation de pauvreté.

La précarité menstruelle n’est pas encore suffisamment prise en compte en Belgique, et une proposition de loi sur la gratuité des protections menstruelles pour les femmes les plus démunies devrait pouvoir être rédigée. De plus, ne serait-ce que durant la crise, la Belgique devrait mettre en place un kit de première nécessité pour les personnes les plus démunies, comprenant d’office des protections hygiéniques. Ces dernières devraient systématiquement être considérées comme des produits de première nécessité, produits essentiels pour toutes les femmes.

III. Le monde de demain

Les femmes sont à la fois les grandes perdantes de la crise, mais aussi et surtout les plus indispensables.

L’urgence actuelle et la crise économique qui se profile pourrait faire l’impasse sur les objectifs d’égalité de genre et les remettre à plus tard. Nous nous opposons au discours qui prétendra que « Les droits des femmes peuvent bien attendre, et puis de toute façon on n’a plus l’argent ! ».

C’est précisément ce que révèle cette crise de façon encore plus visible : l’égalité femmes-hommes ne peut plus attendre, et c’est la réponse que les politiques devront apporter à ceux∙celles qui disent le contraire. Les droits des femmes sont des enjeux démocratiques fondamentaux ; beaucoup de responsabilités, de tâches et de services sont pris en charge par les femmes.  L’État doit le reconnaître et valoriser tant le travail fourni que les citoyennes qui ne comptent ni leurs heures ni leur engagement pour assurer le bien-être de la collectivité.

Plus généralement, il est urgent d’améliorer l’information et l’éducation à la non-discrimination envers les filles et les femmes. Les générations – plus jeunes ou plus anciennes –  doivent être sensibilisées sans relâche à cet enjeu de société majeur, que ce soit par des campagnes de sensibilisation et d’information ou une meilleure application du droit.

Nous devons aussi engager un dialogue citoyen autour de ces questions, afin de s’assurer que les droits des femmes soient garantis et cessent d’être constamment attaqués.

L’égalité entre hommes et femmes est une obligation pour les 189 pays qui ont ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la convention internationale onusienne la plus célèbre concernant les droits des femmes et adoptée en… 1979. Alors, qu’est-ce qu’on attend ?

Emilie Djawa et Diane Gardiol

Commission Jeunes du CFFB

 

Une constitution fédérale pour les États-Unis d’Europe – Pourquoi et comment ?

 

La parution en ligne[1] du nouveau livre de Jean Marsia,[2] la veille de la commémoration du 70ème anniversaire de la déclaration Schuman, ne doit rien au hasard. Le même jour, le président allemand Steinmeier disait à Berlin : « Nous devons garder l’Europe unie. Nous devons penser, ressentir et agir en tant qu’Européens ». C’est ce que Jean Marsia a fait en rédigeant cet ouvrage. Après avoir rappelé pourquoi l’Europe a besoin d’une gouvernance fédérale, il répond à deux des questions qui lui ont le plus fréquemment été posées lors des 175 exposés qu’il a prononcés depuis sa soutenance de thèse doctorale à l’ULB en 2015 : « En quoi consisteront les États-Unis d’Europe ? » et « Comment pourraient-ils advenir ? ».

L’ambition de ce livre est de susciter un mouvement d’opinion en faveur d’une Europe fédérale, des Etats-Unis d’Europe (EUE), pour mieux nous défendre contre les terroristes, les autocrates et les coronavirus.

L’ouvrage définit un objectif politique clair et réaliste : le transfert d’un petit nombre de compétences, dans les domaines des relations internationales, de la sécurité et de la défense, par un nombre modeste d’États membres, vers les EUE. En donnant comme missions prioritaires aux EUE la mise sur pied d’une armée et de forces de sécurité européennes efficientes et crédibles, Jean Marsia n’a pas une démarche corporatiste ou militariste, mais bien le souci du maintien de la paix, comme ce fut le cas dans sa vie professionnelle.

Les EUE ont été souhaités pour la première fois par Victor Hugo, lors du Congrès des amis de la paix universelle, à Paris, le 21 août 1849. Faute de les avoir fondés, les Européens ont subi la Première Guerre mondiale. Pour éviter la Seconde, le diplomate autrichien Richard Coudenhove-Kalergi et Winston Churchill ont repris l’idée dans le livre Pan Europa, paru en 1923, sans plus de succès. Les deux Guerres mondiales nous ont valu des dizaines de millions de morts et de traumatisés, des dégâts matériels et culturels gigantesques et le déclassement de l’Europe sur la scène internationale.

Après 1945, Winston Churchill, Charles de Gaulle et Dwight D. Eisenhower ont plaidé dans le même sens, pour faire face à la Guerre froide, mais toujours en vain. Le discours de Schuman du 9 mai 1950 a lancé un processus qui a permis d’aboutir à l’UE, avec ses qualités et ses défauts.

Elle n’a pu mettre fin à l’occupation de l’Europe de l’Est jusqu’en 1989, ni empêcher le déchirement de l’ex-Yougoslavie au début des années 1990. Par trois fois en un siècle, ce sont les Américains qui ont restauré la paix en Europe.

Aujourd’hui encore, l’Europe dépend complètement des États-Unis d’Amérique pour sa sécurité et sa défense, alors qu’il y a urgence à prendre en main notre propre sécurité. Depuis la fin de la Guerre froide, le monde est redevenu de plus en plus dangereux. Nos dirigeants sont pour la plupart de moins en moins capables d’assurer notre sécurité, la pandémie Covid-19 l’a montré. Les équilibres stratégiques, politiques, économiques, technologiques, énergétiques et militaires sont remis en cause. Depuis vingt ans, toute l’architecture de sécurité en Europe a été déconstruite. Depuis 2001, le terrorisme islamiste et depuis 2007, des autocrates agressifs se sont imposés sur la scène mondiale. Ils ont tourné le dos au multilatéralisme et ne considèrent plus que les rapports de forces. C’est pourquoi la Russie, l’Amérique, la Chine, l’Inde, le Pakistan, l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Turquie ont relancé la course aux armements. Ils se servent de leurs capacités militaires pour imposer leurs points de vue en politique internationale.

L’UE promet sécurité, prospérité, protection et puissance. En réalité, n’étant pas un État, étant dépourvue de l’unité de commandement politico-militaire, l’UE ne peut et ne pourra jamais se doter de capacités militaires et assurer notre sécurité et notre défense. Elle dispose d’un Comité politique et de sécurité, d’un Comité militaire, d’un État-major, d’un Institut d’études de sécurité, d’un Centre satellitaire, d’une Agence de défense, d’un Collège de sécurité et de défense et d’un Service d’action extérieure, mais pas de forces armées.

Sans les moyens américains de renseignement, de télécommunications et de transport stratégique, les Européens sont incapables d’agir et en particulier de se prémunir contre le terrorisme islamiste et les autocrates agressifs. Lors de l’opération Harmattan en Libye, 75 % des ravitaillements en l’air d’avions européens ont été réalisés par les Américains, car l’Europe n’avait que 42 avions ravitailleurs, de dix types différents, et eux 650, de quatre modèles seulement.

Jean Marsia souhaite une utilisation adéquate des budgets de défense. Les 250 milliards d’euros qui ont été dépensés en 2019 par les 28 États-membres de l’UE au titre de la défense n’ont pu générer que 5 à 6 % des capacités militaires des États-Unis d’Amérique, alors qu’utilisés avec efficience, ce montant énorme devrait nous procurer un tiers de leurs capacités, car ils dépensent trois fois plus que nous. Notre efficience est au moins cinq fois plus petite que la leur. Ils n’ont qu’un Pentagone et nous 27, depuis le Brexit. C’est pourquoi ils mettent en œuvre une trentaine de types de systèmes d’armes, nous 154, selon l’Agence européenne de défense.

Nos forces armées comptent un million et demi de soldats, marins ou aviateurs, à peu près comme les leurs. Mais les nôtres sont, pour la plupart, faute de moyens, très peu opérationnels. 200.000 militaires américains sont en opérations extérieures. Les nôtres sont quelques milliers seulement et trop peu nombreux pour tenir tête aux islamistes qui terrorisent le Sahel.

L’UE nous fait subir un gouvernement d’assemblée, par définition inefficace : à la suite d’un abus de pouvoir, c’est ce qu’est devenu le Conseil européen, alors que, faute de vision d’avenir, il manque à son devoir, fixé par les traités, qui est de donner à l’UE de grandes orientations, à moyen et à long terme. La Commission s’est soumise au Conseil. Elle maîtrise parfaitement la langue de bois et elle est championne de la course sur place. En annonçant que quelque chose va se passer, elle nous fait croire que c’est chose faite. Le Parlement européen est privé des droits essentiels d’un pouvoir législatif : voter l’impôt et le budget, investir le gouvernement, prendre l’initiative législative. Bien qu’élu en apparence au suffrage universel, il est illégitime, car la représentation des citoyens en son sein est rattachée non pas à l’égalité́ des citoyens de l’UE (comme le voudrait l’article 9 du traité sur l’UE), mais à la nationalité. Résultat : le Luxembourgeois ou le Maltais sont 12 fois mieux représentés qu’un Allemand.

L’UE, sortie plus désunie que jamais de la pandémie Covid-19, ne compte pas sur la scène internationale, en tout cas par rapport aux États-Unis d’Amérique, à la Russie et à la Chine. Sauf en matière commerciale : c’est le seul domaine de compétence auquel les États membres ont complètement renoncé, depuis le traité de Rome de 1957.

La « stratégie » de l’UE de 2003, un peu complétée en 2016, n’est qu’une déclaration d’intention. L’absence de forces européennes de sécurité et de défense, les arrivées peu contrôlées de réfugiés et de migrants, la fragilité de la zone euro et du secteur bancaire, l’inexécution des accords sur le climat, la persistance du dumping social développent les mouvements populistes, extrémistes et autoritaires.

Seuls les EUE pourraient réaliser l’unité de commandement politico-militaire européenne, unité requise pour rendre les dépenses de défense de l’Europe enfin efficientes. Jean Marsia propose pour atteindre cet objectif une méthode juridiquement adéquate : l’adoption d’une constitution et d’une loi fondamentale. Il en présente l’ébauche, afin d’inciter les députés européens à se mettre au travail et pas en vue de se substituer à eux. Il affirme que l’Europe doit cesser de s’obstiner sur la voie du « traité constitutionnel » qui, faute d’être crédible, est incapable d’entraîner l’adhésion des électeurs, ce qui explique en partie les trois échecs de 1954, 1984 et 2005. Un « traité constitutionnel » est un oxymore, une contradictio in terminis. Un traité est d’ordre externe à l’État et multilatéral. Une constitution est un acte de droit public interne, unilatéral, qui vise à établir les droits fondamentaux des citoyens, les principes fondamentaux sur lesquels reposent la légitimité du pouvoir politique et l’architecture générale des institutions.

Les forces morales sont indispensables à établir le fondement d’une Europe fédérale et à la mise sur pied d’une défense des EUE qui soit effective. C’est pourquoi, dans la première partie de son ouvrage, Jean Marsia présente les valeurs, l’histoire, la culture qui sont communes aux Européens. Nos valeurs sont inscrites à l’article 2 du traité sur l’UE, qui dispose : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes »[3].

Ce texte, complet et équilibré, est toutefois difficilement compréhensible, pour des jeunes qui commencent à accéder à la citoyenneté ou pour une recrue peu éduquée qui s’engage dans les services de sécurité ou à l’armée. C’est pourquoi Jean Marsia les résume en trois mots : l’humanisme, le progressisme et l’universalisme.

L’Europe valorise l’esprit d’ouverture et de libre découverte, qui débouche sur le pluralisme. Celui-ci implique la séparation de l’État et des religions comme des conceptions philosophiques. Chaque individu a droit à son autonomie, sa dignité et l’estime des autres ; il a aussi des devoirs. L’humanisme repose sur la tolérance et l’éthique. Ce ne sont ni le consumérisme ni les intégrismes qui peuvent relier entre eux les membres de notre société. L’Europe est multiethnique, multiculturelle, multireligieuse, tolérante et laïque. Cela implique que ses citoyens œuvrent au progrès, cultivent la bienveillance et même la fraternité entre eux, rejettent la violence et combattent la barbarie.

Il reste à les convaincre de se mobiliser pour concrétiser ce fédéralisme que le monde politique nous promet depuis 70 ans sans intention de tenir sa promesse, avec pour résultat la déchéance de l’Europe. Quelques petits États pionniers devraient mandater les parlementaires européens qu’ils ont élu en mai 2019, pour qu’ils rédigent et adoptent la constitution et la loi fondamentale des EUE. Ainsi, l’Europe pourrait progressivement redevenir autonome, indépendante et souveraine. Ses forces fédérales sauraient, avec les forces des États membres, maintenir la paix, soutenir l’État de droit, protéger nos libertés et nos intérêts vitaux, garantir notre bien-être, notre sécurité, notre défense, assurer le rayonnement de nos valeurs et l’avenir des générations futures d’Européens, tout en rendant le coût de la sécurité et de la défense raisonnable pour le contribuable.

Jean Marsia

  1. Voir la page https://www.seurod.eu/livres.html ou, pour accéder directement et gratuitement au Flipbook, https://www.seurod.eu/Flipbook/Constitution%20EUE/mobile/index.html.
  2. Jean Marsia est colonel administrateur militaire en retraite depuis fin 2009. Il a notamment, de 1999 à 2003, conseillé le ministre de la Défense, qui l’a ensuite nommé directeur de l’Enseignement académique de l’École royale militaire, pour l’adapter aux Espaces européens de l’enseignement supérieur et de la recherche, à la politique européenne de sécurité et de défense et au programme Erasmus. En 2013 et 2014, il a été conseiller défense du Premier ministre. En 2015, il est docteur en sciences politiques de l’Université libre de Bruxelles et en sciences sociales et militaires de l’École royale militaire. Sa thèse portait sur la défense européenne. Il fonde ensuite la Société européenne de défense AISBL. De 1989 à 1998, il a été administrateur puis trésorier du CAL et maître d’œuvre du siège du CAL. Il a aussi été secrétaire du Conseil central laïque. Comme président du Fonds d’entraide Georges Beernaerts, il a œuvré à la mise en place des conseillers moraux auprès des forces armées.
  3. Ces valeurs ont été affirmées pour la première fois par le traité de Maastricht en 1992. Avec le traité de Lisbonne, la Charte s’est vue reconnaître un caractère obligatoire pour les États membres (art. 6 TUE). Les droits énoncés peuvent être invoqués par les citoyens européens à l’encontre d’un acte de l’UE qui leur serait contraire. Voir Direction de l’Information légale et administrative, Vie publique, « Quelles valeurs l’Union européenne défend-elle ? » http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/union-europeenne/ue-citoyennete/definition/quelles-valeurs-union-europeenne-defend-elle.html, consulté le 19/7/2014.