La démocratie et la liberté ? Mais de quoi parle-t-on ?

 Michel Van den Bremt, Criminologue ULB

« Democracy is two wolves and a lamb voting on what to have for lunch. Liberty is a well-armed lamb contesting the vote. » (B.Franklin)

Lorsque l’on se met à évoquer ou simplement  à réfléchir à la notion de démocratie ; son état, son avenir,  ou les dangers qu’elle encourt, on en vient immédiatement à élargir le sujet.

La confusion nous guette.

Ainsi, pour beaucoup d’entre nous, le mot « démocratie »sera inévitablement lié au beau mot  « liberté », liberté qui souvent sera protégée par la démocratie elle-même.

Et ce lien va souvent nous induire en erreur lorsqu’il s’agira de voir si un danger pèse sur nous.

Revenons-en donc à la définition de la démocratie : Doctrine politique d’après laquelle la souveraineté doit appartenir à l’ensemble des citoyens. Organisation politique dans laquelle les citoyens exercent cette souveraineté (Le Petit Robert). Le suffrage universel est donc la démocratie elle-même (Lamartine).

Ou encore la définition d’Abraham Lincoln Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Cette dernière  introduisant une nouvelle confusion : la notion de citoyen étant plus étroite que celle de  peuple. Ainsi, par exemple, les résidents non-nationaux feront partie du peuple mais n’auront pas forcément  pour autant le droit de vote.

Si l’on s’en réfère à cette dernière définition, on est amené à constater que la démocratie dont nous sommes fiers, à juste titre, n’est finalement qu’un système instauré très récemment : 1948 en Belgique. A moins bien, sûr, de considérer que les femmes ne sont ni citoyennes, ni partie du peuple. Pourtant, malgré sa jeunesse,  plus personne ne semble, du moins sous nos latitudes, sérieusement remettre en cause ce système.  Mieux, au niveau mondial, la démocratie semble encore se répandre, certes dans une acception parfois incomplète ou imparfaite mais le fait est là. La question de la remise en question ou pire de la disparition de celle-ci ne semble donc pas d’actualité. Mais à force de la croire définitivement établie, et de ne plus rien remettre en question, nous risquons de mettre en péril la liberté que la démocratie devrait protéger.

En effet  les événements qui émaillent, tant le siècle passé, que notre présent nous montrent à souhait que la démocratie est une condition nécessaire mais certainement non suffisante à la liberté et à l’égalité des peuples.

Déjà nous connaissons deux formes de démocratie :

Premièrement la démocratie directe, celle qui le plus souvent utilise le référendum comme moyen d’expression. Indéniablement elle est la plus « démocratique » dans le sens ou le citoyen y exprime directement son opinion sur un sujet spécifique.

Mais sommes-nous vraiment tentés par cette expérience ? Que dire du récent référendum britannique sur le BREXIT qui fut guidé par les mensonges des élites et de la presse mais aussi par la xénophobie et le racisme ordinaires. Au moment où  j’écris ces lignes les nouvelles d’Angleterre ont de quoi inquiéter les amateurs de liberté et de démocratie!

Déjà, au lendemain du vote, des commerces gérés par des  « étrangers » voient leurs vitres brisées, sinistre rappel, peut-être, d’événements similaires en novembre 1938 en Allemagne. Et maintenant les attaques verbales ou écrites se multiplient contre la « vermine polonaise » ou les musulmans…

Moins récent  mais non moins vrai, nous pourrions aussi évoquer la suppression de la peine de mort en France dont tous s’accordent à dire qu’elle n’aurait eu aucune chance en cas de référendum. Mais un homme, un élu, a eu lui le courage de mener le projet à son terme.  De même nous pourrions citer le combat de Simone Veil pour  la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Ou encore le fait que le vote féminin fut refusé aux citoyennes suisses durant de longues années…

Pas forcément très tentant tout cela non ?

Deuxièmement la démocratie  représentative ;  la seule que nous connaissons en Belgique. L’expression du peuple se fait via un scrutin et l’envoi au parlement de représentants élus, auxquels il confie la responsabilité de le représenter. Cette forme de gouvernement nous a portés où nous sommes. La démocratie indirecte est très certainement le seul système que « l’Honnête homme » puisse envisager. Mais malheureusement, même cette forme plus élaborée de démocratie, nous le savons tous, ne nous garantira pas plus la liberté que l’égalité ou les droits sociaux. Du moins sans la vigilance citoyenne.

Pourtant, aujourd’hui, cette vigilance, semble perdre de son acuité.

Est-ce dû à la crise, ou aux changements sociétaux, ou encore à la mondialisation… les menaces, non pas sur le système démocratique, mais bien sur les libertés viennent de partout.

Les pays de l’est de l’Europe, à peine sortis de la dictature communiste, semblent  vouloir se jeter tout droit dans les bras de l’extrême droite : nationalisme exacerbé, rejet des étrangers, violences sur les réfugiés, sans parler du retour des « valeurs traditionnelles »  du passé dont on connaît le caractère progressiste…

Notons que l’on retrouve largement le même type d’attitude chez les électeurs de plus en plus nombreux du Front National en France, Pegida en Allemagne ou du « Partij Voor de Vrijheid » aux Pays-bas pour n’en citer que quelques-uns.

Les acquis du dernier siècle sont-ils en passe de s’étioler ?

La liberté de circulation des citoyens est remise en cause, non plus seulement pour bloquer « les hordes » d’affamés venues du tiers-monde mais aussi, et c’est nouveau, celle des citoyens européens eux-mêmes. Même l’accueil des réfugiés, victimes de guerre, est remise en cause. Qu’en auraient pensé les Belges qui en 1914 et en 1940 se replièrent en France devant la poussée de l’envahisseur ?

Pour faire bon poids disons que plus près de chez nous, un ministre démocratiquement élu, propose d’espionner  téléphones et ordinateurs des demandeurs d’asile. C’est vrai que, d’après lui, ils sont menteurs ces gens-là !

Notons aussi que le fait religieux s’immisce à nouveau de plus en plus dans la vie politique. Grâce, malheureusement, à la complicité objective d’une partie de nos politiques (dans ce cas-ci de gauche et de droite) qui « d’accommodements raisonnables » en petites compromissions bradent la liberté et la laïcité par calcul ou naïveté.

Ici les droits des femmes, notamment, sont sérieusement menacés. Dans de nombreux pays les attaques contre le droit à l’avortement deviennent de plus en plus fréquentes. La femme se voit menacée dans son droit à l’éducation, sa liberté de s’exprimer ou simplement de se vêtir comme elle l’entend. La pression sociale est maximale.

De même, un procès récent le montre, le droit à l’euthanasie est également contesté.

Sans parler bien sûr des LGBT. Rappelons-nous l’épisode du mariage pour tous en France. Quelle ne fut pas notre surprise devant la puissance des forces réactionnaires sur ce sujet !

Le système éducatif, qui fut longtemps le principal espoir en un avenir meilleur, et le meilleur garant de la défense des libertés pour les progressistes de tous bords, subit de plus en plus d’attaques. Désinvestissement des Etats, manque de volonté politique, voire privatisations sont autant de menaces.

Enfin ce qui est, je pense la menace la plus importante :

Le fait que la classe politique dans son ensemble semble avoir accepté l’inéluctable « Loi du Marché ». De gauche à droite personne ne remet plus en cause « la main invisible ». De nos jours, quel gouvernement ne se plie pas aux diktats des multinationales ? La menace des délocalisations suffit à arrêter toutes les politiques sociales, la seule application juste des lois fiscales suffit à rendre « Le Marché » ombrageux !

Les droits des travailleurs ? Le marché, la concurrence…vous comprenez bien sûr !

L’éducation, la culture, la justice…. Trop cher ! La loi du marché.

Les droits humains, l’accueil des réfugiés….. Combien ça rapporte ?

« La démocratie est le pire des régimes – à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le passé. » (Democracy is the worst form of government – except for all those other forms, that have been tried from time to time.)  disait Winston Churchill et finalement cela reste bel et bien d’actualité et elle, ainsi que nos libertés, mérite plus que jamais toute notre attention.

Alors sale temps pour la démocratie ? Ou plutôt avis de tempête sur les libertés ?

Originellement paru dans ML 192

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