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Le féminisme : ce qu’il est, et ce qu’il n’est pas. Et pourquoi il est indispensable.

Le féminisme est né d’une injustice planétaire et millénaire reléguant les femmes dans un sous statut par rapport aux hommes. Après quelques révoltes ponctuelles au fil des siècles de la part de femmes d’exception, le mouvement s’est véritablement constitué au 19è siècle en Angleterre, avec le combat des « Suffragettes » pour obtenir le droit de vote.

Ces combats, qui ont certainement fait évoluer les idées et réduit l’injustice faites aux femmes, sont loin d’avoir éradiqué toutes formes d’inégalités, de mauvais traitements, d’exploitations imposées aux femmes ; dans de nombreux pays « la malédiction d’être une fille » [D. Sigaud] perpétue le plus vaste scandale de l’histoire humaine. Quelle que soit l’injustice subie par un groupe humain, elle s’avère toujours pire pour les femmes.

Malgré cela, il n’est pas rare d’entendre des personnes dire « je ne suis pas féministe », même si elles partagent l’idéal d’égalité homme/femme dont le terme est porteur ; qu’elles soient convaincues que « tout est acquis » et qu’il n’y a plus lieu de s’inscrire dans une revendication féministe, ou qu’elles désirent se démarquer de connotations associées au mot « féministe » pose évidemment question et indique la nécessité d’un travail d’information. Le présent texte résulte du sentiment d’urgence d’y participer et de tenter de dissiper les malentendus qui déforcent ces luttes pour plus d’égalité.

Le genre

Le statut d’infériorité imposé aux femmes et l’injonction de se conformer à un rôle  vient de préjugés et stéréotypes très anciens mais toujours vivaces à l’heure actuelle : « L’invention d’une différence radicale entre homme et femme aboutit à des rôles prescrits (vus comme naturellement déterminés) pour l’un et pour l’autre, qui avec la potentialité de maternité, renvoie toujours la femme au foyer, dans le soin aux enfants, aux faibles, aux vieillards…et les tâches domestiques. » [E. Badinter (interview, 2011)]

Comme l’a magistralement exprimé et démontré S. De Beauvoir (« On ne naît pas femme, on le devient »), la féminité est avant tout un fait culturel, donc acquis. Les individus sont tous différents et notre identité est avant tout un élément personnel unique, déterminé culturellement au fil de notre existence, et non par une constitution physiologique. Chacun porte en soi un mélange subtil de ce que l’on appelle féminité et virilité.

Le « genre » est précisément l’ensemble des « marqueurs » que la société assigne à chaque sexe biologique ; il définit ce qui sera attendu comme comportement « normal » de la part d’un homme ou d’une femme et contribue de façon plus ou moins contraignante à orienter chaque sexe  vers une « identité de groupe » prédéterminée et des parcours de vie « genrés » (en caricaturant à peine : l’infirmière et le soldat, la ballerine et le boxeur, la secrétaire et le patron).

Universalité du féminisme

Les acquis du féminisme sont voulus universels : que toute femme, tout homme soit doté des mêmes droits, reçoive les mêmes chances de se réaliser, et jouisse d’une même liberté indépendamment de son sexe biologique. Il n’y a pas de féminisme « réservé » ou « excluant » en fonction de quelque critère que ce soit ; il n’y a pas de féminisme blanc ou noir, du Nord ou du Sud, du riche ou du pauvre.

La liberté de faire le mariage de son choix, de faire carrière, d’avoir ou de ne pas avoir d’enfants, de participer à la vie sociale, de disposer à sa guise de son propre corps, d’aller et venir sans chaperon…tout cela qui est « bon pour moi » est aussi bon pour chaque femme (et chaque homme) dans le monde. Avoir un salaire égal à celui d’un homme pour le même emploi, recevoir la même part d’héritage, avoir la même voix qu’un homme en politique, au tribunal, et devant toutes les lois est bon pour chaque femme dans le monde.

Bon…mais pas encore réalisé, malgré de considérables progrès (dans les pays occidentaux notamment) : même en Belgique, des fillettes subissent l’excision, des jeunes filles sont mariées de force  et retirées de l’école ; partout, des femmes subissent la violence de leur conjoint (en France, près de 220.000 femmes subissent des violences de la part de leur conjoint ou ex-compagnon et plus de 250 femmes sont violées chaque jour). Le féminisme est la volonté de faire disparaître ces injustices.

Le féminisme universaliste ne fait pas l’hypothèse de l’existence d’une « essence » qui caractériserait de façon globale les comportements, les goûts, les caractères, les capacités de tous les membres d’un même sexe. Il constate des différences individuelles, et reçoit comme êtres humains « égaux » toutes ces personnalités, sans imposer d’alignement à une soi disant « normalité ».

On pourrait paraphraser ce que disait K Popper [    ] de l’essentialisme en sciences ou en philosophie : cette conception du monde, ayant son origine dans les philosophies de Platon et surtout d’Aristote, qui consiste à demander d’une chose quelle est son essence ou sa vraie nature » plutôt qu’à observer sa variabilité et les invariances de quelques relations, a engagé la recherche sur la voie de la stérilité à chaque fois qu’elle a été mobilisée.

Usurpateurs et imposteurs

Le féminisme n’est l’apanage d’aucun parti politique et il n’est soumis à aucune idéologie autre que la sienne propre ; il ne peut souffrir la main mise d’aucune conviction religieuse ou philosophique ; toute velléité de l’inféoder à une quelconque pensée « supérieure » conduit à le pervertir, à le détourner de son but, à l’étouffer progressivement.

Le féminisme est une valeur porteuse, simple à définir et difficile à réaliser…et comme tout « produit » de grande valeur, il souffre de nombreuses contrefaçons.

Ainsi, depuis ses origines, le féminisme a trouvé dans son sillage quantité de mouvements n’adhérant pas à ses valeurs, mais s’autoproclamant « féministes autrement » : mouvements essentialiste, différentialiste, maternaliste, religieux, décolonial, intersectionnaliste rivalisent avec d’autres courants (imprégnés de misandrie, de puritanisme,…) pour noyer le poisson auprès du grand public qui parmi tous ces intitulés se dorant du blason féministe ne sait séparer le bon grain de l’ivraie. Nous tenterons, en quelques mots, de brosser les caractéristiques principales des « concurrents » du féminisme universaliste les plus répandus de nos jours.

  1.  le courant essentialiste (ou différentialiste) affirme que les hommes et les femmes sont par nature essentiellement différents et doivent de ce fait être traités différemment. Il postule l’existence de qualités innées différentes pour les deux sexes, qui leur confère ex-officio des rôles pré déterminés.
    L’essentialisme crée donc une norme pour ce qui relève du féminin et y enferme les femmes (et une norme du masculin pour enfermer les hommes). Historiquement, le différentialisme fut longtemps soutenu par ceux qui souhaitaient ainsi justifier les inégalités de statuts entre hommes et femmes : c’est donc un argument central en faveur de la domination masculine. Le « féminisme essentialiste » dont le principe est antinomique avec l’égalité n’est donc pas un féminisme, mais une idéologie sexiste, même lorsqu’elle valorise certaines vertus qualifiées de féminines.
  2. un courant religieux : « féminisme musulman » tente le « grand écart » consistant à se présenter sous la double bannière d’une des idéologies parmi les plus sexistes et misogynes et celle de la défense de droits des femmes. Tout en proclamant vouloir trouver un chemin féministe dans les méandres de l’islam rigoriste, l’essentiel des revendications émanant de cette tendance en occident consiste à militer pour le droit à porter le voile islamique sous toutes ses formes (niqab, etc.) et en toutes circonstances ; dans les pays musulmans toutefois, on observe d’autres revendications moins superficielles (s’opposant aux lapidations, aux certificats de virginité par exemple).Religion parmi les autres, l’Islam par sa résistance dure aux avancées de l’égalité entre les sexes s’oppose au droit à l’IVG, au libre choix de son partenaire (avec ou sans mariage), et persiste à promouvoir la polygamie, les mariages « arrangés » avec de très jeunes filles, la mise sous tutelle masculine des filles et des femmes ; sur certains thèmes, il trouve des alliances opportunistes avec les autres courants religieux (contre les droits sexuels et reproductifs, le « mariage pour tous », et pour l’interdiction du blasphème par exemple). Les mouvements « Pro-life » ne font à cet égard que figure de la partie visible de l’iceberg des reculades actuelles en terme de liberté des femmes à disposer de leur propre corps. Ces courants qui inféodent les revendications des femmes à des diktats religieux, s’opposant à l’idéal d’égalité entre les hommes et les femmes, demeurent parmi les principaux bastions de la domination masculine.
  3. le courant «  intersectionnaliste », (et ses dérivés « décoloniaux », « indigénistes », etc.) est l’un des derniers arrivés sur le marché idéologique et a désormais ses entrées dans nombre de grandes institutions belges (universités, organismes officiels et monde associatif). A l’origine, le concept d’intersectionnalité (Kimberlé Williams Crenshaw, 1989), né du constat évident de la pluralité des discriminations (sexisme, racisme, homophobie,…) proposait d’analyser une seconde évidence, à savoir le cas de personnes victimes de plusieurs d’entre elles. Ce concept a permis de faire évoluer positivement le système judiciaire américain. Depuis, et tout particulièrement en Europe, le concept, retiré de son contexte, corrompu et récupéré est devenu un amalgame de combats qui conduit à une hiérarchisation des luttes antidiscrimination. La défense de l’égalité hommes/femmes s’y dilue et devient parfois anecdotique, lorsque l’importance de l’injustice subie par une femme est évaluée au travers de prismes qui la rend relative : la violence commise à l’encontre d’une femme qui n’est en outre ni « blanche » ni « pauvre », ni « occidentale », ni homosexuelle, ni handicapée (etc.)…étant considérée comme moins grave. Le courant le « intersectionnaliste » tente de décrédibiliser le féminisme universaliste, accusé de collaborer à la domination occidentale. Certaines déclarations de ce mouvement confinent au racisme (inversé) et au sexisme.
  4. Si on ajoute à cela les mouvements qui se déclarent ouvertement opposés à l’égalité homme/femme, comme les courants masculinistes , les fondamentalismes religieux et le dangereux retour des idéologies d’extrême droite, à divers titres décomplexées et nostalgiques du KKK hitlérien (Kinder, Küche, Kirche assignant la place des femmes auprès des enfants, de la cuisine et de l’Eglise), on comprendra l’urgence de se réveiller sans attendre que la jeunesse du pays ne soit massivement contaminée par les appels racistes et sexistes de « Schild en Vrienden ».

Pour un féminisme uni

Si des femmes subissent violences ou injustice différentes selon leurs « origines », leur statut social, leur lieu de vie, mais inhérentes à leur sexe et non à d’autres facteurs, qui pourrait  prétendre  que la discrimination dont elles souffrent  n’est pas une facette du sexisme universel ? Mutilations sexuelles, polygamie, crimes d’honneurs, viols « thérapeutiques », violences conjugales…sont bien évidemment des crimes sexistes infligés aux femmes, et seront à combattre en tant que tels. Nul besoin  pour cela de créer des féminismes spécifiques ! La division du « mouvement » féministes en sous-mouvements, comme toute division, affaiblit le combat central, commun et universel.

Et alors, que faire ? Partout et tout le temps, que chacun-e devienne porteur de lumière et de progrès :

  • à la maison comme à l’école, offrir aux jeunes une éducation non genrée
  • en famille, entre amis, au travail refuser les stéréotypes sexistes (ou pire, misogynes)
  • en toute occasion, réaffirmer les vraies valeurs du féminisme, universaliste, libre de toute mainmise idéologique, partisane ou religieuse.

L’égalité ne sera pas donnée : elle doit se conquérir.

G. De Meur

 

Pistes de lecture

  • Popper « La société ouverte et ses ennemis », Routledge (1945)
  • Sigaud « La malédiction d’être une fille », Albin Michel (2019)
  • Guirous « Le suicide féministe », Ed. de l’Observatoire (2019)
  • Badinter « Fausse route », Odile Jacob (2003)
  • De Beauvoir « le deuxième sexe », Gallimard (1949)
  • Geerts «  Dis, c’est quoi le féminisme ? » Renaissance du livre (2017)
  • De Meur  «Féminismes contre Féminisme » La Pensée et les Hommes n°114 (2019)