Population mondiale et crise environnementale:  le point sur le débat

Juliette Perrinet - ULB

Le 15 novembre dernier, la planète a franchi le cap des 8 milliards d’habitants, de quoi raviver le débat concernant l’impact de la démographie mondiale sur la planète, en termes d’émissions de gaz à effets de serre et d’externalités sur l’environnement.

Nous entendons souvent des arguments relatifs à la taille de la population lorsque l’on traite des questions environnementales.

« Le problème est que nous sommes trop nombreux sur terre ! » « Il faut faire moins d’enfants pour polluer moins ! » « C’est la faute des Chinois, ils sont trop ! » … Mais qu’en est-il vraiment ? Pouvons-nous imputer à la démographie mondiale tous les dérèglements que nous connaissons aujourd’hui ?

L’évolution de la population mondiale et quelques notions clés de démographie

La population mondiale a longtemps stagné à quelques centaines de millier d’individus. Entre l’an 0 et 1800, la population mondiale est passée de 250 millions à 1 milliard. Le second milliard fut dépassé en 1927. En 1999, nous étions 6 milliards.

Il aura donc fallu des milliers d’années pour que la population mondiale atteigne un milliard d’humains contre seulement un peu plus de 200 ans pour que ce chiffre soit multiplié par 8 !

Cette croissance récente et inédite résulte du phénomène de transition démographique, amorcé en Europe à la fin du 18 ème siècle et qui s’est étendue au reste de la planète avec des temporalités très variables. Cette transition est marquée par la maitrise de l’homme sur la mortalité et la fécondité. Dans un premier temps, la mortalité commence à baisser grâce aux progrès de la médecine, une meilleure hygiène de vie, etc… S’en suit une période où le taux de croissance démographique est élevé à cause, du recul de la mortalité d’une part et d’autre part à cause de la stabilité du taux de fécondité. Le taux de fécondité diminue ensuite pour diverses raisons économiques, sociales et culturelles. Aujourd’hui, la plupart des pays sont entrés dans cette phase de transition de fécondité, avec des temporalités variables. Elle aura été lente (environ un siècle dans les pays précurseur) et particulièrement rapide dans les pays l’ayant amorcé plus tardivement. C’est sur le continent Africain où l’amorce de cette transition est la plus tardive mais la plus rapide.

Projections futures

Aujourd’hui, on dénombre 8 milliards d’humains sur la planète. Différentes projections estiment que la population mondiale devrait encore augmenter d’au moins 2 milliards d’habitants en raison du phénomène d’inertie démographique. En effet, malgré le passage d’un taux de natalité fort à un taux de natalité faible, le nombre de naissances continue d’augmenter à cause du nombre important d’adultes en âge d’être parents.

D’ici 2050, la moitié de la croissance démographique mondiale devrait se concentrer dans 9 pays à savoir : l’Inde, le Nigéria, le Pakistan, la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, la Tanzanie, les États-Unis et l’Ouganda

Ainsi, selon les projections établies par l’ONU, la population mondiale devrait atteindre 10,4 milliards d’humains vers 2100.

Arguments populationniste

Le débat populationniste n’est pas d’hier. A la fin du 19 ème siècle, Thomas Malthus proposait déjà dans son pamphlet « Essai sur le principe de la population » des arguments de limitation de la population pour assurer la survie de l’être humain. Sa thèse était principalement fondée sur l’impossible adéquation entre la croissance de la population et la croissance de la production agricole, ce qui conduirait inévitablement à des famines. Après avoir connu un large succès, la théorie malthusienne fut contestée suite aux avancées de l’agriculture en termes de production. S’en suit alors la pensée néomalthusienne, fondée sur l’ouvrage à succès de Paul Erlich en 1968 : «  La bombe P ». L’auteur affirme l’existence d’une relation causale entre la croissance démographique et les impacts environnementaux (détérioration de l’environnement et réchauffement climatique) ainsi que les risques accrus de pénurie alimentaire. Il propose alors comme solution un contrôle de la population via la limitation des naissances (et propose des mesure pour le moins assez radicales).

Les arguments des néomalthusiens sont encore souvent repris aujourd’hui. Cependant, une des limites principales de la théorie est la non prise en compte du modèle de développement des pays. Pourtant, le modèle capitaliste des pays occidentaux est largement responsable du réchauffement climatique et des pollutions environnementales.

La terre peut-elle nourrir 8 -10 milliards d’humains ?

Différentes alertes pourraient nous faire penser que nous sommes trop nombreux sur la planète. Le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde s’élève à 828 millions de personnes en 2021 selon les nations Unies. On pourrait alors croire que la capacité de production agricole ne soit pas assez importante pour nourrir tout le monde…. mais lorsqu’on sait qu’environ 30 % de la nourriture dans le monde est jetée, ou que 80 % des terres agricoles sont destinées au bétail (champs céréalier pour le bétail et bétail) le problème prend une autre tournure. Il y a là un réel problème de répartition des richesses ainsi que de fortes disparités dans les modes de vie et de consommation. Cela s’applique tant pour la consommation de ressources que pour la responsabilité des émissions de gaz à effets de serre.

L’importance du mode de vie des plus riches dans les émissions de gaz à effets de serre

Croissance démographique et augmentation des émissions de de gaz à effets de serre, un lien étroit ?

Au fil des décennies, les gaz à effets de serre et les impacts environnementaux n’ont cessé d’augmenter en parallèle de la population mondiale. Les émissions mondiales ont été multipliées par 1200 en 200 ans. Cependant, ce qu’il est primordial de souligner, est l’inégalité extrême des émissions en fonction des pays, ou classes sociales, au-delà du nombre.

D’un pays à l’autre, les émissions peuvent fortement varier, tout comme au sein même de la population d’un pays. Aujourd’hui, 10 % de la population émet 50 % des émissions de gaz à effets de serre.

Selon un rapport d’Oxfam, il est estimé qu’en France, les 1 % les plus riches ont une empreinte 75 fois supérieur au 10 % les plus pauvres.

Un bon moyen pour comparer l’impact des modes de vie entre population d’un pays (bien qu’il existe des disparités au sein même des pays), est la notion d’empreinte carbone individuelle. Celle-ci est plus pertinente pour comparer les émissions d’individus d’un pays à l’autre plutôt que comparer les émissions globales d’un pays (qui ne prennent pas en compte la taille de la population).

Une image contenant texte, capture d’écran Description générée automatiquement

Au niveau des entreprises, une étude de Carbon disclosure project estime qu’environ 70 % des émissions de gaz à effets de serres mondiales seraient imputables à seulement 100 entreprises.

Ces chiffres aussi ahurissant les uns des autres permettent de se rendre compte à qui nous devons vraiment imputer les émissions de CO2, que ce soit des entreprises ou des individus.

On l’aura compris, le débat sur la taille de la population mondiale doit essentiellement se recentrer sur les véritables causes des désastres environnementaux actuels et ne pas tomber dans l’argumentation simpliste du néomalthusianisme oubliant des facteurs essentiels pour comprendre les conséquences des désastres environnementaux actuels. Limiter la population est une fausse piste pour résoudre les crises actuelles. Ce choix poserait également des questions d’ordre éthique dans une perspective néocoloniale, en voulant contrôler la démographie des pays les plus pauvres en transition démographique.

D’un point de vue systémique, il s’agit de remettre en cause le modèle consumériste et capitalistique. Cela remet alors en question principalement certaines entreprises, ainsi que les modes de vie des plus riches, ayant une responsabilité considérable dans les émissions passées et actuelles. Les arguments populationnistes ne font qu’éloigner les véritables solutions du problème.

Sources :

https://oxfamilibrary.openrepository.com/bitstream/handle/10546/582545/mb-extreme-carbon-inequality-021215-fr.pdf;jsessionid=F2805AE3A53C463E2A2D15D581D21CFC?sequence=13

https://www.unicef.fr/article/le-nombre-de-personnes-souffrant-de-la-faim-dans-le-monde-a-atteint-828-millions-en-2021/

https://www.un.org/fr/dayof8billion

https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/100-entreprises-responsables-de-plus-de-70-des-emissions-mondiales-de-carbone_114773

https://www.greenpeace.fr/milliardaires-et-climat-4-chiffres-qui-donnent-le-vertige/

https://journals.openedition.org/vertigo/29333

https://www.un.org/fr/global-issues/population

https://datacatalog.worldbank.org/search/dataset/0037712

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *