Le fond des choses III – Une coupable pusillanimité

 La Hulotte

Sans doute, pour se dédouaner de leur indifférence à combattre les discriminations[1], les pouvoirs publics ont contribué à accentuer le communautarisme en le cautionnant par des concessions plus que discutables.  Épinglons notamment la mise en place d’horaires spéciaux réservés aux femmes dans certaines piscines. Autre mesure abusive : la suppression définitive du porc dans des cantines scolaires et même, pour certaines, l’imposition du halal  à tous les élèves. Ces « accommodements » soi-disant « raisonnables » contribuent à développer  les comportements islamophobes de certains Belges de souche qui ont beau jeu de crier à la discrimination à leur égard ! Que penser aussi de la plupart des partis politiques qui ont placé sur leurs listes électorales des candidats d’origine immigrée comme « attrape-voix » pour les électeurs de leur communauté ? Ces candidats « ethniques »  prétendent représenter celle-ci, oubliant qu’ils représentent d’abord l’ensemble de la population. Ainsi s’est installé une sorte de « tribalisme » à la belge. On doit aussi regretter la création, ces dernières années, d’écoles musulmanes renforçant dès l’enfance le repli identitaire et religieux[2].

Le communautarisme ainsi développé, ajouté aux frustrations résultant des nombreuses iniquités subies, a donc ouvert la porte à la radicalisation. Où et comment celle-ci s’opère-t-elle?

Bruxelles et Anvers en sont les principaux foyers, fournissant  presque un tiers des recrues belges pour le djihad[3]. Mais, au lendemain des tueries de Paris, la Belgique a découvert que la petite ville de Verviers (85 000 habitants), l’une des plus pauvres du pays, hébergeait aussi un groupe d’extrémistes qui se préparaient à commettre des attentats. D’autres communes sont aussi concernées. Par exemple Vilvorde, avec ses 38 000 habitants, qui a envoyé à elle seule 25 combattants en Syrie[4].

Mais ce n’est pas uniquement par « idéalisme » que des jeunes partent : certains, transformés en mercenaires, ont reçu jusqu’à 5 000€ pour aller se battre[5].

En quels lieux s’opère la radicalisation? On pense d’abord à certaines mosquées. La Belgique en compte environ 330 mais à peine un tiers d’entre elles sont reconnues par les Autorités, sur proposition de l’Exécutif des Musulmans de Belgique[6]. Pourquoi ? Certaines ne le souhaitent pas pour des raisons suspectes. Alors que la reconnaissance impliquerait qu’elles reçoivent des subsides publics, elles préfèrent vivre des dons de pays étrangers, comme l’Arabie Saoudite, pratiquant un Islam fanatique (le wahabbisme). Elles échappent ainsi à tout contrôle, notamment dans la désignation de leurs imams[7]. Ainsi a-t-on  introduit en Belgique des imams salafistes ne parlant même pas une de nos langues nationales. C’est la Grande Mosquée du Cinquantenaire abritant le Centre Islamique et Culturel de Belgique (CICB), sous la coupe de l’Arabie Saoudite,  qui forme pratiquement tous les imams des mosquées bruxelloises[8]. Pas étonnant qu’il y ait de graves dérives dans certains prêches,  comme ce fut le cas le 9 mars 2012, où des propos violemment antisémites et misogynes avaient été tenus à la mosquée Al Amal d’Anderlecht[9]. À  Anvers,  un autre centre culturel concurrence en fanatisme celui de Bruxelles : c’est l’institut yéménite Dar El Hadith, qui défend par exemple l’usage de la lapidation[10].

Les cours de religion islamique, dispensés dans les écoles publiques, peuvent être problématiques aussi. Les autorités scolaires n’ayant aucun droit de contrôler leur contenu, comment empêcher une propagande radicale de s’y développer ? D’autant plus que l’organisation ainsi que la désignation des enseignants et des inspecteurs de ces cours étaient totalement abandonnées aux salafistes du Centre Islamique et Culturel de Belgique jusqu’en 1990.  Ainsi  un enseignant de Bruxelles fait l’objet, depuis mars 2015, d’une procédure disciplinaire, doublée d’une instruction judiciaire, pour des comportements inacceptables[11].

La radicalisation islamiste s’opère aussi, on le sait, dans les prisons. Mais il est difficile d’identifier les détenus qui tombent dans le fanatisme. Pour la présidente  de la section belge de l’Observatoire international des Prisons, Delphine Paci, « Nous disposons de très peu d’informations à ce sujet ». Et certes, « il ne faut pas minimiser le phénomène, mais pas le monter en épingle non plus. » Elle déplore le manque de conseillers religieux (ils sont à peine 8 pour les 16 prisons de la Fédération Wallonie-Bruxelles) qui pourraient notamment agir auprès des détenus de milieux défavorisés et peu instruits qui sont des proies faciles pour les recruteurs. Mais, pour Didier Breulheid, délégué permanent CSC Services publics, s’il y a des profils à risques chez certains détenus, augmenter le nombre de conseillers religieux n’est pas la panacée, car « il y a des bons aumôniers et des moins bons»[12].

Enfin l’un des facteurs décisifs dans le processus de radicalisation, notamment des jeunes, est l’Internet. D’après le journaliste Wassim NASR, spécialiste des mouvements djihadistes, souvent le web sert de catalyseur pour le passage à l’acte d’un individu déjà fanatisé. Il trouvera sur You Tube et aussi par les contacts qu’il aura sur Twitter ou Facebook des raisons de renforcer sa détermination à devenir djihadiste[13]. Cependant, pour l’anthropologue Dounia Bouzar qui dirige le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), à côté de l’endoctrinement d’individus précarisés, il existe bel et bien des stratégies d’endoctrinement de fils et de filles de milieux aisés, en manque d’idéal, et dont certains, au départ n’ont aucune religion ni même aucun lien récent avec l’immigration. Le processus d’endoctrinement ressemble fort à celui des mouvements sectaires[14].

Après ce tour d’horizon inquiétant, il faut se garder de conclure que la majorité des immigrés ne sont pas intégrés. La plupart vivent leur Islam pacifiquement et respectent nos valeurs même s’ils ne les partagent pas toutes. Ceux qui nous inquiètent sont les jeunes à l’avenir bouché qui, se sentant exclus du système socio-économique, finissent par le haïr et risquent  de basculer dans le radicalisme. Pour lutter contre ce phénomène, la répression a été choisie partout comme la panacée. Si elle est nécessaire pour sanctionner des actes graves, elle ne doit pas se substituer à la prévention.

Si nous commencions donc par désamorcer la révolte en empêchant ou en réparant les injustices scandaleuses dont sont victimes un grand nombre d’immigrés ou de « nouveaux Belges »? Nous les avons énumérées largement, preuves à l’appui. Qu’attendons-nous alors pour faire la chasse à la ségrégation, au rejet, à la discrimination dans le logement, dans l’emploi, dans l’enseignement ? Qu’attendons-nous aussi  pour combattre impitoyablement le racisme et la xénophobie qui empoisonnent nos relations avec les communautés immigrées ? Nous avons les armes juridiques pour le faire, mais la volonté politique manque de toute évidence[15].

En ce qui concerne la radicalisation religieuse de certains, les solutions existent également. Mais là aussi manque le courage politique. Comment tolérer que certaines mosquées soient le théâtre de prêches fanatiques et haineux ? La solution d’une formation obligatoire des imams par des universités belges a été avancée et semble intéressante. Mais avant que ces formations portent leurs fruits, il faut absolument interdire l’importation d’imams étrangers, le plus souvent salafistes, qui de surcroît ne connaissent même pas l’une de nos langues nationales.

Un problème similaire se pose, comme nous l’avons vu, avec certains professeurs de religion islamique. Il est la conséquence de la liberté d’enseignement garantie par notre Constitution. Elle a permis la multiplication des réseaux d’écoles confessionnelles, surtout catholiques, et bientôt islamiques. Sans doute l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 12 mars 2015, rendant facultatifs les cours dits « philosophiques », est-il un progrès décisif qui  affaiblit  la mainmise des religieux sur notre enseignement.

Mais il faut aller plus loin. D’abord en fusionnant les réseaux d’enseignement pour  créer une école unique, neutre et ouverte à tous[16]. Puis, moyennant une réforme de la Constitution, supprimer la sacro-sainte liberté d’enseignement et réserver son organisation aux seuls Pouvoirs publics.

Toutes ces mesures nous semblent indispensables pour empêcher les redoutables effets du communautarisme.

Aurons-nous le courage de les prendre ?

[1]  Voir Le fond des choses (II) ML 188.

[2] Profitant du prescrit constitutionnel qui proclame la liberté d’enseignement en Belgique, les communautés musulmanes ont créé ces dernières années, à Bruxelles, des écoles maternelles et primaires  à Molenbeek, à Etterbeek et à Schaerbeek. Et une section secondaire sera adjointe  en septembre 2015 à l’école fondamentale La Vertu de Schaerbeek.

[3] Voir : http://www.marianne.net/La-Belgique-sur-la-route-du-djihad_a242758.html

[4] Voir le site (en anglais) du blogueur Pieter Van Oestaeyen : https://pietervanostaeyen.wordpress.com/2014/08/

[5] Voir :http://www.lesoir.be/646842/article/actualite/belgique/2014-09-06/jusqu-5000-euros-pour-inciter-jeunes-belges-aller-se-battre-en-syrie

[6] Institution créée par les Autorités belges en 2004 et censée représenter tous les musulmans de Belgique, mais dont la représentativité réelle est douteuse, notamment à cause des luttes d’influence qui opposent depuis trente ans chiites et sunnites mais aussi les musulmans turcs et arabes (Voir : http://www.felicedassetto.eu/index.php/blog-islams-et-monde-musulmans/190-executif et  http://www.o-re-la.org/index.php?option=com_k2&view=item&id=867:un-nouvel-ex%C3%A9cutif-des-musulmans-de-belgique&Itemid=85&lang=fr

[7] http://www.rtbf.be/info/societe/detail_un-tiers-des-mosquees-wallonnes-et-bruxelloises-officiellement-reconnues?id=8866195

[8] On comprend dès lors pourquoi seulement 10 mosquées bruxelloises sur 68 ont demandé leur reconnaissance. Voir : http://archives.lesoir.be/plongee-en-immersion-au-coeur-du-bruxelles-des-salafist_t-20120314- e01V8LZ.html  et http://www.rtbf.be/info/societe/detail_un-tiers-des-mosquees-wallonnes-et-bruxelloises-officiellement-reconnues?id=8866195

[9] Voir : http://www.rtbf.be/info/societe/detail_l-imam-mis-en-cause-dans-questions-a-la-une-n-officiera-plus-a-anderlecht?id=7747101

[10] Ibidem : http://www.marianne.net/La-Belgique-sur-la-route-du-djihad_a242758.html

[11] Voir Le Soir des 5 et 6 /02/15, du 27/03/15 et du 14/04/15.

[12] Voir : http://www.lalibre.be/actu/belgique/la-radicalisation-dans-les-prisons-belges-un-phenomene-encore-mal-connu-54b7d6013570c2c48ad56c42

[13] Voir :http://www.france24.com/fr/20140606-internet-catalyseur-radicalisation-jeunes-musulmans/

[14]

[15]

[16]

Originellement paru dans ML 189

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