What a wonderful world

Quel monde merveilleux dans lequel des citoyennes risquent la prison et une lourde amende « pour trafic d’êtres humains » après être venues en aide à des migrants.

Le 20 octobre dernier, des agents de la police fédérale débarquent chez trois femmes, des Belges francophones afin de procéder à une perquisition. Deux d’entre elles sont journalistes. Myriam Berghe travaille pour Femmes d’Aujourd’hui, Anouk Van Gestel est rédactrice en chef de Marie-Claire Belgique. C’est complètement ébahies, qu’elles apprennent qu’elles sont poursuivies pour « trafic d’êtres humains » sur 95 personnes, dont 12 mineurs, et considérées comme membres d’une « organisation criminelle ».[1]

Les deux journalistes hébergeaient en effet depuis quelques mois des migrants et répondaient de la sorte à l’appel à solidarité lancé par les différentes plateformes citoyennes.

Le Parquet de Termonde alors en charge du dossier requiert contre les trois femmes de 5 à 10 ans de prison étant accusées  non plus d’association de malfaiteurs, mais, pire encore, d’organisation criminelle. Soit juste en dessous de l’organisation terroriste!

Myriam Berghe a réalisé un reportage dans la jungle de Calais et la détresse de ses « habitants » l’a motivée à agir. Elle a ainsi hébergé 55 migrants à son domicile bruxellois mais refuse catégoriquement d’être considérée comme une trafiquante d’êtres humains. Elle témoigne : « Depuis trois ans, je consacre ma vie à essayer d’aider des gens et je me retrouve poursuivie pour trafic d’êtres humains. C’est infamant. (…) ».[2]

De son côté, Anouk Van Gestel se défend à son tour d’être assimilée à une « trafiquante d’êtres humains ». Pour elle, sa mission était avant toute chose humanitaire.

Selon Alexis Deswaef, l’avocat d’Anouk Van Gestel qui s’exprime dans le magazine Télémoustique,  il s’agit d’un procès politique.  « Tout cela montre le dysfonctionnement de l’organe répressif. On criminalise à tout-va et on ne fait plus la distinction entre trafiquants, migrants et hébergeurs solidaires. Ce qui revient à utiliser la justice au service de la politique migratoire. »

Au niveau légal, Alexis Deswaef explique dans le magazine Politis que le « délit de solidarité n’existe pas en Belgique » et que « l’exception humanitaire est beaucoup plus large qu’en France ». La loi précise toutefois qu’aider un étranger à l’entrée, au séjour ou en transit sur le territoire ou vers un autre état membre de l’EU est punissable. « Mais si cette aide est apportée à titre principalement humanitaire, l’alinéa 1er ne s’applique pas « , précise-t-il. « Leur condamnation serait un non-sens juridique ».

Les accusées risquent jusqu’à 10 ans de prison et une amende de trente-huit mille euros.

Instruite à Termonde, l’affaire sera finalement à Bruxelles, la plupart des accusés étant francophones.

L’espoir que formule la défense est que le dossier pourra être traité avec plus de sérénité et que l’on pourra faire la distinction entre des citoyennes solidaires « qui ne peuvent être poursuivies » et des trafiquants d’êtres humains.

Ce premier jugement en Belgique pourrait bien faire jurisprudence dans un contexte tendu de politique migratoire et d’intensification de la répression policière envers les migrants. En début d’année, un projet de loi visant à autoriser les visites domiciliaires en vue d’arrêter une personne en séjour irrégulier sur le territoire belge, et cela jusque chez les personnes qui les hébergent par solidarité, avait suscité de nombreuses réactions et divisé au sein même de la majorité.

La justice française quant à elle n’hésite pas à condamner les citoyens qui n’écoutant que leur cœur, viennent en aide aux migrants. Ainsi, l’agriculteur Cédric Herrou figure emblématique de la désobéissance civile, a écopé en appel, d’une condamnation à quatre mois de prison, certes assortie de sursis, pour «  délit de solidarité ».

La condamnation de Cédric Herrou symbolise aujourd’hui les travers les plus marquants de la loi Asile et immigration, note le maire de Grenoble qui a tenu à mettre l’agriculteur à l’honneur en lui décernant la médaille de la ville.[3]

La loi a été assouplie et ne permet plus de sanctionner les militants qui apporteraient des soins, un hébergement et de la nourriture aux migrants sans qu’il y ait de contrepartie lucrative.

D’autres militants des droits de l’homme sont également en attente de leur comparution devant le tribunal correctionnel et parmi eux notamment cette retraitée de 72 ans, membre d’Amnesty International. Elle risque jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et trente mille euros d’amende.

Les municipalités qui organisent des actions collectives pour accueillir des réfugiés encourent quant à elles un risque pénal.

Quel monde merveilleux dans lequel un secrétaire d’Etat à l’Asile et aux Migrations suggère ni plus ni moins que de contourner l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit la torture et les traitements inhumains et dégradants, pour refouler les bateaux de migrants.

Plusieurs partis francophones d’opposition se sont insurgés mardi contre cette proposition, obligeant le cabinet du secrétaire d’Etat à atténuer ses propos.

Dans des interviews en marge d’une réunion à Luxembourg des ministres européens en charge des questions migratoires, M. Francken a plaidé une nouvelle fois pour la réinstauration des refoulements des bateaux chargés de migrants. « Les ‘push-backs’ étaient pratiqués en Europe avant leur interdiction par la Cour européenne des Droits de l’homme en 2012 en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme dont la Cour donne une interprétation fort large, a-t-il indiqué.[4]

De plus en plus décomplexée, la N-VA ne rate pas une occasion de montrer son absence d’empathie envers les populations les plus vulnérables.

Quel monde merveilleux dans lequel Mawda, une petite fille de deux ans perd la vie touchée par une balle tirée par un policier. Alors qu’ils fuyaient la guerre et tentaient d’offrir à leurs enfants une vie plus sûre, les parents, une fois le véhicule intercepté, ont immédiatement été placés en détention et, non seulement n’ont pu accompagner leur enfant dans ses derniers instants, mais ont été rendus responsables de sa mort.

Les parents de Mawda ne sont pas que des victimes, mais portent aussi une responsabilité dans cet évènement tragique déclare cyniquement le président de la N-VA, Bart De Wever.

Profondément émus par cette tragédie, onze recteurs des institutions universitaires francophones et néerlandophones expriment, dans une lettre, leur préoccupation « devant le climat actuel à l’égard des migrants qui conduit à une dégradation progressive du respect dû aux personnes et de la protection des plus vulnérables dans nos sociétés ».

« L’horrible destin de la petite Mawda apparaît à nos yeux plus comme un symptôme qu’un accident », poursuivent-ils. « Si rien ne pourra réparer l’irréparable, une régularisation définitive serait un geste destiné à retrouver un climat plus conforme aux valeurs de notre société issue des lumières et de la déclaration universelle des droits de l’Homme », concluent-ils.

Leur intervention leur a valu d’être menacés par Théo Francken : « Si les recteurs veulent jouer à un petit jeu politique sur les dossiers de migration, ils seront confrontés à un retour de boomerang. Tant sur le fond que publiquement » a-t-il déclaré en s’asseyant sur le droit à l’indépendance des autorités universitaires mais aussi et c’est grave, sur la démocratie.

Leur demande de régularisation devra « suivre la procédure » déclare quant à lui le premier ministre. Il faudra donc que les parents dénoncent leur(s) passeur(s) et permettent leur arrestation….

Il est vrai que ce serait donner un « mauvais signal » aux candidats à l’exil que de faire une exception : d’autres parents pourraient être tentés de faire tuer leur enfant pour obtenir un titre de séjour dans notre eldorado !

Quel monde merveilleux dans lequel un acte héroïque rend un Somalien proche du renvoi dans son pays digne d’obtenir du jour au lendemain non seulement un emploi mais aussi la nationalité française. Voilà une « belle personne » qui a échappé de justesse à l’expulsion et c’est tant mieux mais combien d’autres, probablement en mesure d’apporter de « belles choses » à la France n’ont pas eu la chance de le montrer ?

Quel monde merveilleux dans lequel on construit des murs ou on dresse des barbelés pour empêcher la libre circulation de personnes qui, fuyant la guerre, la violence, le terrorisme, la misère, la destruction,… n’ont d’autre choix que de prendre la décision douloureuse d’abandonner tout ce qui faisait leur vie.

Donald Trump est loin d’être le seul à vouloir ériger un mur, à la frontière mexicaine pour répondre à des inquiétudes sécuritaires ou pour endiguer les flux migratoires. Selon la chercheuse Elisabeth Vallet de l’université de Québec, pas moins de septante murs auraient été érigés de par le monde ces dernières années.[5]

La France n’est pas en reste avec la pose de clôtures grillagées à Calais afin de protéger le port et le tunnel sous la Manche des tentatives de migrants de rejoindre le Royaume-Uni.

Le gouvernement ultra-conservateur de Viktor Orban en Hongrie a érigé une clôture barbelée de quatre mètres de haut sur toute la longueur de sa frontière avec la Serbie, soit 175 km, pour empêcher le passage de réfugiés sur son territoire, au mépris des décisions européennes fixant les quotas de migrants à accueillir dans les pays de l’Union.

D’autres pays européens en ont fait de même comme par exemple la Macédoine avec la Grèce, la Slovénie avec la Croatie, l’Autriche avec la Slovénie, la Bulgarie avec la Turquie, les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc sont entourées de barbelés avec parfois des lames tranchantes.

Et les exemples sont encore nombreux, trop nombreux !

Le meilleur des mondes n’est pas pour aujourd’hui, ni même pour demain !

 

Patricia Keimeul

Directrice FAML

 

[1] http://www.levif.be/actualite/belgique/trois-belges-accusees-de-trafic-d-etres-humains-apres-avoir-aide-des-migrants/article-normal-847207.html

[2] http://www.lalibre.be/actu/belgique/deux-journalistes-hebergeuses-de-migrants-poursuivies-pour-trafic-d-etres-humains-5b157e11553216089604e68f

[3] https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/cedric-herrou-agriculteur-emprisonne-avoir-aide-migrants-honore-grenoble-1483791.html

[4] http://www.lalibre.be/actu/politique-belge/crise-des-migrants-francken-plaide-pour-le-refoulement-des-bateaux-son-cabinet-le-reprend-5b16a0ab5532eac7fffbe0f4

[5] https://www.rtbf.be/info/monde/detail_migrants-ou-conflits-des-murs-toujours-plus-nombreux-dans-le-monde?id=9540986