« Rehoming » Les enfants d’occasion

Céline Béclard - Juriste

Adopter un enfant trouvé grâce à une petite annonce postée sur internet, cela nous semble totalement impossible et immoral mais c’est quelque chose de très courant aux Etats-Unis, cela s’appelle la ré-adoption (« rehoming »)[1]. Cette ré-adoption permet aux parents ayant adopté un enfant de le « rendre »  c’est-à-dire de lui trouver une nouvelle famille parfois à l’aide d’agences mais très souvent à l’aide d’annonces postées sur des sites internet dont certains sont plus que douteux.

Ce sujet a été traité par la réalisatrice Sophie Przychodny, qui vit aux Etats-Unis, dans un reportage.[2] Elle y a mené une enquête sur ce phénomène. Ce documentaire dévoile un marché de l’adoption qui concernerait près de 100 000 enfants par an. Un quart de ces enfants, soit environ 25 000 enfants seraient chaque année, « cédés », « c’est-à-dire remis dans le circuit des enfants ré-adoptables, à un prix deux fois moins élevé que pour une adoption classique qui se situe autour des 5 000 dollars.[3]

Lorsque ces enfants sont jugés trop difficiles ou caractériels par leurs parents adoptifs, ils peuvent passer de famille en famille, se retrouvant parfois même dans les mains de parents considérés comme défaillants, voire même de pédophiles puisqu’il n’existe aucun suivi pour ce type d’adoptions.[4] Les services sociaux responsables des adoptions ne vérifient jamais les antécédents des futurs parents ni même de leur capacité à élever des enfants.

Des media comme Reuters ont analysé les « retours d’enfants ». La plupart de ceux-ci étaient âgés de 6 à 14 ans et provenaient de pays tels que la Russie, la Chine, l’Éthiopie et l’Ukraine.[5]

Ce système de « rehoming » est-il envisageable chez nous ?

Le terme ré-adopté très usité aux USA n’existe pas chez nous. L’adoption en Belgique constitue bien souvent un parcours du combattant pour les candidats à l’adoption tant les règles sont strictes. Nombre de conditions doivent être remplies, des enquêtes sociales et psychologiques sont menées pré et post adoption.

Après avoir été préparés à ce qui est appelé la « parentalité adoptive » à l’aide de différentes formations, les futurs parents potentiels sont jugés aptes ou non par le tribunal de la famille.

Une fois l’accord obtenu, il leur faut attendre, parfois très longtemps, l’enfant qui les comblera. Il n’existe aucun catalogue en tout cas dans le circuit officiel et les enfants adoptables sont en réalité peu nombreux.

Aux États-Unis, les futurs parents ont une toute autre perception de l’acte d’adoption. L’enfant qu’ils souhaitent obtenir doit répondre à toute une série de critères comme l’âge, le sexe, la « beauté », la couleur des cheveux, des yeux,… Si l’enfant ne leur convient pas, ils s’en séparent tel un objet devenu inutile.

Comment les enfants issus du « Rehoming » perçoivent-ils ce système d’adoption ?

Ce système d’adoption est très pesant pour des enfants souvent issus de familles maltraitantes. Pour séduire d’éventuels parents adoptifs, ils doivent à tout prix montrer leur meilleur profil. Les agences qui s’occupent de ces adoptions organisent souvent des « foires » au cours desquelles les enfants pour avoir plus de chances de plaire à leur future famille, doivent montrer leurs atouts et leurs performances, tel un spectacle de fin d’année.

Une fois adoptés, ces enfants n’ont pas nécessairement accès à une sécurité familiale puisque, à tout moment, leurs « parents » adoptifs peuvent s’en séparer sous n’importe quel prétexte. Ces enfants, parfois plusieurs fois rejetés, ont de plus en plus de difficultés à faire confiance à une nouvelle famille.

L’absence de contrôle des qualités des personnes adoptantes fait que celles-ci peuvent avoir des antécédents criminels ou être psychologiquement instables. Les enfants peuvent alors être exposés à des abus d’ordre émotionnel voire sexuel, certains risquant même la mort.

Les prédateurs profitent de la détresse de parents adoptifs émotionnellement épuisés, en leur offrant une « issue de secours », souvent gratuitement.[6]

Combien coûte une adoption de ce type ?

Les frais d’agence sont de 3 500 dollars auxquels il faut ajouter 200 dollars d’enregistrement et de 1 500 à 2 000 dollars d’honoraires d’avocats pour un total d’environ 5 000 dollars, soit un montant bien moins élevé qu’une adoption faite « dans les règles ». Une adoption faite via petites annonces peut être encore bien moins chère.

Un marché noir des adoptions

L’adoption est une procédure longue et souvent coûteuse, ce qui incite beaucoup de gens à se tourner vers un marché parallèle, une sorte de système de petites annonces disponibles sur Internet. La famille transfère alors provisoirement la garde de l’enfant en signant un simple document.

La ré-adoption n’est pas un procédé officiel et n’assure aucune stabilité à l’enfant adopté. Selon une étude menée par le « Yahoo bulletin board intitulée « Adopting-from-Disruption »[7] », les Américains ont adopté environ 243 000 enfants provenant d’autres pays depuis la fin des années 1990.

Mais contrairement aux parents qui accueillent des enfants nés aux États-Unis dans le cadre du système américain de placement familial, les familles adoptant des enfants provenant de l’étranger ne reçoivent que peu ou pas de formation du tout. Il n’est pas rare que les enfants qu’ils ramènent à la maison aient des problèmes physiques, émotionnels ou comportementaux non divulgués.

Aucune autorité ne suit l’enfant depuis son arrivée sur le territoire américain, ce qui ne permet pas de déterminer la fréquence des échecs des adoptions internationales.

Le gouvernement américain estime que les adoptions nationales échouent à un taux pouvant aller « de 10 à 25 pourcents »[8]. Si les adoptions internationales échouent à peu près à la même fréquence, alors plus de 24 000 adoptés étrangers ne sont plus avec les parents qui les ont amenés aux États-Unis. Certains experts estiment que le pourcentage pourrait être plus élevé étant donné le manque de soutien pour ces parents.

Une loi fédérale américaine adoptée en 2000 oblige les États à documenter les cas dans lesquels ils prennent la garde d’enfants issus d’adoptions internationales ratées. Le département d’État recueille ensuite ces informations. De plus, les agences d’adoption sont censées signaler au ministère certains types d’adoptions internationales ratées qui retiennent leur attention.

Législation concernant l’adoption aux USA

Il existe un accord entre les cinquante États américains, le district de Columbia et les îles Vierges américaines appelé « Interstate Compact on the Placement of Children ».[9] L’accord exige que si un enfant doit être transféré en dehors de la famille dans un nouveau foyer situé dans un autre État, les parents doivent en avertir les autorités des deux États. De cette façon, les futurs parents adoptifs peuvent être examinés par les autorités.

Le pacte a été adopté par chaque État et est codifié dans divers statuts qui lui donnent dès lors force de loi. Malgré cela ces lois restent rarement appliquées, c’est en partie dû au fait que le pacte demeure largement inconnu des autorités chargées de l’application des lois.

Il appartient également à chaque État de décider de la manière de punir ceux qui donnent ou emmènent des enfants en violation des dispositions du pacte. Si certains États imposent des sanctions pénales, d’autres ne sont parfois pas explicites sur la manière dont ces violations doivent être traitées. Un enfant peut être retiré de la nouvelle maison si une « ré-adoption » illégale a été constatée. Mais les parents ne sont que rarement punis. Il faut savoir qu’aucune loi qu’elle soit d’État, fédérale ou internationale ne reconnaît même l’existence de la « ré-adoption ».

Du changement pour l’avenir ?

Cette pratique devrait bien évidemment être illégale, malheureusement, peu de lois protègent les enfants cédés à d’autres. Dans certains États, le passage devant un tribunal est obligatoire pour ré-adopter un enfant.

Le Wisconsin a voté en avril 2014 une loi interdisant aux parents de faire de la publicité pour des enfants de plus d’un an afin de lutter contre ce marché parallèle dénué de tout contrôle et qui vise à proposer les enfants à l’adoption sans passer par une agence spécialisée. Cette loi est actuellement en vigueur dans dix États. Dans tous les autres, la pratique continue à se faire en toute impunité et toujours sans enquête préalable.

James Langevin, député, lui-même enfant adopté, milite pour interdire la ré-adoption. Il est l’auteur d’un projet de loi national qui vise à interdire cette pratique et à « donner les ressources nécessaires aux familles » en difficulté pour faire en sorte que la « première adoption reste la seule ». Ce projet nécessitant 50 millions d’euros de budget ne semblait pas être la priorité du gouvernement. La nouvelle administration en décidera peut-être autrement ?

Conclusion

Le manque d’encadrement de ces adoptions fait qu’en cas de difficultés avec l’enfant adopté, les parents n’ont souvent personne vers qui se tourner pour obtenir une quelconque aide. Des centres d’aide aux parents adoptifs qui se sentent dépassés devraient être créés, ce qui éviterait une grande partie des abandons.

Des pays comme la Russie ont fini par interdire les adoptions par des Américains, ceci résultant d’un conflit diplomatique plus large.

D’autres pays, dont le Guatemala et la Chine, ont également rendu le processus d’adoption plus difficile. En conséquence, le nombre d’enfants nés à l’étranger adoptés aux États-Unis est passé de près de 23 000 en 2004 à moins de 10 000 par an aujourd’hui.

Les enfants ne sont pas des objets pouvant être vendus et revendus au gré des caprices de « parents » adoptifs peu scrupuleux. Plus que tout autres, ils doivent être protégés, pas seulement dans les textes mais dans les faits.

  1. « Rehoming » un terme qui à l’origine était plutôt réservé pour les adoptions d’animaux.
  2. Reportage de Sophie Przychodny : « Etats-Unis, enfants jetables ».
  3. Disponible sur https://www.parents.fr/envie-de-bebe/adoption/le-scandale-des-enfants-jetables-aux-etats-unis-13936 (consulté le 25 janvier 2021).
  4. Disponible sur https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/donne-enfant-adopte-aux-etats-unis-le-marche-de-l-enfant-d-occasion_1781811.html (consulté le 26 janvier 2021).
  5. Disponible sur : https://www.reuters.com/investigates/adoption/#article/part1 (consulté le 27 janvier 2021).
  6. Disponible sur : https://adoption.com/atollo/articles/rehoming-the-underground-marketplace-for-adopted-children/ (consulté le 27 janvier 2021).
  7. Enquête menée par Reuters, disponible sur : https://www.reuters.com/investigates/adoption/#article/part1 (consulté le 27 janvier 2021).
  8. Disponible sur : https://www.reuters.com/investigates/adoption/#article/part1 (consulté le 26 janvier 2021).
  9. Texte disponible sur : https://aphsa.org/AAICPC/AAICPC/text_icpc.aspx (consulté le 26 janvier 2021).
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