Parent hors norme
Marie Béclard - FAML
Avez-vous déjà essayé de définir le mot parent? Ce mot simple que nous connaissons tous et toutes, le dictionnaire Robert le définit comme: “un parent c’est un papa et une maman”. A moins d’être un fervent adepte du mariage pour tous, on réalise vite qu’il y a un problème. Que faire avec cette définition des familles homoparentales où il y a deux papas ou deux mamans? Que faire des familles monoparentales où il n’y a dès le projet de parentalité qu’un seul parent? Que faire avec la gestation pour autrui (GPA) une femme peut mettre au monde un enfant qui n’a pas ses gènes et qu’elle n’est pas destinée à élever? [1] Lors d’un atelier participatif, nous nous sommes prêtés au jeu de définir de manière plus complète et inclusive le mot parent. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il n’est pas possible de donner une et une seule définition du mot parent parce que cela recoupe toute une série de réalités différentes.
Une définition purement biologique, on parle de parent biologique pour les personnes qui donnent les gamètes nécessaires à la création d’un enfant.
Une définition juridique: un parent est une personne qui a la responsabilité légale d’un enfant. Cela passe par une adoption, par une décision de justice ou encore d’autres moyens légaux.
Peut être considéré comme « parent » toute personne qui prend soin d’un enfant, qu’ils soient biologiquement liés ou non. Par exemple, un beau-parent ou un tuteur peut être considéré comme un parent.
Un grand nombre de personnes vous répondront pourtant que cela ne suffit clairement pas à faire de quelqu’un, un parent. En effet, aucune de ces trois tentatives ne suffit seule à donner une définition acceptable du terme parent . En effet, peut-on vraiment parler de parent pour un donneur de sperme ou une donneuse de gamètes? La société belge ne leur reconnaît aucun droit sur l’enfant. Les dons se font même de manière anonyme (sauf quand ce sont les parents d’intention qui apportent les gamètes).
Tout comme le caractère biologique n’était pas suffisant pour se proclamer parent, s’occuper d’un enfant ne suffit pas à être qualifié de parent au nom de la loi. Pourtant, une personne peut se voir qualifiée de parent sans lien biologique ou légal. C’est le cas des beaux parents qui élèvent des enfants et qui tissent un lien spécial qui font que l’un comme l’autre peuvent se considérer comme une réelle famille.
Dans le cas d’une gestation pour autrui (GPA), les choses ne sont légalement pas simples. En Belgique, la mère est la femme qui a accouché de l’enfant. Il est cependant possible de rompre le lien de filiation entre mère et enfant. Si un des parents pourra reconnaître l’enfant dès la naissance, pour l’autre parent, il faudra attendre environ deux ans en moyenne pour que l’enfant soit juridiquement l’enfant du couple d’intention.
On peut donc légalement être parent sans être socialement considéré comme tel parce qu’on n’a aucun contact avec l’enfant, ou à l’inverse être rempli de toutes les injonctions sociétales d’un parent sans en avoir légalement le statut.
Maintenant que nous avons tenté de définir ce que l’on entendait par parent. Qu’entend-on par parent hors norme? Avoir 10 enfants? Etre un couple homoparental? Etre une famille monoparentale? Pas facile de répondre? Serait-il plus simple de définir ce qu’est la parentalité dans la norme? Etre en couple? Avoir 2 enfants? Je ne suis pas certaine qu’on arrive à se mettre d’accord. En effet, chaque société a sa norme, chaque époque a sa norme, chaque personne trouvera une chose ou une autre normale ou anormale. Nous avons ici choisi de mettre le focus sur des parentalités qui sont actuellement davantage que d’autres soumises au préjugés et aux discriminations.
Être handicapé et parent
Il n’est pas compliqué de trouver des parents qui entrent parfaitement dans la norme et qui pourtant sont jugés par d’autres humains qu’ils soient ou non parents eux-mêmes. Parce que ces parents n’ont pas fait le choix d’allaiter ou au contraire ont allaité trop longtemps, car ils sont partis en vacances sans leur enfant ou au contraire qu’ils refusent de le laisser dormir une nuit ailleurs. Mais on se doute que pour un parent en situation de handicap les choses sont encore plus compliquées. Même si le handicap ne constitue pas une identité aux contours uniques, qu’un handicap n’est pas l’autre et une personne porteuse d’un handicap n’en est pas une autre. Bien que la Belgique essaie d’être toujours plus inclusive, les personnes porteuses de handicap subissent encore beaucoup de discriminations.
Des études montrent que les femmes en situation de handicap sont plus nombreuses que la moyenne à prendre des contraceptifs.[2] C’est un choix personnel ? Probablement pas.
On refuse souvent la parentalité aux personnes handicapées parce qu’on suppose qu’elles ne seront pas capables de prendre soin de leur enfant, que celui-ci sera inévitablement placé et donc malheureux.[3]
De nombreux centres pour personnes en situation de handicap mental exigent la stérilisation de leurs patientes. Une pratique totalement illégale mais qui continue d’exister selon certains parents de ces enfants. Pourtant, aujourd’hui, la Belgique fait partie des quelques pays européens qui criminalisent la stérilisation coercitive. Seuls la Suède, l’Irlande, la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Slovénie, la Pologne et l’Espagne interdisent une telle pratique. [4] Ce qui indique que partout ailleurs, stériliser une personne de force ne semble pas être une pratique problématique, ce qui montre à quel point beaucoup d’Etats sont encore influencés par des visions validistes.
Les centres qui demandent la stérilisation de leurs patients se justifient souvent cette stérilisation “comme un moyen de réduire le fardeau supplémentaire créé par la gestion de la menstruation et comme un effort pour éviter les grossesses”.[5] La sexualité au sein des institutions pour personnes avec un handicap mental est souvent présentée comme “inexistante”, “interdite” mais on sait que pourtant c’est bien une réalité. Si non, pourquoi rendre obligatoire la stérilisation ou la contraception si ce n’est pour se dédouaner, parce que l’institution préfère ne pas s’occuper de cette sexualité et fermer les yeux. [6]
“La contraception ou la stérilisation des femmes en situation de handicap est tout simplement un passeport pour le viol”. Les institutions savent que les viols existent, puisque 80% des femmes en situation de handicap qu’elles soient en institution ou non auraient subi des violences sexuelles, c’est quatre fois plus que les femmes valides. [7] Puisqu’on ne parvient pas à empêcher les agressions alors on s’assure seulement qu’il n’y aura pas de grossesse ou plutôt de traces. Comme on se doute bien, la stérilisation ne protège pas du tout des viols, elle permet simplement de les cacher ce qu’on ne veut pas voir. Une telle pratique a un réel impact négatif sur la pénalisation des crimes. On protège ainsi les violeurs bien plus qu’on aide les victimes.
La désapprobation de la maternité chez les femmes en situation de handicap est présente à la fois dans l’ensemble de la société et au sein même de leur propre famille.
La PMA leur est très souvent refusée. Actuellement, pour ces femmes, ne pas être mère n’est donc pas souvent un vrai choix, c’est plutôt un non choix. [8] La normalisation de l’idée que les personnes en situation de handicap ne peuvent pas s’insérer dans la société est si forte qu’il semble totalement impossible qu’elles puissent pleinement assumer leur rôle de mère.
Ainsi, les individus jugés dépourvus de capacités de discernement conservent une autonomie limitée dans l’exercice de leurs droits reproductifs, la prise de décision étant souvent déléguée à leur curateur·trice·x. Cette pratique contribue notamment à perpétuer un cycle de violence à l’encontre des femmes en situation de handicap.
“C’est l’hégémonie du validisme qu’il faut percevoir, ainsi que le sexisme ordinaire, partout présents dans notre société”. Il est important de s’assurer qu’elles sont en mesure de fournir un environnement sûr et approprié à leurs enfants. Cela peut nécessiter des adaptations ou des aides spécifiques.Il est donc important de prendre conscience des stéréotypes de genre, de ceux basés sur le handicap ainsi que tous les autres pour pouvoir opérer un changement sociétal.[9]
Les parents en situation de handicap sont bien souvent bien plus contrôlés que tout autre type de parent. Ce regard porté sur eux peut les « surhandicaper », cela ne favorise en effet pas l’autonomisation. S’ils étaient considérés comme des parents à part entière, alors cela pourrait contribuer à briser les stéréotypes et les préjugés qui les entourent, et leur permettre de vivre leur parentalité de manière plus épanouie. [10]
Pour les parents handicapés, le personnel médical ou les proches du futur parent, il y a la peur de transmettre un handicap ou une maladie héréditaire. Il n’est pas rare de lire des témoignages où les médecins déconseillent à ces patients d’avoir un enfant.
Être parent seul tous les jours ou une semaine sur deux …
A Bruxelles, une famille sur trois est une famille monoparentale alors peut-on encore vraiment parler de hors norme?
Qu’est-ce qu’on appelle une famille monoparentale? Il s’agit d’une famille où un enfant vit quotidiennement avec seulement l’un de ses deux parents, que ce soit par choix, suite à un divorce, une séparation, le décès d’un conjoint ou par choix quand le projet familial s’est fait dès le départ seul.
La présence d’enfants dans la vie d’un ménage amène de nombreux changements, notamment au niveau professionnel. Il est plus difficile pour un parent de prendre part au marché de l’emploi. A Bruxelles, le taux d’emploi des familles monoparentales avec un enfant est de 35,5%, et n’est plus que 24,6 % pour deux enfants et plus. [11]
Les parents solos ont plus de mal à exercer des fonctions à temps plein: globalement 41,4% des mères et 16,9% des pères en situation monoparentale âgés entre 25 et 44 ans qui sont salariés occupent un emploi à temps partiel. La question étant de savoir si c’est le temps partiel est occupé par contrainte ou si c’est un ‘choix’ dans un contexte de manque de places d’accueil des enfants et de difficultés d’articulation travail-famille.
Dans 86,6% des cas, c’est une femme qui est chef de ménage dans ce type de famille. Un seul parent implique souvent un revenu familial inférieur. Cela peut entraîner des difficultés financières et une plus grande précarité économique. En devenant famille monoparentale, les parents sont souvent obligés de changer de logement : 1 parent propriétaire sur 3 est devenu locataire. 1 parent solo sur 2 déclare avoir eu des difficultés à payer son logement durant l’année écoulée. Une paupérisation qui amène 1 parent sur 20 à devenir sans abri et à souvent perdre le contact avec ses enfants. [12] Il est compliqué de maintenir un lien surtout pour les hommes sans avoir de lieu où accueillir ses enfants. La perte de logement met donc à mal la parentalité.
Cependant, parfois on observe qu’une mère seule sera moins précarisée que lorsqu’elle était en couple. Les économistes féministes expliquent cela parce que traditionnellement on considère que tous les membres du foyer ont le même accès au revenu du ménage mais en pratique ce n’est souvent pas le cas. Lorsqu’elle est séparée, une femme a un meilleur accès à son argent.
Les stéréotypes qui entourent les mères dans des familles monoparentales sont nombreux. Au moindre problème, on les accuse d’être “débordées et impuissantes laissant ainsi leurs enfants, sans repère, aller à la dérive, subir de « mauvaises influences » et incapables de s’intégrer à la société.”[13] Ces stéréotypes sous-entendent qu’il faut un homme pour qu’un enfant soit bien éduqué alors les femmes seules sont souvent culpabilisées que cela soit leur propre choix ou non. Ces stéréotypes ignorent souvent les réalités complexes auxquelles les mères et les pères seuls font face, ne prenant pas en compte la force, la résilience et la détermination qu’ils et elles manifestent au quotidien pour assurer le bien-être de leur famille.
Le racisme et parentalité
Une étude américaine révèle “un niveau d’inquiétude plus élevé chez les parents racisés que chez leurs pairs blancs”: la crainte des violences policières, les discriminations au travail ou au logement, la ségrégation : tout cela s’accumule pour fragiliser la santé des femmes noires.». Comment on explique cela? Les parents craignent davantage que leur enfant se fasse tuer à cause du racisme soit lors d’un contrôle de police, ou d’une agression par un tiers dans la rue. [14] Un stress qui selon une étude américaine a des conséquences dès la grossesse puisque selon cette étude, les femmes noires présentent deux à trois fois plus de risques de donner naissance prématurément, indépendamment du statut socio-économique de la mère, du niveau d’éducation ou de la consommation d’alcool ou de tabac pendant la grossesse. Les auteurs de cette étude concluent que le stress chronique associé à l’expérience quotidienne du racisme a des effets sur les niveaux hormonaux, susceptibles de conduire à une naissance prématurée.[15]
On observe souvent une déshumanisation des populations noires ce qui a pour impact qu’on leur demande moins leur consentement et elles sont davantage soumises à des interventions médicales que les femmes blanches.
Les Etats-Unis sont le seul pays développé où la mortalité maternelle augmente, en particulier chez les femmes noires. Chaque année, entre 700 et 900 femmes meurent suite à des complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Le taux de mortalité est trois à quatre fois supérieur à celui des femmes blanches. Le décès est le plus souvent causé par des maladies cardiovasculaires, des infections et des hémorragies.[16] Les femmes racisées ont plus difficilement accès à des soins préventifs et curatifs de qualité qui peuvent contribuer à une plus grande fréquence ou gravité de comorbidités.
Comment peut-on expliquer cela? “Les femmes noires sont plus bruyantes lorsqu’elles donnent naissance, quand elles ont mal”, c’est un stéréotype que l’on entend souvent dans le monde médical. La réalité d’une femme n’est pas celle d’une autre, de plus un tel stéréotype a de lourdes conséquences puisqu’il induit qu’une femme noire qui crie c’est normal, c’est culturel. Cela minimise leur douleur et augmente les chances de diagnostiquer suffisamment tôt un problème de santé: des femmes comme Oyce Echaquan et Naomi Musanga en ont perdu la vie mais combien d’autres dont les noms n’ont pas été médiatisés. Des femmes à qui des équipes médicales disent de se calmer, de patienter et de se taire. Il est important de conscientiser les stéréotypes pour que de telles erreurs ne se répètent pas.
Le racisme a un impact également sur les signalements pour mauvais traitement
La parentalité est-elle la même partout et de tout temps? Une étude au Canada montre qu’il y a une surreprésentation des signalements pour maltraitance dans les familles migrantes. Garder ses frères et soeurs quand on est un enfant est parfois considéré comme un manquement en tant que parent mais ce n’est pas le cas dans toutes les cultures. De plus, si on prend en compte les difficultés que vivent certains parents : les longues heures de travail, peu de liens sociaux et de famille, les obligent à déléguer cette tâche aux enfants les plus âgés. Ce qui est probablement considéré comme un choix réfléchi et comme la meilleure solution est souvent perçu comme une mauvaise parentalité. [17]
Pour changer les choses, il est impératif que nous prenions collectivement conscience de la manière dont le racisme systémique influe sur nos relations et le quotidien des personnes racisées. En effet, peu de personnes nient encore qu’il y a du racisme en Belgique mais il est bien plus compliqué que les personnes admettent que c’est tout le système qui peut être raciste. [18]
Parent queer
Le terme queer est un synonyme de LGBTQIA utilisé pour désigner “toutes les personnes qui sortent des normes sur le plan de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle qui ne sont pas strictement cisgenres ou hétérosexuelles”.[19]
Pendant longtemps, queer et parentalité ne rimaient pas ensemble. Les choses ont doucement évolué mais comme nous l’avons déjà vu, pour le dictionnaire Robert en ligne: un parent, c’est (toujours) un papa et une maman. Comment peut-on encore trouver à l’heure actuelle une définition qui exclut la réalité vécue par 8 à 10 000 enfants vivant dans une famille homoparentale et à 50 000, le nombre d’enfants ayant un·e parent homosexuel·le?[20] Hors parentalité LGBT, l’adoption, les familles recomposées, l’othermothering ont montré que la famille pouvait se construire en dehors des gènes d’“un papa et d’une maman”, tout comme partager des gènes ne signifie pas être une famille.[21] On a érigé la binarité de genre comme la norme, la seule façon d’agir et de penser et cela influence énormément nos comportements. Dans une société patriarcale, il y a une hiérarchie et cela n’est pas à l’avantage des femmes. On continue d’attendre des femmes qu’elles effectuent des tâches domestiques et liées au soin des enfants. Sortir de son rôle de genre, c’est encore souvent s’attirer les foudres de la société. Et c’est ce que font au quotidien les personnes lgbtqia.
Tout le monde ne peut pas rentrer dans ces cases : certaines personnes ne se définissent ni comme homme ni comme femme et pour d’autres, leur identité de genre fluctue: impossible de se coller une étiquette papa ou maman. Pour les personnes trans qui ont des enfants avant leur transition, il y a souvent une étape intermédiaire où les enfants continuent un temps d’utiliser le mot “maman” ou “papa” malgré le changement d’identité de genre, le ??? de papa en maman ou de maman en papa n’est pas toujours simple pour les enfants dans un second temps, un autre nom de parent peut être choisi.
A l’inverse des avancées pour l’inclusion des personnes LGBTQIA en Belgique, l’Italie veut retirer aux parents LGBT le droit d’inscrire leur nom sur l’acte de naissance. 33 couples sont concernés par cette mesure. Qu’est-ce que cela implique? La perte de l’autorité légale sur leur enfant et en cas de décès du parent biologique, ces enfants pourraient être considérés comme orphelins et placés. Il s’agit d’un réel retour en arrière qui montre à quel point les droits acquis sont précaires.
Les différentes formes de parentalité, telles que les familles homoparentales, monoparentales, celles avec des parents en situation de handicap, ainsi que les défis auxquels elles font face, révèlent la nécessité d’une perspective plus inclusive et respectueuse. Pour favoriser une société véritablement inclusive, il est impératif de remettre en question les stéréotypes, de reconnaître les droits de tous les parents et de travailler vers des politiques et des pratiques qui reflètent la diversité des familles d’aujourd’hui. Il est également important de ne jamais oublier que chaque droit obtenu peut aussi vite être annihilé et que donc la vigilance et le combat ne peuvent cesser.
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