Quand la nature reprend ses droits
Marie Béclard - FAML
L e dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est paru le 9 août 2021 et il est sans appel : l’humain est responsable du réchauffement de l’atmosphère et l’ampleur des changements climatiques actuels n’a pas été observée depuis des siècles. Le réchauffement climatique va se poursuivre au moins jusqu’en 2050. Cependant, nous pouvons encore éviter une augmentation de plus de 2°C voire de 1,5°C mais pour cela, nous devons atteindre le plus rapidement possible la neutralité pour le CO2 et réduire fortement les émissions des autres gaz à effet de serre.1 Ce rapport, est-ce vraiment une surprise ? Peu d’entre nous arrivait encore à se voiler la face.
Qu’est-ce qui nous attend ? On prévoit une augmentation de la fréquence et de l’intensité de phénomènes climatiques extrêmes : des vagues de chaleur, des fortes précipitations ou des sécheresses selon les régions ainsi que la réduction de la banquise arctique, de la couverture neigeuse et du pergélisol. Toutes ces prévisions qui autrefois semblaient issues d’un film de science fiction commencent aujourd’hui à être une réalité. Toutes les régions du monde subissent déjà les effets du changement climatique. L’été 2021 en aura été un triste exemple : l’Allemagne, la Belgique, la Chine et bien d’autres pays ont été lourdement touchés par les inondations tandis que le Canada, les États-Unis, la Grèce ou la Turquie … ont connu des pics extrêmes de chaleur provoquant des incendies et détruisant des centaines de milliers d’hectares de terre, ainsi que la biodiversité des sites touchés.
L’Europe est naturellement exposée aux catastrophes puisqu’une partie conséquente de sa population se concentre près des cours d’eau et des zones littorales (parfois en dessous du niveau de la mer), dans des zones de montagne accidentées, dans des zones sismiques ou volcaniques ou encore dans des régions extrêmement exposées aux incendies. Il est donc réellement urgent de prendre des décisions et de mener des actions concrètes que se soit au niveau environnemental ou des politiques de développement urbain tant pour réduire l’ampleur de la catastrophe que pour vivre avec un ration risque/bénéfice qui soit acceptable.
Déjà en 2009, l’ONU-SIPC ??? prévoyait que le changement climatique allait accroître les risques de catastrophe en rendant les populations plus vulnérables aux aléas physiques, pour deux raisons: la dégradation des écosystèmes, qui appauvrira les ressources en eau et en nourriture, et une modification des moyens de subsistance due à l’augmentation des aléas météorologiques et climatiques. ²
Pourtant dans des villes comme Bruxelles, des méga projets urbanistiques sont réalisés ou sur la table des négociations. La construction de millier de logements est en jeux. Que justifie l’ampleur de ces projets ? Bruxelles connaît-elle un véritable boom démographique ?
Inondation et pauvreté, un risque accru
1,47 milliard de personnes sont exposées à un risque modéré d’inondation. S’il ne s’agit pas seulement de ménages précarisés, 600 millions d’individus potentiellement touchés sont des personnes à très faibles revenus : « 4 personnes sur 10 exposées au risque d’inondation dans le monde vivent avec moins de 5,50 dollars par jour ».2 Les inondations sont les catastrophes naturelles les plus fréquentes et elles n’épargnent aucun pays. Dans les années à venir, elles seront encore plus nombreuses avec l’affaissement des terres (dues en partie à l’extraction des eaux souterraines) et l’impact de l’urbanisation croissante (puisque les zones sures sont déjà occupées, les populations s’installent dans des zones toujours plus dangereuses) et les conséquences du réchauffement climatique.3
Le problème s’explique en partie car les biens situés dans des zones soumises aux inondations peuvent être beaucoup moins chers ce qui permet à une frange plus pauvre de la population d’accéder à des biens qui auraient été hors budget sans le risque d’inondation. 4
Les conséquences des inondations, ce sont souvent les ménages les plus pauvres qui les ressentent le plus fort et à long terme : faute d’économies et d’accès aux dispositifs de soutien. 5
La nature à la rescousse
En Belgique, de nombreuses photographies prises durant les inondation de l’été 2021 ont mis en évidence la différence entre un milieu resté naturel et un espace artificialisé. L’artificialisation empêche l’infiltration et le stockage des eaux fluviales. Les systèmes artificiels de captages peuvent se retrouver rapidement dépassés par l’arrivée massive d’eau qui provoque des inondations.
Les catastrophes naturelles ne sont que rarement, ou jamais, prises en compte dans les politiques de développement urbain. Il n’est pas rare pour les pays en voie d’urbanisation d’avoir deux ministères complètement différents pour la gestion des situations d’urgence et pour le développement urbain comme si ces deux domaines n’ont pas d’impact l’un sur l’autre.
La nature comme aide précieuse pour lutter contre les inondations
Si les humains rivalisent d’ingéniosité pour mettre en place des systèmes très performants qui doivent garantir la sécurité des populations, ces constructions sont aussi très coûteuses à la construction et à l’entretien. Seuls les pays qui ont les moyens technologiques et financiers protègent leur population à l’aide de ces constructions. Cependant, on néglige très souvent le potentiel protecteur des infrastructures naturelles : « mère nature en personne propose de bien meilleures solutions ».6 Des études montrent que des milieux naturels préservés peuvent réduire l’impact des catastrophes naturelles et qu’à l’opposé la dégradation des écosystèmes accentue les risques. Beaucoup d’écosystèmes agissent comme des zones tampons, absorbant les effets des aléas naturels : diminution des crues, stabilisation des sols, protection des côtes et protection contre les avalanches.
Les infrastructures naturelles sont souvent moins coûteuses à installer ou à préserver et peuvent jouer un rôle protecteur équivalent à celui des ouvrages d’ingénierie comme les digues, les barrages, les murs en béton ou autres systèmes de protection.
Les écosystèmes sont également très importants. Outre la protection contre les aléas, les écosystèmes offrent de nombreux avantages comme la fixation du carbone ou le filtrage et le stockage des eaux, ainsi que des valeurs esthétiques, récréatives et de bien-être qui ne Le rôle des écosystèmes dans la réduction des risques de catastrophes 7
Par exemple, les marécages absorbent une grande partie de l’énergie cinétique destructrice des cyclones à la manière dont une pelouse épaisse et dense absorbe la puissance d’un jet d’eau qui, sur une allée en ciment, éclabousserait avec force en tous sens.
Si de plus en plus de pays ont pris conscience des avantages liés à la protection des milieux naturels comme des récifs coralliens et des forêts de mangroves qui constituent des zones importantes de la biodiversité marine et des tampons essentiels entre la terre et la mer. Dans d’autres endroits du monde, on continue à détruire cette nature protectrice. Par exemple, depuis les années trente, la Louisiane a perdu plus de 50 millions d’hectares de zones humides et le rythme actuel de destruction est de 250 000 hectares par an.8
La chaleur en ville
Si les inondations détruisent et tuent fréquemment, la chaleur peut, elle aussi, être meurtrière. Elle n’a pas cessé d’augmenter dans les villes au fil du temps et l’urbanisation aggrave le réchauffement mondial puisqu’on remplace des zones vertes par des constructions qui n’ont pas la capacité de capter du CO2.
Souvent, on peut observer dans les villes la présence d’un micro climat, les températures sont quelques degrés plus élevés que dans les campagnes environnantes. 9Cela s’explique par l’effet d’îlot de chaleur urbain. Ce phénomène est la conséquence de différents facteurs: mauvaise circulation de l’air, chaleur piégée par les hauts bâtiments, chaleur due aux activités humaines, des matériaux de construction qui absorbent la chaleur et une présence limitée de végétation.10 Pour réduire la chaleur en ville, il est important d’arriver à une artificialisation nulle et engager des dynamiques de renaturation des milieux artificialisés. Pour cela, on peut dé-bitumer, végétaliser, restaurer les friches, avoir une politique qui vise à réhabiliter ou à rénover plutôt que construire. Il faut également préserver et accroître les espaces naturels et restaurer les écosystèmes dégradés.
La nature à Bruxelles
Avec ou sans le rapport du GIEC, on pourrait penser que tout le monde (ou presque) perçoit l’urgence de la situation écologique. Pourtant à Bruxelles, on continue à réaliser et prévoir de grands projets urbanistiques.
Bruxelles est une des capitales les plus «vertes» d’Europe puisque presque 50 % de sa surface est non bâtie, ce qui correspond à environ 8.000 ha : des parcs , des cimetières , des bois et forêts, de nombreux jardins privés , des friches , ainsi que des zones agricoles occupent encore 7% du territoire de la capitale. Mais Bruxelles, c’est aussi 5500 Bruxellois par kilomètre carré.
L’importance en nombre d’espaces verts et la grande variété de milieux ou habitats pour la faune et la flore jouent un rôle primordial dans la préservation de la biodiversité bruxelloise. 11
De 1980 à 2003, la superficie non bâtie a diminué de 17% en Région de Bruxelles-Capitale. Lorsqu’on supprime un espace vert quelque part, cela a une double influence : la nature disparaît du lieu bâti et en plus cela met souvent davantage de pression sur les espaces verts restants ce qui perturbe leur équilibre. 12 Ces dernières années, de nombreux méga projets ont été proposés : méga prison à Haren, construction de logements sur le site du Marais Wiels, site Josaphat et bien d’autres…
Si certains sont abandonnés (au moins temporairement), comme c’est le cas des Marais Wiels, d’autres sites sont encore en grand danger : la fiche Josaphat ou le site des « Dames blanches » pour ne citer que ces exemples.
Le site Josaphat est une ancienne gare de triage qui se situe à cheval sur les communes de Schaerbeek et d’Evere. La Société d’Aménagement Urbain (SAU) la possède depuis 2006.
La région désire créer sur ses 24 hectares un quartier de ville mixte et durable, autour d’un espace vert public. 13 D’un côté, on semble réaliser l’importance de stopper l’urbanisation et de préserver la nature, d’un autre on continue à urbaniser à outrance. Un premier plan d’aménagement durable (PAD) pour le site Josaphat avait été rejeté tant par la commune que par les riverains. Un nouveau PAD propose de préserver la friche sur 1,28 ha via la création d’un nouveau parc (« biopark ») exclusivement dédié à la biodiversité et dont le futur gestionnaire sera Bruxelles Environnement. Ce nouveau parc public s’intégrera au Wadipark, au Spoorpark et aux talus déjà existants (qui sont maintenus dans le nouveau projet). Ceci permettra, au total, de disposer d’un parc d’un seul tenant d’une superficie de 5,05 ha . 14
Mais c’est ignorer les risques de la fragmentation sur les habitats spécifiques nécessaires à la faune et à la flore pour exister. Pollutions, changements climatiques, fréquentation trop importante de certains espaces verts, ainsi que l’arrivée d’espèces exotiques envahissantes ou encore l’assèchement de zones humides rendent vulnérables de nombreuses espèces vivantes ou menacent directement leur survie. Les changements des conditions de vie naturelles des espèces, conduisent certaines à s’éteindre, ou à migrer, amenant des déséquilibres. 15
Dans le nouveau projet, la friche devrait accueillir 1200 logements contre 1600 logements précédemment. Comment peut-on espérer que le site ne soit pas bouleversé par l’arrivée d’autant d’habitants ainsi que par la construction de deux écoles, …
L’importance de repenser le logement
Doit-on vraiment encore construire autant de nouveaux logements ? C’est une question qu’on peut légitimement se poser. Bruxelles connaît-elle un boom démographique ? L’Ibsa (Institut Bruxellois de statistique et d’analyse) il y a eu près de 10 000 habitants supplémentaires en 2019 à Bruxelles. Au 1er janvier 2020, la Région de Bruxelles-Capitale comptait 1 218 255 habitants, elle n’a jamais été aussi peuplée. 16
Actuellement, la croissance démographique bruxelloise est stable, on n’assiste donc pas à un véritable boom démographique.
Certes, Bruxelles manque de logements mais de nombreux opposants aux projets d’urbanisation demandent de s’intéresser préalablement à la question des logements vides. Il existe une importante partie de bâti non utilisé : des bureaux ou des habitations vides. Plutôt que de détruire des espaces verts, il semble important de davantage rénover le bâti vétuste ou de donner de nouvelles fonctions à des bâtiments. En effet, depuis le confinement et le succès du télétravail, de nombreux immeubles de bureaux se retrouvent désormais vides. Les sociétés vont encore probablement réduire leur surface de bureaux. Plutôt que de laisser ses bâtiments vides se délabrer, il est possible de changer leur affectation et de les destiner au logement. Leopold Views à Evere est un ancien immeuble de bureaux des années 70 qui a été entièrement rénové et transformé en immeuble à appartements.
L’urbanisme vert
La végétalisation des toits aide à réduire les températures dans les bâtiments, empêcher les îlots de chaleur. Vraie bonne idée ou poudre aux yeux ? Les toitures végétales aident un peu la biodiversité : sur ces toits les insectes trouvent de quoi subsister. Les toits végétalisés rafraîchissent localement la ville grâce à l’évapotranspiration. En effet, « par une journée ensoleillée de 26°C (à l’ombre), un toit exposé au soleil peut atteindre une température de 80°C si sa couleur est foncée, 45°C si sa couleur est blanche et seulement 29°C s’il est recouvert de végétaux. On peut estimer l’écart de température ressenti dans une ville à -0,5°C en moyenne, pouvant atteindre -2°C. »17 Végétaliser représente donc une solution pour certains éléments mais ne remplace pas la nature.
Il est important d’avoir une politique d’aménagement urbain qui prend en compte l’importance de la nature que ce soit pour diminuer le réchauffement climatique, éviter les catastrophes naturelles ou encore conserver la biodiversité.
1 Le rapport du GIEC pour les parents et enseignants publié le 24 août 2021 et Informations consultées le 26 août 2021 sur le site https://bonpote.com/le-rapport-du-giec-pour-les-parents-et-enseignants/
2 J. E. RENTSCHLER, M. SALHAB, 1,47 milliard de personnes sont exposées à un risque d’inondation, et plus d’un tiers d’entre elles à des catastrophes aux effets dévastateurs publié le 12 novembre 2020 et consulté le 27 août 2021 sur le site https://blogs.worldbank.org/fr/voices/1-47-milliard-de-personnes-sont-exposees-risque-inondation
3 J. RENRSCHLER, M. SALHAB, People in Harm’s Way Flood Exposure and Poverty in 189 Countries, dans Poverty and Shared Prosperity 2020 consulté sur le 29 août 2021 sur le site https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/34655/People-in-Harm-39-s-Way-Flood-Exposure-and-Poverty-in-189-Countries.pdf?sequence=1&isAllowed=y
4 J. RENRSCHLER, M. SALHAB, People in Harm’s Way Flood Exposure and Poverty in 189 Countries, dans Poverty and Shared Prosperity 2020 consulté sur le 29 août 2021 sur le site https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/34655/People-in-Harm-39-s-Way-Flood-Exposure-and-Poverty-in-189-Countries.pdf?sequence=1&isAllowed=y
5 J. E. RENTSCHLER, M. SALHAB, 1,47 milliard de personnes sont exposées à un risque d’inondation, et plus d’un tiers d’entre elles à des catastrophes aux effets dévastateurs f et consulté le 27 août 2021 sur le site https://blogs.worldbank.org/fr/voices/1-47-milliard-de-personnes-sont-exposees-risque-inondation
6 Informations consultées le 28 août 2021 sur le site https://www1.undp.org/content/undp/fr/home/blog/2017/5/11/Nature-to-the-rescue-Reducing-flood-risks-by-using-ecosystem-services.html?fbclid=IwAR0LaaY_qF6I3dEA905XxLficz0XrVg3QmKTp3nJcFtuXuXkDJO1h5CF91c
7 Karen Sudmeier-Rieux, Le rôle des écosystèmes dans la réduction des risques de catastrophes https://www.coe.int/t/dg4/majorhazards/ressources/pub/Ecosystem-DRR_fr.pdf
8 F. MANCEBO., « Ville durable et changement climatique », dans Environnement Urbain Urban Environment, 2011, volume 5, VRM, Montréal. http://www.vrm.ca/cyber_pub.asp?vol=2011
9 Y. HIRSCH, Caractéristiques de l’îlot de chaleur urbain et recherche d’une solution paysagère pour le site de la résidence Damrémont à Paris, Gembloux, 2016-2017 consulté le 31 aout 2021 sur le site https://matheo.uliege.be/bitstream/2268.2/2982/5/TFEVF2ff.pdf
10 Informations consultées le 26 août 2021 sur le site https://climat.be/actualites/2021/6e-rapport-du-giec-face-a-des-risques-sans-precedent-la-communaute-scientifique-lance-un-nouveau-signal-d-alarme
11 La biodiversité mis à jour le 18/05/2020 consulté sur le 20 août 2021 sur le site
https://environnement.brussels/thematiques/espaces-verts-et-biodiversite/la-biodiversite
12 La biodiversité à Bruxelles. Une chance exceptionnelle ! Informations consultées le 21 août 2021 sur le site https://document.environnement.brussels/opac_css/elecfile/Biodiversite%202010%20FR? Sur le site_ga=2.91080477.666227197.1627929601-1648543707.1627929601 p. 6
13 Josaphat Informations consultées le 20 août 202https://perspective.brussels/fr/projets/poles-strategiques/josaphat
14 Josaphat Informations consultées le 20 août 202https://perspective.brussels/fr/projets/poles-strategiques/josaphat
15 La biodiversité mis à jour le 18/05/2020
https://environnement.brussels/thematiques/espaces-verts-et-biodiversite/la-biodiversite
16 J.P. HERMIA, Baromètre démographique 2020 de la Région de Bruxelles-Capitale, informations consultées le 12 août 2021 sur le site https://ibsa.brussels/sites/default/files/publication/documents/Focus-43_FR.pdf
17 https://particivil.org/2021/03/03/les-toitures-vegetalisees-une-solution-efficace-pour-le-deploiement-de-la-nature-en-ville/
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