Quelle validité pour un mariage au premier regard ?
Céline Béclard - Juriste
La télé-réalité « Mariés au premier regard » a retrouvé l’antenne sur RTL-TVI et c’est l’occasion de se poser quelques questions quant à la pertinence de ce genre d’émission et tout particulièrement de celle-ci dont la finalité est d’engager la vie amoureuse de deux personnes et de la sceller par un mariage célébré très solennellement par des officiers de l’état civil au sein de maisons communales en Belgique et de mairies en France.
Fondé sur une série danoise appelée « Gift Ved Første Blik» dérivée elle-même de son homologue américain « Married at First Sight », le programme organise des mariages pour des célibataires en peine de trouver l’amour.
Des experts, sexologues, docteurs en psychologie, sociologues, professeurs d’université mettent leurs compétences au service de l’émission afin de trouver aux candidats sélectionnés le partenaire qui leur conviendra et qui répondra le mieux à leurs attentes. Ils se basent pour ce faire sur une série de critères et sur des tests de compatibilité. Celle-ci devra atteindre un pourcentage supérieur à 70 %.
Ceux qui auront eu la chance de passer avec succès les différentes épreuves, et après un délai de quelques semaines leur permettant d’informer leurs proches et d’effectuer l’achat de tenues de mariage, vont se trouver le jour de leur mariage face à une personne qu’ils n’ont jamais vue et dont ils ne savent absolument rien.
Face à l’officier d’état civil et après avoir signé par procuration un contrat de mariage de séparation de biens , ils devront, en quelques minutes, prendre la décision de se marier ou non.
Lorsque la réponse des deux candidats est positive, une fête réunissant les deux familles leur est offerte par la production. S’ensuit une nuit de noce dans un hôtel de luxe et un voyage de noces dans des contrées idylliques.
De retour au pays, ils décideront ou non de cohabiter. En cas de difficultés, le nouveau couple pourra recevoir les conseils des experts.
Au bout de quelques semaines, il sera demandé aux époux s’ils souhaitent rester mariés ou au contraire, s’ils veulent mettre un terme à l’expérience et divorcer.
Les producteurs de la série ne voient pas leur émission comme un jeu télévisé mais ils la vendent comme une véritable expérience pour les participants.
Controverses engendrées avant la diffusion de l’émission
En 2017, suite à l’annonce de la diffusion de l’émission sur RTL-TVI, le bourgmestre de la commune de Woluwe-Saint-Lambert, Olivier Maingain annonce qu’il a refusé de participer à l’émission. Selon lui, le Parquet de Bruxelles consulté par les autorités communales aurait répondu « qu’il pouvait y avoir suspicion de vice de consentement et une contestation de la validité du mariage» et qu’il lui aurait été « vivement recommandé de ne pas accepter » de célébrer ce type de mariage. Olivier Maingain, ajoute qu’il a demandé au Ministre de la justice de consulter le collège de Procureurs généraux afin qu’une jurisprudence uniforme soit mise en place dans tout le pays concernant la diffusion de l’émission ainsi que les mariages qui y sont au cœur.[1]
Cependant quatre ans après la première diffusion de l’émission, il demeure toujours un certains nombre de questions concernant ces mariages proposés tant sur un plan scientifique, éthique, que juridique.
Au niveau de la valeur scientifique avancée par les experts
L’émission se base sur le principe selon lequel l’attirance entre deux individus pourrait être prédite sur la base de plusieurs critères scientifiques. Mais ce postulat est encore remis en doute par une autre partie du monde scientifique qui affirme qu’aucune formule à ce jour ne permet de prédire l’amour entre deux personnes. Et d’ailleurs lorsqu’on consulte les chiffres de réussite de ces mariages, on constate très vite qu’ils ne sont pas bons.[2] « L’émission « mariés au premier regard » tend même à montrer l’invalidité de cette méthode : sur les vingt-et-une unions célébrées entre 2016 et 2020, déjà dix-huit se sont soldées par une séparation »[3].
« Selon des experts, l’attirance pour une personne peut en particulier être difficile voire impossible à prédire avant que les deux personnes ne se rencontrent dans la vraie vie. Une relation est plus que la somme de ses parties. Il y a une expérience partagée qui apparaît quand vous rencontrez quelqu’un qui ne peut pas se prédire à l’avance»[4]. Cette théorie permettrait d’ailleurs d’invalider toute les méthodes qui prétendent pouvoir prédire l’amour entre les personnes.
Au niveau de l’aspect légal du mariage
Le mariage est une institution d’ordre publique, qui se doit de remplir de strictes conditions tant il peut engendrer des conséquences sur de multiples aspects légaux de la vie quotidienne. Ces conditions d’interprétation stricte sont par ailleurs énoncées dans le Code civil et vérifiées préalablement à l’union par l’officier de l’état civil qui ne peut célébrer le mariage si celles-ci ne sont préalablement remplies.
Un mariage valable nécessite plusieurs conditions à savoir un âge minimum de 18 ans (des dispenses pouvant toutefois être obtenues), l’absence de lien de parenté entre les époux, la condition de célibat des deux époux, et enfin un consentement libre et éclairé.
Cette dernière condition peut-elle véritablement être considérée comme remplie dans le cadre d’un « mariage au premier regard » ? Pourrait-il y avoir contestation de la validité du mariage ?[5]
C’est d’ailleurs à ce titre qu’une question a été posée au parquet, : « Est-ce que les conditions légales d’un mariage sont entièrement respectées? Un recours pourrait-il être introduit devant le tribunal de la famille? »
Le mariage est interdit si la condition de consentement mutuel, libre et volontaire de chacun des futurs époux n’est pas remplie. Il doit s’agir d’un consentement qui est dit « libre et éclairé » et le rôle de l’officier de l’état civil est de s’en assurer et de contrôler qu’il ne s’agit pas d’un consentement purement formel.
Consulté par Olivier Maingain quant à la possibilité d’interdire l’émission, le ministre de la justice, Koen Geens, déclare ne pas en avoir le pouvoir mais met en garde les candidats quant aux risques qu’ils encourent. Une relation moins formelle serait, selon lui, une meilleure alternative .
« Le collège des procureurs a d’ailleurs conclu concernant ces mariages, qu’il n’y avait pas de raisons suffisantes pour les sanctionner par une nullité, comme ce serait le cas par exemple s’il s’agissait d’un mariage simulé ou forcé, ou encore d’une erreur sur la personne ».
Cependant des enquêtes complémentaires sur la motivation au mariage peuvent être menées par l’officier de l’état civil.[6]
L’article 167, alinéa 2, du Code civil donne d’ailleurs : « la possibilité aux officiers de l’état civil de surseoir à la célébration du mariage pendant une période de deux mois et d’ensuite demander l’avis du ministère public dans le cas où il existe des présomptions sérieuses que le mariage ne satisfait pas aux conditions requises pour se marier »[7]. Cet article permet donc de remettre en cause la validité du mariage avant sa célébration. L’appréciation des conditions du mariage relève de la compétence exclusive des officiers de l’état civil[8] et, comme précisé plus haut, cela doit faire l’objet d’une analyse au cas par cas.
Au niveau de l’aspect éthique du mariage
En ce qui concerne l’aspect éthique de ces mariages, quelle est la différence avec des mariages arrangés en toute impunité ? Bien sûr ces mariages ne sont pas réalisés pour légaliser un séjour et obtenir des papiers ou pour tout autres motifs similaires, mais ils peuvent l’être par exemple pour acquérir une notoriété grâce à la télévision.
Le but premier de l’institution du mariage est de créer une communauté de vie durable or, dans le cas de l’émission présentée, une porte de sortie est offerte aux candidats après seulement quelques semaines sous la forme d’un divorce, prévu par contrat, tous frais payés par la production.
Au niveau de ces divorces
Lorsqu’un mariage « classique » se termine, le couple passe devant le juge qui prononce le divorce, procédure parfois douloureuse pour un voire pour les deux époux, dans laquelle on ne s’engage pas avec plaisir.
Dans le cadre de l’émission, le divorce se fait par consentement mutuel. Celui-ci nécessite néanmoins la réunion d’un certain nombre de conditions qui font que la procédure n’est pas immédiate.[9]
Dans le cas du divorce d’un couple ayant participé à l’émission, la procédure de divorce aura une durée plus longue que celle du mariage.
Les étapes du divorce par consentement mutuel sont communes. Des négociations doivent être entamées par les époux afin d’établir et de signer la convention préalable au divorce.
Une fois cette convention signée, la procédure peut être introduite par une requête conjointe déposée au greffe du tribunal de la famille.
La dernière étape est le prononcé du jugement de divorce par le tribunal de la famille suivi de sa publication. Mention du divorce est faite dans l’acte de mariage.
Au cours de la première diffusion de l’émission en 2017, le divorce de certains candidats n’avait pas pu être obtenu plus d’un an après l’introduction de la procédure là où celle concernant un divorce « normal » sera obtenu dans un délai d’un an maximum.
« La production les a avertis que le divorce pouvait prendre 3 mois comme un an ».
Toute la procédure du divorce doit être réalisée devant un notaire, mais celle-ci avait dû être stoppée suite à des controverses concernant la validité de l’émission.
Conclusion
Bien qu’une décision judiciaire ait conclu que les mariages organisés par l’émission n’étaient pas contraire à l’ordre public, il n’en demeure pas moins qu’ils posent toujours des questions au niveau de l’éthique puisque un mariage est fondé sur l’amour et sur une communauté de vie. Or ici si pour certains l’objectif est réellement de trouver l’amour et de mettre toutes les chances de leur côté, pour d’autres il apparaît avec évidence qu’il s’agit d’une manière détournée de pouvoir passer à la télévision ou de profiter des séjours offerts par la production.
Plusieurs anciens candidats de cette émission participent désormais à des émissions de ce type.
Pourquoi un mariage formel et pas un statut de cohabitant légal ou encore une relation non formelle, le temps de confirmer la compatibilité ?
Pourquoi dénaturer une institution comme le mariage en prévoyant d’emblée la possibilité de se séparer d’une personne rencontrée seulement quelques semaines auparavant ?
Certes le statut de cohabitant entraîne lui aussi des conséquences mais il plus facile de s’en défaire.
Le divorce est une procédure qui n’est pas très agréable. Quant au mariage, il reste une institution importante pour ceux qui s’y engagent avec sérieux et ce genre d’émission le réduit à un simple sujet de télé-réalité.
- Disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mariés_au_premier_regard_(Belgique) (consulté le 1 février) ; « Olivier Maingain refuse de marier des candidats de l’émission « Mariés au premier regard » », La Libre Belgique, 9 septembre 2017 (lire en ligne [archive], consulté le 9 septembre 2017). ↑
- « La formule magique pour prédire l’attirance entre les individus plus insaisissable que jamais » [archive], sur www.charlatans.info (consulté le 1 février 2021) ↑
- Chiffres disponibles sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mariés_au_premier_regard_(Belgique)#cite_note-3 (consulté le 29 février 2021) ↑
- S. JOEL, P. W. EASTWICK, E. J. FINKEL, « Is Romantic Desire Predictable ? Machine Learning Applied to Initial Romantic Attraction », Psychological Science, 2017. ↑
- La Chambre des Représentants – Question et réponse écrite n° 55-641 : Validité du mariage. © La Chambre des Représentants, 29/10/2020, www.lachambre.be ↑
- La Chambre des Représentants – Question et réponse écrite n° 55-641 : Validité du mariage. © La Chambre des Représentants, 29/10/2020, www.lachambre.be ↑
- L’article 167, alinéa 2, du Code civil ↑
- L’ article 164 de la Constitution ↑
- C. AUGHUET, L. BARNICH, D. CARRE, N. GALLUS, G. HIERNAUX, N. MASSAGER, S. PFEIFF, N. UYTTENDAELE, et A.-C. VAN GYSEL, T. VAN HALTEREN, « Chapitre 4 – Le divorce par consentement mutuel » in Tome I – Les personnes. Volumes 1 et 2, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 457-512 ↑
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