Déshabiller la laïcité ?
Marianne Sluszny - Scénariste, romancière, philosophe
« La Disparition » est un roman de Georges Perec paru en 1969. Sa spécificité est qu’il ne comporte pas une seule fois la lettre E, celle la plus usitée de la langue française.
Je voudrais m’inspirer de cette discipline ou plutôt tenter de la transposer.
Mon ambition est d’écrire une chronique autour de la laïcité dans laquelle ne figurerait pas une seule fois le mot «voile».
Lorsque la constitution belge fut adoptée en 1831, elle instaure la séparation de l’Église et de l’État. Avec une majorité catholique, un parti libéral en partie encore confessionnel et un parti ouvrier qui n’existait pas, ce fut un fameux défi.
Cette séparation fut le premier exemple de compromis à la belge.
Depuis lors, malgré la coexistence ( longtemps difficile) d’ un réseau d’enseignement officiel public avec un réseau d’enseignement libre, privé et confessionnel, malgré le financement des cultes par l’État ( et depuis 1993, le financement de la «laïcité organisée»), malgré les liens historiques de la monarchie à l’Église, le principe de neutralité inscrit dès l’origine dans notre constitution demeure, ayant permis d’y intégrer, des lois progressistes du point de vue de la laïcité: euthanasie, dépénalisation partielle de l’avortement, mariage pour tous…
Rien n’est jamais acquis…
Le XVIIIème siècle fut nommé siècle des Lumières.
Un des principes essentiels de la pensée philosophique de cette époque est celui d’universalité. Il suppose l’unicité du genre humain et du même coup sa séparation du genre animal. Cela signifie donc qu’il est désormais contraire au droit naturel de fonder en Raison, une équivalence entre un marché aux esclaves et un marché aux bestiaux ou de justifier un questionnement sur l’existence ou l’inexistence de l’âme des Indiens.
Cette notion d’universalité est placée au cœur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, puis de la Déclaration Universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1948.
Certes, le «principe égalité» inscrit dans ces Déclarations, est davantage formel que réel et donc non dénué d’idéologie. Tous les hommes sont égaux en droits mais nous savons très bien que certains sont plus égaux que d’autres! N’empêche, selon les époques de rédaction de ces textes, la perméabilité entre les classes sociales fut et reste désormais de l’ordre du possible. Ce qui n’était pas le cas au moyen-âge.
L’universalisme porte en lui-même une tendance à la perfectibilité.
Son ambition est de faire fructifier ce qui relie et rassemble les humains. L’universalisme se heurte ainsi à la culture des particularismes et des identités qui elle, met l’accent sur ce qui sépare et différencie les humains.
Remarquons que le curseur qui souligne aujourd’hui la place de ce qui serait ou pas progressiste semble malheureusement s’être inversé. Les principes universalistes sont désormais accusés d’être portés par la droite («blanche» et «néocoloniale» ) tandis que la revendication du droit à la « différence » est gratifiée de l’aura de l’ouverture et de la tolérance.
Ce contexte permet de comprendre l’opposition assez nouvelle entre «laïcité exclusive» et «laïcité inclusive». L’universalisme dont serait porteuse la première discriminerait tandis que les appels identitaires véhiculés par la seconde inclurait. Étrange paradoxe!
Certes, pouvoir assumer et cultiver ses richesses culturelles est un des rouages essentiels de la démocratie. Cependant leur «exposition» ou la revendication de leur «étalage» dans les institutions qui ont partie liée avec notre condition de citoyens pose question. Et ce, précisément dans les administrations dont le fondement renvoie au fait que nous sommes tous membres, en droit, du corps politique de la nation.
Que signifie dans ce contexte le fait d’afficher ses «différences»?
Une façon de se distinguer? De se distancier? De s’affirmer en sous-groupe? Est-ce un signe de ralliement? Un message tacite d’opposition? Une façon de pointer «l’autre» pour lui demander de se positionner?
Les philosophes des Lumières ont posé les prémices de la séparation de l’Église et de l’État et donc de la laïcité politique.
Étaient-ils incroyants, impies et bouffeurs de curés?
Certes Diderot et d’Alembert étaient athées. Ils ne critiquaient cependant pas la pratique de la foi mais l’institution religieuse.
Rousseau était déiste.
Montesquieu est resté croyant même si «L’Esprit des Lois» fut mis à l’index par les autorités cléricales (1742)
Pour Spinoza, un Dieu immanent à la nature existait.
Kant était piétiste. Il croyait en l’immortalité de l’âme. Mais son approche de la religion dépendait de sa pensée critique et en particulier du statut qu’il voulait accorder à la connaissance.
Le siècle des Lumières est le siècle de la Raison. Kant a placé au cœur de sa pensée la notion d’entendement. Il en donne une conception qui synthétise l’esprit de son siècle et interpelle notre modernité.
Le philosophe distingue en effet deux niveaux d’interrogation.
D’une part, celui qui relève des fins premières ou dernières, qu’il qualifie de domaine de l’«en soi» ou des noumènes [1]. Ce champ, tout essentiel qu’il soit, n’aurait rien à voir avec la raison. Il est de l’ordre de la foi, des croyances, des convictions et donc de l’engagement personnel.
D’autre part, celui qui relève des phénomènes, domaine que nous pouvons appréhender grâce à notre raison/entendement et qui constitue le champ du savoir. Champ sur lequel sont basées les avancées scientifiques et serait de l’ordre d’un partage commun, donc universel.
Kant exprime très clairement ce dualisme:
«Je devrais supprimer le savoir pour trouver la foi».
«Je devrais supprimer la foi pour accéder au savoir».
Voilà qui nous pousse à méditer.
L’habit ne fait certes pas le moine.
Mais il n’est pas toujours innocent ou neutre.
Il porte la distinction, il revendique la différence et l’appartenance identitaire.
Nos lieux de formation dans le réseau scolaire officiel et public?
Ne devrions nous pas garantir qu’ils puissent transmettre et surtout qu’ils forment à la transmission de connaissances hors dogmes, hors particularismes et clanismes pour être en lien avec une conception de la citoyenneté qui renvoie à l’appartenance universelle du genre humain?
Il est grand temps de réfléchir sur les termes d’inclusion et d’exclusion et de retrouver le sens.
- Du grec nous qui signifie intelligence, souffle. ↑
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