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Sécurité alimentaire et croissance démographique: un défi humain à notre portée

Les quelques décennies qui sont devant nous seront décisives pour l’avenir de l’humanité et nous sommes dès aujourd’hui confrontés à des choix fondamentaux. Il s’agira en effet d’accroître le volume de nos productions agricoles de manière à nourrir une population mondiale qui va continuer à croître rapidement. Et dans le même temps, faire face à des contraintes environnementales qui vont impacter nos modes de consommation alimentaire et nos politiques de santé publique.

Passer de 7,5 à au moins 11 milliards d’habitants en 2100

Selon les diverses projections démographiques, nous devrions être entre 11 et 12 milliards d’habitants en 2100. La bonne nouvelle est sans doute que les taux de fécondité à travers le monde ont considérablement chuté depuis une trentaine d’années. C’est dans ce contexte que certains proposent une autolimitation volontaire des naissances de manière à réduire l’impact humain sur l’environnement. Tandis que d’autres au contraire nous prédisent l’imminence d’un recul démographique en s’inspirant des conséquences de la politique de l’enfant unique en Chine.

La forte inertie des courbes démographiques nous laisse percevoir que ces deux positions extrêmes sont peu significatives : les comportements des populations en matière de fécondité évoluent au cours du temps, mais aucun changement brutal de tendance ne peut être observé sur le court terme. Le débat portant sur ce qu’il convient d’entreprendre de manière à stabiliser la population mondiale de manière soutenable nous ramène à un vieux débat : celui entre Malthus et Marx.

Au cours des années ’70, les thèses malthusiennes portant sur un écart insurmontable entre croissance géométrique de la population et croissance arithmétique des surfaces agricoles ont été redébattues. Entre autres grâce au Rapport sur les limites de la croissance du Club de Rome. Cecidans un cadre marqué par la crise pétrolière, les dimanches sans voiture et les premières alarmes environnementales touchant à une extension prévisible de la croissance et du bien-être à l’ensemble de la population mondiale.

Les régimes communistes de l’époque – ainsi que l’essentiel de la gauche démocratique en Europe – plaidaient en faveur d’une approche productiviste. Ainsi qu’en insistant sur la réduction des inégalités sociales et sur la lutte contre la pauvreté en tant que cause majeure du galop démographique.

Le planning familial : laissez-faire, ou coercition ?

Ce débat touche bien évidemment au dilemme suivant : faudra-t-il se contenter du laissez-faire en matière de natalité, ou bien au contraire se reposer sur des méthodes coercitives de limitation des naissances ? Plutôt que de trancher entre ces deux choix extrêmes, il importe sans doute de retenir quelques-uns des paramètres qui semblent avoir déjà fait leurs preuves. Tout d’abord, le niveau d’instruction des filles dans chacun des pays concernés semble jouer dans la plupart des cas un rôle déterminant. Ensuite, l’accès aux soins de santé primaire et la mise à disposition de méthodes contraceptives efficaces grâce à un réseau de dispensaires accessibles sur l’ensemble des territoires. Enfin, une meilleure circulation des échanges portant sur des technologies aux diverses situations de terrain : à titre d’exemple, on peut aujourd’hui envisager la livraison de pilules contraceptives dans les villages les plus reculés grâce à des drones. Mais pouvoir tirer le meilleur profit de ces trois déterminants suppose des structures étatiques bien organisées et également une synergie efficace avec le secteur privé. Ceci en devant toujours garder présent à l’esprit que les populations les plus pauvres devront se voir garanti un accès effectif à ces divers services.

Changement climatique et production alimentaire

Si la production alimentaire devra suivre la croissance de la population, un troisième facteur ne peut que s’imposer à l’attention : la préservation de notre environnement face à un double défi. Tout d’abord, le changement climatique et ses impacts sur la production agricole. Et ensuite l’impact des diverses pollutions sur les sols et les océans.

S’agissant du changement climatique, la croissance des températures aura pour effet le déplacement de certaines cultures. Mais également un impact sur le régime des précipitations, à savoir soit des sécheresses, soit une pluviosité accrue. Il est donc décisif que les paysans puissent s’y adapter. A cet égard, il semble essentiel de prévoir la mise en place de banques de semences de cultivars traditionnels à mettre à disposition des agriculteurs : en effet, pouvoir en fonction du climat attendu disposer d’une gamme plus étendue de types de récoltes possibles est une méthode qui a fait ses preuves dans le passé. Mais tout aussi importante restera la pérennité d’une agriculture vivrière de subsistance face à des culturesde rente. En effet, seule une agriculture vivrière est à même de garantir une gestion pondérée des sols et des intrants fertilisants. Il importe par ailleurs de mettre fin à l’importation de produits agricoles à prix subsidiés qui tuent l’agriculture paysanne locale et poussent à l’exode vers les villes. Des terres désertées deviendront en effet impropres à tout usage agricole.

Quant aux océans, leurs ressources halieutiques sont aujourd’hui à la peine à cause de la surpêche, mais également suite à la mise en décharge en milieu marin de nombreux polluants. Métaux lourds et micro-particules de plastic, entre autres. Tout comme s’agissant de l’agriculture vivrière, la pêche artisanale nécessite une maind’oeuvre considérable et les produits de la mer constituent la principale source de protéines pour des centaines de millions d’habitants. Il serait donc plus que souhaitable que la pêche vivrière soit mieux protégée de la pêche industrielle – leplus souvent étrangère – qui prélève le plus gros des ressources halieutiques le long des côtes des pays concernés. Toute extension des limites des eaux territoriales nationales serait ici bien utile.

 

Croissance démographique et idéologie

Nous avons vu que les tenants d’une gauche productiviste sont pour l’essentiel anti-malthusiens : à leurs yeux, seule une réduction de la pauvreté permettra – à terme – de freiner la croissance démographique. Le socialisme et l’égalité seront sensés y pourvoir. La question reste bien entendu de savoir si – et dans combien de temps – une telle réduction marquée des inégalités deviendra possible. Et si nous pouvons nous permettre de l’attendre.

Par ailleurs, le « croissez et multipliez » est également de mise s’agissant de l’Eglise catholique dans cette même logique – assez abstraite – de
réduction des inégalités. Mais la défense inconditionnelle de toute forme de vie humaine dès la conception est bien évidemment au coeur du débat s’agissant des diverses confessions chrétiennes,voire des religions de manière générale.

La question à se poser est ici la suivante : sachant que toute méthode de contraception moderne et efficace est considérée par l’Eglise catholique comme un micro-avortement, sera-t-il possible de convaincre une partie significative de ses fidèles que contraception et avortement ne sont pas nécessairement à mettre sur le même pied ? Connaissant le poids des religions dans la plupart des pays à forte croissance démographique, ne serait-il pas judicieux de chercher à découpler soigneusement contraception et avortement ? Et sans devoir pour autant renoncer au droit à l’avortement pour chacune, tenter de se centrer sur des campagnes portant sur la contraception avant toute chose ? A des fins d’efficacité, la question mérite sans doute d’être débattue.

Prise de responsabilité et pragmatisme

Concluons en revendiquant des solutions pragmatiques à opposer à des déclarations de principe. Ceci sans ignorer les pistes rendues possibles par les innovations technologiques qui se déroulent chaque jour sous nos yeux. Mais ces technologies nouvelles ne pourront pas tout régler à elles seules. Il nous revient donc dès à présent de prendre nos responsabilités en matière de choix politiques et sociétaux face à ce triple défi : une production alimentaire suffisante pour tous, une croissance démographique à maîtriser et une gestion raisonnée et durable de notre environnement.

Car les trois sont intrinsèquement liés.

François Braem
Anthropologue