Pamplemousse ou banane ?
Marie Béclard - FAML
Plus de 2,6 millions de publications sur Instagram sont légendées d’un hashtag #GenderReveal et ces vidéos cumulent plus de 9,3 milliards de vues rien que sur TikTok.
Du lancé de fumigène de couleur au ballon percé qui laisse s’échapper des confettis en passant par le gâteau qu’on coupe et qui déverse des bonbons de couleur rose ou bleu, toutes les méthodes sont bonnes pour annoncer le sexe du bébé à venir.
Le point commun entre ces différentes fêtes : faire découvrir aux invités et parfois même aux parents le sexe du bébé à venir avec des stéréotypes, beaucoup de stéréotypes. Dans la plupart des cas, du rose pour les filles et du bleu pour les garçons. Certains parents pensent limiter les stéréotypes et font des gender reveal party sous forme de bébé pamplemousse ou bébé banane. Mais vous l’aurez probablement deviné la banane c’est pour un garçon. Est-ce que l’on n’est pas toujours en plein dans le stéréotype avec cette méthode?
Il existait déjà une fête pour se réjouir de l’arrivée du bébé, la baby shower, alors pourquoi avoir ajouté une fête pour célébrer le sexe ? Le gender reveal est un concept qui aurait vu le jour aux États-Unis en 2008 lorsque Jenna Karvunidis, une blogueuse américaine, organise une baby shower et utilise un gâteau avec une génoise rose pour annoncer qu’elle va avoir une fille.
Aujourd’hui, on peut découvrir le sexe du bébé avant la naissance et cela de plus en plus tôt, là où il y a 50 ans on l’ignorait jusqu’à son arrivée. Cette avancée s’explique d’abord grâce aux échographies et désormais grâce au nipt test, on est fixé dès 12 semaines d’aménorrhée sur le sexe du bébé. Mais cette attente est encore trop longue pour certains parents et des entreprises surfent sur l’envie de ceux-ci de connaître le sexe du bébé. Par exemple, Ohbabync propose des tests qui permettraient de découvrir le sexe du bébé grâce à une prise de sang à seulement 6 semaines de grossesse et ce en quelques jours. Une découverte qui vous coûtera quand même 129 dollars voir même 149 dollars si vous voulez avoir les résultats dès le lendemain. [1] Selon Ohbabync : « Alors que chaque personne a son propre ADN dans son sang, le sang d’une femme enceinte contient également l’ADN de son enfant à naître. SneakPeek recherche les chromosomes mâles dans un petit échantillon de sang de maman. Si des chromosomes mâles sont trouvés, cela signifie que bébé est un garçon. Si aucun n’est trouvé, le bébé est une fille».
Est-ce qu’on a toujours prêté autant d’importance au sexe du bébé à venir ? Il existe depuis toujours des trucs de grand-mères pour connaître le sexe : « vomir et être verte de nausées font partie de votre rituel matinal, vous déclinez le mot « fatigue » sur tous les tons , oups, mais où a disparu votre tour de taille? votre ventre a pris son temps pour grandir ? … alors préparez les dragées roses mais si…, vous avez de l’énergie à revendre, dès le tout petit matin, vous réveillez souvent Chéri pour un petit supplément de câlins, de derrière, c’est fou, on ne voit pas que vous êtes en enceinte, vous portez fièrement votre ventre en avant ! votre ventre se constelle de nouveaux points de beauté, vos pieds sont des glaçons, hiver comme été …. alors préparez des dragées bleues ….[2] Ces informations vont-elles réellement vous permettre de déterminer que le bébé sera une fille ou un garçon? certainement pas. Cela montre cependant que depuis toujours, on est au moins curieux de savoir si l’être qui grandit est une fille ou un garçon.
On aurait pu penser qu’avec l’évolution de notre société où de plus en plus de personnes refusent le diktat de la binarité filles-garçons, la connaissance du sexe du bébé à venir prendrait progressivement moins d’importance mais cela n’est pour l’instant clairement pas le cas pour tout le monde.
Mais est-ce que c’est grave ? Ce n’est qu’une fête, diront certains …Qu’est-ce qui fait que le genre a pris autant d’importance dans notre société avant même la naissance du bébé ? Est-ce que cela a un impact sur l’égalité des genres ?
Dans nos sociétés occidentales, les adultes – parents, puériculteurs et puéricultrices, membres du corps enseignant, etc. – tous sont convaincus d’agir de manière totalement similaire et égalitaire vis-à-vis des filles et des garçons. Pourtant, ils ne sont pas conscients que c’est loin d’être le cas puisque même tout bébé quand on ne peut pas vraiment voir la différence, dès qu’on connaît le sexe de l’enfant, on ne perçoit pas les pleurs de la même manière, on ne parle pas de la même manière, on n’offre pas les mêmes cadeaux et donc au final on ne donne pas les mêmes chances, les mêmes possibilités.
Dès que le sexe est connu, alors même que le bébé n’est pas encore né, s’engage déjà un processus de socialisation sexuée différenciée. Les parents et l’entourage proche préparent souvent soigneusement la naissance de celui-ci et cela mobilise toute une série de représentations et d’attentes relatives à l’enfant à naître qui ne seront pas les mêmes. [3]
Ce n’est pas tellement « La couleur rose ou bleue qu’on associe à un bébé qui sera problématique mais le fait qu’on appose ces couleurs sur des produits différents. Prenons l’exemple des jeux : jouer avec du rose va vous amener à davantage développer la parole et l’expression de vos sentiments tandis que le bleu vous amènera à mieux maîtriser votre vision dans l’espace par exemple. Pas parce que le jouet à une couleur particulière mais simplement parce qu’ on amène les parents et les proches à faire des choix commerciaux qui conditionnent l’enfant dans son développement. Tout au long de sa vie, on reçoit des stimuli qui nous poussent à répondre aux attentes de la société (alors on peut choisir de ne pas y répondre mais soyons honnête ce n’est pas la voie la plus simple) et ainsi les stéréotypes réduisent le champ des possibles dès le plus jeune âge. [4]
Quelles sont les choses que les parents choisissent et préparent souvent avant la naissance ? La garde robe est une des premières choses dont les parents s’occupent.
Les parents mais aussi les proches cherchent à connaître le sexe du bébé pour acheter ou offrir des vêtements qui répondent au sexe du bébé à venir. Ils sont incités à le faire par les magasins. « Fille ou garçon ? Attendez de préférence de connaître le sexe de votre bébé, histoire de choisir votre trousseau en fonction »[5]. Les vêtements n’ont pas toujours été aussi sexués.
Initialement, les parents tentent de pallier aux futurs besoins de leur futur bébé et ne pensent pas faire réellement un choix lié au genre. Ils achètent ce qu’ils trouvent joli dans un magasin dans un rayon fille ou garçon. Les magasins mettent en place très tôt
un marketing genre auquel il est parfois difficile d’échapper. Même les familles qui désirent privilégier la seconde main et qui utilisent des vêtements qu’on leur donne, reçoivent souvent des habits qui sont pré-triés entre fille et garçon et donc se retrouvent d’une certaine manière aussi victimes du genre.[6]Même quand on est sur un vêtement neutre comme un pantalon, la couleur, ou des broderies vont en faire un vêtement féminin ou masculin. [7]
Les messages que l’on trouve sur les vêtements ne sont pas les mêmes non plus : les filles reçoivent des injonctions d’être belles, douces, souriantes alors que ceux des garçons impliquent courage, force, action … Autant de choses qui cumulées peuvent influencer durablement la vie de l’enfant.
Les différences ne s’arrêtent pas là : la taille des shorts pour les filles et pour les garçons n’est pas non plus la même et même la différence de croissance à cet âge-là ne le justifie pas. Les vêtements féminins sont également plus serrés. Quel message envoie-t-on aux filles ?
Pour modifier durablement les choses, il nous semble primordial d’informer au maximum les parents mais plus largement tous les citoyens. Les conférences et les livres ne suffisent pas, parce qu’ils touchent généralement plus les personnes qui sont déjà sensibles à cette problématique. Si la différenciation filles-garçons touche toutes les classes sociales, elle semble encore davantage marquée dans les couches défavorisées de la population. Les réseaux sociaux permettent d’atteindre des citoyens venant de tous les horizons.
Pour certains, l’égalité est synonyme d’indifférenciation et ceux-ci craignent qu’il n’y ait plus ni filles ni garçons. Il faut travailler sur ce point pour qu’ils comprennent que ces actions ont pour objectif d’ouvrir le champ des possibles pour les enfants de chaque sexe et non d’annihiler cette notion de genre.
Alors faut-il célébrer l’arrivée d’un bébé ? Si l’enfant est souhaité par les parents, oui bien sûr, sentez-vous libres d’organiser une grande fête. Mais faut-il faire l’éloge des gender reveal ? Chacun se fera son propre avis mais gardez en tête que vous allez célébrer les parties génitales d’un enfant… et que lors de cet événement vous commencez déjà à réduire les champs des possibles.
- Informations consultées sur le site https://ohbabync.com/sneakpeek-gender-test le 27 septembre 2022. ↑
- Informations consultées sur le site https://www.dreambaby.be/e/fr/db/fille-ou-garcon-top-10-des-indices-de-grand-mere le 27 septembre 2022. ↑
- S. Brachet et al. « 5 – Le genre en gestation. Préparatifs de la naissance d’un bébé fille ou d’un bébé garçon », Camille Froidevaux-Metterie éd., Des femmes et des hommes singuliers. Perspectives croisées sur le devenir sexué des individus en démocratie. Armand Colin, 2014, p. 137 ; C. ROLLER- ECHALIER, A. PELAGE, A. PAILLET et al., Préparer la naissance : une affaire de genre dans Politiques sociales et familiales, 116, 2014. pp. 5-14. ↑
- F. HAUWELLE, M.N. RUBIO, S. RAYNA, L’égalité des filles et des garçons dès la petite enfance, Toulouse, 2019. ↑
- La liste de naissance idéale existe, on l’a rencontrée consultées sur le site https://www.dreambaby.be/e/fr/db/la-liste-de-naissance-ideale-existe ; Informations consultées le 29 septembre 2022 sur le site https://aussi.ch/reponses/comparaison-evolution-jouets-habits↑
- Informations consultées le 29 septembre 2022 sur le site https://aussi.ch/reponses/periode-rose-filles ↑
- E. FISCHER, « Robe et culottes courtes : l’habit fait-il le sexe? » dans Fills-garçons. Socialisation différenciée?, 2000.↑
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