Philosophie et citoyenneté: état des lieux après une année scolaire dans le primaire

Isabelle Maguaux

Un cours de philosophie et citoyenneté dans l’enseignement primaire et secondaire en Belgique, beaucoup l’ont rêvé : rassembler les enfants dans une même classe pour en faire des citoyens et les amener à développer ensemble leur manière de penser sans clivages religieux, qu’espérer de mieux diraient certains. D’autres l’ont fortement critiqué : ce n’est pas en classe que l’on apprend à devenir un citoyen, surtout pas à raison d’une heure par semaine. Faire de la philosophie avec les enfants ? C’est très prétentieux … Mais nombreux sont aussi ceux qui l’ont craint : les professeurs qui appréhendaient de devoir recommencer tous leurs cours, de se voir imposer un tel changement en fin de carrière et ceux qui redoutaient la perte d’emploi car tout le monde ne rentre pas dans les conditions pour enseigner le cours de philosophie et citoyenneté.

Le sésame pour y avoir accès était d’être titulaire d’un baccalauréat (dans n’importe quelle discipline) pour enseigner en primaire ou en secondaire inférieur et d’un master pour le secondaire supérieur. Il fallait aussi avoir suivi une formation à la neutralité de 20 heures (après 2020, les choses se compliquent ; nous y reviendrons). Tous les professeurs ne disposent pas d’au moins un baccalauréat pour enseigner ? Pas tous mais bien la plus grande majorité. Le problème se trouve ailleurs. Certains professeurs de religion disposent d’un baccalauréat obtenu dans un institut religieux dont le diplôme est reconnu par la Communauté française. Ce diplôme leur permet d’enseigner le cours de religion mais ne leur ouvre pas les portes du CPC.

Pendant des mois, la peur a rythmé la vie de nombreux professeurs, une longue attente depuis l’annonce de l’instauration du cours et l’absence de décisions claires. Dans le primaire, certains pouvoirs organisateurs ont attendu le début octobre 2016 pour fixer le sort de beaucoup d’enseignants. Pour ce qui concerne les professeurs du secondaire, la situation ne semble pas beaucoup plus favorable. Les pouvoirs organisateurs ont aussi eu des craintes quant à l’impact de l’organisation de ce nouveau cours, notamment en termes d’horaires : comment ajouter une heure dans une grille horaire déjà extrêmement complexe ?

Certains de ces pouvoirs n’ont d’ailleurs réalisé les conséquences qu’aurait ce nouveau cours et n’ont donc pas toujours cherché à anticiper et à trouver les solutions aux problèmes qui allaient se poser. A tel point que beaucoup de directions et de professeurs de cours généraux ont émis le désir que les cours philosophiques disparaissent purement et simplement pour faciliter la réalisation des horaires et éviter ainsi l’angoisse qui étreignait, à chaque rentrée, ceux à qui était dévolue cette mission.

Et finalement, les parents qui ont eu eux aussi leur lot de craintes : se voir imposer un professeur de morale ou de religion qui pourrait mettre des idées dangereuses dans le cerveau de leur petite tête blonde, l’absence de professeurs pour donner le cours entraînant une situation instable pour leur enfant. Certains ont parfois regretté la perte d’heures de morale ou de religion et les conditions particulières dans lesquelles les cours se donnaient : un débat avec dix ou quinze enfants est plus constructif qu’à vingt-cinq.

Toutefois, d’autres parents, les plus téméraires, ont sauté à pieds joints dans le nouveau cours et ont signé d’emblée pour les deux heures, inscrivant leur enfant sans même avoir reçu beaucoup d’informations sur le futur cours ni sur le professeur qui le donnerait. D’autres encore, plus informés ont fait ce choix pour permettre à leur enfant de conserver l’enseignant tant aimé mais qui ne pouvait plus dispenser son ancien cours, leur choix ne se portait alors nullement sur la qualité du programme du cours de philosophie et citoyenneté.

Mais finalement, qu’est-ce que c’est le cours de philosophie et citoyenneté ?

Un nouveau cours de rien, de vide ou de vent? Le pendant du cours de cours de citoyenneté existant en France ?
Un cours de philosophie et citoyenneté, c’est un « beau » projet sur papier qui a commencé en octobre 2016 dans le primaire: « un cours où on apprend à penser librement et à forger ses propres convictions, à participer à des débats, à donner son opinion en toute liberté, à apprendre à développer une argumentation et à découvrir celle des autres, quelles que soient ses convictions religieuses, politiques ou autre. »1 Un cours qui rassemble tous les enfants et fait évoluer leur préconception, leur façon de penser pour favoriser le vivre ensemble.

Depuis des mois, on peut lire des articles défendant le cours et d’autres l’attaquant : « il n’y a pas plus de philosophie dans ce projet qu’il n’y a de citoyenneté… », « C’est un cours de morale », « c’est un cours de rien dispensé par n’importe qui… ».

Mais qu’en est-il en pratique après une année scolaire de philosophie et citoyenneté dans l’enseignement primaire?

La qualité des cours de CPC qui sont dispensés est très variable mais est-ce que ce n’est pas également le cas des cours de mathématiques ou de français, tous les professeurs enseignant ces matières sont-ils toujours excellents et motivés ?

En philosophie et citoyenneté, il y a des professeurs très impliqués qui sont boostés par ce nouveau défi et qui multiplient les projets pour faire de ce cours un moment exceptionnel où l’on sort de sa classe pour apprendre à réfléchir et à agir en « bon » citoyen. Il y a d’autres professeurs qui eux ont fait le choix d’utiliser des manuels, qui ne sont pas souvent adaptés aux besoins du cours privilégiant le côté citoyenneté et délaissant la philosophie. Mais il y a de la citoyenneté (il faudra qu’ils s’en contentent) et cela occupe les enfants alors pourquoi chercher beaucoup plus loin. Enseigner la philosophie avec les enfants, gérer des débats, certains ont appris à le faire, d’autres autodidactes se forment sur le tas et d’autres parfois en fin de carrière ou simplement fatigués des conditions dans lesquelles ils travaillent ne sont plus prêts à faire des efforts. Soyons honnêtes, de gros efforts, car en ayant lu le même programme, suivi les mêmes formations en cours de carrières, les professeurs n’arrivent pas à se mettre d’accord : faut-il de la philosophie dans chaque leçon ou est-ce que certaines ne peuvent être que de la citoyenneté? Les professeurs se sentent actuellement bien seuls dans la préparation de leurs cours.

Certains pensent refuser de s’inscrire à la formation et n’auront donc pas le certificat en 2021 ce qui ne leur permettra plus d’enseigner cette matière, ils n’ont donc pas la motivation pour créer des cours, ni la pression de répondre aux attentes d’une inspection qui n’existe pas encore non plus.

La qualité des programmes est également critiquée. Le programme est vaste et propose des thématiques citoyennes à présenter de manière philosophique. Pour avoir été amenée à enseigner différentes matières, des programmes j’ai eu l’occasion d’en lire quelques-uns et j’ai tendance à penser qu’un professeur motivé arrivera à mener ses élèves à devenir des citoyens éclairés, même s’il est vrai qu’il faudra probablement parfois ruser et faire preuve d’imagination. Il faut faire confiance aux enseignants qui sont des gens pleins de ressources.

Des professeurs motivés ou non? Pour certains, l’arrivée du cours de philosophie et citoyenneté a été l’occasion inespérée d’avoir un temps plein dans une seule école mais combien de professeurs sont devenus des nomades qui vont dans 12 écoles à des dizaines de kilomètres l’une de l’autre, combien d’enseignants se rendent dans une école pour une ou deux heures ? Combien d’entre eux passent plus de temps sur les routes que dans une salle de classe ? Le nouveau décret viendra théoriquement mettre de l’ordre en septembre et limiter à six le nombre d’établissements qu’un professeur pourra dispenser son cours pour avoir un horaire complet.

Quid de l’intégration de ces professeurs au sein des écoles et des projets pédagogiques et des 600 noms (24 classes de vingt-cinq enfants) à apprendre quand on les voit moins de 50 minutes par semaine ?

De plus, tous les enseignants qui se sont lancés dans l’aventure ont signé un chèque en blanc pour leur avenir. En effet, tous sont jugés aptes pour enseigner ce cours jusqu’en 2021 mais à cette date butoir, ce ne sera plus le cas et le certificat en didactique de la philosophie et citoyenneté sera requis. Après une année scolaire à enseigner ce cours, personne ne sait encore vraiment en quoi cette formation va consister. La ministre Marie-Martine Schyns a certes envoyé une lettre qui promet un crédit temps de deux heures pour alléger l’horaire de ces professeurs qui vont, tout à la fois, devoir construire leur cours, enseigner et probablement suivre une formation en dehors de leur horaire, c’est-à-dire sur leur temps libre. Le mois de juillet est terminé et les inconnues restent encore bien trop nombreuses : quelles sont les écoles qui vont délivrer le certificat de philosophie et citoyenneté, à quel moment ces cours vont-ils être dispensés : le soir, le mercredi après-midi, le samedi ou par chance pendant les heures de cours des professeurs…, quelles sont les modalités d’évaluation ? Le nombre de places disponibles sera-t-il suffisant ? En effet, les rumeurs parlent de 20 places disponibles seulement par établissement : haute école ou université. Si les choses restent telles quelles, beaucoup de professeurs n’auront pas accès à la formation l’année prochaine, ils y auront accès l’année suivante mais cela signifie enseigner une année supplémentaire sans être réellement formé et ce qui reporte le retour à la « sérénité » d’être administrativement en ordre.

Et qu’en pense le public ?

En lisant les commentaires qui répondent à l’article Cours de philosophie et citoyenneté ou lavage de cerveau ? qui est paru le mercredi 19 juillet 2017 dans la Libre Belgique, beaucoup d’enseignants ont dû ressentir un profond découragement : pourquoi se sont-ils investis avec autant de motivation dans la préparation de ce nouveau cours ? Pourquoi cherchent-ils sans cesse de nouveaux moyens pour intéresser et faire réfléchir leurs étudiants ? Puisque « ce cours ne ressemble à rien et est donné par n’importe qui… », « Cours de citoyenneté. N’importe quoi. Qu’on laisse nos enfants tranquilles avec ces conneries… », « ce cours n’a(urait) de philosophie que le nom et ne sert(virait) qu’à endoctriner les élèves… ».

Certes la presse relaie souvent les critiques et le côté négatif des choses mais cela n’empêche pas de nombreux parents de saluer et d’apprécier le travail effectué durant cette première année.

Des parents que le professeur ne rencontre malheureusement pas assez souvent, puisqu’il ne reste pas dans l’école. Pour que ce projet puisse continuer à être celui que tant de gens ont rêvé, il va falloir que les choses changent rapidement. Qu’on arrête de prendre ces professeurs pour des pions qu’on peut placer et déplacer à sa guise. A qui on peut mentir volontairement ou par manque d’information. Si tous les professeurs croient sincèrement en ce cours et sont prêts à s’y investir corps et âme, l’incertitude, le stress, la fatigue poussent un grand nombre à s’interroger sur leur métier, sur leur utilité, sur leur rôle.

Alors oui, l’année scolaire se termine par deux mois de vacances mais promenez-vous sur des forums enseignants durant cette période estivale et vous constaterez que, quand on aime son métier, il n’y a pas de vacances.

Alors oui, le cours de philosophie et citoyenneté n’est pas parfait, loin s’en faut, 50 minutes par semaine c’est trop peu, des débats à 25 c’est (très) compliqué, mais chers professeurs gardez le cap et continuez à faire de votre mieux. Moi, je vous dis bravo pour avoir tenu un an dans ces conditions difficiles et je vous dis courage pour la suite.

[1] http://deuxheurescestmieux.be/

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