Fake Fake Fake

Elles sont partout, elles courent, elles rampent, elles polluent nos cerveaux et mènent le monde à sa perte. Qui, elles ? Les Fake News…

Popularisé par Donald Trump, le concept de Fake News recouvre deux réalités différentes en Belgique/France et aux USA. Au pays de l’Oncle Donald, une Fake News est essentiellement une information qui déplaît à l’ex présentateur de téléréalité et à ses supporters, qu’elle soit vraie ou fausse. Et on remarquera que Trump n’est pas le dernier à propager des informations qui s’avèrent au moins contestables lorsqu’elles servent ses intérêts…

En traversant l’Atlantique pour atterrir en Belgique et en France, le concept s’est transformé après sa reprise par les médias dominants (presse écrite, radio, TV) en une dénonciation de la multiplication de « fausses nouvelles » via Internet, ses sites web et ses réseaux sociaux. Et nos chers médias de multiplier les mises en garde contre tous les « faussaires de l’information » et de la nécessaire utilité de leurs diverses chartes rédactionnelles qui protégeraient, telles une muraille de Chine virtuelle, le public contre tout mensonge et toute inexactitude.

Mais sont-ils les mieux placés pour prendre la posture du donneur de leçon désintéressé ?

Un peu d’histoire

7 mai 1927. L’ « Oiseau blanc », piloté par Nungesser et Coli, décolle du Bourget afin de réussir le premier vol transatlantique sans escale Paris-New York. Le 10 mai, La Presse, quotidien populaire fondé en 1836 et dont l’ambition première était de devenir le Times français, poursuivant le scoop, titre « Nungesser et Coli ont réussi ! ». Malheureusement pour ce journal, les deux aviateurs n’ont jamais atteint New York et ont disparu quelque part au-dessus de l’Atlantique[1]. Le titre ne s’en relèvera pas.

Plus près temporellement de nous, en 1989, la ville roumaine de Timisoara devient célèbre du jour au lendemain suite à la découverte d’un charnier qui aurait contenu les corps de victimes du régime de Ceaușescu, le dictateur local.  Wikipedia[2] reprend quelques-uns des titres qui fleurirent alors en France :

  • TF1 : « Ceaușescu, atteint de leucémie, aurait eu besoin de changer son sang tous les mois. Des jeunes gens vidés de leur sang auraient été découverts dans la forêt des Carpates. Ceaușescu vampire ? Comment y croire ? La rumeur avait annoncé des charniers. On les a trouvés à Timișoara. Et ce ne sont pas les derniers ».
  • Le magazine L’Événement du jeudi du 28 décembre 1989 titre même : « Dracula était communiste ».
  • Le quotidien Libération avec Serge July titre « Boucherie ». On y lit : « Timișoara libéré découvre un charnier. Des milliers de corps nus tout juste exhumés, terreux et mutilés, prix insupportable de son insurrection. »
  • Le Monde félicite La Cinq d’avoir « révélé l’horrible charnier des victimes des manifestations du dimanche précédent ? »

Malheureusement, les corps exhumés n’avaient aucun rapport avec la révolution roumaine… et Ceaucescu, malgré ses nombreux défauts, n’était pas un héritier du personnage de Bram Stocker.

Plus près encore, la récente mort et résurrection en moins de deux jours (tout va plus vite désormais…) d’un journaliste russe vivant en Ukraine victime des machinations du Kremlin a fourni quelques beaux exemples de fake news en série…

Fake News partout…

On pourrait multiplier ainsi les exemples célèbres de « Fake News », mais il est très facile de se rendre compte que certains médias n’hésitent pas à abreuver leurs lecteurs d’informations mensongères.  En témoigne la capture d’écran ci-dessous[3] :

L’utilisation d’un logiciel qui élimine (plus ou moins) les publicités des sites web, entraîne sur le site de certains journaux, l’apparition d’un texte, là où un lecteur qui ne filtre pas les contenus visibles sur son navigateur verrait une vidéo.

En cinq lignes, la société qui fournit cet anti bloqueur de pub, parvient à asséner quelques affirmations dont l’une en tout cas est clairement un mensonge, et ce avec l’assentiment de ses clients.

Ainsi, si la phrase « Un problème empêche la lecture de cette vidéo » n’est pas réellement fausse, elle insinue que le problème provient de l’internaute, alors que le problème provient surtout de la présence d’un script anti-adblock[4]. Sans celui-ci, la vidéo se diffuse évidemment sans aucune difficulté… On appréciera également l’hypocrisie du « peut-être » de la phrase suivante « Il s’agit peut-être d’un Adblocker », ce texte n’apparaissant que si on bloque les publicités. « Le cas échéant, vous devez le désactiver pour ce site » ment par omission, puisque le site en lui-même est parfaitement lisible avec un adblocker, seules les vidéos étant « censurées »[5].

La phrase suivante atteint quant à elle une sorte de sommet de la « Fake News » : « Pour rappel, la publicité est notre seule source de financement ». La publicité, seule source de financement ? De la part d’un quotidien qui a reçu en 2012 près de 1,3 millions d’euros de la Fédération Wallonie Bruxelles au titre de l’aide (annuelle) à la presse[6], c’est plutôt gonflé[7]. Sans compter bien évidemment les ventes qui, dans le cas du Soir, sont de près de 60.000 exemplaires papier par jour, auxquels il faut ajouter quasi 7.800 exemplaires numériques[8].

Cerise sur la gâteau, toutes les publicités ne se retrouvent pas éliminées par un bloqueur. Ainsi, comme le montre la capture d’écran ci-dessus. Sur la droite de celle-ci apparait en effet une rubrique « Offres privilège Le Soir », qui ne sont qu’une autre manière de refiler un peu de pub au lecteur. Si dans le cas montré, il s’agit d’annonces en provenance du site de petites annonces Vlan (qui appartient à Rossel, également propriétaire du Soir), certaines autres « Offres privilège » vantent un « partenaire » très commercial comme AG (Assurances) ou Drive Now (voitures partagées). Si ce n’est pas de la pub….

Précisons que si nous nous sommes concentrés sur Le Soir, ses concurrents se retrouvent exactement dans la même situation : fournisseurs officiels de Fake News…

Des coupables tout trouvés… ou presque

Selon les médias dominants, la source de toutes les « Fake News » se trouve sur Internet. Et de stigmatiser pêle-mêle les sites d’information alternatifs, « étrangers » ou encore certains réseaux sociaux.

Presse, radios et TV sont malades : leurs ventes/audiences diminuent chaque année au profit d’autres médias. Ce ne serait pas grave si cela n’entraînait également un recul des recettes publicitaires. Or, si la publicité n’est pas la seule source de revenu des médias dominants, elle n’en n’est pas moins leur principale. Ils ont donc tout intérêt à tenter de saper la crédibilité de leurs « adversaires », ce qui reste plus facile que de se remettre en question.

S’il n’est évidemment pas question de minimiser l’apport de ces acteurs à la création et à la diffusion de Fake news, force est de constater qu’à nouveau certains médias font preuve d’une certaine hypocrisie dans leurs condamnations, plus particulièrement lorsqu’ils s’attaquent à la deuxième régie publicitaire au monde, Facebook.

Les réseaux sociaux, et singulièrement Facebook et Twitter, posent à ce titre un challenge de taille. Comment casser ce qui est devenu au fil du temps un partenaire indispensable à la diffusion des médias ? Lorsque Facebook décide de changer l’algorithme de présentation du fil d’actualité de chacun en favorisant les publications d’amis aux dépens des pages extérieurs fournies (entre autres) par les médias, la réaction ne se fait pas attendre : la fréquentation de ceux-ci diminue, ce qui entraîne mécaniquement ou presque une diminution de leurs rentrées publicitaires[9].

Les médias se retrouvent dès lors dans une (nouvelle) situation difficile : mordre la main qui vous nourrit en partie, mais pas trop. Pas facile…

Daniel Leclercq

Rédacteur en chef ML

[1] Depuis 2015 on considère généralement que l’avion s’est écrasé près de St Pierre et Miquelon. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Oiseau_blanc.

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_des_charniers_de_Timișoara

[3] Capturé le 24/4/2018 sur le site du Soir (http://www.lesoir.be/152613/article/2018-04-22/mont-saint-michel-evacue-lindividu-suspect-reste-introuvable-le-site-rouvert-au)

[4] Tel que celui proposé sur https://blockadblock.com

[5] Il existe d’autre scripts qui traquent les adblocks et verrouillent alors toute consultation d’un site tant que le bloqueur de pub n’a pas été désactivé.

[6] http://gouvernement.cfwb.be/7365000-pour-la-r-partition-des-aides-la-presse-quotidienne-crite-francophone

[7] Sans compter les aides indirectes, pour un tour d’horizon de celles-ci, voir le journal en ligne « Apache » : https://www.apache.be/fr/2013/08/23/la-presse-belge-obsedee-pas-les-subsides-loupe-sa-revolution-numerique/

[8] Source : http://www.cim.be/fr/presse/presse-authentication-reports

[9] Voir, par exemple, https://digiday.com/media/promised-facebook-traffic-news-publishers-declines-post-news-free-change/