Un élève égale un élève?

Marie Béclard - FAML

P etit retour en arrière . De 1815 à 1830, suite à la défaite de Napoléon, la Belgique et la Hollande sont réunies dans un royaume des Pays-Bas gouverné par le roi Guillaume Ier. Dans la tradition hollandaise, l’Etat est fort interventionniste en matière d’enseignement: il nomme ses enseignants aussi bien au niveau primaire que secondaire. Le contrôle passe même par la formation des enseignants du primaire dans des écoles normales d’État. Cet interventionnisme passe mal auprès des catholiques belges et des libéraux qui regrettent le manque de liberté laissé aux écoles et aux pédagogues.

Ce n’est donc pas étonnant que libéraux et catholiques se soient mis d’accord pour inscrire la liberté de l’enseignement dans la Constitution de 1831 à l’article 17 (devenu aujourd’hui l’article 24). « L’enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite ; la répression des délits n’est réglée que par la loi. L’instruction publique donnée aux frais de l’État est également réglée par la loi ». [1]

Dès lors, les différents pouvoirs organisateurs disposent du droit « d’ouvrir une école, de la maintenir et de déterminer son projet philosophique et religieux ainsi que ses méthodes pédagogiques », d’être libre de choisir son personnel et de définir ses missions pour concrétiser sa tendance philosophique et pédagogique ainsi qu’un pouvoir de décision dans l’organisation de l’établissement. [2]

Des réseaux, de la concurrence positive ou déloyale ?

Aujourd’hui, en Belgique francophone, il a plusieurs réseaux d’enseignements qui coexistent. Le premier est organisé et entièrement financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, on l’appelle l’enseignement officiel. En parallèle, les communes et les provinces proposent également un enseignement qui est dénommé l’officiel subventionné, ses frais de fonctionnement lui sont partiellement payés par la Fédération, le reste de son financement lui vient donc de son pouvoir organisateur la commune ou la province. Ces deux types de pouvoirs organisateurs utilisent des bâtiments publics qui leur appartiennent pour ouvrir des écoles. Ils répondent aux exigences d’un socle commun, se plient à des évaluations externes imposées par la Fédération et proposent l’ensemble des cours des religions ou de morale pour les cultes reconnus en Belgique à raison d’une heure par semaine. Une heure de cours de philosophie et citoyenneté est également prévue. Chaque école reste cependant libre de ses méthodes pédagogiques. Ces deux réseaux scolarisaient ensemble 50,3 % d’élèves pour l’année 2018-2019.

Il existe ensuite, un enseignement dit libre qui est soit confessionnel (catholique, islamique, judaïque…) soit non confessionnel. C’est le cas des écoles comme Decroly, Singelijn …. Les différentes écoles du réseau libre scolarisaient en 2018-2019, 49,7% des élèves. Une grande majorité de ces élèves sont inscrits dans le libre confessionnel catholique. Les pouvoirs organisateurs sont des diocèses, des congrégations religieuses ou des associations sans but lucratif . Les écoles de ces réseaux sont très largement financées avec des deniers publics puisque 96 % de leurs subventions viennent de la Fédération Wallonie Bruxelles dont la plus grande part sert à financer la totalité des salaires des enseignants. [3] En effet, depuis le pacte scolaire voté le 29 mai 1959, l’enseignement libre reçoit un financement quasi égal à celui de l’enseignement officiel, tout en gardant une structure privée (asbl); c’est ce que l’on a appelé un « service public fonctionnel ». [4] Cependant, peut-on accepter qu’un service public d’un Etat qui prône la neutralité puisse être effectué par de congrégations religieuses ? Que des cours de religion catholique soient imposés à une population non croyante ou d’une autre confession ? Doit-on continuer à financer un enseignement qui ne répond pas aux exigences de neutralité? Pourrait-on remettre en question la sacro-sainte liberté des parents ? La concurrence entre réseaux a-t-elle un impact qu’il soit positif ou négatif sur la qualité de l’enseignement en Belgique francophone ?

Actuellement en Belgique, on se retrouve dans une logique de quasi marché et si la concurrence favorise parfois la qualité quand il s’agit de marchandises, dans l’enseignement il semblerait que ce soit tout le contraire.  Les établissements se situent dans une logique de différenciation complémentaire. Certains établissements se spécialisent dans la réception d’élèves et d’autres dans le refoulement. Les écoles « réceptacles » reçoivent les jeunes qui ont épuisé les possibilités d’inscription (après réorientation, redoublement ou expulsion). Les écoles « écrémées » conservent les élèves étiquetés conformes aux critères de l’excellence scolaire.

Ainsi, certaines écoles se vident ou deviennent des écoles ghettos tandis que d’autres ont des listes d’attente kilométriques et attirent les plus nantis. La Belgique fait partie des pays qui ont le plus haut degré d’inégalité sociale à l’école et ces inégalités s’expliquent en partie à cause de la liberté qui existe à créer des écoles et à la relative souveraineté qu’ont les parents d’essayer d’inscrire leur enfant où ils le souhaitent.[5]

Si ces dernières années, quelques écoles à pédagogie active se sont créées en s’inscrivant dans le réseau libre: Singelijn secondaire, de l’autre côté de l’école à Auderghem… le réseau libre reste composé majoritairement d’écoles confessionnelles catholiques. Comment expliquer le paradoxe selon lequel « on assiste à une déchristianisation et une sécularisation massive de la société tandis qu’en contrepoint, il y a une croissance comme jamais atteinte de l’enseignement catholique en Belgique francophone » ? [6]

On entend souvent que l’enseignement libre est meilleur : la Libre Belgique titrait en 2015:« L’enseignement libre est moins cher et plus performant » et en 2008 RTL titrait déjà « Les chiffres le prouvent: l’enseignement libre est plus performant que l’officiel ». Mais d’où vient cette idée que l’enseignement libre catholique serait le seul à proposer des établissements de qualité alors que l’enseignement officiel est tout simplement présenté comme dysfonctionnel et trop cher ?

En 2009, Le Ligueur interrogeait ses lecteurs sur ce qui préside au choix d’une école pour un parent. Les critères qui avaient mis en évidence par leur exploration étaient les suivants : la proximité, la qualité, les enseignants, la mixité culturelle, le réseau d’enseignement et, plus marginalement, l’occasion de s’impliquer dans la vie de l’école. [7] La réputation joue un rôle primordial dans le choix des parents. Mais comment se construit une réputation d’école ? Trouve-t-on des évaluations comme pour un restaurant, est-ce que ce sont les résultats à une épreuve externe comme le CEB ou CE1D par exemple ou les enquêtes Pisa, résultats qui seraient accessibles aux parents ? Une grande partie de la réputation se joue sur le bouche à oreille, mais il est très difficile de juger objectivement de la qualité d’une école sur une autre. Les critères variant tellement d’un parent à l’autre ou d’un enfant à l’autre. Certains cherchent la performance scolaire là où d’autres cherchent un climat bienveillant et l’épanouissement de l’enfant. Les parents jugeront une école comme bonne ou mauvaise selon l’expérience que leur propre enfant y aura vécu. On est là, loin d’un critère objectif. Dans les articles de presse, on parle des résultats à certaines épreuves mais on sait que ces résultats ne sont pas toujours représentatifs de tous les aspects des apprentissages réalisés d’une école. Si certaines préparent leurs élèves à être performants à ce type d’épreuves délaissant d’autres matières ou compétences importantes suite de la phrase ?.

L’étude de A. Baudaux et de 0. Servais met en avant une autre problématique, les idées reçues : «  Les parents issus de l’immigration envisagent notamment l’enseignement catholique comme une des portes d’entrée dans la société belge, un accès à la « culture » du pays, avec une place pour les autres religions » même si ce n’est pas leur religion ».[8] Pour d’autres, le fait que les écoles libres demandent plus de participation financière des parents est un gage de qualité. Une sorte de « il faut souffrir pour être beau » qui se transforme dans ce contexte en « je dois me sacrifier pour que mon enfant reçoive un meilleur enseignement ». Pour d’autres, le critère confessionnel est perçu comme « un corollaire dont on s’accommode » pour avoir accès à un enseignement de qualité.

Pourtant quand on regarde l’offre d’enseignement du libre, on observe une grande diversité des établissements du réseau [9], tout comme c’est le cas dans l’enseignement officiel.

Pour l’enseignement secondaire, la situation est un peu différente de celle du fondamental. En effet, s’il existe beaucoup d’écoles communales officielles, les établissements secondaires se font souvent plus rares. Les élèves qui désirent suivre une option en particulier, privilégient l’école qui la leur propose plutôt que le réseau. Le réseau libre dispose d’une beaucoup plus grande autonomie que les écoles officielles et cela le rend plus flexible, ce qui plaît. Selon certain, cette liberté pourrait permettre d’être plus qualitatif. Par exemple, dans quelques pouvoirs organisateurs du réseau officiel, les enseignants ne sont pas engagés par le directeur de l’école mais par le pouvoir organisateur lui-même. Le directeur peut donc plus difficilement mettre en place une équipe qui répond à sa vision de son école. [10]Cette autonomie se marque également dans la pratique du renvoi d’un élève. Un étudiant problématique sera plus facilement poussé vers la porte dans le libre que dans l’officiel où les procédures sont plus complexes. Quand on sait l’importance accordée par les parents à la « discipline », on comprend aisément qu’il est plus facile de faire régner l’ordre quand on peut exclure plus facilement les éléments perturbateurs.

Cette autonomie plus grande serait-elle à elle seule l’explication du décalage d’image entre l’école officielle et celle du réseau libre ? Une autre explication pourrait résider dans le matraquage médiatique qui met en avant le réseau libre confessionnel catholique et qui entretient le mythe, le sentiment à certains parents que ce réseau est plus qualitatif. Le Secrétariat général de l’enseignement catholique (SeGEC) en Communautés française et germanophone de Belgique joue un rôle dans la construction de cette image. Chaque jour, il s’attelle à communiquer dans la presse pour faire passer le message que l’enseignement libre est sur tous les combats. Par contre, il manque actuellement de défenseur de l’enseignement officiel.

Comment rendre l’enseignement plus égalitaire ?

L’article 24 de la Constitution, en permettant une grande liberté dans l’enseignement a ouvert la boîte de Pandore de la concurrence et avec elle, la ségrégation scolaire et les inégalités. Un réseau unique d’enseignement permettrait « d’éviter une dispersion des moyens et une concurrence stérile héritées de clivages philosophiques et religieux » permettant ainsi de proposer un enseignement public gratuit et de qualité à chaque élève. [11] Selon Nico Hirtt, réduire la liberté de choix des parents, en proposant à chaque enfant une école en début de scolarité permettrait de faire disparaître les écoles ghettos et d’offrir ainsi un enseignement de qualité à chaque enfant.[12] Pour qu’enfin, un élève égale un élève mais pas simplement au niveau financier comme ne cesse de le réclamer Etienne Michel, directeur général du SEGEC. Que chaque élève puisse disposer des mêmes chances de réussir à l’école. Les parents ne choisissent pas d’abord l’enseignement libre pour les valeurs chrétiennes, ils cherchent le meilleur pour leur enfant et comme le marketing mis en place leur laisse penser que si on veut un enseignement de qualité, le libre est la seule alternative valable. Il est donc important que l’enseignement officiel puisse également retrouver une image qualitative. Si actuellement, notre société n’est pas égalitaire, on ne peut cependant se résigner à ce que les écoles, acteur primordial, soient un moyen de relégation et n’offrent pas les mêmes chances de réussite à tous les enfants.

  1. H. DRAELANTS, V. DUPRIEZ, C. MAROY, « Le système scolaire » dans Dossiers du CRISP, 2011/1 N° 76, p11.
  2. La liberté d’enseignement, https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/en/object/boreal%3A127600/datastream/PDF_01/view
  3. C. de BOUTTEMONT,  « Le système éducatif belge », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 37 | décembre 2004, mis en ligne le 18 novembre 2011, consulté le 26 mai 2021. URL : http://journals.openedition.org/ries/1466 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.1466
  4. R. MOOR, Pour plus de mixité sociale : réseau unique et libre-choix adapté, informations consultées le 12 mai 2021 sur le site https://www.calliege.be/salut-fraternite/85hs/pour-plus-de-mixite-sociale-reseau-unique-et-libre-choix-adapte/
  5. Revue française de pédagogie2017/2 (n° 199), pages 117 à 138
  6. O. SERVAIS, dans S. BOCART, Pourquoi choisit-on l’école catholique?informations consultées le 19 avril 2021 sur le sitehttps://www.lalibre.be/belgique/pourquoi-choisit-on-l-ecole-catholique-51b8f1fde4b0de6db9c82005#:~:text=On%20assiste%20%C3%A0%20une%20esp%C3%A8ce,l’enseignement%20catholique%20en%20Belgique
  7. A. BAUDAUX, O. SERVAIS, « Choisir un établissement, transmettre des valeurs, s’identifier à un collectif  » dans: Entrées Libres, no. Hors série (2012) dans: Éthos de l’école catholique, Choisir un établissement, transmettre des valeurs, s’identifier à un collectif, 2013 http://hdl.handle.net/2078.1/141558 , p.14.
  8. A. BAUDAUX, O. SERVAIS, « Choisir un établissement, transmettre des valeurs, s’identifier à un collectif  » dans: Entrées Libres, no. Hors série (2012) dans: Éthos de l’école catholique, Choisir un établissement, transmettre des valeurs, s’identifier à un collectif, 2013 http://hdl.handle.net/2078.1/141558 , p.14.
  9. A. BAUDAUX, O. SERVAIS, « Choisir un établissement, transmettre des valeurs, s’identifier à un collectif  » dans: Entrées Libres, no. Hors série (2012) dans: Éthos de l’école catholique, Choisir un établissement, transmettre des valeurs, s’identifier à un collectif, 2013 http://hdl.handle.net/2078.1/141558 , p.14.
  10. A. BAUDAUX, O. SERVAIS, « Choisir un établissement, transmettre des valeurs, s’identifier à un collectif  » dans: Entrées Libres, no. Hors série (2012) dans: Éthos de l’école catholique, Choisir un établissement, transmettre des valeurs, s’identifier à un collectif, 2013 http://hdl.handle.net/2078.1/141558 , p.17.
  11. https://www.cedep.be/?p=323
  12. N. HIRTT, Inégalités, ségrégations, marché scolaire : petites leçons de PISA 2018, publié le 9 décembre 2019 informations consultées le 12 mai 2021 sur le site https://www.skolo.org/2019/12/09/inegalites-segregations-marche-scolaire-petites-lecons-de-pisa-2018/

Deux heures de philosophie et de citoyenneté : assez de tergiversations

Le groupe de travail parlementaire qui, selon la Déclaration de politique communautaire, est chargé d’examiner « l’extension [d’une heure] à deux heures du cours de philosophie et citoyenneté pour l’ensemble des élèves de l’obligatoire » remettra ses conclusions dans les prochaines semaines. Comme convenu, il poursuit des travaux menés en 2018 par un précédent groupe de travail. A ce moment déjà, la volonté commune à tous les partis était bien « l’évolution du CPC vers un cours unique de deux périodes », moyennant des particularités propres à chaque courant politique. Ce consensus de départ pour lancer les travaux actuels semblait d’autant plus solide que la situation actuelle est intenable pour les professeurs et les élèves : des conditions de travail et de mobilité compliquées pour les enseignants, des difficultés organisationnelles absurdes pour les directions, et enfin des inégalités entre élèves, professeurs, et réseaux… Toutes ces difficultés sont le fruit d’une dizaine de combinaisons possibles pour les élèves et les écoles, et bientôt davantage si l’on introduit un nouveau cours suite à la reconnaissance du bouddhisme comme culte officiel. Tant sur le plan pédagogique qu’organisationnel, le statu quo est intenable.

A ce tableau noir plaidant en faveur d’un unique cours de deux heures en lieu et place des cours convictionnels, s’ajoutent trois éléments de fond qui permettrait à la Belgique de rejoindre la plupart des pays européens ayant inscrit la philosophie à leur programme d’enseignement.

Le premier se situe au niveau de l’objectif principal du cours de philosophie et citoyenneté : les enjeux de société – désinformation, repli identitaire, inégalités hommes/femmes, populisme, radicalisme, climato-scepticisme… – obligent nos élèves à se doter d’outils philosophiques pour apprendre à forger leur propre opinion, mais aussi comprendre et exercer tout ce que recouvre le concept de citoyenneté. Cette nécessité s’est illustrée notamment durant la crise sanitaire, avec un retour en force de la désinformation, du complotisme et de la méfiance envers les sciences et les savoirs empiriques. Aujourd’hui, nous n’avons pas le luxe de considérer certains prétextes plus importants que cet enjeu fondamental pour l’avenir de nos jeunes. Consacrer deux heures par semaine à la philosophie et la citoyenneté est un minimum.

C’est ensuite une question d’égalité. Réunir tous les élèves dans un vrai cours de deux heures de philosophie et citoyenneté, c’est les initier ensemble à la culture du débat, au questionnement philosophique, à la construction d’un discours et d’une pensée critique, ainsi qu’à l’acceptation des différents points-de-vue sur des sujets variés d’actualité. Ces outils philosophiques ne sont pas innés. Ils nécessitent d’être découverts, appris et exercés tout au long de sa scolarité. Le cours de philosophie et citoyenneté est le seul endroit qui garantit à tous les élèves francophones, ensemble, de bénéficier de manière équitable de cet apprentissage et de les préparer à penser librement. Ce cours s’inscrit donc sur le terrain de l’égalité.

Enfin, la possibilité du choix qui fonde notre système actuel est le fruit d’un compromis et donc forcément imparfait. En termes de vivre ensemble et de citoyenneté, il apprend aux élèves dès leur plus jeune âge que la religion de leurs parents les invite à se séparer pour réfléchir au sens de la vie. A l’inverse, un cours de deux heures de philosophie et citoyenneté réunit les élèves, quelles que soient leurs convictions ou celles de leurs parents, et les invite à se questionner ensemble sur ce qui les réunit. Doit-on encore reporter le moment où l’école cessera d’être la seule institution de service public qui sépare les enfants sur base de leurs croyances et les identifie comme tels ? Est-ce bien la société que nous voulons ?

Instaurer un cours de philosophie et citoyenneté de deux heures pour tous les élèves ne suppose pas de supprimer l’offre de cours religieux qui peut exister en dehors de la grille horaire afin de respecter le prescrit constitutionnel. Toute une autre série de questions légitimes se pose, comme par exemple le maintien de l’emploi, mais prenons garde à ce que ces questions qui devaient au départ être résolues dans ce débat ne deviennent pas au final des blocages. Les enjeux sont trop importants. L’extrême droite est à nos portes, en Belgique et partout ailleurs en Europe. Elle cristallise et alimente une grande partie des enjeux de société qui recueille la méfiance des citoyens. A long terme, seuls des esprits libres, critiques, tolérants, citoyens et démocratiques pourront gagner le combat contre la tendance aux radicalités. C’est tout l’objectif d’offrir deux heures de philosophie et de citoyenneté à nos jeunes, et de prendre en compte leur intérêt supérieur avant toute autre considération politique ou économique.

Texte co-signé par les présidents du Centre d’Action Laïque, de la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (FAPEO) et de la Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente.

 

Je voudrais m’inspirer de cette discipline ou plutôt tenter de la transposer.

Mon ambition est d’écrire une chronique autour de la laïcité dans laquelle ne figurerait pas une seule fois le mot «voile».

Lorsque la constitution belge fut adoptée en 1831, elle instaure la séparation de l’Église et de l’État. Avec une majorité catholique, un parti libéral en partie encore confessionnel et un parti ouvrier qui n’existait pas, ce fut un fameux défi.

Cette séparation fut le premier exemple de compromis à la belge.

Depuis lors, malgré la coexistence ( longtemps difficile) d’ un réseau d’enseignement officiel public avec un réseau d’enseignement libre, privé et confessionnel, malgré le financement des cultes par l’État ( et depuis 1993, le financement de la «laïcité organisée»), malgré les liens historiques de la monarchie à l’Église, le principe de neutralité inscrit dès l’origine dans notre constitution demeure, ayant permis d’y intégrer, des lois progressistes du point de vue de la laïcité: euthanasie, dépénalisation partielle de l’avortement, mariage pour tous…

Rien n’est jamais acquis…

Le XVIIIème siècle fut nommé siècle des Lumières.

Un des principes essentiels de la pensée philosophique de cette époque est celui d’universalité. Il suppose l’unicité du genre humain et du même coup sa séparation du genre animal. Cela signifie donc qu’il est désormais contraire au droit naturel de fonder en Raison, une équivalence entre un marché aux esclaves et un marché aux bestiaux ou de justifier un questionnement sur l’existence ou l’inexistence de l’âme des Indiens.

Cette notion d’universalité est placée au cœur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, puis de la Déclaration Universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1948.

Certes, le «principe égalité» inscrit dans ces Déclarations, est davantage formel que réel et donc non dénué d’idéologie. Tous les hommes sont égaux en droits mais nous savons très bien que certains sont plus égaux que d’autres! N’empêche, selon les époques de rédaction de ces textes, la perméabilité entre les classes sociales fut et reste désormais de l’ordre du possible. Ce qui n’était pas le cas au moyen-âge.

L’universalisme porte en lui-même une tendance à la perfectibilité.

Son ambition est de faire fructifier ce qui relie et rassemble les humains. L’universalisme se heurte ainsi à la culture des particularismes et des identités qui elle, met l’accent sur ce qui sépare et différencie les humains.

Remarquons que le curseur qui souligne aujourd’hui la place de ce qui serait ou pas progressiste semble malheureusement s’être inversé. Les principes universalistes sont désormais accusés d’être portés par la droite («blanche» et «néocoloniale» ) tandis que la revendication du droit à la « différence » est gratifiée de l’aura de l’ouverture et de la tolérance.

Ce contexte permet de comprendre l’opposition assez nouvelle entre «laïcité exclusive» et «laïcité inclusive». L’universalisme dont serait porteuse la première discriminerait tandis que les appels identitaires véhiculés par la seconde inclurait. Étrange paradoxe!

Certes, pouvoir assumer et cultiver ses richesses culturelles est un des rouages essentiels de la démocratie. Cependant leur «exposition» ou la revendication de leur «étalage» dans les institutions qui ont partie liée avec notre condition de citoyens pose question. Et ce, précisément dans les administrations dont le fondement renvoie au fait que nous sommes tous membres, en droit, du corps politique de la nation.

Que signifie dans ce contexte le fait d’afficher ses «différences»?

Une façon de se distinguer? De se distancier? De s’affirmer en sous-groupe? Est-ce un signe de ralliement? Un message tacite d’opposition? Une façon de pointer «l’autre» pour lui demander de se positionner?

Les philosophes des Lumières ont posé les prémices de la séparation de l’Église et de l’État et donc de la laïcité politique.

Étaient-ils incroyants, impies et bouffeurs de curés?

Certes Diderot et d’Alembert étaient athées. Ils ne critiquaient cependant pas la pratique de la foi mais l’institution religieuse.

Rousseau était déiste.

Montesquieu est resté croyant même si «L’Esprit des Lois» fut mis à l’index par les autorités cléricales (1742)

Pour Spinoza, un Dieu immanent à la nature existait.

Kant était piétiste. Il croyait en l’immortalité de l’âme. Mais son approche de la religion dépendait de sa pensée critique et en particulier du statut qu’il voulait accorder à la connaissance.

Le siècle des Lumières est le siècle de la Raison. Kant a placé au cœur de sa pensée la notion d’entendement. Il en donne une conception qui synthétise l’esprit de son siècle et interpelle notre modernité.

Le philosophe distingue en effet deux niveaux d’interrogation.

D’une part, celui qui relève des fins premières ou dernières, qu’il qualifie de domaine de l’«en soi» ou des noumènes [1]. Ce champ, tout essentiel qu’il soit, n’aurait rien à voir avec la raison. Il est de l’ordre de la foi, des croyances, des convictions et donc de l’engagement personnel.

D’autre part, celui qui relève des phénomènes, domaine que nous pouvons appréhender grâce à notre raison/entendement et qui constitue le champ du savoir. Champ sur lequel sont basées les avancées scientifiques et serait de l’ordre d’un partage commun, donc universel.

Kant exprime très clairement ce dualisme:

«Je devrais supprimer le savoir pour trouver la foi».

«Je devrais supprimer la foi pour accéder au savoir».

Voilà qui nous pousse à méditer.

L’habit ne fait certes pas le moine.

Mais il n’est pas toujours innocent ou neutre.

Il porte la distinction, il revendique la différence et l’appartenance identitaire.

Nos lieux de formation dans le réseau scolaire officiel et public?

Ne devrions nous pas garantir qu’ils puissent transmettre et surtout qu’ils forment à la transmission de connaissances hors dogmes, hors particularismes et clanismes pour être en lien avec une conception de la citoyenneté qui renvoie à l’appartenance universelle du genre humain?

Il est grand temps de réfléchir sur les termes d’inclusion et d’exclusion et de retrouver le sens.

  1. Du grec nous qui signifie intelligence, souffle.

Déshabiller la laïcité ?

Marianne Sluszny - Scénariste, romancière, philosophe

« La Disparition » est un roman de Georges Perec paru en 1969. Sa spécificité est qu’il ne comporte pas une seule fois la lettre E, celle la plus usitée de la langue française.

Je voudrais m’inspirer de cette discipline ou plutôt tenter de la transposer.

Mon ambition est d’écrire une chronique autour de la laïcité dans laquelle ne figurerait pas une seule fois le mot «voile».

Lorsque la constitution belge fut adoptée en 1831, elle instaure la séparation de l’Église et de l’État. Avec une majorité catholique, un parti libéral en partie encore confessionnel et un parti ouvrier qui n’existait pas, ce fut un fameux défi.

Cette séparation fut le premier exemple de compromis à la belge.

Depuis lors, malgré la coexistence ( longtemps difficile) d’ un réseau d’enseignement officiel public avec un réseau d’enseignement libre, privé et confessionnel, malgré le financement des cultes par l’État ( et depuis 1993, le financement de la «laïcité organisée»), malgré les liens historiques de la monarchie à l’Église, le principe de neutralité inscrit dès l’origine dans notre constitution demeure, ayant permis d’y intégrer, des lois progressistes du point de vue de la laïcité: euthanasie, dépénalisation partielle de l’avortement, mariage pour tous…

Rien n’est jamais acquis…

Le XVIIIème siècle fut nommé siècle des Lumières.

Un des principes essentiels de la pensée philosophique de cette époque est celui d’universalité. Il suppose l’unicité du genre humain et du même coup sa séparation du genre animal. Cela signifie donc qu’il est désormais contraire au droit naturel de fonder en Raison, une équivalence entre un marché aux esclaves et un marché aux bestiaux ou de justifier un questionnement sur l’existence ou l’inexistence de l’âme des Indiens.

Cette notion d’universalité est placée au cœur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, puis de la Déclaration Universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1948.

Certes, le «principe égalité» inscrit dans ces Déclarations, est davantage formel que réel et donc non dénué d’idéologie. Tous les hommes sont égaux en droits mais nous savons très bien que certains sont plus égaux que d’autres! N’empêche, selon les époques de rédaction de ces textes, la perméabilité entre les classes sociales fut et reste désormais de l’ordre du possible. Ce qui n’était pas le cas au moyen-âge.

L’universalisme porte en lui-même une tendance à la perfectibilité.

Son ambition est de faire fructifier ce qui relie et rassemble les humains. L’universalisme se heurte ainsi à la culture des particularismes et des identités qui elle, met l’accent sur ce qui sépare et différencie les humains.

Remarquons que le curseur qui souligne aujourd’hui la place de ce qui serait ou pas progressiste semble malheureusement s’être inversé. Les principes universalistes sont désormais accusés d’être portés par la droite («blanche» et «néocoloniale» ) tandis que la revendication du droit à la « différence » est gratifiée de l’aura de l’ouverture et de la tolérance.

Ce contexte permet de comprendre l’opposition assez nouvelle entre «laïcité exclusive» et «laïcité inclusive». L’universalisme dont serait porteuse la première discriminerait tandis que les appels identitaires véhiculés par la seconde inclurait. Étrange paradoxe!

Certes, pouvoir assumer et cultiver ses richesses culturelles est un des rouages essentiels de la démocratie. Cependant leur «exposition» ou la revendication de leur «étalage» dans les institutions qui ont partie liée avec notre condition de citoyens pose question. Et ce, précisément dans les administrations dont le fondement renvoie au fait que nous sommes tous membres, en droit, du corps politique de la nation.

Que signifie dans ce contexte le fait d’afficher ses «différences»?

Une façon de se distinguer? De se distancier? De s’affirmer en sous-groupe? Est-ce un signe de ralliement? Un message tacite d’opposition? Une façon de pointer «l’autre» pour lui demander de se positionner?

Les philosophes des Lumières ont posé les prémices de la séparation de l’Église et de l’État et donc de la laïcité politique.

Étaient-ils incroyants, impies et bouffeurs de curés?

Certes Diderot et d’Alembert étaient athées. Ils ne critiquaient cependant pas la pratique de la foi mais l’institution religieuse.

Rousseau était déiste.

Montesquieu est resté croyant même si «L’Esprit des Lois» fut mis à l’index par les autorités cléricales (1742)

Pour Spinoza, un Dieu immanent à la nature existait.

Kant était piétiste. Il croyait en l’immortalité de l’âme. Mais son approche de la religion dépendait de sa pensée critique et en particulier du statut qu’il voulait accorder à la connaissance.

Le siècle des Lumières est le siècle de la Raison. Kant a placé au cœur de sa pensée la notion d’entendement. Il en donne une conception qui synthétise l’esprit de son siècle et interpelle notre modernité.

Le philosophe distingue en effet deux niveaux d’interrogation.

D’une part, celui qui relève des fins premières ou dernières, qu’il qualifie de domaine de l’«en soi» ou des noumènes [1]. Ce champ, tout essentiel qu’il soit, n’aurait rien à voir avec la raison. Il est de l’ordre de la foi, des croyances, des convictions et donc de l’engagement personnel.

D’autre part, celui qui relève des phénomènes, domaine que nous pouvons appréhender grâce à notre raison/entendement et qui constitue le champ du savoir. Champ sur lequel sont basées les avancées scientifiques et serait de l’ordre d’un partage commun, donc universel.

Kant exprime très clairement ce dualisme:

«Je devrais supprimer le savoir pour trouver la foi».

«Je devrais supprimer la foi pour accéder au savoir».

Voilà qui nous pousse à méditer.

L’habit ne fait certes pas le moine.

Mais il n’est pas toujours innocent ou neutre.

Il porte la distinction, il revendique la différence et l’appartenance identitaire.

Nos lieux de formation dans le réseau scolaire officiel et public?

Ne devrions nous pas garantir qu’ils puissent transmettre et surtout qu’ils forment à la transmission de connaissances hors dogmes, hors particularismes et clanismes pour être en lien avec une conception de la citoyenneté qui renvoie à l’appartenance universelle du genre humain?

Il est grand temps de réfléchir sur les termes d’inclusion et d’exclusion et de retrouver le sens.

  1. Du grec nous qui signifie intelligence, souffle.

Autoriser le port de signes convictionnels dans les services publics ?

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

Le dossier des signes convictionnels dans les services publics et dans l’administration est très sensible politiquement. Le clivage concernant ce sujet existe non seulement entre gauche et droite mais également au sein même des partis.

Quoiqu’il en soit, la question interpelle et engage la vie en société.

Le récent jugement du tribunal du travail de Bruxelles prononcé à l’encontre de la STIB pour double discrimination à l’embauche remet donc une fois de plus à l’avant de la scène cette épineuse question de la neutralité et de l’impartialité des services publics.

Le jugement estime en effet que le règlement d’ordre intérieur de la société de transports bruxellois est porteur de discrimination en ce qu’il interdit le port de signes convictionnels, de tous les signes. Il y voit une discrimination fondée sur les convictions religieuses et par conséquent également sur le genre puisque seules les femmes sont amenées à porter un foulard. Le tribunal exige donc que le ROI = Règlement d’ordre intérieur ?soit adapté et autorise le port de signes convictionnels parmi lesquels le foulard islamique puisque c’est de lui qu’il s’agit !

Or, la STIB avait choisi d’introduire cette règle de pur bon sens et qui implique sa neutralité en tant qu’entreprise représentant la diversité bruxelloise et au service de multiples usagers à qui elle entend garantir un traitement impartial.

S’agissant de savoir s’il convenait d’interjeter appel de cette décision, les opinions, comme il fallait s’y attendre, divergeaient radicalement, les uns (PS, Ecolo et Groen) satisfaits du jugement s’y soumettaient tandis que les autres (DéFi et Open VLD), rejoints par le directeur général et son adjoint, entendaient suivre l’avis de leur conseil et souhaitaient porter l’affaire devant la Cour d’Appel.

Les discussions furent âpres et les propositions de revoir le règlement sur certains points en autorisant par exemple le port du foulard dans les fonctions sans contact avec la clientèle – ce qui pouvait paraître raisonnable – rejetées.

Il y avait alors égalité de voix et c’est celle du président du comité de gestion qui fera pencher la balance dans le camp des opposants à l’appel.

L’affaire n’était pas classée pour autant. C’est finalement le commissaire du comité de gestion de l’entreprise, l’Open VLD Vincent Riga qui aura le dernier mot en introduisant un recours contre la décision de ne pas aller en appel et en renvoyant la patate chaude au gouvernement bruxellois qui se serait bien passé de ce cadeau empoisonné sachant que, de l’avis même de son ministre président Rudi Vervoort, aucun consensus n’est possible entre les partis de la coalition et que des dissensions existent à l’intérieur des partis.

DéFi se dit prêt à quitter la majorité bruxelloise si le principe de la neutralité des préposés de l’État n’est pas affirmé.

Le PS compte parmi ses rangs des membres favorables au droit d’arborer des signes convictionnels mais aussi de nombreuses personnes attachées à une neutralité des fonctionnaires et employés de l’État dans l’exercice de leur fonction. Où est le temps où la laïcité était l’un des fondements de ce parti ?

Le bureau du parti (qui a voté contre l’appel) s’est prononcé, non sans une « certaine » ambiguïté, pour l’interdiction des signes convictionnels  dans le secteur public pour tous les agents qui exercent des fonctions d’autorité, c’est-à-dire des fonctions de décision et de contrainte, et qui sont en contact visuel avec le public. Ces conditions étant cumulatives, cela permettrait à des agents n’exerçant pas de fonction d’autorité – probablement une majorité d’entre eux – d’arborer les étendards de leurs croyances. Le facteur, le guichetier du bureau de poste ou celui de la maison communale, le conducteur de bus, …. détiennent-ils des fonctions d’autorité ? Echapperaient-ils donc à l’interdiction ?

Une liste des fonctions concernées par l’interdiction devrait être établie, les autres restant libres d’afficher leurs convictions.

C’est, dit le parti, au politique de prendre ses responsabilités et d’adopter « une législation claire et de portée générale ».

Chez Ecolo, le son de cloche est différent et la co-présidente se dit ravie de la décision du tribunal et compare, de manière tout à fait scandaleuse le combat pour le port du foulard à celui pour le droit à l’avortement comme étant tous deux facteurs d’émancipation de la femme.

Le président du MR, Georges Louis Bouchez, se dit attaché au droit de chacun de porter des signes religieux, politiques ou autres dans la sphère publique ou chez un employeur privé si celui-ci le permet mais exige une neutralité absolue des fonctionnaires de l’État dans l’exercice de leurs fonctions.

Il s’étonne également de la désignation, sur proposition de la secrétaire d’État écolo Sarah Schlitz, de Ihsane Haouach en tant que commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’Égalité des femmes et des hommes et dénonce une nouvelle fois un manque d’impartialité puisque la personne porte le foulard que lui impose sa religion.

Le libéral annonce d’ailleurs le dépôt à la Chambre d’une proposition de loi visant à interdire le port de tous les signes convictionnels dans la fonction publique.

Quant à DéFi, son président François De Smet (ancien directeur d’Unia) réaffirme d’abord le principe général de la liberté de culte, de religion et de conviction qui inclut à la fois le droit de porter des signes religieux mais aussi le droit de les critiquer ouvertement.

Au-delà de cela, il rappelle que toute liberté inclut des limites et déclare avec justesse que « L’uniforme du service public » doit être la neutralité,  « Quand vous avez une région qui compte 180 nationalités et autant d’origines, il faut que le socle soit solide […] comme le slogan anglais pour la justice, pour être complètement juste il faut qu’elle soit vue comme telle » ??? et rappelle que la construction de la neutralité en Belgique a vu le jour « dans le tête à tête entre cléricaux et anticléricaux ».

Il ajoute que le principe de neutralité vise à offrir un cadre où aucune conviction, religieuse ou politique, n’est visible et ne peut donc être prosélyte.

« Si le droit de porter des signes religieux ou convictionnels est absolu chez soi ou dans l’espace public, il s’efface devant l’obligation de neutralité des agents publics, qui est aussi une obligation d’apparence, et qui vise à offrir à tous les citoyens, non seulement un service, mais une apparence de service dépourvue de toute référence convictionnelle. »

D’autres pensent résoudre le problème par des propositions pour le moins farfelues.

La ministre Groen Elke Van Den Brandt suggère par exemple d’intégrer « certains » symboles religieux à l’uniforme de la STIB ! On imagine aisément que le foulard serait un de ceux-ci et donc que les non musulmanes seraient amenées à être voilées …, quant aux hommes, ce serait, pour tous, soit la kippa, soit la longue barbe voire les deux …

D’autres proposent d’autoriser le port de certains signes parmi lesquels on retrouverait probablement le morceau de tissu qui fait couler tant d’encre et quid de la discrimination à l’égard de ceux qui resteraient interdits ? Longues bagarres judiciaires en perspective …

L’État se doit d’être neutre et cette neutralité concerne au premier chef ceux qui en sont les serviteurs.

Loin d’être porteuse de discrimination, cette neutralité est, au contraire, une garantie de respect des croyances et opinions de chacun et la liberté de pratiquer une religion en fait partie.

Cependant, cette liberté, comme toutes les autres, peut connaître des limitations dictées par l’intérêt général .

Comment l’État peut-il garantir l’impartialité, et plus fondamentalement l’égalité de traitement, aux usagers des services publics si son personnel n’est plus tenu d’afficher sa neutralité ?

Qu’adviendrait-il si chacun se mettait à afficher ses appartenances  religieuses, philosophiques mais aussi politiques? Si un t-shirt d’un parti d’extrême droite ou arborant des caricatures de Mahomet (le délit de blasphème n’existe pas chez nous) ,.., côtoyait une kippa, un foulard islamique,…? Qu’en serait-il de la sérénité du milieu de travail ? Quelle image serait offerte à un public amené à faire un choix entre des propositions qui ne répondent pas  à ses attentes ?

Si afficher ses croyances religieuses en portant voile, kippa, crucifix, turban sikh,… dans l’espace public est un droit qui doit être préservé, qu’en est-il lorsqu’il s’agit de représenter son employeur à savoir l’État ? Qu’en est-il, par exemple, du préposé à un guichet, d’un présentateur du Journal Télévisé sur une chaîne publique, d’un ministre, d’un diplomate ?

Ne pas accepter de se séparer, dans l’exercice de ses fonctions, d’un signe philosophique, politique ou religieux revient, pour l’employé de l’État, à faire passer ses convictions personnelles avant l’intérêt de son employeur, avant l’intérêt général.

Une fois de plus, les laïcards ainsi désignés par le lobby des signes convictionnels, sont montrés du doigt par les partis communautaristes qui n’ont de cesse de courtiser l’électorat musulman le plus radical en oubliant tous ceux et celles qui, issus de l’immigration turque ou maghrébine, ont décidé de vivre une vie détachée de la religion, de ne pas prier, de ne pas se voiler, de ne pas respecter le jeûne du ramadan,…

La laïcité, loin d’être un autre radicalisme est la seule garante du respect des convictions de chacun. Elle n’est pas contre les religions dont elle entend préserver le droit, tout comme celui de ne pas en avoir, elle est leur meilleure protection pour autant qu’elles restent là où elles doivent se trouver, dans la sphère privée.

Il serait bon que le pouvoir législatif, dans un acte de courage, s’empare une bonne fois pour toutes du sujet, loin des échéances électorales et propose, lors d’une révision de la Constitution, d’y inscrire la Laïcité, fondement d’un vivre ensemble harmonieux.

En guise de conclusion, je vous propose la lecture – si ce n’est déjà fait – de la réaction du Centre d’Action laïque à la position officielle du PS sur cette épineuse question des signes convictionnels. Celle-ci sera suivie d’une mise en garde brève mais combien interpellante du président de DéFi.

Pour le Centre d’Action Laïque, les convictions religieuses, philosophiques ou politiques n’ont rien à faire dans la fonction publique. Conformément à la jurisprudence du Conseil d’État (avis n° 44.521/AG du 20 mai 2008), « la neutralité des pouvoirs publics est un principe constitutionnel qui, s’il n’est pas inscrit comme tel dans la Constitution, est cependant intimement lié à l’interdiction de discrimination en général et au principe d’égalité des usagers du service public en particulier. Dans un État de droit démocratique, l’autorité se doit d’être neutre, parce qu’elle est l’autorité de tous les citoyens et pour tous les citoyens et qu’elle doit, en principe, les traiter de manière égale sans discrimination basée sur leur religion, leur conviction ou leur préférence pour une communauté ou un parti. Pour ce motif, on peut dès lors attendre des agents des pouvoirs publics que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils observent strictement eux aussi, à l’égard des citoyens, les principes de neutralité et d’égalité des usagers. »

En ces temps où la radicalité religieuse des uns et la radicalité d’extrême droite des autres menacent de prendre les démocrates en tenaille, j’espère que celles et ceux qui se parent de beaux principes en tentant de démanteler la neutralité, commune par commune, prennent pleinement conscience de la responsabilité historique qu’ils sont en train d’endosser.

L’inclusion à n’importe quel prix ? L’écriture inclusive.

Marie Béclard - FAML

Dans une société inclusive, il n’y a pas ceux qui sont dans la norme et les autres. Tout le monde est « normal », « quel que soit l’écart à une pseudo-norme qui serait définie par une moyenne de performance dans une population ». [1] La norme c’est tout le monde ! Pourtant aujourd’hui, les personnes qui sont exclues sont encore trop nombreuses : personnes porteuses d’un handicap, transgenre, femmes, étrangers, homosexuels. Aucune de ces catégories n’échappent à la discrimination.

L’écriture inclusive peut-elle résoudre une partie du problème ? Peut-elle présenter une  réelle solution pour lutter contre l’exclusion ? Elle est souvent qualifiée de « lubie », d’« offense à la langue », d’« une arme de guerre »… mais une chose est certaine, elle fait couler beaucoup d’encre depuis quelques années car soit elle plaît soit elle est totalement rejetée. Avec l’écriture inclusive, il y a rarement d’entre deux.

L’écriture inclusive une  nouvelle mode?

Si on parle activement d’écriture inclusive depuis 2017 avec l’apparition des points médians, l’inclusion qui passe par l’écrit n’est pourtant pas une préoccupation totalement nouvelle[2]. Déjà en 1899, Hubertine Auclert, féministe française et militante pour le droit de vote, écrivait : « L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue, plus qu’on le croit, à l’omission du féminin dans le code (côté des droits). L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée. N’est-ce pas à force de prononcer certains mots qu’on finit par en accepter le sens qui tout d’abord heurtait ? La féminisation de la langue est urgente, puisque pour exprimer la qualité que quelques droits conquis donnent à la femme, il n’y a pas de mots ». [3]

Mais qu’est-ce que c’est  finalement l’écriture inclusive?

Selon agence Mots-Clés, l’écriture inclusive « désigne l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes ». [4]

L’écriture dite inclusive est une forme d’écriture neutre, non sexiste qui a pour objectif de rétablir la parité femme/homme dans la langue française. L’écriture inclusive, ce n’est pas que les points médians. En effet, les défenseurs de l’écriture inclusive cherchent à faire réhabiliter l’accord de proximité.

Si on parle souvent du point médian on peut utiliser ces trois principes différents pour écrire de manière inclusive.

Premièrement, on peut accorder les grades, les fonctions occupées, les métiers ainsi que les titres en fonction du genre. On parlera ainsi d’une professeure, d’une pompière, ou au choix d’une auteure ou d’une autrice.

Deuxièmement, il y a la double flexion : pour évoquer un groupe de personnes, on devra décliner à la fois au féminin et au masculin. On obtient si on choisit d’énumérer :«les candidates et les candidats à l’élection », le choix de présenter l’un ou l’autre en premier sera imposé par l’ordre alphabétique ? «les plombières et les plombiers» mais «les décorateurs et décoratrices. Jusque là, personne n’y voit trop de problème même si cela rallonge un peu le texte.

La troisième option est «de condenser le tout dans un seul mot, en séparant par un point, comme l’a fait Hatier dans son manuel en écrivant que, «grâce aux agriculteur·rice·s, aux artisan·e·s et aux commerçant·e·s, la Gaule était un pays riche».[5] Mais ce n’est qu’une option à laquelle on réduit l’écriture inclusive.

D’où vient l’idée du « masculin l’emporte » ?

«Le masculin l’emporte sur le féminin» : des millions d’élèves ont déjà répété cette règle de grammaire, qui régit l’accord de l’adjectif au pluriel. «Quand il y a plusieurs noms de genre différent, l’accord se fait au masculin pluriel», résume le Bescherelle collège. Mais les choses n’ont pas toujours été ainsi. Au XVIIe siècle, l’adjectif épithète, lorsqu’il se rapporte à plusieurs noms, peut s’accorder avec le plus proche. On trouve de nombreuses occurrences chez Racine. On trouve par exemple dans son Athalie « trois jours et trois nuits entières ». Pour la linguiste Lucy Michel, c’est à la fin du  xviie et au  xviiie siècles « qu’apparaît la formulation de la règle de primauté du masculin, corrélée à « une certaine conception de la domination masculine, présentée comme essentielle, naturelle et indiscutable ».[6] En effet, Vaugelas invoque la noblesse du masculin pour justifier qu’il l’emporte sur le féminin dans son Remarques sur la langue françoise : « Il faudrait dire, ouverts, selon la grammaire latine, qui en use ainsi, pour une raison qui semble être commune à toutes les langues, que le genre masculin étant le plus noble, [il] doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble ».[7]

L’écriture inclusive mais pourquoi faire ?

L’objectif premier de l’écriture inclusive est de lutter contre le sexisme de la langue française, en rendant leur visibilité aux femmes. En cassant la sacro-sainte règle du XIXe siècle : « le masculin l’emporte sur le féminin ».

La langue reflète la société et sa façon de penser le monde. « Rendre les femmes invisibles est la marque d’une société où elles jouent un rôle second. C’est bien parce que le langage est politique que la langue française a été infléchie délibérément vers le masculin durant plusieurs siècles par les groupes qui s’opposaient à l’égalité des sexes ». [8]

L’écriture inclusive ou l’écriture neutre , c’est la même chose ?

Le neutre ne fait référence à aucun genre et l’inclusif tente de représenter tous les genres.

« Alors que le neutre ne peut être utilisé que pour représenter une ou des personnes non-binaires, l’inclusif permet de représenter une personne de n’importe quel genre ou un groupe comprenant des personnes de différentes identités de genre. »[9]

Dans la pratique, les terminaisons du neutre et de l’inclusif se confondent parfois dans ce que l’on appelle le neutre grammatical. Cependant, le neutre et l’inclusif différent tout de même sur quelques mots spécifiques. Par exemple : un homme, une femme, au neutre on remplacera par Lumme, Lœmme et en écriture inclusive, on utilisera plus un terme général comme personne ou humain.

Les détracteurs de l’écriture inclusive.

En France, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a officiellement proscrit, par une circulaire, l’utilisation de l’écriture inclusive et tout particulièrement le point médian. « Au moment où la lutte contre les discriminations sexistes implique des combats portant notamment sur les violences conjugales, les disparités salariales et les phénomènes de harcèlement, l’écriture inclusive, si elle semble participer de ce mouvement, est non seulement contre-productive pour cette cause même, mais nuisible à la pratique et à l’intelligibilité de la langue française.

Une langue procède d’une combinaison séculaire de l’histoire et de la pratique, ce que Lévi-Strauss et Dumézil définissaient comme « un équilibre subtil né de l’usage ». En prônant une réforme immédiate et totalisante de la graphie, les promoteurs de l’écriture inclusive violentent les rythmes d’évolution du langage selon une injonction brutale, arbitraire et non concertée, qui méconnaît l’écologie du verbe. »[10] Que cela soit au niveau politique, académique ou de chaque citoyen, l’écriture inclusive divise. Si beaucoup comprennent l’intérêt d’être inclusif, l’exercice s’avère vite tellement complexe qu’il en incombe inévitablement une perte de sens et un découragement.

L’écriture inclusive exclut-elle les personnes en situation d’handicap ?

L’écriture inclusive est considérée comme un obstacle majeur pour la lecture et la compréhension de certaines personnes en situation de handicap, notamment les aveugles utilisant des synthèses vocales pour lecture de textes, les personnes dyslexiques. Elle discrimine nombre de personnes en situation de handicap en leur rendant les textes inaccessibles .

On ne peut pas encore parler d’une société inclusive pour tout le monde

On ne va pas gommer les inégalités que vivent les femmes ou les personnes qui s’identifient d’un autre genre avec un simple point. Cependant, l’écriture inclusive présente le grand avantage de forcer les gens à modifier leur façon de penser et à ouvrir le débat pour essayer ensuite de déconstruire ces schémas sexistes qui se sont installés au fil du temps. Si nous pensons qu’il est important d’ouvrir le débat et de tenter chaque jour de faire évoluer la situation pour que notre société soit plus inclusive nous pensons qu’il est cependant important de le faire en n’excluant pas d’autres personnes. Si certains arguments comme : « c’est compliqué ou instable » ne nous semblent pas pertinents, rendre leur place aux femmes ou aux personnes qui s’identifient d’un autre genre ne peut pas se faire au détriment d’autres catégories comme les personnes qui présentent une déficience visuelle (253 millions de personnes) ou dyslexiques (5 à 10 % de la population). Il faut donc trouver un juste milieu pour que chaque personne ait une place dans notre société.

    • J.Y. LE CAPITAINE, « L’inclusion n’est pas un plus d’intégration : l’exemple des jeunes sourds » dans Empan2013/1 (n° 89), p. 6.
  1. B. JANSEN, Ecriture inclusive : Pour ou contre ?, Décembre 2017 consulté le 12 mai 2021 sur le site https://www.cepag.be/sites/default/files/publications/analyse_cepag_-_dec._2017_-_ecriture_inclusive.pdf
  2. Manuel d’écriture inclusive, 2016 https://www.motscles.net/ecriture-inclusive
  3. Y. SOUBEN, Hatier publie le premier manuel scolaire en écriture inclusive, 25 septembre 2017.https://www.google.com/amp/s/www.huffingtonpost.fr/amp/2017/09/25/hatier-publie-le-premier-manuel-scolaire-en-ecriture-inclusive_a_23222113/
  4. E., VIENNOT, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2014.
  5. Informations consultées le 14 mai 2021 sur le site https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8gle_de_proximit%C3%A9#Viennot2014
  6. D. BOUSQUET ,Gaëlle ABILY ,GUIDE pour une communication publique sans stéréotype de sexe, 2015, p. 8consulté le 8 mai 2021 sur le site https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hcefh__guide_pratique_com_sans_stereo-_vf-_2015_11_05.pdf
  7. https://divergenres.org/wp-content/uploads/2021/04/guide-grammaireinclusive-final.pdf
  8. H. CARRERE d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française et M. LAMBRON, directeur en exercice de l’Académie française, le 5 mai 2021.