Filles et garçons entre l’inné et l’acquis
Marie Béclard - FAML
« Tu vois c’est une vraie fille: elle aime le rose et les poupées”, “les filles savent faire deux choses en même temps mais elles sont incapables de lire une carte routière”…, “les garçons sont meilleurs en mathématiques car il y a une bosse dans leur cerveau”, “les hommes sont violents, c’est dans leur nature”… Tout cela, c’est la preuve que c’est inné, que dès la naissance on est programmé ainsi et qu’on ne peut rien y changer… Dans cent ans, on en sera toujours là.
Combien de fois a-t-on entendu ces phrases ? Combien de fois a-t-on douté en se demandant et “ si c’était vrai finalement?” . Parce que oui ma fille aime les poupées et est forte en français alors que mon fils préfère les lego et présente des facilités en mathématiques.
En 1949, Simone de Beauvoir écrivait dans un essai philosophique Le deuxième sexe: “On ne naît pas femme on le devient”. Elle affirmait ainsi que l’inégalité homme/femme est culturellement construite, et non naturelle. Des inégalités qui pèsent sur les femmes mais également sur les hommes.
Aujourd’hui, d’un côté on clame haut et fort que tous les êtres humains qu’ils soient femmes et/ou hommes ou transgenre[1] sont différents, pensent et agissent différemment et indépendamment de leur identité de genre mais doivent bénéficier des mêmes droits et des mêmes chances. Pourtant, on continue inlassablement d’attribuer des comportements et des caractéristiques à un sexe plutôt qu’à un autre: c’est parce c’est une fille qu’elle aime prendre soin des autres et rêve d’être aide-soignante … c’est parce que c’est un garçon qu’il a un excellent sens de l’orientation… On pourrait croire qu’en 2022, une question telle que “mon sexe influence-t-il mes goûts et mon intelligence” est réglée par la science et les progrès en imagerie cérébrale ou encore que les connaissances en biologie et en sociologie ont mis fin au débat mais ce n’est pas le cas.
Deux clans s’opposent toujours. Le premier défend un déterminisme biologique inné: les filles et les garçons fonctionnent définitivement de manière distincte à cause des gènes, des hormones et du cerveau. Dès la naissance, le cerveau serait différent selon notre sexe, ce qui influerait sur nos capacités: les filles sont douées pour les langues et les garçons excellent en mathématiques et ont un sens de l’orientation hors pair. On voit régulièrement sur internet des vidéos qui tentent de démontrer qu’il existe des différences qui sont innées entre fille et garçon. Une d’entre elles[2], a déjà été vue plus de 148 950 fois et se propose d’expliquer comment éduquer un petit garçon et insiste bien sur la différence avec “éduquer une fille”puisque les “différences hormonales et cérébrales entre les genres font que les garçons se développent différemment des filles et qu’ils sont plus nerveux et ont davantage tendance à bouger”. Ils ont une plus grande faculté de concentration et un meilleur raisonnement arithmétique, ce qui leur sera d’une grande aide à l’école. Les garçons se distinguent par leurs aptitudes mécaniques et spatiales, ce qui peut être facilement observé lorsqu’on s’attarde sur la manière dont ils construisent des structures avec leurs jouets. Dans cette vidéo, ils nous expliquent également que c’est aussi difficile que d’élever une fille car ils vont aussi pleurer (on est rassuré, les garçons peuvent pleurer) et faire des caprices de temps en temps (on ne sait pas s’ils en font plus ou moins que les filles) . La vidéo présente les choses comme si c’était scientifiquement prouvé mais quelles sont les preuves? On l’ignore.
Les défenseurs des différences innées utilisent des arguments et des études scientifiques qui sont souvent anciennes comme celle de Pierre Broca par qui durant la deuxième partie du XIXe siècle cherchait à établir le lien entre le volume du cerveau et l’intelligence. L’anatomiste déduit à l’époque que puisque le cerveau masculin est généralement plus gros que celui des femmes, cela explique la suprématie de l’intelligence des hommes. Pierre Broca démontre lui même que sa théorie est biaisée par ses propres stéréotypes: “On s’est demandé si la petitesse du cerveau de la femme ne dépendait pas exclusivement de la petitesse de son corps. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que la femme est en moyenne un peu moins intelligente que l’homme[3]”. Une recherche orientée ne peut donner que des résultats orientés. Ils savent pourtant déjà à l’époque que des variations importantes peuvent exister entre deux personnes de même sexe puisque le cerveau d’Anatole France pesait 1 kg quand celui de Ivan Tourgueniev était estimé à 2 kg. L’idée était donc clairement de prouver la supériorité de l’homme sur la femme et il a donc utilisé les éléments qui allaient dans le sens de ce qu’ils voulaient démontrer.
Dans l’autre clan, il y a les partisans d’une différence entre sexe qui se construit progressivement sous l’influence de la société. Ils appuient leurs théories sur les découvertes sur la plasticité du cerveau, une malléabilité qui lui permet d’évoluer au gré des expériences vécues et des apprentissages. Le sexe biologique ne définit donc pas qui nous sommes mais l’éducation différenciée que l’on peut recevoir peut être responsable des différences qui existent objectivement entre garçons et filles.
De plus, d’autres études tentent de démontrer que le volume et la forme du cerveau n’ont rien de décisif dans l’intelligence et qu’ils varient tellement fort d’un individu à l’autre qu’on ne peut même pas dégager des traits propres à un cerveau masculin ou féminin. Sur plus de dix mille études, seulement 2,6% ont montré des différences qui s’expliquent par le sexe.[4]
Il est vrai que les cerveaux masculins et féminins différent sur le plan biologique puisqu’ils contrôlent les fonctions physiologiques qui sont nécessaires à la reproduction sexuée.[5]Personne ne va nier que chez la femme en âge de procréer, les neurones de l’hypothalamus s’activent pour déclancher l’ovulation et qu’un tel phénomène ne se produit pas chez les hommes. Il y a donc objectivement des différences entre le cerveau féminin et masculin mais jusqu’à présent, il n’a pas été démontré que cela avait un impact sur l’intelligence.
De plus, il est très difficile d’évaluer l’importance de l’inné et de l’acquis puisque dès les premiers moments de vie de l’enfant et même déjà in utero, on se comporte différemment avec lui selon qu’on lui attribue le sexe féminin ou masculin. Son environnement (la couleur de sa chambre, de son matériel de puériculture, de ses vêtements ne seront souvent pas de la même couleur) mais aussi la façon dont on va lui parler, le type d’interaction qu’on aura avec le bébé sera différente même si cela se passe de manière totalement inconsciente chez l’adulte. Ensuite, les jouets qu’on lui offrira seront de plus en plus genrés au fil des mois.
On sait désormais que des différences de vécu peuvent influencer le rythme de croissance de certaines régions du cerveau qui est très malléable chez les plus jeunes. Cela peut donc expliquer les différences cérébrales observables. En effet, quand un nouveau-né vient au monde, il possède cent milliards de neurones mais les synapses, les connexions neuronales, commencent seulement à se former, puisque seulement 10% sont présentes à la naissance et donc 90% doivent encore se construire. Prétendre que tout se joue avec le sexe de l’enfant semble réducteur quand on voit le pouvoir des connexions neuronales, c’est l’expérience qui façonne le cerveau.
On entend souvent dire que les garçons ont un sens de l’orientation bien plus développé que les filles et que c’est inné et on ne cherche pas toujours plus loin. Si des différences peuvent exister et être objectivées, elles ne trouvent pas leurs racines dans des capacités cérébrales présentes dès la naissance mais dans l’environnement social et culturel.
A l’âge de 2 ans et demi, l’enfant s’identifie au féminin ou masculin mais depuis sa naissance, il évolue dans un environnement sexué et les filles et garçons ne sont pas amenés à réaliser les mêmes activités. Les garçons sont davantage poussés à jouer à l’extérieur et à des jeux comme le foot alors que les filles s’amusent davantage à l’intérieur et donc stimulent moins leur compétence de repérage. L’écart de compétence entre les deux sexes tend à s’accroître avec les années ce qui va dans le sens de l’acquis plutôt que de l’inné.[6]
Catherine Vidal balaie le dilemme qui oppose l’inné de l’acquis: “l’inné apporte la capacité de câblage entre les neurones, l’acquis permet la réalisation effective de ce câblage”. On est à la fois un être biologique et social. “Le sexe biologique ne suffit pas à faire un homme ou une femme”.
Des discours médiatiques véhiculent toujours le message que les différences entre filles et garçons sont le fruit des gènes, du cerveau, des hormones et cela malgré toutes les découvertes et avancées scientifiques qui montrent l’importance de la plasticité cérébrale. On continue à expliquer les différences de comportement entre les hommes et les femmes par un déterminisme génétique sans tenir compte des raisons sociales et culturelles. [7]
C’est probablement plus facile de penser que les discriminations sont dues à des différences innées plutôt que de remettre en cause tout le système qui les a créées.
Il est important d’insister sur le fait que tout tend à montrer actuellement que si les filles et les garçons ne font pas les mêmes choix d’orientation scolaires ou professionnels ce n’est pas à cause de différences cognitives, que si les femmes se trouvent toujours majoritairement en charge de l’éducation des enfants et du ménage, les hormones n’en sont pas la cause et que lorsqu’un homme agresse une femme, utiliser l’excuse de la testostérone qui rend les hommes agressifs est une insulte pour tous les hommes qui se comportent correctement.
Ce n’est en rien un problème qu’une petite fille aime jouer à la poupée et que plus tard elle choisisse de prendre un congé parental pour s’occuper de ses enfants, qu’elle préfère travailler à mi temps . Ce n’est un problème que si elle fait ce choix car la société entière fait inconsciemment pression sur elle et qu’elle croit que c’est son devoir même si elle préfèrerait recommencer à travailler directement. C’est également un problème si le petit garçon ne joue pas à la poupée parce qu’un jouet “dit de fille” est moins valorisé et qu’on a construit son éducation de telle manière qu’il ne prendra aucun de ses congés de paternité ou parental car lui il est là pour rapporter de l’argent. Comme, c’est un problème, si un homme ne peut pas pleurer et si la testostérone permet de justifier un viol ou tout autre acte violent.
Si aucune théorie n’a vraiment pu démontrer les différences innées, tout tend à démontrer que la société: nos parents, nos milieux de socialisation (crèche,écoles, activités parascolaires…) nous façonnent jour après jour de manière inconsciente.[8]
- Transgenre est utilisé ici dans le sens de personne qui ne s’identifie ni au sexe masculin, ni au sexe féminin) ↑
- https://fb.watch/bwtiifzQ52/ ↑
- “Broca, 1861” dans C. VIDAL, “Cerveau, sexe et idéologie”dans Diogène 2004, 4, 208, p.149. ↑
- C. VIDAL, Hommes et femmes, avons-nous le même cerveau?, Paris, 2012, p.23. ↑
- C. VIDAL, Hommes et femmes, avons-nous le même cerveau?, Paris, 2012, p.24. ↑
- DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons. Socialisation différenciée?, Grenoble, 2006.
- C. VIDAL, Hommes et femmes, avons-nous le même cerveau?, Paris, 2012, p. 32-33.
- COLLET, L’école apprend-elle l’égalite des sexes?, France, 2019, p.30.
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