Autoriser le port de signes convictionnels dans les services publics ?

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

Le dossier des signes convictionnels dans les services publics et dans l’administration est très sensible politiquement. Le clivage concernant ce sujet existe non seulement entre gauche et droite mais également au sein même des partis.

Quoiqu’il en soit, la question interpelle et engage la vie en société.

Le récent jugement du tribunal du travail de Bruxelles prononcé à l’encontre de la STIB pour double discrimination à l’embauche remet donc une fois de plus à l’avant de la scène cette épineuse question de la neutralité et de l’impartialité des services publics.

Le jugement estime en effet que le règlement d’ordre intérieur de la société de transports bruxellois est porteur de discrimination en ce qu’il interdit le port de signes convictionnels, de tous les signes. Il y voit une discrimination fondée sur les convictions religieuses et par conséquent également sur le genre puisque seules les femmes sont amenées à porter un foulard. Le tribunal exige donc que le ROI = Règlement d’ordre intérieur ?soit adapté et autorise le port de signes convictionnels parmi lesquels le foulard islamique puisque c’est de lui qu’il s’agit !

Or, la STIB avait choisi d’introduire cette règle de pur bon sens et qui implique sa neutralité en tant qu’entreprise représentant la diversité bruxelloise et au service de multiples usagers à qui elle entend garantir un traitement impartial.

S’agissant de savoir s’il convenait d’interjeter appel de cette décision, les opinions, comme il fallait s’y attendre, divergeaient radicalement, les uns (PS, Ecolo et Groen) satisfaits du jugement s’y soumettaient tandis que les autres (DéFi et Open VLD), rejoints par le directeur général et son adjoint, entendaient suivre l’avis de leur conseil et souhaitaient porter l’affaire devant la Cour d’Appel.

Les discussions furent âpres et les propositions de revoir le règlement sur certains points en autorisant par exemple le port du foulard dans les fonctions sans contact avec la clientèle – ce qui pouvait paraître raisonnable – rejetées.

Il y avait alors égalité de voix et c’est celle du président du comité de gestion qui fera pencher la balance dans le camp des opposants à l’appel.

L’affaire n’était pas classée pour autant. C’est finalement le commissaire du comité de gestion de l’entreprise, l’Open VLD Vincent Riga qui aura le dernier mot en introduisant un recours contre la décision de ne pas aller en appel et en renvoyant la patate chaude au gouvernement bruxellois qui se serait bien passé de ce cadeau empoisonné sachant que, de l’avis même de son ministre président Rudi Vervoort, aucun consensus n’est possible entre les partis de la coalition et que des dissensions existent à l’intérieur des partis.

DéFi se dit prêt à quitter la majorité bruxelloise si le principe de la neutralité des préposés de l’État n’est pas affirmé.

Le PS compte parmi ses rangs des membres favorables au droit d’arborer des signes convictionnels mais aussi de nombreuses personnes attachées à une neutralité des fonctionnaires et employés de l’État dans l’exercice de leur fonction. Où est le temps où la laïcité était l’un des fondements de ce parti ?

Le bureau du parti (qui a voté contre l’appel) s’est prononcé, non sans une « certaine » ambiguïté, pour l’interdiction des signes convictionnels  dans le secteur public pour tous les agents qui exercent des fonctions d’autorité, c’est-à-dire des fonctions de décision et de contrainte, et qui sont en contact visuel avec le public. Ces conditions étant cumulatives, cela permettrait à des agents n’exerçant pas de fonction d’autorité – probablement une majorité d’entre eux – d’arborer les étendards de leurs croyances. Le facteur, le guichetier du bureau de poste ou celui de la maison communale, le conducteur de bus, …. détiennent-ils des fonctions d’autorité ? Echapperaient-ils donc à l’interdiction ?

Une liste des fonctions concernées par l’interdiction devrait être établie, les autres restant libres d’afficher leurs convictions.

C’est, dit le parti, au politique de prendre ses responsabilités et d’adopter « une législation claire et de portée générale ».

Chez Ecolo, le son de cloche est différent et la co-présidente se dit ravie de la décision du tribunal et compare, de manière tout à fait scandaleuse le combat pour le port du foulard à celui pour le droit à l’avortement comme étant tous deux facteurs d’émancipation de la femme.

Le président du MR, Georges Louis Bouchez, se dit attaché au droit de chacun de porter des signes religieux, politiques ou autres dans la sphère publique ou chez un employeur privé si celui-ci le permet mais exige une neutralité absolue des fonctionnaires de l’État dans l’exercice de leurs fonctions.

Il s’étonne également de la désignation, sur proposition de la secrétaire d’État écolo Sarah Schlitz, de Ihsane Haouach en tant que commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’Égalité des femmes et des hommes et dénonce une nouvelle fois un manque d’impartialité puisque la personne porte le foulard que lui impose sa religion.

Le libéral annonce d’ailleurs le dépôt à la Chambre d’une proposition de loi visant à interdire le port de tous les signes convictionnels dans la fonction publique.

Quant à DéFi, son président François De Smet (ancien directeur d’Unia) réaffirme d’abord le principe général de la liberté de culte, de religion et de conviction qui inclut à la fois le droit de porter des signes religieux mais aussi le droit de les critiquer ouvertement.

Au-delà de cela, il rappelle que toute liberté inclut des limites et déclare avec justesse que « L’uniforme du service public » doit être la neutralité,  « Quand vous avez une région qui compte 180 nationalités et autant d’origines, il faut que le socle soit solide […] comme le slogan anglais pour la justice, pour être complètement juste il faut qu’elle soit vue comme telle » ??? et rappelle que la construction de la neutralité en Belgique a vu le jour « dans le tête à tête entre cléricaux et anticléricaux ».

Il ajoute que le principe de neutralité vise à offrir un cadre où aucune conviction, religieuse ou politique, n’est visible et ne peut donc être prosélyte.

« Si le droit de porter des signes religieux ou convictionnels est absolu chez soi ou dans l’espace public, il s’efface devant l’obligation de neutralité des agents publics, qui est aussi une obligation d’apparence, et qui vise à offrir à tous les citoyens, non seulement un service, mais une apparence de service dépourvue de toute référence convictionnelle. »

D’autres pensent résoudre le problème par des propositions pour le moins farfelues.

La ministre Groen Elke Van Den Brandt suggère par exemple d’intégrer « certains » symboles religieux à l’uniforme de la STIB ! On imagine aisément que le foulard serait un de ceux-ci et donc que les non musulmanes seraient amenées à être voilées …, quant aux hommes, ce serait, pour tous, soit la kippa, soit la longue barbe voire les deux …

D’autres proposent d’autoriser le port de certains signes parmi lesquels on retrouverait probablement le morceau de tissu qui fait couler tant d’encre et quid de la discrimination à l’égard de ceux qui resteraient interdits ? Longues bagarres judiciaires en perspective …

L’État se doit d’être neutre et cette neutralité concerne au premier chef ceux qui en sont les serviteurs.

Loin d’être porteuse de discrimination, cette neutralité est, au contraire, une garantie de respect des croyances et opinions de chacun et la liberté de pratiquer une religion en fait partie.

Cependant, cette liberté, comme toutes les autres, peut connaître des limitations dictées par l’intérêt général .

Comment l’État peut-il garantir l’impartialité, et plus fondamentalement l’égalité de traitement, aux usagers des services publics si son personnel n’est plus tenu d’afficher sa neutralité ?

Qu’adviendrait-il si chacun se mettait à afficher ses appartenances  religieuses, philosophiques mais aussi politiques? Si un t-shirt d’un parti d’extrême droite ou arborant des caricatures de Mahomet (le délit de blasphème n’existe pas chez nous) ,.., côtoyait une kippa, un foulard islamique,…? Qu’en serait-il de la sérénité du milieu de travail ? Quelle image serait offerte à un public amené à faire un choix entre des propositions qui ne répondent pas  à ses attentes ?

Si afficher ses croyances religieuses en portant voile, kippa, crucifix, turban sikh,… dans l’espace public est un droit qui doit être préservé, qu’en est-il lorsqu’il s’agit de représenter son employeur à savoir l’État ? Qu’en est-il, par exemple, du préposé à un guichet, d’un présentateur du Journal Télévisé sur une chaîne publique, d’un ministre, d’un diplomate ?

Ne pas accepter de se séparer, dans l’exercice de ses fonctions, d’un signe philosophique, politique ou religieux revient, pour l’employé de l’État, à faire passer ses convictions personnelles avant l’intérêt de son employeur, avant l’intérêt général.

Une fois de plus, les laïcards ainsi désignés par le lobby des signes convictionnels, sont montrés du doigt par les partis communautaristes qui n’ont de cesse de courtiser l’électorat musulman le plus radical en oubliant tous ceux et celles qui, issus de l’immigration turque ou maghrébine, ont décidé de vivre une vie détachée de la religion, de ne pas prier, de ne pas se voiler, de ne pas respecter le jeûne du ramadan,…

La laïcité, loin d’être un autre radicalisme est la seule garante du respect des convictions de chacun. Elle n’est pas contre les religions dont elle entend préserver le droit, tout comme celui de ne pas en avoir, elle est leur meilleure protection pour autant qu’elles restent là où elles doivent se trouver, dans la sphère privée.

Il serait bon que le pouvoir législatif, dans un acte de courage, s’empare une bonne fois pour toutes du sujet, loin des échéances électorales et propose, lors d’une révision de la Constitution, d’y inscrire la Laïcité, fondement d’un vivre ensemble harmonieux.

En guise de conclusion, je vous propose la lecture – si ce n’est déjà fait – de la réaction du Centre d’Action laïque à la position officielle du PS sur cette épineuse question des signes convictionnels. Celle-ci sera suivie d’une mise en garde brève mais combien interpellante du président de DéFi.

Pour le Centre d’Action Laïque, les convictions religieuses, philosophiques ou politiques n’ont rien à faire dans la fonction publique. Conformément à la jurisprudence du Conseil d’État (avis n° 44.521/AG du 20 mai 2008), « la neutralité des pouvoirs publics est un principe constitutionnel qui, s’il n’est pas inscrit comme tel dans la Constitution, est cependant intimement lié à l’interdiction de discrimination en général et au principe d’égalité des usagers du service public en particulier. Dans un État de droit démocratique, l’autorité se doit d’être neutre, parce qu’elle est l’autorité de tous les citoyens et pour tous les citoyens et qu’elle doit, en principe, les traiter de manière égale sans discrimination basée sur leur religion, leur conviction ou leur préférence pour une communauté ou un parti. Pour ce motif, on peut dès lors attendre des agents des pouvoirs publics que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils observent strictement eux aussi, à l’égard des citoyens, les principes de neutralité et d’égalité des usagers. »

En ces temps où la radicalité religieuse des uns et la radicalité d’extrême droite des autres menacent de prendre les démocrates en tenaille, j’espère que celles et ceux qui se parent de beaux principes en tentant de démanteler la neutralité, commune par commune, prennent pleinement conscience de la responsabilité historique qu’ils sont en train d’endosser.

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