L’inclusion à n’importe quel prix ? L’écriture inclusive.

Marie Béclard - FAML

Dans une société inclusive, il n’y a pas ceux qui sont dans la norme et les autres. Tout le monde est « normal », « quel que soit l’écart à une pseudo-norme qui serait définie par une moyenne de performance dans une population ». [1] La norme c’est tout le monde ! Pourtant aujourd’hui, les personnes qui sont exclues sont encore trop nombreuses : personnes porteuses d’un handicap, transgenre, femmes, étrangers, homosexuels. Aucune de ces catégories n’échappent à la discrimination.

L’écriture inclusive peut-elle résoudre une partie du problème ? Peut-elle présenter une  réelle solution pour lutter contre l’exclusion ? Elle est souvent qualifiée de « lubie », d’« offense à la langue », d’« une arme de guerre »… mais une chose est certaine, elle fait couler beaucoup d’encre depuis quelques années car soit elle plaît soit elle est totalement rejetée. Avec l’écriture inclusive, il y a rarement d’entre deux.

L’écriture inclusive une  nouvelle mode?

Si on parle activement d’écriture inclusive depuis 2017 avec l’apparition des points médians, l’inclusion qui passe par l’écrit n’est pourtant pas une préoccupation totalement nouvelle[2]. Déjà en 1899, Hubertine Auclert, féministe française et militante pour le droit de vote, écrivait : « L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue, plus qu’on le croit, à l’omission du féminin dans le code (côté des droits). L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée. N’est-ce pas à force de prononcer certains mots qu’on finit par en accepter le sens qui tout d’abord heurtait ? La féminisation de la langue est urgente, puisque pour exprimer la qualité que quelques droits conquis donnent à la femme, il n’y a pas de mots ». [3]

Mais qu’est-ce que c’est  finalement l’écriture inclusive?

Selon agence Mots-Clés, l’écriture inclusive « désigne l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes ». [4]

L’écriture dite inclusive est une forme d’écriture neutre, non sexiste qui a pour objectif de rétablir la parité femme/homme dans la langue française. L’écriture inclusive, ce n’est pas que les points médians. En effet, les défenseurs de l’écriture inclusive cherchent à faire réhabiliter l’accord de proximité.

Si on parle souvent du point médian on peut utiliser ces trois principes différents pour écrire de manière inclusive.

Premièrement, on peut accorder les grades, les fonctions occupées, les métiers ainsi que les titres en fonction du genre. On parlera ainsi d’une professeure, d’une pompière, ou au choix d’une auteure ou d’une autrice.

Deuxièmement, il y a la double flexion : pour évoquer un groupe de personnes, on devra décliner à la fois au féminin et au masculin. On obtient si on choisit d’énumérer :«les candidates et les candidats à l’élection », le choix de présenter l’un ou l’autre en premier sera imposé par l’ordre alphabétique ? «les plombières et les plombiers» mais «les décorateurs et décoratrices. Jusque là, personne n’y voit trop de problème même si cela rallonge un peu le texte.

La troisième option est «de condenser le tout dans un seul mot, en séparant par un point, comme l’a fait Hatier dans son manuel en écrivant que, «grâce aux agriculteur·rice·s, aux artisan·e·s et aux commerçant·e·s, la Gaule était un pays riche».[5] Mais ce n’est qu’une option à laquelle on réduit l’écriture inclusive.

D’où vient l’idée du « masculin l’emporte » ?

«Le masculin l’emporte sur le féminin» : des millions d’élèves ont déjà répété cette règle de grammaire, qui régit l’accord de l’adjectif au pluriel. «Quand il y a plusieurs noms de genre différent, l’accord se fait au masculin pluriel», résume le Bescherelle collège. Mais les choses n’ont pas toujours été ainsi. Au XVIIe siècle, l’adjectif épithète, lorsqu’il se rapporte à plusieurs noms, peut s’accorder avec le plus proche. On trouve de nombreuses occurrences chez Racine. On trouve par exemple dans son Athalie « trois jours et trois nuits entières ». Pour la linguiste Lucy Michel, c’est à la fin du  xviie et au  xviiie siècles « qu’apparaît la formulation de la règle de primauté du masculin, corrélée à « une certaine conception de la domination masculine, présentée comme essentielle, naturelle et indiscutable ».[6] En effet, Vaugelas invoque la noblesse du masculin pour justifier qu’il l’emporte sur le féminin dans son Remarques sur la langue françoise : « Il faudrait dire, ouverts, selon la grammaire latine, qui en use ainsi, pour une raison qui semble être commune à toutes les langues, que le genre masculin étant le plus noble, [il] doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble ».[7]

L’écriture inclusive mais pourquoi faire ?

L’objectif premier de l’écriture inclusive est de lutter contre le sexisme de la langue française, en rendant leur visibilité aux femmes. En cassant la sacro-sainte règle du XIXe siècle : « le masculin l’emporte sur le féminin ».

La langue reflète la société et sa façon de penser le monde. « Rendre les femmes invisibles est la marque d’une société où elles jouent un rôle second. C’est bien parce que le langage est politique que la langue française a été infléchie délibérément vers le masculin durant plusieurs siècles par les groupes qui s’opposaient à l’égalité des sexes ». [8]

L’écriture inclusive ou l’écriture neutre , c’est la même chose ?

Le neutre ne fait référence à aucun genre et l’inclusif tente de représenter tous les genres.

« Alors que le neutre ne peut être utilisé que pour représenter une ou des personnes non-binaires, l’inclusif permet de représenter une personne de n’importe quel genre ou un groupe comprenant des personnes de différentes identités de genre. »[9]

Dans la pratique, les terminaisons du neutre et de l’inclusif se confondent parfois dans ce que l’on appelle le neutre grammatical. Cependant, le neutre et l’inclusif différent tout de même sur quelques mots spécifiques. Par exemple : un homme, une femme, au neutre on remplacera par Lumme, Lœmme et en écriture inclusive, on utilisera plus un terme général comme personne ou humain.

Les détracteurs de l’écriture inclusive.

En France, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a officiellement proscrit, par une circulaire, l’utilisation de l’écriture inclusive et tout particulièrement le point médian. « Au moment où la lutte contre les discriminations sexistes implique des combats portant notamment sur les violences conjugales, les disparités salariales et les phénomènes de harcèlement, l’écriture inclusive, si elle semble participer de ce mouvement, est non seulement contre-productive pour cette cause même, mais nuisible à la pratique et à l’intelligibilité de la langue française.

Une langue procède d’une combinaison séculaire de l’histoire et de la pratique, ce que Lévi-Strauss et Dumézil définissaient comme « un équilibre subtil né de l’usage ». En prônant une réforme immédiate et totalisante de la graphie, les promoteurs de l’écriture inclusive violentent les rythmes d’évolution du langage selon une injonction brutale, arbitraire et non concertée, qui méconnaît l’écologie du verbe. »[10] Que cela soit au niveau politique, académique ou de chaque citoyen, l’écriture inclusive divise. Si beaucoup comprennent l’intérêt d’être inclusif, l’exercice s’avère vite tellement complexe qu’il en incombe inévitablement une perte de sens et un découragement.

L’écriture inclusive exclut-elle les personnes en situation d’handicap ?

L’écriture inclusive est considérée comme un obstacle majeur pour la lecture et la compréhension de certaines personnes en situation de handicap, notamment les aveugles utilisant des synthèses vocales pour lecture de textes, les personnes dyslexiques. Elle discrimine nombre de personnes en situation de handicap en leur rendant les textes inaccessibles .

On ne peut pas encore parler d’une société inclusive pour tout le monde

On ne va pas gommer les inégalités que vivent les femmes ou les personnes qui s’identifient d’un autre genre avec un simple point. Cependant, l’écriture inclusive présente le grand avantage de forcer les gens à modifier leur façon de penser et à ouvrir le débat pour essayer ensuite de déconstruire ces schémas sexistes qui se sont installés au fil du temps. Si nous pensons qu’il est important d’ouvrir le débat et de tenter chaque jour de faire évoluer la situation pour que notre société soit plus inclusive nous pensons qu’il est cependant important de le faire en n’excluant pas d’autres personnes. Si certains arguments comme : « c’est compliqué ou instable » ne nous semblent pas pertinents, rendre leur place aux femmes ou aux personnes qui s’identifient d’un autre genre ne peut pas se faire au détriment d’autres catégories comme les personnes qui présentent une déficience visuelle (253 millions de personnes) ou dyslexiques (5 à 10 % de la population). Il faut donc trouver un juste milieu pour que chaque personne ait une place dans notre société.

    • J.Y. LE CAPITAINE, « L’inclusion n’est pas un plus d’intégration : l’exemple des jeunes sourds » dans Empan2013/1 (n° 89), p. 6.
  1. B. JANSEN, Ecriture inclusive : Pour ou contre ?, Décembre 2017 consulté le 12 mai 2021 sur le site https://www.cepag.be/sites/default/files/publications/analyse_cepag_-_dec._2017_-_ecriture_inclusive.pdf
  2. Manuel d’écriture inclusive, 2016 https://www.motscles.net/ecriture-inclusive
  3. Y. SOUBEN, Hatier publie le premier manuel scolaire en écriture inclusive, 25 septembre 2017.https://www.google.com/amp/s/www.huffingtonpost.fr/amp/2017/09/25/hatier-publie-le-premier-manuel-scolaire-en-ecriture-inclusive_a_23222113/
  4. E., VIENNOT, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2014.
  5. Informations consultées le 14 mai 2021 sur le site https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8gle_de_proximit%C3%A9#Viennot2014
  6. D. BOUSQUET ,Gaëlle ABILY ,GUIDE pour une communication publique sans stéréotype de sexe, 2015, p. 8consulté le 8 mai 2021 sur le site https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hcefh__guide_pratique_com_sans_stereo-_vf-_2015_11_05.pdf
  7. https://divergenres.org/wp-content/uploads/2021/04/guide-grammaireinclusive-final.pdf
  8. H. CARRERE d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française et M. LAMBRON, directeur en exercice de l’Académie française, le 5 mai 2021.

 

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