Leurs yeux ne peuvent même plus pleurer

Pierre Guelff - Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

Ils sont des millions à avoir fui les horreurs de la guerre en Ukraine. Leurs yeux ne peuvent même plus pleurer cet exil. Depuis leur arrivée en zone sécurisée, à quelque 2 000 km de chez eux, nous avons été à leur écoute et nous sommes à leurs côtés, dans ce moment de solidarité exceptionnel où beaucoup de citoyens se mobilisent au nom de la fraternité universelle.

En compagnie de dizaines de professionnels et de bénévoles, principalement de la Croix-Rouge, nous sommes depuis le lundi 7 mars 2022 au cœur de la tragédie. Nous, ce sont des citoyens, comme vous et moi, aguerris ou non au geste humanitaire, qui avons réagi au quart de tour pour secourir d’autres humains, pendant que militaires, lobbys, marchands de canons, adeptes de l’arme nucléaire et politiciens à leur solde décident du sort de millions de gens. Comme vous et moi.

Ce n’est pas Ludovine Dedonder, ministre social-démocrate, issue du sérail « socialiste », celui où est né le concept de l’antimilitarisme cher au monde ouvrier et à Jean Jaurès, qui me contredira, elle qui ne cesse de réclamer (et d’obtenir) des augmentations du budget de la « Grande Muette » pour l’achat d’armes.

Aujourd’hui, c’est l’Ukraine et la Syrie, demain ce sera peut-être la France et la Belgique. Ne l’oublions jamais, car, ces gens-là, les marchands de mort, n’ont ni foi ni loi, seul le business compte à leurs yeux.

Symbole émouvant des bagages et poussettes d’enfants dans le hall d’entrée de l’ancien hôpital Bordet

Des yeux, les Ukrainiens ne peuvent les cacher. Ils reflètent l’horreur et la détresse, l’angoisse et, toujours, cette reconnaissance à l’égard de ceux qui tentent, vaille que vaille, de les soutenir, de les guider dans leur exil.

Au premier jour, une Ukrainienne m’expliqua qu’elle avait fui dans leur petite voiture familiale avec son mari, leurs quatre enfants, laissant sur place sa mère, très âgée, qui n’avait pas voulu les « encombrer », dit-elle, et ne plus avoir la force physique et morale de quitter son logement.

Une autre, accompagnée de ses trois petits enfants, déclara être tétanisée à l’idée d’avoir laissé son mari au pays car, boulanger, il voulait continuer à produire du pain tant qu’il le pouvait, pour nourrir la population entre deux bombardements.

Un autre venait de se faire opérer d’un cancer et n’avait plus assez de médicaments pour supporter la douleur, était à bout de force dans la longue file d’attente pour obtenir un sésame permettant un séjour et une couverture sociale.

Allant de l’un à l’autre, les équipes baptisées « Pour mesures exceptionnelles » déploient une humanité qui, face à l’innommable, réchauffe quelque peu les cœurs.

Certes, cet élan de solidarité est exceptionnel mais, il y a lieu de souligner, aussi, que d’autres peuples méritent pareille attention et sollicitude de la part des autorités, et, encore, qu’il y aura lieu de maintenir constante cette aide et que cela ne soit pas un « one shot », enfin, et, surtout, que les citoyens se mobilisent pour inciter leurs dirigeants à parler de paix plutôt qu’à cautionner ceux qui fourbissent leurs armes.

Une semaine après les conditions plus que difficiles, pour ne pas dire délicates, à Bordet, le cap fut mis vers l’immense hall 8 du Heysel où un accueil digne de ce nom fut organisé.

D’aucuns, se demandèrent la raison de pareil déficit au départ de l’accueil, d’une telle situation de désorganisation structurelle, de la flagrante insuffisance de personnel encadrant efficacement ces gens apeurés et perdus, tous des manques heureusement quelque peu atténués par les bénévoles.

La réponse est simple : quand des Maggie De Block, secrétaire d’État à l’Asile, et Theo Francken, ministre de l’Asile et des Migrations, passèrent beaucoup de leur temps à imaginer des stratégies de refoulement des réfugiés et de leur renvoi dans leurs pays d’origine (souvent en guerre), il fallut à l’État (re)construire un accueil humanitaire performant.

File d’attente d’exilés devant l’Institut Bordet

Et la Paix ?

Jamais, il ne me sera possible d’oublier le sourire de cette petite fille à qui nous permettions de garder « pour toujours » les trois poupées qu’elle serrait contre elle dans le coin des jeux du Centre d’accueil.

Jamais, il ne me sera possible d’oublier les pleurs de cette mère entourée de ses deux adolescents, le père étant resté « au pays », confondue en remerciements alors qu’elle recevait un colis alimentaire au local de la Croix-Rouge de la localité bruxelloise où ils étaient hébergés.

Ces deux moments de solidarité prévalurent sur tous les discours politiques et, il est à nouveau apparu dans la société la nécessité d’œuvrer (militer) pour la Paix.

À ce sujet, malgré le régime dictatorial appliqué par leur gouvernement, l’exemple de milliers de Russes clamant publiquement leur opposition à la guerre et leur solidarité envers d’autres êtres humains victimes collatérales de la toute-puissance et de la mainmise de l’industrie de l’armement et du nucléaire (qui se frotte les mains devant pareil pactole), sans omettre la propagande militariste, cet exemple, donc, ne peut nous laisser insensibles.

« Aucune armée n’est sortie ‘‘gagnante’’ d’un conflit depuis la Seconde Guerre mondiale », rappela Boris Cyrulnik, éthologue et chantre de la résilience, à l’occasion de la guerre en Ukraine et, il est patent que tout conflit se termine obligatoirement par un arrêt de l’utilisation des armes.

Alors ? Et si notre société déployait un arsenal de pacifisme plutôt qu’entretenir le mythe de la « Grande Muette », celle qui apprend à tuer ? Un pacifisme militant doublé d’un activisme citoyen développé dans un esprit de solidarité sans frontières, n’est pas utopique.

Faut-il rappeler, encore et encore, que « l’utopie n’est pas ce qui est irréalisable, mais ce qui est irréalisé », comme le clama Cabu, dessinateur de presse et pacifiste notoire ?

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