A vot’ bon cœur ? Non : solidarité !

Gabrielle Lefèvre

Journaliste

Les plus importantes ONG œuvrant à la coopération au développement des populations les plus pauvres dans le monde sont parfois confrontées à la méfiance du public par rapport à l’usage fait de l’argent récolté. L’Association pour une éthique dans les récoltes de fonds répond à ce problème.

Il s’agit en effet de sommes importantes, glanées auprès du public (individus et entreprises), augmentées par des apports publics (fonds de coopération au développement, belges et européens), permettant l’achat de biens de première nécessité, de médicaments, de nourriture ou d’aide d’urgence en cas de guerres, de catastrophes, à l’échelle mondiale. Car les plus grandes ONG sont internationales, des sortes de multinationales de la générosité !

Le 6 juin 1996, une association sans but lucratif, « Association pour une Ethique dans les Récoltes de Fonds », (AERF) a été constituée et a adopté un Code Ethique. Il y est clairement expliqué que « Invoquer la solidarité et les sentiments nobles pour récolter des fonds ne peut supporter aucune trahison. Solliciter le soutien financier du public correspond à une forme de contrat moral entre deux parties, fait d’estime et de loyauté. »

Or, il n’existait pas de cadre légal garantissant les valeurs d’éthique, même si les ONG sont très contrôlées sur le plan de leur fonctionnement notamment financier. Ce Code énumère ainsi les aspects déontologiques liés à toute action sollicitant la générosité du public :
qualité des documents et des messages nécessaires pour garantir le droit à l’information des donateurs et assurer la transparence des comptes ;

  • clarté de la destination des fonds récoltés ;
  • respect de la volonté et du goodwill des donateurs ;
  • respect de la dignité des personnes bénéficiant de l’action de l’association ;
  • respect de la vie privée des bénéficiaires et des donateurs ;
  • rigueur des modes de recherche de fonds (dont la gestion des fichiers).

Enfin, l’AERF dispose d’un organe de contrôle ce qui en fait le premier dispositif complet et autorégulateur des aspects éthiques de la récolte de fonds dans notre pays.

Des méthodes de collecte plus dynamiques

Ces dernières années, nous avons vu se modifier la manière dont les fonds sont récoltés. Les moyens traditionnels sont la demande par courrier, lors de conférences, de manifestations, de la parution d’articles de presse, à la sortie des églises… A présent, internet, les réseaux sociaux accompagnent ces anciennes méthodes. Et l’on voit de plus en plus souvent des jeunes et sémillants étudiants distribuer des tracts, faire signer des pétitions et approcher les potentiels donateurs dans les rues et même en porte à porte. Le marketing est à l’œuvre et cela pose parfois question sur l’aspect un peu intrusif de la méthode.

Il y a aussi des méthodes sympathiques ou sportives comme les petits déjeuners des Magasins du monde Oxfam ou des marches (voire des marathons) et nages parrainées.

Du global à l’individuel

Le contenu des messages a lui aussi changé à partir des années 70. Les ONG expliquaient des situations globales, leurs modes d’actions et comment les aider dans ce devoir moral de partenariat avec des populations non plus assistées mais qui reprennent leur sort en main.  C’était l’époque des décolonisations. On est passé de la charité (« le petit Chinois qui meurt de faim ») au partenariat libérateur. Les agences des Nations Unies inondaient les rédactions de journaux et de médias audio-visuels d’analyses longues et fouillées des actions sur le terrain et des enjeux globaux pour l’humanité. De grandes campagnes dénonçaient particulièrement les sommes astronomiques investies dans les armements et le nucléaire guerrier alors que des populations rurales étaient victimes de famines dues au mal-développement. On dénonçait ainsi les causes des malheurs de l’humanité : la guerre froide et  l’exploitation économique des pays riches en ressources naturelles et l’asservissement des populations aux rapacités des multinationales soutenues par de grandes puissances comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

Puis, est venue l’ère de l’humanitaire avec l’avènement du « sans-frontiérisme ». Des affiches grand format et très coûteuses présentaient de très belles images des souffrances des populations pauvres ou victimes de violences. On en appelle à notre compassion en créant des émotions. Exit l’analyse politique sur les changements de sociétés et sur nos politiques de coopération au développement. La charité émotionnelle est de retour.

Aujourd’hui, l’analyse globale est plus présente dans des courriers modifiés et personnalisés grâce à l’informatique. Nous recevons des demandes à notre nom, racontant des histoires (vraies heureusement !) de personnes et de collectivités bénéficiant de l’aide ou en urgent besoin d’assistance en cas de guerre. Handicap International en est un exemple qui dénonce l’usage des mines antipersonnel tout en expliquant ses actions sur le terrain en fournissant des prothèses aux mutilés, enfants et adultes, acquérant ainsi une nouvelle autonomie et une chance de survivre.

Surenchère des armements

Actuellement, nous sommes entrés dans une sorte de nouvelle « guerre froide », poussée par les Etats-Unis et l’OTAN et nous assistons à une surenchère des dépenses d’armement alors même que les fonds consacrés à l’aide au développement ne cessent de décroître.

Pire, des dépenses militaires sont imputées à ce budget. Il suffit de lire dans la dernière édition de la revue électronique « Glo.be pour un monde durable », éditée par la Coopération belge au développement, les prouesses des militaires belges au Mali. Et cela dans le cadre de la « consolidation de la paix »… Il faut dire que la Coopération est rattachée au ministère des Affaires étrangères qui a aussi le commerce extérieur dans ses attributions. L’armement, c’est du commerce aussi… Quelle est l’éthique qui prédomine dans ce cas ? Les inégalités s’accroissent, les multinationales prédatrices profitent des faiblesses politiques des pays plus pauvres, suscitent même des guerres pour leur plus grand profit (voir la destruction de l’Irak, de la Libye au profit des grandes entreprises pétrolières).

On le voit, même si rien n’est parfait, les ONG mettent le maximum en œuvre pour répondre aux exigences de transparence et d’honnêteté nécessaires à leur relation de confiance avec la société. Cette même société devrait être plus attentive à l’éthique de la coopération « officielle » au développement et à l’éthique commerciale.

http://www.vef-aerf.be/

https://www.glo-be.be/fr/articles/la-defense-acheve-avec-succes-son-mandat-au-mali

 

Oxfam bashing

Le bashing (mot qui désigne en anglais le fait de frapper violemment, d’infliger une raclée) est un anglicisme utilisé pour décrire le « jeu » ou la forme de défoulement qui consiste à dénigrer collectivement une personne ou un sujet. (Wikipedia).

Le bashing devient aussi l’autre nom de l’information de presse et ce dénigrement rime avec scandale, émotion, désinformation, manque de recul et de perspective lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi complexe que la coopération au développement et l’aide humanitaire.

Peu de journaux s’interrogent sur la raison pour laquelle cette campagne est lancée sept ans après les faits – inacceptables en effet – qui sont déroulés en Haïti. Il est tout de même étrange, alors qu’Oxfam a fait le ménage sur cette affaire à l’époque, que celle-ci surgisse après que cette organisation se soit lancée dans la dénonciation forte et argumentée des injustices mondiales. Ses dirigeants ne font d’ailleurs que relayer sous une forme plus efficace ce qui est largement expliqué par les divers organismes des Nations Unies.  Mais ils le font au cœur même du système le plus inégalitaire qui soit : le Forum économique de Davos. Le rapport Oxfam est une bombe informative lancée lors du rassemblement des plus grandes fortunes mondiales, des multinationales les plus puissantes et  prédatrices, des chefs d’Etat et de gouvernement dont certains ne se distinguent que par leur corruption et leur répression des citoyens et des peuples qui se battent pour la dignité, pour la survie même.

Le cru 2018 était excellent en teneur en vitriol. Le titre déjà : « Partager la richesse avec celles et ceux qui la créent ». Résumé : « Des richesses engendrées l’année dernière, 82 % ont profité aux 1 % les plus riches de la population mondiale, alors que les 3,7 milliards de personnes qui forment la moitié la plus pauvre de la planète n’en ont rien vu. » Exemple : « Porter les salaires des 2,5 millions d’ouvrières et ouvriers du textile vietnamiens à un niveau décent coûterait 2,2 milliards de dollars par an. Cela équivaut à un tiers des sommes versées aux actionnaires par les cinq plus grands acteurs du secteur du textile en 2016. »

Inacceptable pour les conservateurs britanniques et ce gouvernement de Brexit qui déjà, l’année dernière, a coupé 34 millions de livres de financement de l’ONG, soit quasi 39 millions d’euros retirés à l’aide aux personnes les plus démunies dans le monde entier.

Une des rares voix qui s’élèvent contre ce désastre, c’est le Guardian, fidèle à sa tradition humaniste. Le 8 février on peut y lire ceci «  A l’ère de Trump, du Brexit et de Rees-Moggery (un député conservateur qui veut que la Grande-Bretagne coupe drastiquement dans son budget de l’aide au développement, NDLR), la notion selon laquelle les nations prospères ont une responsabilité morale et pratique envers les plus pauvres n’est plus à la mode. La droite populiste tend la main pour détruire le département pour le développement international, en les caricaturant comme payeurs de proxénètes et en pervers. Ceux qui croient en l’obligation persistante de la Grande-Bretagne à aider les désespérés du monde se battent aujourd’hui pour continuer à exister. »

En réalité, ne pouvant plus justifier l’exploitation au niveau mondial des plus pauvres qui ont le malheur de vivre dans des pays riches en ressources naturelles, les plus riches dénoncés par Oxfam ont lancé cette campagne de dénigrement relayée volontiers par les médias asservis eux aussi à leurs payeurs. En ne relayant que quelques scandales sans les mettre en perspective, ces médias jettent ainsi le discrédit sur les milliers de bénévoles, de volontaires et de salariés de ces ONG dont le travail est courageux, admirable et ne devrait qu’être encouragé. Car ils sont la solution aux problèmes de mal développement : ils aident les populations à ne pas sombrer dans le désespoir, à combattre pour la dignité des travailleurs, des agriculteurs, contre les néo-colonialismes et pour l’instauration de processus démocratiques.

Il faut rappeler aussi que, depuis 1996, de nombreuses ONG se sont groupées pour créer une « Association pour une Ethique dans les Récoltes de Fonds » afin de répondre aux demandes d’une meilleure transparence dans la collecte et l’utilisation des fonds récoltés dans le public. Sur le terrain, souvent les ONG – dont Oxfam – pallient les insuffisances et les manques de moyens des Nations Unies. Leur travail en commun sauve des milliers de vies lors de catastrophes naturelles ou causées par les humains. Ce travail est encadré, vérifié, contrôlé de nombreuses façons, même s’il y a toujours plus à faire en ce domaine.  Cette face si belle de notre humanité ne peut être occultée par de malheureux et regrettables faits-divers.

(article paru sur www.entreleslignes.be le 23 février 2018.)

https://www.oxfamfrance.org/communique-presse/justice-fiscale/davos-2018-1-plus-riches-ont-empoche-82-des-richesses-creees-lan

https://www.theguardian.com/global-development/2018/feb/17/oxfam-scandal-does-not-justify-demonising-entire-aid-sector

https://www.theguardian.com/global-development/2018/feb/15/desmond-tutu-resigns-oxfam-ambassador-immorality-claims

https://www.theguardian.com/global-development/2018/feb/17/oxfam-scandal-does-not-justify-demonising-entire-aid-sector

https://www.theguardian.com/global-development/2018/feb/16/oxfam-chief-accuses-critics-of-gunning-for-charity-over-haiti-sex-scandal-claims