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Complotisme et antihumanisme sans frontières

Théorie des complots, infox, fake news, actions antihumanistes… : qui est derrière ce fléau qui empoisonne la Société ? Même la Sûreté de l’État belge a récemment tiré la sonnette d’alarme : « Le but est de monter les uns contre les autres certains groupes de la population. »

Engendrer, manier et répandre de fausses informations, tel est le dessein des comploteurs et conspirateurs (personnes qui complotent ou conspirent) relayés par des complotistes et conspirationnistes (qui se persuadent ou persuadent qu’autrui est détenteur d’un pouvoir pratiquant la conspiration du silence pour cacher des vérités ou contrôler des consciences)[1].

En définitive, ils sont identiques dans leur but de nuisance et le terme générique « complotisme » englobe chacune de ces catégories.

De nombreux observateurs rappellent que ces procédés ne sont pas nouveaux et furent significatifs de la propagande nazie, fasciste, franquiste, vichyste, rexiste, salazariste, communiste…, exception faite que dans la manipulation contemporaine, les réseaux sociaux sont à présent parties prenantes au point que l’on parle de « message viral » quand c’est répandu à grande échelle. Parfois planétaire.

Une technique derrière laquelle se cachent maints anonymes ou groupuscules, alors que des Trump et Cie en font une tribune mondiale de matraquage et prosélytisme. À savoir, le phénomène QAnon expliquant, entre autres, que le virus est un hoax ou peut se guérir avec de l’eau de javel.

Cette propagation manie parfois l’ambiguïté : « Est considéré comme théoricien du complot : tout individu qui fait des recherches et qui utilise sa pensée critique ou logique afin d’avoir un avis éclairé sur un sujet ou une situation au lieu de croire aveuglément tout ce qui passe à la télévision ou tout ce qu’annonce son gouvernement. »[2]

Le 1er août 2020, Wout Van Aert, cycliste, a remporté les Strate Bianche et fit un signe de la main droite à l’arrivée. L’occasion pour les complotistes de déverser des fadaises, alors que c’est aussi un message à distance à un être cher ! (Prises d’écran La Une-RTBF)

Exemples inquiétants à foison

Ces derniers mois, COVID-19 et confinement/déconfinement obligent probablement, une nette recrudescence du complotisme doublé d’un antihumanisme exacerbé est constatée.

Parmi les exemples relativement récents, épinglons cette déclaration de l’auteur Marek Halter[3] au sujet de la pandémie actuelle spécifiant que la télévision russe diffusa une information soulignant que « les milliardaires internationaux » détenaient l’antidote au virus et qu’ils attendaient que la peur envahisse tous les continents pour commercialiser le médicament à prix d’or. L’écrivain précisa : « Et qui sont-ils, ces milliardaires internationaux ? Des juifs ! »

Alors, pour les complotistes, qui dit juif pense automatiquement franc-maçon et la théorie du complot judéo-maçonnique reprend force et vigueur.

Comme à l’époque nazie, des listes de francs-maçons circulent publiquement sur Internet afin d’éradiquer les « satanistes »[4], par exemple sous la forme d’un montage de sigles d’organisations et d’un titre racoleur : « Francs-maçons qui nous gouvernent » : Club de Rome, UNESCO, CIA, Klu Klux Klan…[5] Canular ? La suite fait état d’une liste « non exhaustive » et cite des noms liés aux fonctions, tel celui d’une « ancienne ministre franc-maçonne de la secte maçonnique du Grand Orient de France… »

Ce qui n’a pas été non plus un canular s’est déroulé durant cet été 2020, avec l’article dans Métropolitain (édition de la région occitane), hebdomadaire français du groupe Publi Hebdos[6] : « À Métropolitain, il y a belle lurette que nous possédons les noms des gendarmes, policiers, douaniers, sapeurs-pompiers, avocats et magistrats – ainsi que des confrères – qui fréquentent assidument les obédiences héraultaises… Mettre son nez dans une loge peut vous envoyer en enfer. »

En Belgique, le carnaval d’Alost attira aussi l’attention sur des chars antisémites ou des carnavalistes étaient déguisés en juifs-insectes, ce qui fit dire à Marc Metdepenningen, chroniqueur judiciaire au Soir : « …la zoomorphie appliquée aux juifs (poux, insectes, serpents, etc.) par les nazis était du même ordre. »

En janvier 2020, un autre exemple significatif de la menace conspirationniste fut relevé avec le discours de Roberto Alvim, secrétaire d’État en charge de la Culture au Brésil : « L’art brésilien de la prochaine décennie sera héroïque et national. Il sera doté de grandes capacités d’implication émotionnelle et sera impératif, puisque profondément lié aux aspirations urgentes de notre peuple, ou ne sera pas. » Le tout sur fond musical de « Lohengrin » de Richard Wagner.

Vous remplacez « art brésilien » par « art allemand » et vous avez « quasi mot à mot une célèbre phrase du ministre de la Propagande d’Hitler, Joseph Goebbels, le 8 mai 1933 », souligne Le Soir des 18 et 19 janvier 2020. Quant au fond musical, il s’agissait d’un extrait d’opéra préféré du Führer.

Que l’on parle de musique, les complotistes se targuent de donner des « indices » » pour reconnaître ceux qui conspirent. Ainsi, un site musical[7] a créé la rubrique « Corneto » (signe de doigts en forme de cornes… du diable).

Outre différentes explications (cornuto = cocu en Italie, cornuto = « Je t’aime » en langage sourd et muet…), on y lit : « Certains adeptes de théories sur une conspiration possible vous dirons que c’est un geste montrant l’appartenance à une société élitiste secrète des dirigeants de notre monde… Possible, c’est un code maçonnique (…) »

Dès lors, il n’est pas étonnant de constater que se répandent les profanations de tombes juives, les menaces, tags (surtout avec des croix gammées), insultes, agressions verbales et physiques envers des juifs et francs-maçons, le vandalisme et le saccage de temples (Bruxelles, Tarbes, Poitiers, Rennes, Vienne, Serrières…)

Vandalisme, saccage, menaces… à Serrières (Photo JL G.)

Réactions et explications

Ce récurrent phénomène du complotisme fait l’objet de multiples commentaires et, parmi eux, il apparaît intéressant de répercuter celui de Ryan Holiday, chroniqueur et auteur américain, qui, sur base d’une longue expérience personnelle (« J’ai été un manipulateur de médias »), explique que la manipulation sur Internet est l’enfance de l’art, puisqu’il suffit de se faire passer pour un expert, créer un faux scandale, qu’aussitôt de nombreuses personnes vont le relayer sans vérifier la source.

Sur Wikipedia, Ryan Holiday, le faux expert déclaré, s’y présente comme « manipulateur de médias » et pourtant, de grands médias de la planète ont repris ses informations comme paroles d’Évangile.

Ceci fait indéniablement penser, et ce n’est pas une infox !, que si l’on argumente et contredit une désinformation, il arrive que le débusqué « fabrique » une argumentation bidon pour contrecarrer la vôtre, précise-t-il encore.

Et d’expliquer de manière concrète qu’il en est ainsi avec des industries du tabac, de l’agroalimentaire, pharmaceutiques… qui créent de toutes pièces des « Commissions » dites scientifiques composées d’experts à leur solde et qui, bien entendu, vont à l’encontre de votre argumentation, vantant même de véritables poisons disponibles sur le marché avec la bénédiction de gouvernements, censés protéger les citoyens, soudoyés ou aveuglés par des lobbyistes rompus à ce type d’infox.

Dans cette pléthore d’informations (sérieuses), de désinformations (à l’allure sérieuse), de manipulations (réelles) et d’avis (officiels), il n’est pas aisé de discerner le bon grain de l’ivraie.

Sûreté de l’État belge et complotisme

C’est probablement la raison pour laquelle, des autorités réagissent et tirent la sonnette d’alarme : « Il serait intéressant de prendre connaissance d’un récent rapport de la Sûreté de l’État concernant la recrudescence inquiétante de l’intolérance et du phénomène sectaire »[8], conseilla un membre de l’Organe de contrôle à la police en août 2020.

À savoir : « Avec l’épidémie du coronavirus, un maximum de désinformations relatives au COVID-19 sont diffusées via les médias sociaux dans le but de monter les uns contre les autres certains groupes de la population. »

Les précisions corroborent différents exemples repris dans le cadre de notre sujet : « Plusieurs individus et groupements d’extrême droite diffusent des théories du complot dans le but de saper l’autorité du gouvernement belge et du monde médical. Citons notamment les Knights of Flanders, un nouveau groupement de templiers d’extrême droite, qui diffusent une théorie selon laquelle l’origine du coronavirus remonterait au vaccin contre la grippe. D’autres groupements d’extrême droite répandent des messages de haine contre les musulmans. C’est ainsi que le groupuscule Nation avait diffusé à un certain moment le message selon lequel une fatwa ‘‘appelait les musulmans contaminés à tousser au visage des mécréants’’.

(…) L’extrême droite ne cesse de marteler qu’il existe à ses yeux un lien entre l’épidémie du COVID-19 et l’immigration.

(…) Ce discours de l’extrême droite prédomine aujourd’hui dans les médias sociaux…

(…) Certains groupes et organisations d’extrême droite propagent un discours pro-russe et diffusent de la propagande russe dans notre pays dans le contexte de la crise du coronavirus comme le mouvement ‘‘Squadra Europa’’… »[9]

Quelle attitude ?

Peut-on rester indifférent face à ce phénomène qui gangrène de plus en plus la Démocratie ? Jouer la politique de l’autruche n’est pas une solution citoyenne, responsable, selon la conception du mouvement laïque.

Andrée Willems, auteure humaniste[10] et grande voyageuse (elle travailla sur d’importants sites archéologiques), explique qu’il faut dialoguer avec tous ceux qui véhiculent inconsidérément la notion de « complot » afin que cela puisse les éclairer sur leur faux ressentiment.

En toute franchise, elle avoue « qu’il n’est pas facile à faire ce travail sur soi ». Ce travail, c’est celui d’œuvrer au progrès de l’humanité, celui qui exige le respect de l’autre dans sa différence, qui réclame le dialogue, l’échange, c’est donner un sens actif au terme « tolérance ».

Andrée Willems constate que « nous revivons un repli identitaire dans le monde et que nous assistons au désastre que subit la Terre. »

Face à ce constat, elle ne cesse de prôner le dialogue et de clamer qu’il est impératif d’oser pour répondre à ce dilemme vital. Oser être créatif, oser le geste de donner, et celui de recevoir, oser le sourire, oser partager, car le partage est un cadeau précieux qui s’appelle « fraternité ».

Elle précise : « Quand on a la possibilité d’échanger des idées, de dialoguer, c’est comme cela que peut débuter une certaine fraternité. Pour ce faire, je me dévoile, j’explique comment j’ai vécu le chemin, parfois ardu, vers l’apprentissage de la Connaissance. Ces étapes me permirent de progresser, de comprendre, de travailler avec des outils ‘‘opératifs’’, c’est-à-dire de mener un travail constant sur moi. J’ajoute qu’il ne faut pas refuser d’autres expériences, car elles peuvent ouvrir d’autres fenêtres. »

Et comment réagir face à ce climat de tension, voire de haine ?

« Ce qui me révolte le plus, ce sont les persécutions à l’égard de différentes personnes ou communautés qui exposent leur authenticité. Cette situation recommence et la vigilance s’impose, dès lors il faut absolument travailler au progrès de l’humanité ! C’est-à-dire, communiquer et transmettre. On doit aller à l’extérieur pour apporter nos notions et préceptes de dialogue et d’ouverture aux autres. Si on se ferme, on perd quelque chose !

La différence nous enrichit. Prenons l’exemple d’un orchestre. Il est constitué de musiciens aux instruments différents et le but du chef d’orchestre est, bien entendu, d’arriver à en faire un ensemble harmonieux.

Dans cet exemple, comme dans notre démarche, tout est au niveau de la relation humaine… »

À présent, il faut passer de la théorie à la pratique. Sur le terrain et en urgence.

Pierre Guelff
Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

  1. Le Larousse, 2020.
  2. Message viral sur Facebook, le 26 juillet 2020.
  3. Le Vif-L’Express, 27 mars 2020.
  4. Sur Wikipedia, une liste publiée par un sympathisant de l’extrême droite belge fut finalement supprimée.
  5. « Éveil de la conscience », site visité en juillet 2020.
  6. Une centaine d’hebdomadaires payants, journaux gratuits, quotidien… pour quelque 3,1 millions de lecteurs. Le groupe compte 900 salariés, également des imprimeries, régie publicitaire…
  7. French-metal.com, visité en juillet 2020.
  8. Site VSSE-Sûreté de l’État, 21 avril 2020.
  9. Pour être complet, la Sûreté de l’État évoqua également un groupe anarchiste bruxellois dans le cadre d’appel à commettre des actes violents à l’égard de la Police, des agents pénitentiaires et d’infrastructures de télécommunications, ce qui n’est pas l’objet du présent article.
  10. Être sur le chemin pour se retrouver soi-même, Éditions F. Deville, 2020.

 

Au cœur de l’extrême droite

Pas de cordon sanitaire pour le journaliste ou le chroniqueur d’investigation ! Comment, en effet, appréhender les discours et actions de l’extrême droite, et y répliquer par des arguments – démocratiques – crédibles, si ce n’est être à son contact, disons « sur le terrain » ? Reportage.

Un peu partout sur la planète, des théories d’extrême droite sont (re)mises au mauvais goût du jour et le bruit des bottes se fait de plus en plus prégnant. Ce ne sont pas obligatoirement des « fachos » au crâne rasé, vandalisant des temples maçonniques[1], pratiquant des ratonnades, faisant le salut fasciste cher aux Mussolini, Hitler et Cie, ou variante moderne, la quenelle à la Dieudonné, mais davantage une « élite » en col et cravate qui distille son venin surtout basé sur le concept du complot mondial que, subtilement, l’auteur à succès Dan Brown arriva aussi à glisser dans certains de ses romans vendus à des millions d’exemplaires, par exemple.

Faut-il rappeler que ce thème récurrent comme un fléau non maîtrisé, explicita l’extermination de millions de juifs, tziganes, homosexuels, francs-maçons,  communistes, opposants – même Allemands – à Hitler, et continua à faire ses ravages après la Seconde Guerre mondiale alors que l’on croyait – et espérait – que le « Plus jamais ça ! » finirait pas vaincre ?

Hélas, l’Histoire est un éternel recommencement et elle semble repasser les plats de manière de plus en plus active ces derniers temps.

Dès lors, comment ne pas être d’accord avec ma consœur Aurélie Charon, chroniqueuse sur France Inter, lorsqu’en présence de ceux « qui brandissent des convictions à mille lieues des siennes »[2], elle clame : « …je demande à rencontrer ces gens, je ne peux pas me montrer méprisante ou hautaine, je ne suis pas là pour les humilier, mais face à eux, je ne mens pas, je dis ce que je pense. »

Exactement ma manière de concevoir et d’appliquer, autant que faire se peut, mes reportages et pas seulement relater les lectures de leur propagande, de répercuter des informations à leur sujet glanées sur Internet ou les réseaux sociaux.

Culture de mort

Un vendredi de fin d’hiver, vers 18 heures, quelques dizaines de personnes sont réunies dans les environs des locaux du Grand Orient de France, rue Cadet à Paris. Elles y dénoncent l’interruption volontaire de grossesse, la contraception, le mariage pour tous, la franc-maçonnerie à l’origine de cette « culture de mort »… Ce n’est pas leur première manifestation du genre et, en d’autres lieux, au fil des années, il y eut des exactions, menaces, agressions… auprès du personnel et de patients de Plannings familiaux et milieux hospitaliers, entre autres, avec les tristement célèbres « commandos anti-IVG ».

La Justice s’en mêla, condamna, interdit régulièrement les manifestations dites « prières publiques », puis relâcha son étreinte et toléra ces dernières. D’où, ce vendredi de fin d’hiver…

Première approche en acceptant le tract qui est distribué et signé par « SOS Tout-Petits » sous le titre « Derrière la culture de mort, la franc-maçonnerie » et, surtout, le lire ! Extraits :

« Sa (Franc-Maçonnerie) religion est celle de l’homme qui se fait Dieu contre Dieu qui se fait homme. Gnostique, ésotérique, elle est réservée aux seuls initiés. Son secret cache Lucifer, l’Adversaire de la Révélation, de l’Incarnation et de l’Église. Sa philosophie est le subjectivisme. La liberté est exaltée aux dépens de la vérité. Elle tire sa force de la perversion du langage et de la confusion du bien et du mal, du vrai et du faux, du juste et de l’injuste : son symbole est la Tour de Babel. Sa morale est l’individualisme, l’hédonisme et l’utilitarisme. Sa vertu est la tolérance, non tant indulgence pour les personnes que relativisme des principes.

La culture de la franc-maçonnerie est la culture de mort qui dissout les consciences avant même que d’être homicide : contraception, stérilisation, avortement, eugénisme, euthanasie, homosexualité, pornographie… Sa politique est le laïcisme. Dieu est rejeté de la Cité. Elle-même se fait Église. Constituée en ‘‘nomenklatura’’, elle est un État dans l’État[3]. Fille des ‘‘Lumières’’, gardienne de la révolution, des Droits de l’Homme et du Mondialisme, elle est omniprésente à l’ONU et dans les institutions internationales : IPPF (Fédération Internationale du Planning Familial), Groupe Rockfeller, B’naï Brith, CFR, Bildeberg, Trilatérale, Club de Rome…

Elle a été condamnée par les Papes et les Magistere… Léon XIII : ‘‘Comme il s’agit d’une secte qui a tout envahi, il ne suffit pas de se tenir sur la défensive, mais il faut descendre courageusement dans l’arène et la combattre de front.’’ Le 26 novembre 1983, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : ‘‘Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la Sainte Communion.’’ »

Deuxième approche (en compagnie de mes confrères de France Télévisions) : celle du contact avec les deux principaux organisateurs de cette « prière publique ».

Le docteur Xavier Dor, fondateur de « SOS Tout-Petits », mouvement catholique radical. (Photo MPP)

À savoir, le docteur Xavier Dor, fondateur, en 1986, de « SOS Tout-Petits » dont l’objectif est la lutte contre l’avortement, association également opposée à la contraception, à l’euthanasie… Catalogué de « militant violent » par Libération[4], il fut condamné à onze reprises pour ses actions, dont de la prison ferme, mais la peine fut aménagée compte tenu de son âge[5]. Le slogan de ce mouvement catholique radical est « Défendre la vie est un devoir » et il clame haut et fort plusieurs récentes déclarations papales : « La seule pensée que des enfants ne pourront jamais voir la lumière, victimes de l’avortement, nous fait horreur. » (François), « L’avortement provoqué est le meurtre délibéré et direct. » (Jean-Paul II), « La liberté de tuer n’est pas une vraie liberté, mais une tyrannie qui réduit l’être humain en esclavage. » (Benoît XVI).

L’acolyte, si j’ose dire, du docteur Dor est l’abbé Guy Pagès, membre du Conseil national de la Résistance européenne (CNRE), mouvement considéré comme identitaire (pensée et courant politique d’extrême droite) auquel est affilié le… Vlaams Belang.

Un Vlaams Belang (Vlaams Blok jusqu’au 15 novembre 2004) qui publia une liste de francs-maçons (décédés, vivants et supposés) sur Wikipedia et qui fit dire à Christian Laporte dans La Libre Belgique (2008) : « Une démarche qui rappelle tristement certaines dérives de l’avant-guerre. »

Plus près de nous, « Schild en Vrienden » (« Bouclier et Amis »), fondé par le député Dries Van Langenhove, récemment élu Vlaams Belang et occupant la sixième place de « L’Homme de l’Année » en Flandre, est un mouvement considéré comme « identitaire » par la Sûreté de l’État.

Nous sommes bien au cœur même de l’extrême droite de dimension européenne !

Les yeux dans les yeux

À nos côtés à Paris, quelques dizaines de manifestants déploient une immense banderole en cinq langues, des calicots et autres panneaux où l’on peut lire : « Innocent. J’ai 7 semaines et mesure 22 mm et condamné à mort », « Reine du Très Saint Rosaire sauvez-nous », « L’avortement est un droit. J’ai 6 semaines et mesure 15 mm. Non un meurtre ! »…

Le dialogue débute, sous l’œil, goguenard, de policiers et celui de la caméra de France Télévisions :

– Nous prions publiquement pour les francs-maçons, car c’est le franc-maçon Pierre Simon qui a initié les lois de l’avortement. La franc-maçonnerie rejette le principe de la liberté, on tombe dans l’esclavage. Dans la franc-maçonnerie, il n’y a pas de bien et de mal, déclare le Père Pagès.

– Pourtant, Monseigneur Danneels, archevêque de Belgique, a publiquement déclaré que « La franc-maçonnerie cultive la raison humaine comme instance suprême… » lui dis-je[6].

– L’Église, à travers ses papes, a condamné la franc-maçonnerie et Monseigneur Danneels n’a pas autorité sur les papes !

– Oui, mais Monseigneur Danneels était quand même archevêque et ce n’est pas n’importe qui dans l’Église, non ?

– Nous sommes au cœur de la perversion ! On ne peut pas toucher à l’Arbre du bien et du mal. Les francs-maçons suivent Lucifer et je l’ai même dit à plusieurs francs-maçons. Ils ont remplacé la vérité par la liberté, mais je dis qu’il n’y a pas de liberté sans vérité, intervient le Docteur Dor.

– D’où votre rassemblement de ce soir ?

– Notre combat tient en deux mots : nous prions ! (il récite, avec le Père Pagès, l’Ave Maria).

L’abbé Guy Pagès, membre du Conseil national de la Résistance européenne, mouvement considéré comme identitaire.

– Et, que pensez-vous de cette déclaration de Monseigneur Gaillot disant qu’il savait que l’un de ses prêtres était franc-maçon et qu’il l’approuvait sans l’ombre d’un doute ?

– Ah ! le malheureux… On ne peut pas marier la carpe et le lapin. Voltaire était déiste, mais était-il croyant ? Non ! Il n’y avait pas plus incroyant que lui. Les francs-maçons acceptent Dieu le Père, pas le Fils, car c’est un démon…

– Il ne s’agit pas d’un discours chrétien dans vos propos. Il n’y a pas beaucoup d’Amour…

– C’est la franc-maçonnerie que nous visons, pas les francs-maçons !

– Ce n’est pas ce qui est écrit dans vos tracts, pourtant…

Le Père Pagès, visiblement courroucé, entame le Rosaire, aussitôt suivi par le docteur Dor et les autres manifestants.

Fin de l’interview et des contacts, du moins « sur le terrain », car les réseaux sociaux ultraconservateurs et d’extrême droite qui ont repris cette interview, tout en la commentant à leur manière, se déchaînent.

Un réel dialogue est-il possible ?

Albert Camus (1913-1960), écrivain notoire et journaliste engagé (Résistance et luttes morales après la Seconde Guerre mondiale), clama : « Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. »

Assurément, aujourd’hui, cette démocratie – que nous chérissons tant – est à nouveau en grande souffrance, mais, après ce constat, une question majeure s’impose : comment réellement dialoguer, voire encourager le dialogue, avec ces militants de l’extrême droite ?

Est-il possible d’instaurer un contact qui soit basé sur un échange et non un rejet systématique du moindre propos ou argument qu’un démocrate énonce ? Rejet s’articulant parfois autour de l’invective et souvent de propos volontairement « détournés » du sujet abordé avec eux.

Bien sûr, outre le rôle d’informer, l’intention n’était pas de convaincre de manière ostentatoire les organisateurs de ces manifestations de se rallier aux thèses humanistes, mais d’établir une écoute partagée et, éventuellement, de les amener à s’interroger sur le bien-fondé de leurs convictions. En vain, dans ce cas-ci.

Cependant, à quelque niveau que ce soit, mais plus particulièrement dans un média comme « Morale Laïque », poursuivons, sans relâche, l’action contre l’indifférence et le populisme (dans le sens de « dérive de la démocratie »), car « Il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir », dit le même Albert Camus.

Pierre Guelff
Auteur et chroniqueur radio

[1] Saccage de celui de Tarbes en mars 2019, vandalisme d’un autre à Rennes en mai 2019, le même mois, tags antisémites et antimaçonniques à Poitiers, ces derniers apparaissant à Vitré en juillet dernier, alors qu’au même moment un incendie était bouté à un Temple de Fougères…, sans parler d’agressions de francs-maçons à la sortie d’un Temple à Bruxelles quelques mois auparavant…

[2] Télérama du 24 juillet 2019.

[3] Théorie du complot mondial.

[4] Le 7 novembre 2017.

[5] 90 ans au moment d’écrire le présent article.

[6] Mgr Danneels était encore vivant au moment de l’interview.

Faut-il repenser la Franc-Maçonnerie de l’avenir et comment ? Ou Pourquoi et comment allier la tradition à la modernité ?

La Franc-Maçonnerie vieillirait-elle mal ? Elle date d’avant 1717[1]. Ce n’est plus douteux[2]. Elle doit demeurer respectable et survivre, mais elle engendre ses propres défauts « maçonnicides ».

De nombreux auteurs, notamment Roger Dachez[3], se sont penchés sur l’histoire de la Maçonnerie afin de démêler l’écheveau de l’historique vérifiable et véritable[4], de la légende, du mythe et des croyances, rumeurs ou des constructions hasardeuses. Sa filiation avec le compagnonnage a fait couler de l’encre ; la Maçonnerie en a néanmoins repris des symboles et elle les a enrichis ; elle a prospéré et s’est implantée très tôt sur les territoires de la future Belgique, dès 1741 à Bruxelles.

« L’homo maçonnicus » s’est répandu, trop vite ou mal ? Question ouverte.

La Franc-Maçonnerie, qui a connu des hauts et des bas, parfois au péril de son existence[5],  constitue un véhicule original et unique offrant de se perfectionner selon un cheminement libre et de rayonner au profit de l’humanité.  En soi, c’est éminemment attractif pour les esprits libérés des dogmes.

Les Francs-Maçons s’opposent à tous les fanatismes, aux intégrismes et aux radicalismes, au nom de la fraternité humaine, de la raison spirituelle et du progrès de l’humanité vers un monde meilleur, une société nouvelle[6], bien plus que fraternelle, des lendemains pour lesquels l’espérance prend tout son sens, cette espérance qui se conçoit à plus long terme que l’espoir.

L’avenir de la Franc-Maçonnerie de tradition serait-il en danger compte tenu de sa diversité, de ses structures et de son mode de fonctionnement ?

Bien que le nombre de loges au sein de la Franc-Maçonnerie dite libérale, surtout européenne, soit en augmentation de même que leur volume, la fréquentation des membres aux tenues chute, sans parler du désintérêt pour les Grades dits supérieurs qui impliquent des engagements autres non indispensables à l’imprégnation des valeurs fondamentales de la Franc-Maçonnerie par les Apprentis Compagnons et Maîtres.

C’est regrettable et ce constat s’explique. Les structures maçonniques ne l’ignorent pas. La question de savoir comment y remédier passe par une solide remise en question à moins que de se satisfaire d’une régression quantitative et qualitative.

Quant à la Franc-Maçonnerie dite improprement dogmatique, et plus spécialement la Maçonnerie régulière américaine et britannique, elle connaît une érosion variable mais sérieuse depuis quelques années déjà.

D’autres mouvances anglo-saxonnes semblent en faire leurs choux gras, comme que ce soit la Wicca, l’Amorc, la scientologie, entre autres structures dites sectaires par certains ; des ordres templiers absorbent des Maçons et se revendiquent tous de la seule légitimité qui vaille ; il y a beaucoup à en dire pour rétablir une vérité qui peut-être dérange.

La Franc-Maçonnerie « est l’héritière de cette longue lignée philosophique qui, de Platon à Spinoza, a cherché à faire de l’éthique le but même de la philosophie et de la sagesse[7] ».

Elle se compose de « fédérations » de Loges  et / ou de rites qu’on nomme Obédiences, lesquelles veillent à coordonner les Loges qui en principe demeures libres mais doivent respecter les règlements de leur obédience à moins d’en sortir.

Les obédiences n’entretiennent pas toujours d’excellentes relations entre elles, même si de plus en plus d’accords ont vu le jour, parfois sclérosants, souvent constructifs, mais en tous cas incapables de faire disparaître le clivage entre la Maçonnerie dite libérale et la maçonnerie dite régulière, ce qui sépare ce qui pourrait former une superbe chaine d’union universelle.

Entre eux toutefois les Francs-Maçons sont fraternels sauf quelques exceptions affairistes ou opportunistes.

Être franc-maçon ne s’apparente pas à un état, ni à un aboutissement, mais bien à un engagement d’action rayonnante, laquelle aujourd’hui englobe tant les femmes que les hommes qui, ensemble, peuvent se dépasser sur le cheminement qui leur est offert[8].

Aujourd’hui cependant, qu’on accepte de l’admettre ou non, la Franc-Maçonnerie, dans son ensemble, souffre d’une désaffection, d’une chute d’assiduité, d’absentéisme et pour être clair, d’un désintérêt relatif insidieux, et parfois même de médiocrité intellectuelle ou morale. Il faut oser se départir de la langue de bois et vouloir aborder les problèmes qui se profilent depuis plusieurs années.

Que se passe-t-il ? Le modèle maçonnique ne fait-il plus recette au point d’attirer à suffisance et de fidéliser ses membres par une assiduité tant féconde que fraternelle ?

Le mode de recrutement ne doit-il pas être revu ? En va-t-il de même du sérieux des tenues, de la lourdeur ou de la légèreté de certains rituels, du poids financier lié ou non aux Obédiences ?

On dit que les Francs-Maçons se rencontrent entre équerre et compas, deux symboles connus, pour travailler à leur progrès intérieur et « extérieur », et à celui de l’humanité, jusqu’à convertir leur regard sur eux-mêmes et sur l’humanité[9], ce qui, il est raisonnable d’en convenir, s’annonce pour le moins ardu et peut signifier beaucoup, même au risque de vouloir exprimer trop, mal ou trop peu, avec les dérapages collatéraux d’une compréhension édulcorée ou carrément erronée.

Ils en est sont qui voient la participation aux réunions maçonniques comme une thérapie de groupe[10], ou des rassemblements osmotiques, voire transcendantaux.

À chacun, en particulier les Francs-Maçons, mais évidemment pas eux uniquement, de devenir des jardiniers de l’amour[11]. Il serait réducteur cependant de ne voir en la Franc-Maçonnerie qu’un incitant à l’Amour ; c’est une société initiatique[12].

Elle reste élitiste et méritocratique, même si elle s’ouvre à tout qui veut frapper à la porte du temple parce qu’il s’estime pouvoir être coopté, parce que qu’il s’estime assez probe, libre, de bonnes mœurs et qu’il pense posséder l’intelligence et la volonté de comprendre les objectifs de l’Ordre maçonnique.

La vie moderne du XXIe siècle a repeint le modèle sociétal sous l’angle de l’implication professionnelle et des difficultés sociales, le mode de vie familial, le temps des loisirs et les priorités en tous genres dont la réalité économique.

La Franc-Maçonnerie fonctionne toujours sur son canevas ancien, vieillissant mais enrichissant. Elle s’est ouverte vers un plus grand nombre de personnes probes libres et de bonnes mœurs, ce qui est heureux, mais en même temps, elle ne parvient pas à se libérer d’un conservatisme étouffant, même s’il convient de respecter une Tradition, laquelle peut donner la main à la modernité.

Est-elle encore compatible ainsi conçue avec la réalité de la société et doit-elle s’y adapter pour survivre et poursuivre son développement ou doit-elle se résoudre à un autre avenir, des lendemains qui déchantent ?

Combien estiment les tenues trop longues, trop administratives, trop tardives, les agapes trop prenantes et préjudiciables à la vie professionnelle du lendemain ou à la vie familiale ?

Certes libre à chacun de ne pas solliciter d’être coopté en loge pour pouvoir s’épanouir dans sa vie de travail profane et ses activités familiales, mais ne serait-il pas raisonnable de permettre de concilier la vie initiatique et la vie extérieure ?   La Franc-Maçonnerie y gagnerait des membres heureux de venir en Loge et assidus.

Comment réformer cet aspect ? Alléger le nombre de tenues, les rendre plus attractives, moins lourdes ?

Des Francs-Maçons vont en loge pour rompre avec le quotidien, d’autres pour se trouver entre amis ou y passer une soirée quasi festive ou encore pour y confier leurs soucis, d’autres encore pour y vivre un cheminement initiatique et ressentir l’intensité des rituels, l’osmose ou selon certains l’égrégore qui se dégage du temple.

Même si la large majorité des membres de la Franc-Maçonnerie donne du relief à la dignité de celle-ci et la porte haut en valeurs morales, on constate un phénomène, lié aux Maçons eux-mêmes, qui pourrait provoquer une dérive lente des loges vers la notion de clubs où l’on noue des contacts à des fins affairistes ou amicales voire plus si affinités, bien étrangères à l’élévation spirituelle ou à l’étude des problèmes sociétaux utiles pour contribuer à l’amélioration de l’humanité et pour travailler à son progrès de manière aussi désintéressée que conforme aux valeurs de probité, de sagesse, de bonnes mœurs et de Beauté.

Ne convient-il pas de se préoccuper avec efficacité de la grandeur de la Franc-Maçonnerie qui passe par la grandeur des Maçons ?

Ce phénomène de baisse de taux de participation ne vise pas que la Franc-Maçonnerie, loin s’en faut ; il est lié à l’évolution de la société. Les priorités changent quant au temps que l’on entend accorder à une participation à telle ou telle structure.

Cependant, on constate une augmentation nette d’affiliations à d’autres mouvances, ce qui relève du libre choix mais semble parfois inquiétant, lorsqu’il s’agit de l’Opus Dei[13], contre-projet antimaçonnique, ou de structures Illuminati modernes[14], ces dernières puisant leurs membres aussi au sein de Francs-Maçons déçus.

Demain, la Franc-Maçonnerie, maintes fois attaquée de l’extérieur en ses conceptions et valeurs, mais ayant résisté, risque de subir de tristes déconvenues de l’intérieur, de se scléroser, de s’assécher.

Entre la dispersion qui répond à des aspirations diverses et les structures trop lourdes, un équilibre porteur s’impose avec tout le sérieux dont sont capables les Francs-Maçons éclairés soucieux d’un avenir ensoleillé pour tous.

La richesse de la diversité maçonnique, qui reste souhaitable, présente un revers, celui de l’incompréhension de l’autre et des querelles de clocher. Des structures rigides ou inadéquates engendrent une sorte de concurrence malsaine et une course à l’influence intra-maçonnique, voire un manque d’ouverture.

On dit, dans la Tradition, que les Francs-Maçons « rassemblent ce qui est épars » ; à titre personnel, si le principe est beau, j’émets des réserves devant les divergences et les egos des humains, si compliqués à surmonter, mais d’un point de vue initiatique et philosophique, je partage entièrement ce principe d’une richesse intense.

La Franc-Maçonnerie idéale ou utopique a une vision à travers ses individualités riches d’une réflexion démultipliée, de fraternité du monde à travers la compréhension entre les humains, dans la concorde, sans haine de l’autre, avec intelligence et raison, notamment par l’amélioration de soi par un travail sur soi-même. Le projet reste beau ; ce que ses membres en font prête plus le flanc à la critique ; c’est normal et propre à toutes les mouvances.

En fait, il y a un peu de tout cela et ce que font les Frères ou les Sœurs en Loge procède d’une élévation teintée à forte dose d’une fraternité initiatique constructive, laquelle constitue une bonne part de l’essence de la Franc-Maçonnerie, qu’elle soit spirituelle ou sociétale, à des Degrés ou Grades divers, et peut-être même les deux à la fois car, en somme, qu’importe l’option générique d’une Loge, spirituelle ou sociétale, la frontière étant poreuse et cette option non suffisante pour l’insérer dans une catégorie, ce qui serait réducteur.

En outre, des échos de la vie quotidienne, il apparaît que la Franc-Maçonnerie est mal comprise ou qu’elle engendre malaise et questions, bien que les ouvrages ne manquent pas pour l’expliquer et la décrire[15], même pour en dévoiler les rituels, les symboles, son histoire ou encore notamment diverses analyses pertinentes ou tenant de la désinformation.

Bien avant 1717, des Loges maçonniques se développent sans fastes et sur des bases de solidarité, de symbolisme confidentiel puisé et enrichi, et de réception entre personnes de milieux différents ; il n’était pas question d’initiation au sens actuel.

Le fonctionnement rituel s’est modifié au gré du temps ; la franc-Maçonnerie a trouvé une recette pour se propager au sein d’une société en mutation en privilégiant la paix religieuse, le dépassement des clivages.

En cette société initiatique prisée et innovante, la tradition, l’alchimie de soi, l’amélioration des connaissances, la spiritualité, la gnose, l’altruisme, la fraternité et le sentiment de contribuer à s’éclairer et à éclairer furent vite mêlées à une histoire composée de manière attractive pour donner de la profondeur à la Franc-Maçonnerie sur le fond et sur la forme, ce qui l’a enjolivée et a permis son expansion rapide.

Malgré le succès de cette société élitiste, début du XVIIIe siècle, les premiers déchirements apparurent entre mouvances dites obédientielles pour divers motifs qui ont tenu à la fois de l’intolérance, de la méfiance, des pratiques religieuses et de la perception qu’en avait le pouvoir politique.

Il était bon d’en être néanmoins, mais pas aux yeux de tous.

Cette Franc-Maçonnerie dite spéculative, s’est progressivement ouverte et étendue. Elle a pu générer la notion interne de méritocratie sans remettre en question les positions sociales profanes de ses membres et leur statut ; elle a initié un phénomène de rayonnement et promotion des idées des Lumières tout en s’appuyant sur une Tradition dont les balises furent tant rappelées sur base de vieux écrits et de légendes outre que dessinées comme un costume d’apparat.

La Franc-Maçonnerie, issue du désir de rayonner et de propager les idéaux notamment des Lumières, s’est très vite heurtée au « pouvoir du prince » qui, ci et là, a su comment l’apprivoiser, l’interdire ou l’encourager.

Les Maçons et les Maçonnes de ce XXIe siècle sont les architectes de l’espoir… Ce que l’esprit constructif, respectueux et libre peut engendrer donne à rêver.

L’Homme de bonne volonté, l’amoureux du beau du bien et du juste, celui à qui appartient la vérité parce qu’il la cherche, qui n’entend accepter que ce qu’il a librement consenti après l’avoir passé par le tamis de son libre-arbitre constructif, altruiste et solidaire, ne se doit-il pas avant tout à lui-même de respecter et de pratiquer une éthique, de la cultiver et d’en être contagieux[16] ?

« Tout édifice est une pensée », écrivit Victor Hugo, dans Notre Dame de Paris.

La Franc-Maçonnerie moderne est-elle vraiment en danger de l’intérieur ? L’édifice pourrait-il s’écrouler et imploser à terme ? En avons-nous les remèdes ?

Ces questions seront abordées et nul ne peut douter que les Obédiences trouveront les réponses aux grands enjeux maçonniques de l’avenir, entre leur fonctionnement, les difficultés qui se posent, la question de l’extériorisation et celle de l’alliance de la tradition et de la modernité.

 

Philippe Liénard.

[1] Hugues Berton et Christelle Imbert, Les Enfants de Salomon, approches historiques et rituelles sur les compagnonnages et la franc-maçonnerie, Éditions Dervy, Paris, 2015.

[2] Robert Stevenson, Les Premiers maçons, Éditions Ivoire Clair, Paris, 2000 ; Alexander Lawrie et Claude Antoine Thory, Histoire de la franc-maçonnerie et de la Grande Loge d’Écosse, Éditions Ivoire Clair, Paris, 2001.

[3] Roger Dachez, L’Invention de la franc-maçonnerie, Éditions Vega, Paris, 2008.

[4] Paul Naudon, Histoire générale de la franc-maçonnerie, Éditions Office du Livre, 1987.

[5] Philippe Liénard, Histoire de la Franc-Maçonnerie belge, trois siècles d’existence « influente » ? Editions Jourdan, Paris, 2017.

[6] Daniel Beresniak, Demain la franc-maçonnerie, Éditions Tredaniel, Paris, 1994.

[7] Bruno Étienne, La Spiritualité maçonnique, Éditions Dervy, Paris, 2006.

[8] Philippe Liénard, Mais que font les Francs-Maçons en Loge, Editions Jourdan, Paris, 2016

[9] Michel Barat, La Conversion du Regard, Éditions Albin Michel, Paris, 1992.

[10] Francis Baudoux, La Franc-maçonnerie, psychothérapie de groupe pour gens dits normaux, Éditions Labor, Bruxelles, 2004.

[11] Ibidem.

[12] Marcel Bolle de Bal, La Fraternité maçonnique, Éditions maçonniques de France (EDIMAF), Paris, 2001.

[13] Philippe Liénard, Opus Dei, histoire et pouvoir réel, Editions Jourdan, Paris, 2018.

[14] Philippe Liénard, Illuminati, au-delà de la théorie complotiste, la réalité, Histoire, Editions Jourdan, Paris 2018

[15] Pierre Buisseret et Jean-Michel Quillardet, Initiation à la franc-maçonnerie, Éditions Marabout, 2007.

[16] Philippe Liénard, article relatif à l’éthique maçonnique, Revue Le Maillon, Paris, 2018

L’émergence des nouveaux conservateurs

Le Centre interdisciplinaire d’Étude des Religions et de la Laïcité (ULB) a récemment reçu Pascale Tournier, rédactrice en chef adjointe au service actualité de La Vie, auteure d’une enquête d’un an au cœur de la Nouvelle droite et de l’ouvrage Le vieux monde est de retour (Stock). Une occasion de la  rencontrer et de lire son exceptionnel essai.

Le vieux monde est de retour est un essai de plus de 260 pages, documentées avec une précision chirurgicale, qui débute par le récit d’une réunion de l’élite parisienne de droite, en septembre 2017, dont l’un des responsables clama : « Nous avons vocation à reconstruire la droite sur le plan culturel et politique. Nous devons être les sentinelles d’une civilisation vivante qui ne se défasse pas. Ce qui nous anime n’est pas un désir de vengeance, mais un esprit français grave et léger, chevaleresque et frondeur, avec l’espérance chevillée au corps. »

Quelque trois cents personnes assistaient à ce rassemblement : des anciens de l’UMP, des fillonistes, des LR, des identitaires ultras, des adhérents de l’Action française, des participants de la Manif pour tous, des membres de mouvements catholiques conservateurs, des constitutionnalistes et royalistes et même Marion-Maréchal-Le Pen venue voir des amis, prétendit-elle.

Selon Pascale Tournier, l’auteure de cette remarquable enquête au cœur des nouveaux conservateurs, il s’agissait d’une démonstration de force de la nouvelle génération de jeunes conservateurs : « J’ai écrit ce livre, inspirée par la primaire de la droite aux dernières présidentielles. En tant que journaliste politique à « La Vie », j’ai vu l’intérêt de la montée en puissance à l’égard de François Fillon, un politique qui séduisait de nombreuses personnes proches de la manifestation contre le mariage pour tous, des chrétiens d’Orient et d’intellectuels conservateurs, un François Fillon qui, en plus, tenait des mots assez durs par rapport à Mai 68…, bref, un large spectre couvert à droite. J’ai aussi constaté que des jeunes étaient particulièrement intéressés et qu’ils avaient une conscience politique assez forte formant une droite décomplexée. » 

Pascale Tournier

Durant une heure, Pascale Tournier donna une description plus affinée de cette droite décomplexée : « Il faut tout d’abord différencier la pensée réactionnaire de la pensée conservatrice qui concerne surtout des libéraux-conservateurs, anciens chevènementistes issus de la gauche, des catholiques attachés aux traditions chrétiennes, à la famille, des écologistes de droite qui ont parfois des points d’accroche avec l’extrême gauche, certains étant sensibles aux problèmes posés par l’islam et les réfugiés… Cette génération est souvent née après la chute du Mur de Berlin, donc le clivage gauche-droite ne l’intéresse guère. »

Baptême de Clovis vs Révolution de 1789 

Le livre, quant à lui, évoque également des « anarchrists », des dandys de droite, tories à la française (ou belge), identitaires et bioconservateurs, des antimodernes et déclinistes, des légitimistes ou traditionalistes. Ses trentenaires et quadragénaires sont des gens « qui ne lâchent rien et forment une vraie lame de fond prêts à imposer leur vision du monde et de l’homme. Une vision évolutive de la tradition et, surtout, faire de la politique avec davantage d’éthique. »

Ces gens brouillent allègrement les cartes entre droite traditionnelle et droite extrême, souligne encore l’auteure. Par jeu, provocation ou vraie conviction, celle de déboulonner les statues du progressisme et de l’universalisme de gauche ?

Ces « soixante-huitards à l’envers », comme les nomme Pascale Tournier, représentent « une pensée alternative qui s’installe durablement et qui est révélatrice d’une mutation idéologique à l’œuvre dans la jeunesse française ».

Bref, le vieux monde est bien de retour ! Attend-il pour autant le retour aux affaires de Marion Maréchal-Le Pen, par exemple ?

« Emmanuel Macron, en homme pragmatique, a très bien compris que la France était moins à gauche qu’à droite, d’où ses messages à cette dernière afin d’élargir son socle… même aux monarchistes ! Il a ouvert la voie qu’un homme seul pouvait arriver au pouvoir. Pourquoi une femme comme Marion Maréchal-Le Pen n’y arriverait-elle pas ? » expliqua la conférencière. 

Néanmoins, si le catholique ne veut pas du FN (devenu Rassemblement national), cela bouge à cause des attentats, dont le prêtre  assassiné dans son église, à cause des réfugiés aussi…, constate Pascale Tournier dans son essai. Cependant, si l’opportunisme rebute ces nouveaux conservateurs, ne pourraient-ils pas fantasmer sur les idées de la nièce de Marine Le Pen ?

Le livre comporte douze chapitres et soyez assurés qu’il aborde les questions fondamentales sur l’émergence assez prononcée ces derniers mois de la Nouvelle droite. Cet essai se révèle donc être un document exceptionnel. Peut-être prémonitoire, puisque, je cite à nouveau, « ces indignés de droite touchent à tout, explorent, repoussent les limites, triangulent, sans complexe et sans tabou, à gauche ou à l’extrême droite qu’ils préfèrent d’ailleurs appeler droite extrême », comme ils innovent un vocable bien spécifique s’appuyant sur une réalité idéologique construite : « déconstruction anthropologique » pour le mariage pour tous, par exemple.

Alors que depuis plus d’un an, le président Macron paraît être sur tous les fronts et de tous les commentaires (réception « monarchique » de Poutine à Versailles, poignée de mains virile avec Trump, rencontres soutenues avec Merkel, attitude du supporter lambda lors du Mondial de foot, quelques propos jugés offensants à l’égard de la classe ouvrière, affaire Benalla…), Pascale Tournier évoque aussi la personnalité d’Emmanuel Macron à travers le prisme d’interlocuteurs de son enquête : « Auteur d’un mémoire sur Hegel et Machiavel dans une première vie, ce chef de l’État surgit avec des références, un paysage intellectuel et un imaginaire de reconquête qui se veut humaniste. Cela n’a pas échappé à ses opposants, qui préfèrent y déceler un simple vernis littéraire. »

Et la laïcité ?

Question très importante abordée lors de notre rencontre à l’ULB : et la laïcité ?

« Sur ce plan, Emmanuel Macron a des convictions profondes. Pour lui, la République doit dialoguer avec les religions ! » 

J’interviens : « Ce qui me semble contradictoire avec le concept de la séparation de l’État et des religions ! Qu’il rende hommage à Johnny Hallyday sur le parvis d’une église, c’est plausible, mais à l’intérieur de l’édifice religieux sa présence n’est-elle pas contraire au concept que je viens d’énumérer (on a le même cas d’espèce avec le gouvernement belge qui assiste au Te Deum en l’honneur de la monarchie, par exemple) et puis, convoquer des imams, rabbins, prêtres… pour discuter de problèmes et dispositions à prendre en matière de société, n’est-ce pas aussi une ingérence du religieux dans les affaires de l’État ? »

Réponse de Pascale Tournier : « Le président Macron est aussi décomplexé à ce propos : la neutralité de l’État n’empêche pas le dialogue et de requérir l’expertise de religieux, selon lui… » 

La conclusion de l’auteure de son ouvrage est assez explicite : « Si le courant conservateur n’est pour le moment pas une alternative solide, il reste, pour le pouvoir en place, un frein, une menace, un aiguillon. Naissance d’un contre-pouvoir. »

Pierre Guelff

Auteur, chroniqueur radio et presse écrite