Date de péremption de la femme
Zelda Moore Boucher - FAML
Ne vous vengez pas d’une femme, le temps s’en charge pour vous.
-Paul Claudel
C’est un fait, dans notre société patriarcale les femmes se voient étiquetées d’une forme de date de péremption, un aussi cruel qu’inexorable compte à rebours qui commence de plus en plus tôt. Le vieillissement est un sujet tabou dans une société qui aspire à l’éternelle jeunesse et c’est en effet dès la vingtaine que l’on suggère aux femmes, à grand coup de propagande visuelle, d’apporter une attention toute particulière à leur corps en y appliquant notamment des soins hydratants pour le visage et des crèmes anti-âge alors qu’elles viennent à peine de quitter les bancs de l’enseignement secondaire. Encore à l’heure actuelle l’hégémonie du “male gaze” semble dicter ses propres critères de beauté.
Le male gaze en quelque mots
Le “male gaze” est un concept anglo-saxon désignant le fait que la culture visuelle dominante (magazines, photographie, cinéma, publicité, jeux vidéo, bande dessinée, etc.) imposerait comme norme la perspective d’un homme hétérosexuel. On parle notamment de “male gaze » lorsque la caméra à tendance à s’attarder, par exemple, sur les formes d’un corps féminin (1).
En 2015, à l’occasion de la sortie en salle du nouvel opus de la très appréciée saga Star Wars « Le réveil de la force » la défunte actrice Carrie Fisher en a fait les frais. À cette époque, de très de nombreux spectateurs n’avaient en effet pas manqué de manifester leur effarement à la vue d’une princesse Leia qui n’était plus la brunette fantasmagorique en bikini et à la coiffure en macarons des premiers épisodes. C’était notamment le cas de Bill O’Reilly, un chroniqueur américain qui déclarait sans honte : « Mais le pire vient de notre amie Carrie Fisher, la princesse Leia, parce qu’elle ne ressemble pas à la princesse. (…) Je ne sais pas à quoi elle ressemble mais, vous savez, ils sont de solide constitution ces acteurs« . Exaspérée à la suite de ces nombreuses critiques, l’actrice n’avait eu d’autre choix que de tweeter « Arrêtez de débattre pour savoir si j’ai bien vieilli ou non. Malheureusement, cela me blesse. Mon corps n’a pas aussi bien vieilli que moi. Allez-vous faire voir« (2). Il est d’ailleurs assez paradoxal de noter que son partenaire de jeu, Harrison Ford, qui avait lui aussi vieilli, n’ait bien évidemment pas du tout été soumis au même traitement. Nul doute ici que lorsqu’il s’agit de la date de péremption de la beauté, hommes et femmes ne soient pas logés à la même enseigne et que le deux poids deux mesures soit la norme.
Population vieillissante
En Belgique, l’espérance de vie à la naissance en 2021 s’élevait à 81,7 ans pour la population totale. L’espérance de vie à la naissance est de 84 ans pour les femmes et de 79,2 ans pour les hommes. On peut par ailleurs constater une augmentation de l’espérance de vie à la naissance de la population totale de 0,9 an par rapport à 2020(3). Non seulement l’espérance de vie a donc augmenté mais l’âge moyen des femmes au moment de l’accouchement à lui aussi continué à augmenter de décennie en décennie. Comme en atteste l’article de Statbel publié le 19 septembre 2022 : en 2020, l’âge moyen, tous rangs confondus, est de 31 ans pour la mère et de 34,1 ans pour le co-parent (4).
Cependant, en dépit de cette évolution manifeste de notre qualité de vie et de la croissance constante de l’espérance de vie, ce sont les termes “grossesse gériatrique” et “accouchement gériatrique” qui désignent aujourd’hui, dans une partie du corps médical, les grossesses menées par des femmes de plus de 35 ans. Un paradoxe lorsque tout tend à prouver qu’à l’heure actuelle l’être humain et son corps sont loin de pouvoir être considérés comme vieux à 35 ans.
L’âge moyen de la maternité en hausse
Le rapport de santé périnatale en Wallonie de 2019 explique que les raisons de l’augmentation du nombre de naissances chez les mères plus âgées sont complexes : “Dans le monde développé, il est de plus en plus fréquent pour les femmes de retarder la première naissance jusqu’à ce qu’elles soient dans leur trentaine. Depuis les années 70, la vie sociale moderne a eu des effets considérables sur la vie reproductive des femmes. L’âge plus tardif à la maternité s’explique notamment par le fait que les femmes font des études plus longues, ont un meilleur accès au marché du travail, entrent plus tard en union et ont accès à des méthodes de contrôle des naissances plus efficaces”(6). En outre, parallèlement aux progrès de la médecine reproductive, nous nous dirigeons vers des grossesses de plus en plus tardives ; les accouchements les plus tardifs ayant été recensés chez des femmes de 65 à 70 ans qui ont eu recours à des FIV avec dons d’ovocytes.
Pourquoi devrions-nous arrêter d’ajouter le terme “gériatrique” concernant une étape de la maternité ?
Étymologiquement parlant, gériatrique nous vient du grec ancien « γέρων »/gerôn (« vieillard ») et « ἰατρός »/iatros (« médecin »). La gériatrie désigne donc la médecine des personnes âgées. S’il n’y a bien sûr aucune honte à vieillir, ou même à se voir attribuer des termes relatifs à la vieillesse, il y a tout de même ici une forme de mépris manifeste envers les femmes de plus de 35 ans. Fondamentalement ce qui dérange dans le recours au terme « grossesse gériatrique », c’est l’idée qu’il représente. L’idée d’une femme qui décide de vouloir donner la vie, alors qu’elle devrait manifestement songer davantage à rédiger son testament dans le calme et la chaleur apaisante de la chambre d’une maison de retraite. Doit-on y voir ici un moyen de les blesser ou de les punir d’avoir privilégié leur carrière, leurs envies ou plus simplement une volonté de les stigmatiser d’avoir attendu d’être plus disponible pour leur enfant et d’avoir la maturité nécessaire pour l’élever ?
Il est vrai que le report de l’âge de la grossesse expose les mères à davantage de complications telles que le diabète ou encore l’hypertension artérielle mais il est assez symptomatique de remarquer que les hommes qui deviennent pères plus tardivement ne se voient affubler d’aucun terme en lien avec la gériatrie pour qualifier ce phénomène médical, et ce alors même que deux études de premier plan réalisées dans la population générale ont pourtant mis en évidence un risque accru de Fausses Couches Spontanées (FCS) lorsque l’âge paternel augmente(5).
Mais alors comment nommer ces grossesses ?
S’il existe un autre terme plus officiel et peut-être un peu moins stigmatisant qui est “grossesse tardive”, la véritable question serait plutôt de s’interroger sur la pertinence d’avoir recours à un terme spécifique ? Partant du principe que toutes les grossesses comportent inévitablement un risque pourquoi devrions-nous catégoriser d’une façon différente et stigmatisante les grossesses qui ont lieu passé un certain âge ?
Accoucher après 35 ans est depuis bien longtemps monnaie courante. Les mentalités ont largement évolué depuis le siècle dernier, où l’on considérait comme presque honteux d’être enceinte en début de quarantaine, signe qui trahit une sexualité active et épanouie à un âge où d’autres femmes devenaient déjà grands-mères.
S’il faut absolument catégoriser les grossesses de plus de 35 ans, peut-être devrait-on dès lors réfléchir à l’emploi d’un terme moins stigmatisant qui l’associe de facto à des soins gériatriques. Devenir mère est une belle aventure pour certaines femmes mais dans une société patriarcale où il faut déjà se battre au quotidien contre les inégalités domestiques, les discriminations professionnelles, les injonctions écrasantes et l’isolement social ne pourrait-on pas au minimum se contenter de parler de “grossesse après 35 ou 40 ans”, dans une terminologie plus factuelle qui évite d’ajouter un poids supplémentaire sur les épaules des femmes ?
Conclusion
Continuer d’avoir recours au terme gériatrique pour faire référence à une grossesse après 35 ans représente une régression dans un combat pour l’émancipation de la femme qui peine déjà à avancer. Dans une société qui se veut progressiste, le choix pour une femme de devenir mère après 35 ans, ne devrait susciter aucun débat et ne devrait jamais l’enfermer dans des termes qui in fine vont la stigmatiser, la culpabiliser ou la juger et ce alors même qu’elle devra déjà s’armer au quotidien face aux injonctions sociales sur son corps, son éducation ou son activité professionnelle en tant que mère.
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1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Regard_masculin
2 https://hitek.fr/actualite/reponse-twitter-carie-fisher_8099
5 https://wistim.com/blog-temoignage-pma-fiv/age-pere-fertilite.html
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