Un génocide en Ukraine ?

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

Des corps entassés dans des fosses communes, des morts jonchant les rues, femmes, hommes et enfants victimes des exactions commises par les soldats russes, la communauté internationale cherche à qualifier ces faits d’une grande cruauté.

Ukrainiens, Américains et Canadiens considèrent en effet que l’opération russe en Ukraine s’apparente à un génocide.

Tandis que d’autres pays ont de la situation une vision différente. La France et l’Allemagne estiment le terme inapproprié et préfèrent parler de crime de guerre ou de crime contre l’humanité.

Qu’en est-il ? Génocide ou crime contre l’humanité ?

Il faut savoir que la qualification de génocide ressort de la justice et non de la politique. C’est pourquoi il ne suffit pas de parler de génocide, il faut le prouver par la réunion de plusieurs conditions énumérées par la définition officielle. Le terme a été défini en 1948 par une convention des Nations-unies suite à la Shoah comme étant un « crime commis dans l’intention de détruire, de manière totale ou partielle, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

Cette définition comprend donc deux éléments essentiels.

En premier lieu, une énumération exhaustive des groupes pouvant faire l’objet d’un génocide à savoir une race, une ethnie, une nation ou une religion.[1]

Deuxièmement, l’existence d’un génocide nécessite de démontrer, dans le chef de l’auteur, une intention de détruire le groupe en tant que tel.

Génocides reconnus par l’ONU

Le génocide des Arméniens par le pouvoir ottoman

Perpétré en 1915 par l’empire ottoman, allié de l’Allemagne, le massacre a été reconnu en tant que génocide par une sous-commission des droits de l’Homme de l’ONU en 1985 et dans une résolution du Parlement européen en 1987. Le massacre des chrétiens arméniens fit plus d’un million de victimes.

Bien que reconnu comme tel par l’ONU et par les Parlements d’une trentaine d’États, la qualification de génocide est contestée par d’autres au premier rang desquels se trouve bien évidemment la Turquie. Le pays admet des massacres mais récuse le terme de génocide. Une guerre civile en Anatolie doublée d’une famine serait responsable de l’hécatombe qui aurait fait autant de victimes chez les Turcs que chez les Arméniens.[2]

Génocide des juifs par le régime nazi

Holocauste, shoah, ces termes recouvrent l’entreprise d’extermination systématique menée par l’Allemagne nazie à l’encontre du peuple juif durant la seconde guerre mondiale au nom d’une soi-disant pureté et d’une supériorité de la race aryenne. Le mythe du grand blond aux yeux bleus dont le führer était un parfait représentant !

L’anéantissement d’un groupe devient une politique gouvernementale officielle dès 1942 lors de la conférence de Wannsee, sous l’appellation de « solution finale ».

Ce sont six millions de juifs qui y laisseront la vie.

Moins médiatisés, les roms et les Sinti ont subi le même sort.

Le génocide des Tutsis par le pouvoir hutu du Rwanda

Le génocide rwandais s’est déroulé du 6 avril au 4 juillet 1994. En seulement 100 jours, environ 800.000 personnes, principalement de la tribu Tutsi, minorité ethnique, ont été massacrées par les forces gouvernementales, par des milices et même par des citoyens ordinaires, des voisins. Des femmes et des jeunes filles ont subi des violences sexuelles. Des Hutus modérés ayant refusé de participer au massacre l’ont payé de leur vie.

Ce génocide est l’aboutissement de décennies de haine envers la population tutsie de la part d’extrémistes hutus à la tête de l’État. Il est aussi la conséquence de la mauvaise gestion par l’ONU censée maintenir la paix sur le territoire et de l’indifférence de la communauté internationale qui préférait y voir une guerre et ce, malgré les appels qui incitaient la population à commettre des massacres diffusés sur RTLM (radio-télévision des Mille Collines).

Crimes contre l’humanité, crimes de guerre

Quant aux crimes contre l’humanité, ils sont définis par l’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale comme étant des actes « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque »

C’est donc toute population civile qui est protégée par l’incrimination de crime contre l’humanité sans nécessité de prouver une quelconque volonté d’anéantissement d’un groupe tel que défini par le concept de génocide.[3]

Qu’il s’agisse de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocides, tous sont imprescriptibles.

Si une définition du génocide en détaille les éléments nécessaires, force est de constater que de vifs débats ont eu lieu quant à la portée du terme alors même, et au vu de la gravité des faits incriminés, qu’il devrait exprimer une vision commune.

Démontrer l’intention de détruire en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tels est difficile et nombreux sont ceux qui font de cette condition une interprétation personnelle éloignée de celle voulue par le législateur.

Bosnie-Herzégovine, un même cas, deux interprétations

Ainsi, les exactions commises par les Serbes en Bosnie-Herzégovine n’ont pas été qualifiées de génocide par la Cour internationale de justice qui y a vu les conséquences des conquêtes militaires et non la volonté d’éradiquer un groupe en particulier.

Le crime de génocide sera par contre retenu s’agissant du massacre de Srebrenica en raison de son caractère systématique visant essentiellement des musulmans.

Les Khmers rouges au Cambodge

Certains voient dans les massacres commis par les Khmers rouges des crimes constitutifs de génocide alors même qu’aucune race, ethnie ou religion n’était visée.

Les Indiens d’Amérique

Malgré les massacres de 14 millions d’Amérindiens – certains parlent de plus de 50 millions – depuis l’arrivée de Christophe Colomb sur le territoire américain, il n’est pas question d’un génocide reconnu par l’ONU pour ce qui concerne ces populations.

Ici aussi, ce sont deux visions qui s’affrontent. Les uns y voient un génocide en raison de l’ampleur des massacres, les autres considèrent que l’étalement dans le temps de la disparition de ces populations ne justifie pas l’appellation de génocide.

Conclusion : crimes de guerre ou génocide ?

Début mars, le procureur de la Cour pénale internationale a fait ouvrir une enquête sur la situation en Ukraine.

Cette institution basée à La Haye est née en 2002 pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les génocides et plus récemment les crimes d’agression.

Il semble que, à l’heure actuelle, la procédure porte essentiellement sur des potentiels crimes de guerre, qualificatif qui regroupe toutes les actions commises par des combattants à l’encontre des populations civiles, ainsi que l’utilisation d’armes interdites.

Si la procédure aboutit à reconnaître l’existence de crimes de guerre, celle-ci pourrait mener les responsables devant les tribunaux nationaux ukrainiens ou étrangers ou devant la cour pénale internationale. Pour cela, des preuves doivent être réunies, cette mission est accomplie par des enquêteurs dépêchés sur les lieux par la CPI. Ceux-ci ont relevé de nombreuses violations du droit international : école détruite par des bombes à sous-munitions (armes interdites par la convention d’Oslo) , viols, civils tués, exécutions sommaires,…

Qui sera accusé ?

En premier lieu, Vladimir Poutine, chef des armées ayant validé toutes les opérations militaires. Viennent ensuite le gouvernement et les hauts gradés de l’armée.

Quelles peines encourues ?

La condamnation éventuelle de Poutine reste très aléatoire. Celui-ci devrait être extradé par son pays, non signataire du statut de Rome, pour être jugé à La Haye. Cette hypothèse semble plus qu’improbable du moins tant qu’il est à la tête de l’État.

Nombreux sont ceux qui qualifient de génocide des massacres de grande ampleur commis contre des populations civiles et ce, bien que les conditions constitutives ne soient pas réunies. Or, il est important de ne pas galvauder le concept de génocide en considérant comme tels des crimes, certes graves, mais qui n’en réunissent pas les éléments.

Compte tenu de ces éléments, peut-on considérer les actes violents commis par la Russie en Ukraine comme étant un génocide ?

Doit-on plutôt y voir des crimes de guerre ou contre l’humanité commis dans le cadre d’opérations militaires en vue de la conquête de territoires ?

La question du génocide reste posée et n’obtiendra sa réponse qu’une fois le conflit terminé.

  1. Olivier CORTEN, une introduction critique au droit international, Éditions de l’ULB, 2017
  2. https://www.geo.fr/geopolitique/ou-en-est-on-de-la-reconnaissance-du-genocide-armenien-dans-le-monde-204559
  3. Olivier CORTEN, IBIDEM
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