Activistes écologistes en prison : qui sont les vrais criminels ?
Juliette Perrinet - ULB
Le 7 juin dernier, 14 activistes étaient jugé·es à Bruges pour leur participation à une action non-violente de Greenpeace Belgique au terminal gazier Fluxys de Zeebrugge. Ces derniers avaient été retenus 48h en garde à vue, soit la durée maximale légale, et encourent jusqu’à un an de prison et 8.000 euros d’amende. Le même jour, à Rodez, en Aveyron, en France, une vingtaine de Faucheurs Volontaires d’OGM étaient jugés pour leur participation à une action contre l’entreprise RAGT Semences, sabotant des sacs de graines de variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH).
Ces différents procès d’actions écologistes s’accompagnent partout en Europe d’une multiplication des actions répressives visant à intimider ou criminaliser les militants écologistes.
Ainsi, le 24 mai, en Allemagne, les autorités ont effectué quinze perquisitions sur tout le territoire dans le cadre d’une enquête pour « formation ou soutien d’une organisation criminelle » menée par le parquet de Munich. Sept activistes du collectif Letzte Generation (Dernière Génération), âgés de 22 à 38 ans, sont visés par la procédure, dont deux suspectés d’avoir tenté de saboter un pipeline. De la même manière, le 7 juin, une quinzaine de militant·es écologistes étaient arrêtés de l’autre côté de la frontière par la police antiterroriste française – pour avoir participé à un désarmement de la cimenterie Lafarge près de Marseille en décembre dernier. Ces militant·es interpellé·es aux 4 coins de la France ont ainsi passé près de 80 heures en garde à vue (contre 48h maximum pour une procédure normale), et se sont vu poser des questions sur leurs idées politiques et activités militantes. Notons que le qualitatif de «terrorisme» est doublement amer alors que Lafarge a été condamnée à payer 778 millions d’euros aux Etats-Unis pour avoir passé des accords financiers de plusieurs millions d’euros avec Daesh entre 2013 et 2014.
Cette criminalisation des activités écologistes interroge, alors que les rapports du GIEC, de l’IPBES se font chaque année plus alarmants, et que nous entrons dans le mois de juin le plus chaud jamais enregistré. Elle s’inscrit cependant dans une certaine continuité de répression à l’égard de pratiques militantes déjà éprouvées.
Des pratiques militantes nouvelles ?
Les méthodes de désobéissance civile ou de sabotage d’industries socialement et écologiquement dévastatrices s’inscrivent dans une longue histoire de critique de techniques jugées néfastes : des luddites anglais de la fin du XVIIIème siècle qui s’opposaient l’introduction de machines dans l’industrie textile aux paysans du XXIème siècle s’opposant à la généralisation des OGM, en passant par les mouvements anti nucléaire et environnementaliste des années 60[1]. L’action directe et le démantèlement de certaines structures étaient alors au cœur de ces luttes : les luddites brisaient les machines, les paysans fauchaient les OGM et les mouvements antinucléaires sabotaient des chantiers de centrales. Ainsi, Françoise D’Eaubonne, à l’origine de la pensée éco-féministe, commet un attentat le 3 mai 1975 contre la centrale de Fessenheim en construction et 7 ans plus tard, en 1982, l’activiste Chaïm Nissim tire 5 roquettes sur le chantier du surgénérateur nucléaire SuperPhenix mais toutes raterons le cœur du réacteur.
Criminaliser pour dépolitiser
Ces modes d’action directe connurent une répression importante, qu’on peut mettre en parallèle avec les répressions actuelles. Ainsi, la marche contre le projet de surgénérateur nucléaire SuperPhénix à Creys-Malville le 31 juillet 1977 a été réprimée par 5000 gendarmes et s’est soldé par la mort de Vital Michalon, professeur de physique de 31 ans aux poumons explosés par le souffle d’une grenade de police. Cette violence policière ressemble à de nombreux égards avec la répression sans précédent de la marche contre les méga bassines de Sainte Soline en mars 2023. Serge, âgé de 32 ans, tombe alors dans le coma sous le souffle d’une grenade GM2L, classée arme de guerre à l’échelle… Dans les deux cas, les manifestant·es furent réprimé·es dans le sang.
Ce retour historique montre que la répression n’est pas nouvelle et que les luttes remettant en question le modèle énergétique, agricole ou social de l’Etat font l’objet d’un musellement violent. Néanmoins, on peut observer depuis quelques années un changement dans la manière de qualifier ces violences et de justifier leurs répression qui inquiète quant au sort réservé aux contestataires écologistes. A Superphénix, l’Etat agitait la protection de la sécurité énergétique du pays pour justifier la répression armée du mouvement écologiste. Dans le cas de Sainte Soline, on observe un décalage entre le dispositif policier et le bien protégé : il ne s’agit que d’un trou, sans instruments de chantier, pour lequel les forces de l’ordre tireront 4000 grenades en 2h. Il y alors un déplacement dans les justifications à l’œuvre dans l’emploi d’armes de guerre à l’encontre de militants : de la répression pour la sécurité et la protection d’infrastructures étatiques, on passe à la répression de la simple contestation écologique, délégitimée par le qualificatif de “terroriste”.
Il semblerait que pour le ministère de l’Intérieur français, il ne s’agisse pas de décrire une réalité pénale en caractérisant ainsi l’action des écologistes, mais de dépolitiser l’action des militants en les criminalisant. Cette dépolitisation ne date pas d’hier : les étudiant·es et militant·es soixante-huitard·es étaient taxé·es par les mouvements conservateurs et réactionnaires de judéo-bolcheviques, la gauche progressiste des années 2010 d’islamo-gauchiste (ces deux derniers qualificatifs étant imprégnées d’un antisémitisme et d’une islamophobie crasse). Les discours des militants écologistes, taxée d’irrationalité, d’extrémisme, est alors inentendable. La qualification d’« éco-terrorisme » s’inscrit dans cette même lignée, tout en marquant une rupture sémantique. En effet, la connotation juridique des termes “terrorisme” en France ou “organisation criminelle” en Allemagne, et l’arsenal de moyens qu’ils impliquent, est utilisé pour justifier des sanctions pénales et des moyens répressifs hors-normes. Les écologistes contestataires, dans leur ensemble, peu importe la nature de leurs actions militantes, seraient dangereux pour la stabilité de la société dans son ensemble, et doivent être arrêtés par tous les moyens.
Le libre cours de la violence écocidaire
Pourtant, la violence supposée de leurs actions est à mettre en perspective avec la triple violence exercée par l’écocide en cours, et qui ne fait l’objet d’aucune sanction juridique. A l’échelle globale, on retrouve la violence du système capitaliste-colonial, qui exploite les ressources des pays des Suds tout en condamnant ces pays aux déserts climatiques, aux pollutions industrielles et aux pénuries alimentaires. On retrouve également la violence à l’égard des non-humains avec un taux d’extinction d’espèces actuellement 100 à 1000 fois supérieur à celui calculé au cours des temps géologiques, plus de 1000 milliards d’animaux tués chaque année pour l’alimentation humaine et une artificialisation sans précédents des milieux naturels.
C’est aussi à l’échelle globale et nationale une violence de classe qui s’exerce, avec une différenciation des émissions selon les richesses. Il est en effet important de faire la distinction entre les émissions de subsistance et les émissions de luxe, introduites par Andreas Malm dans « Comment saboter un pipeline ». Les premières sont les émissions de survie qui permettent de travailler, de se nourrir ou encore d’amener ses enfants à l’école quand on habite en banlieue ou en campagne. Les secondes émissions de luxe, possèdent selon Andreas Malm 6 caractéristiques : ce sont des crimes gratuits qui pourraient être évités, ceux qui émettent ces émissions seront les derniers à en ressentir les conséquences, il s’agit de dépenses ostentatoires promouvant le gaspillage, les ressources utilisées pour ces émissions de luxes ne le seront pas pour l’adaptation, et enfin il s’agit d’une négation de l’idée même de réduction.
En plus de l’impunité juridique dont disposent les pollueurs à l’égard de leurs émissions de luxe, il faut ajouter celle des entreprises les plus émettrices de GES. Mickaël Correia, journaliste expert des enjeux climatiques chez Mediapart, alerte ainsi sur les « Criminels Climatiques » : les 100 entreprises les plus émettrices qui sont à l’origine de 70% des émissions mondiales de GES. Les 3 premières, inconnues du grand public que sont Gazprom, Saudia Aramco et China Energy, occuperaient le poste de 3ème émetteur mondial si elles étaient un pays, derrière la Chine et les USA. Le système économique est construit de manière à admirer ces entreprises (Aramco est l’entreprise la plus rentable au monde) et à les inonder de financements : BNP Paribas finance les activités fossiles à hauteur de 41 milliards en 2020. Cette participation active à la crise écologique actuelle ne peut être justifiée par la méconnaissance ou l’ignorance : Total Energies était ainsi au courant de la contribution de ses activités fossiles depuis 1971 sur le réchauffement climatique.
Le contraste entre le vide juridique concernant les crimes écologiques et la criminalisation croissante des militant.es écologistes, tant sur le plan juridique que médiatique, est la manifestation de gouvernements, de justices et de médias matériellement complices de la destruction du vivant, actif dans l’empêchement de la critiques et des débats nécessaire sur les mondes souhaitables pour demain.
[1] Pour un exposé détaillé de la critique des techniques, voir Jarrige, François. Technocritiques: Du refus des machines à la contestation des technosciences. Paris, La Découverte. 2016.
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