Le « vivre ensemble » et ses nécessaires prolongements

 Philippe Moureaux

Aujourd’hui, après des événements dramatiques qui nous ont conduits à constater avec effroi qu’une frange de notre population  se réfugie dans des conduites criminelles justifiées par de soi-disant impératifs religieux, nous prenons conscience de l’immense difficulté de l’organisation d’un « vivre ensemble » pacifique que nous appelions de tous nos voeux.

Certes, la dérive de cette minorité criminelle trouve ses origines dans nombre de facteurs complexes que j’ai, récemment, tenté de synthétiser dans un livre intitulé « La vérité sur Molenbeek ». Les responsabilités de l’Occident à travers une politique internationale violente, incohérente et sans analyse sérieuse des conséquences ultérieures de ses actes n’est pas mince.

Elle ne doit cependant pas occulter nos responsabilités.

Dans la foulée généreuse de relancer le « vivre ensemble », beaucoup, sans grande réflexion, crient haro sur le maintien de « ghettos » dans nos cités. Lorsque ces paroles proviennent d’interlocuteurs anglo-saxons, elles prêtent à sourire. En effet dans ces pays, particulièrement aux Etats-Unis, ces concentrations de populations sont monnaie courante. Mais dépassons les niaiseries de quelques journalistes sans esprit critique et regardons ce qui se passe chez nous.

Bien sûr, ce que nous appelons des « ghettos » n’a pas l’opacité et la fermeture qui caractérisaient des situations courantes dans le passé. Les espaces dont nous parlons aujourd’hui sont des regroupements de populations qui reproduisent partiellement le mode de vie de leurs pays d’origine. Ces lieux ne sont pas fermés. Malgré une dominante incontestable d’une culture arabo-musulmane ou turque, vous pouvez les traverser, y faire vos achats , mieux, vous pouvez y vivre. D’ailleurs, en plus d’une population européenne résiduaire, on y rencontre de plus en plus de personnes originaires d’Europe centrale ou d’Afrique sub-saharienne.

Certains défendent l’idée qu’il serait simple de disloquer ces « ghettos ». Ils oublient un élément important : ces lieux ne sont pas, pour l’essentiel, des lieux de repli mais bien des lieux de relégation. Les populations bigarrées et d’un niveau social modeste ne sont pas les bienvenues dans les communes ou les quartiers où sont concentrées des classes moyennes et je ne parle pas des « ghettos » de riches…

Tous ceux qui ont tenté d’éparpiller le logement social dans tout Bruxelles pour briser la concentration de populations fragiles ont fait la triste expérience d’une opposition politique de la droite et, plus feutrée, d’une partie de la gauche dite modérée. Moi-même, lorsque j’ai voulu créer des logements sociaux dans le quartier résidentiel de Molenbeek pour briser le carcan de la pauvreté, j’ai subi une volée de bois vert de la droite libérale.

Aérer culturellement nos espaces urbains n’est donc pas chose aisée et beaucoup de ceux qui tiennent de beaux discours en sont les principaux opposants lorsque se profilent à l’horizon des projets concrets.

Que faire ? Dans une période difficile où le fossé entre les cultures différentes s’élargit, il faut dans un premier temps reconstruire des ponts, isoler les extrémistes de tous bords et plaider le vrai : une minorité criminelle ne peut en aucun cas être assimilée à une grande majorité pacifique. Des efforts doivent être faits de part et d’autre. Une attention particulière doit être portée à une fraction de la jeunesse attirée par la violence ambiante. En cette matière, l’action doit être bien pesée et se nourrir d’une connaissance approfondie des ressorts psychologiques qui animent ces jeunes.

La culture doit être encouragée vigoureusement car elle est un lieu propice aux rencontres et aux confrontations pacifiques qui conduisent à des métissages pleins de promesses. En créant au coeur de Molenbeek une maison DES CULTURES, j’ai voulu apporter une contribution majeure à la diffusion des cultures qui s’épanouissent dans le monde entier. La beauté dans toute sa diversité est un gage de respect mutuel.

Au-delà du « vivre ensemble » que je prône sans réserve , il faut oeuvrer à une approche plus forte qu’une simple juxtaposition pacifique de cultures différentes. Le métissage dont je viens de parler me paraît fondamental. Je n’y reviens plus.

Dans des textes écrits précédemment, j’ai à la fois rejeté les accommodements raisonnables à la québecoise – on ne transige pas avec la loi – et j’ai d’un même souffle célébré les accommodements pragmatiques. Je me risque aujourd’hui à une formule nouvelle, celle des « accommodements raisonnables pragmatiques et RECIPROQUES ». Dans un monde où malgré toutes les politiques restrictives la circulation des personnes s’intensifiera, il faut que chacun fasse un effort pour s’adapter à l’autre. J’insiste sur l’aspect réciprocité qui est souvent difficile à obtenir et qui est pourtant crucial. Pour créer une véritable convivialité entre les personnes, il faut tenir compte du vécu de l’autre. J’ai par exemple été peiné par un refus de me serrer la main que je tendais dans un geste plein de respect. J’ai droit à la compréhension de l’autre. Bien entendu, moi aussi, je dois mieux saisir les souhaits de mon interlocuteur.

Et la laïcité ? Je pense qu’au mieux de sa forme, généreuse, empathique, ouverte au monde, elle peut être le creuset de cette politique nouvelle qui va au-delà du  « vivre ensemble ».

Rien n’est simple. L’histoire nous bouscule. Ne perdons pas le fil de l’espoir et de la fraternité.

Originellement paru dans ML 191

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