ONG : une question de morale et de conscience !

De récents scandales au sein d’Organisations non gouvernementales (ONG) ne doivent pas jeter l’opprobre sur l’ensemble de ces structures. Comme pour toutes les composantes sociétales, les amalgames ne sont pas de mise. Certes, la vigilance s’impose et c’est surtout à la morale et à la conscience des acteurs d’ONG qu’il est fait appel. Ou rappel fondamental.

Une ONG est une association à but non lucratif qui ne relève ni d’un État ni d’une institution internationale. Elle est considérée comme une personne morale, d’intérêt public, indépendante financièrement et politiquement[1]. Ses objectifs sont variés et tendent principalement d’apporter secours et assistance, aide et expertise aux plus défavorisés et précarisés de la planète, voire à venir à la rescousse de ceux qui sont en danger de mort. Historiquement, la création des ONG remonterait à la première moitié du XIXe siècle, mais elles trouvèrent leur pleine éclosion un siècle plus tard, comme le confirme une référence de ce concept dans la Charte des Nations Unies[2].

Près de soixante ONG ont une vocation internationale[3] (Amnesty International, CIO, Emmaüs, Croix-Rouge, Croissant-Rouge, Greenpeace, Handicap International, Lions Clubs, Médecins du Monde, Médecins sans frontières, Mouvement international de la réconciliation, Reporters sans frontières, Rotary, OXFAM, WWF…) et, en Belgique, certaines sont fédérales, régionales ou s’inscrivent dans le réseau international. Leurs buts sont variés et vont du soutien aux pays les moins avancés à celui aux populations vulnérables. Elles sont une centaine (Action Damien, Entraide et Fraternité, Îles de Paix, Service Laïque de Coopération au Développement, ULB Coopération, Via Don Bosco…), et reçoivent leurs moyens de différents organismes publics et de la population, pensons aux actions CNCD 11.11.11, Caritas, Oxfam solidarité, SOS-Faim…[4]

Le bon grain et l’ivraie

Parfois, il en va tout autrement sur le terrain de ces principes. Ce qui est éminemment préjudiciable à la réputation des ONG en général et se répercute sur les dons qu’elles perçoivent, donc, par corollaire, sur le soulagement à apporter à tant de gens qui (sur)vivent dans la précarité.

Ainsi, quelques  récentes « affaires » ont davantage attiré l’attention de millions de citoyens sur les turpitudes de membres d’ONG plutôt que sur l’immense travail développé par ces associations aux buts humanitaires. Exemple parmi d’autres avec les viols qui auraient été commis par des employés d’Oxfam au cours de missions au Soudan du Sud, d’abus sexuels au Liberia, à Haïti, aux Philippines, au Bangladesh, au Népal… ce qui entraîna des licenciements pour fautes graves de plusieurs membres de l’ONG, mais, réaction immédiate, 7 000 personnes ont interrompu sur-le-champ leurs dons ! Il a aussi été dévoilé d’éventuelles orgies de la part d’un ONGiste belge avec de jeunes prostituées, des « comportements sexuels inappropriés »…

Dans la foulée à cette information du Monde[5], Le Figaro[6] titra : « Après Oxfam, la longue liste des ONG secouées par les scandales sexuels » : Médecins sans frontières, la Croix-Rouge, l’UNICEF, l’International Rescue Committee, Save The Children, Mines Advisory Group…, et puis des malversations financières furent rappelées touchant des ONG françaises, jusqu’à la création d’associations fictives pour handicapés, de détournements de fonds, d’activités scélérates, sectaires, voire criminelles… dans des ONG européennes et américaines.

Comme conclut Marc-Antoine Pérouse de Montdos, politologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) : « Il y va de la crédibilité du mouvement humanitaire »[7].

Témoignages de terrain

Justement, l’objectivité recommande d’évoquer la crédibilité dudit mouvement humanitaire avec ce premier témoignage pour la revue de la FAML, celui de Brigitte Petre, ex-infirmière : « Il y a quelques années, j’ai été au Tibet avec Médecins sans frontières, dans un projet qui comprenait trois volets : soins de santé, kiné (maladie de Kashin Beck) et sanitation – approvisionnement en eau. J’ai travaillé dans la partie médicale : formation de superviseurs, amélioration de l’approvisionnement en médicaments, tant allopathiques que traditionnels tibétains et chinois. Pour les Tibétains, c’était tellement important d’avoir des contacts avec des étrangers, que le monde ait de l’attention vers eux. »

On se doute que les scandales qui secouent parfois des ONG ne plaisent pas du tout à ceux qui ont eu un comportement respectueux d’autrui et éthique. Alors, revenons-en à la vocation de ces associations, Brigitte Petre ayant aussi travaillé en Amérique latine et en Afrique : « Les ONG ont un rôle important dans le monde, si possible en dehors des enjeux de géopolitique internationale. J’aime beaucoup cette conception permettant le contact entre les pays, les populations… L’élan du coeur et la réflexion-discernement du sens de ce que l’on fait (enjeux personnel, des ONG, des autres acteurs humanitaires, des pays qui nous accueillent…), c’est, je pense, vraiment important.  Ces expériences de vie et de projet m’ont sérieusement ouvert l’esprit à la complexité des relations internationales, personnelles, institutionnelles…, à la différence, et, donc, à la tolérance aussi. »

Autres témoignages de terrain : lorsque durant deux années (1969 à 1971), j’étais coopérant technique en Algérie, j’avais déjà pu constater certains « abus ». Ainsi, des membres d’ONG percevaient, à travail égal, des salaires triples voire quadruples, bénéficiaient de logements de fonction, empochaient des primes à tire-larigot. Pour maints Algériens, ces ONGistes-là étaient considérés comme des néo-colonialistes sans morale ni conscience. Heureusement, ils étaient minoritaires parmi les centaines d’hommes et de femmes qui, au titre de l’objection de conscience, du service civil, d’aide au développement, par engagement humanitaire, philosophique ou religieux, par idéal social…, ne relevaient pas de cette catégorie de « profiteurs ».

Larbi Adouane[8], Kabyle ayant vécu la guerre d’Algérie dans sa jeunesse, fut l’un de mes collègues et, en fervent adepte de fraternité universelle, admet qu’il ne faut absolument pas opérer d’amalgames : « À l’indépendance, nous avons rêvé d’une Algérie prospère et puissante. L’État a mis des moyens colossaux pour créer des PME et des PMI et, surtout, pour résorber le chômage qui sévissait de plus en plus dans le pays. Mais la technicité, le savoir-faire, les compétences ne suivaient pas. Des jeunes devenaient patrons avant de connaître le travail ! »

Implicitement, Larbi Adouane reconnaît que l’apport de coopérants était nécessaire. Mieux, il me fit une confidence à ce sujet : « Mes professeurs étaient souvent des coopérants français et je me souviens très bien de celui de psychopédagogie. C’était une demoiselle qui faisait son travail avec conviction. Elle était férue de Jean-Jacques Rousseau et tenait à nous inculquer ses principes pédagogiques dont la base est que l’éducation d’un enfant doit s’accompagner de l’apprentissage d’un métier. Elle m’a beaucoup marqué. Je suis devenu moi-même un fervent partisan de cet écrivain, philosophe et pédagogue, dont j’ai lu une bonne partie de l’œuvre. »

Larbi Adouane et moi-même restons marqués par Albert Camus qui, quelques années avant nous, avait vécu et sillonné l’Algérie. Un écrivain épris de justice, de liberté, de vérité et du respect de la dignité humaine.

« Il écrivit qu’il avait appris la liberté non pas dans Marx mais dans la misère, et que c’était parmi les gens humbles mais fiers avec lesquels il avait grandi dans le quartier ouvrier de Belcourt, à Alger, qu’il avait découvert ce qui lui semblait être le vrai sens de la vie. Il avait découvert dans la pauvreté sa première expérience personnelle de la solidarité humaine. Pour Camus, les pauvres, contrairement aux bêtes muettes, savaient très bien qu’ils étaient victimes d’injustice, mais leur vie était si exigeante, si accaparante et monotone, et si isolée qu’il leur était extrêmement difficile de trouver l’occasion de s’exprimer sur leur situation critique. C’était là leur tragédie. Cependant, il fallait encourager les pauvres à dire leur histoire dans leurs propres voix authentiquement, et ne plus être ignorés, organisés ou traités avec condescendance par des étrangers mieux nantis, voire fortement compatissants comme lui. Et si ces étrangers ne pouvaient pas parler pour les pauvres, Camus a maintenu que c’était leur devoir de solidarité humaine que de fournir un contexte dans lequel le silence pourrait être enfin rompu. »,selon Veronica C Letemendia. [9] 

En somme, c’est bien à la morale et à la conscience de chacun de s’exprimer et d’agir fraternellement. Membres d’ONG ou non, d’ailleurs.

 

Pierre Guelff

Chroniqueur presse écrite et radio

[1] Définition résumée de Wikipedia, 2018.

[2] Article 71, chapitre 10.

[3] Liste dressée par l’UNESCO.

[4] ACODEV (Fédération des ONG), 2018 et Leguidesocial.be, 2018.

[5] Le Monde.fr, février 2018.

[6] Avec AFP, Reuters Agence, le 25 février 2018.

[7] Cairn.info, 2018.

[8] Enseignant devenu proviseur dans l’enseignement technique, auteur d’ouvrages historiques et sociaux, co-auteur avec Pierre Guelff de « Combats d’un humaniste algérien » à paraître prochainement chez ECED (Éditions Champs-Élysées-Deauville, France).

[9] « La pauvreté dans les écrits d’Albert Camus », Revue Quart Monde, N°215 – Développement durable : avec ou sans misère ? -, 2010.