23,7 %

Marie Béclard - FAML

Une journée de la femme… mais pourquoi donc? Et pourquoi pas une journée de l’homme tant qu’on y est ? On est en 2021, non ? L’égalité homme-femme on l’a depuis longtemps… sauf peut-être dans les pays pauvres, là-bas, loin ! Cette journée, c’est un coup des féministes !! Autant de phrases qu’on a entendues et parfois même pensées. Parce que oui, on a envie de croire qu’une femme égale un homme et qu’on a tous les mêmes droits. Comment expliquer alors qu’en moyenne un homme gagne 23,7% de plus qu’une femme? En 2017, ces 23,7% représentaient l’écart salarial entre un homme et une femme exprimé en salaires annuels bruts. C’est beaucoup. Alors oui, on trouve un autre pourcentage, celui de 9,6% qui correspond à l’écart salarial au niveau du salaire horaire entre homme et femme. C’est moins que 23,7% mais cela signifie que pour chaque heure travaillée un homme gagne 9,6% de plus qu’une femme. On compare par rapport aux heures réellement prestées. Comment imaginer que c’est possible aujourd’hui, en 2021 ? et pourtant, c’est la réalité.

Des chiffres différents sur l’écart salarial on en trouve, et beaucoup, de quoi perdre son latin. Ils vont du simple au quadruple. Difficile de s’y retrouver et de comprendre ce qu’ils représentent réellement. Des différences qui s’expliquent par des méthodes différentes de calculs : « Ils peuvent porter sur la rémunération brute ou nette ; les écarts peuvent alors se creuser », certains peuvent aussi être estimés sur la base du salaire en équivalent-temps pour neutraliser le facteur temps de travail et permettre de comparer les salaires sur une base comparable. [1]

Comme toujours, les chiffres, les pourcentages doivent être pris avec une grande précaution car ils peuvent s’avérer trompeurs si on ne se fixe que sur eux. Un faible pourcentage d’écart salarial peut aussi bien s’expliquer par une absence importante des femmes sur le marché du travail que par des horaires plus réduits qui leur permettent d’assumer en sus les tâches ménagères et l’éducation des enfants, tâches pour lesquelles elles ne perçoivent bien évidemment aucune rémunération.

Cela se passe « près de chez nous », nous qui sommes censés être des modèles en matière d’égalité salariale.

L’écart salarial, une injustice, un crime ?

Un homme peut gagner plus qu’une femme comme une femme peut gagner plus qu’un homme. Il n’y a rien d’illégal. Le problème se pose lorsque deux salariés de la même entreprise ayant le même niveau de qualification, les mêmes d’années d’ancienneté et qui exercent le même type de tâches, perçoivent une rémunération différente sans raison valable. On parle alors de discrimination salariale et bien que la plupart des pays l’interdisent, elle est encore pratiquée à grande échelle. C’est la triste réalité.

Certains employés négocient leur contrat, obtiennent un meilleur salaire et commencent à un échelon supérieur. Même si certaines femmes discutent les conditions de leur contrat, il faut bien constater que c’est plus souvent le fait des hommes.

Pourquoi l’état ne fait rien contre ces injustices ? Il y a tellement de variables qui jouent pour déterminer un salaire et les entreprises tablent sur les descriptions de poste pour payer plus certains employés que d’autres. Il est donc difficile de prouver qu’il y a discrimination salariale. [2]

Comment expliquer ces écarts de salaire ?

Les femmes seraient-elles moins diplômées? Certainement pas, elles sont plus nombreuses que les hommes à terminer les études supérieures et souvent avec de bien meilleurs résultats.[3] Ce n’est donc pas ce critère qui expliquera une telle différence de salaire entre hommes et femmes.

La première cause est la différence de temps de travail, si deux personnes travaillent l’une à temps plein et l’autre en temps partiel, c’est tout logiquement que des différences de salaire apparaîtront.

Et cette différence s’amplifie avec les années et l’avancement de la carrière. On observe que majoritairement ce sont des femmes qui décident de travailler à temps partiel pour assumer à côté de leur travail la majorité des charges du ménage, pour s’occuper des enfants ou d’un parent âgé ou malade.

Bien sûr, rien n’empêche les femmes d’occuper des postes à temps plein mais elles devront toujours assumer en plus leurs tâches ménagères dans les mêmes proportions.

Un investissement important des hommes dans les tâches ménagères et familiales est indispensable pour permettre à leurs compagnes de prendre davantage part au marché du travail.[4]

Les femmes « manquent de temps pour gagner plus ». Obtenir une promotion, gravir un échelon dans la hiérarchie demande souvent de consacrer beaucoup de temps à son travail, de faire des heures supplémentaires et parfois même de voyager. Des choses qu’il est difficile de faire quand il faut conduire les enfants à l’école à 8h30 et les récupérer à 15h30, préparer le repas, penser aux collations… Rien n’impose aux femmes de prendre en charge l’ensemble de ces tâches mais c’est souvent la réalité observée.

Hommes et femmes font des choix de carrière différents, « des choix qui dépendent plus de leur sexe que de leur libre arbitre ».[5] C’est généralement le travail de la femme qui est sacrifié au profit de celui de son conjoint. Le calcul est vite fait dans un couple dont l’homme gagne déjè plus que la femme : la perte de revenu globale du couple est moindre si c’est la femme qui prend un temps partiel.

La deuxième explication réside dans le fait que les femmes et les hommes n’occupent pas un emploi dans les mêmes secteurs. Ceux où l’on retrouve généralement une majorité de femmes sont souvent moins rémunérés que ceux qui occupent majoritairement des hommes. Les femmes sont plus nombreuses dans les domaines d’aide à la personne : elles sont infirmières, puéricultrices, aides ménagère, des fonctions importantes mais qui sont peu rémunératrices.

Dans une plus faible mesure, on observe que les femmes préfèrent, par facilité, travailler à proximité de leur domicile. Elles choisissent donc d’intégrer des plus petites entreprises qui offrent souvent des salaires plus faibles que les grandes entreprises davantage choisies par les hommes.

Les écarts salariaux, une réalité seulement belge ?

Dans de nombreux pays, les femmes perçoivent un salaire horaire inférieur à celui des hommes. Les femmes dans l’UE gagnent en moyenne, près de 15% de moins que leurs homologues masculins. Cependant, ces différences varient fortement d’un pays à l’autre : le plus grand écart de rémunération entre hommes et femmes a été enregistré en Estonie avec 23%, alors que le pays où l’écart de rémunération entre les sexes le plus faible est la Roumanie avec 3%.

Ces chiffres peuvent être trompeurs puisqu’un faible écart s’explique souvent par un faible taux de femmes au travail tandis qu’un grand écart indique un grand nombre de femmes en temps partiel ou encore que celles-ci sont concentrées dans des secteurs peu rémunérateurs.

Et si tout commençait avec des jouets ?

Depuis les années 90, on assiste à une aggravation de la ségrégation entre les filles et les garçons. Selon une étude d’une sociologue américaine, dans les années 70 seuls 2% du catalogue de chez Sear’s étaient genrés, aujourd’hui tous les jouets Disney, entre autres, le sont.

Actuellement, dans tous les domaines, on trouve des produits distincts pour fille ou pour garçon. Cela va des jouets aux vêtements en passant par exemple par une brosse à dent « fille » ou garçon ou même des sparadraps… Le matériel de puériculture n’échappe pas à cette mode. Dès sa naissance, on différencie une fille d’un garçon par sa couverture ou la couleur de son biberon.

Y a-t-il un problème si une fille préfère le rose et un garçon le bleu ? Si une fille veut jouer à la poupée et être esthéticienne et si un garçon aime bricoler et rêve de devenir programmateur de robot? Faut-il les en dissuader ? De l’avis de certains, les enfants se tournent naturellement vers les jouets de « leur sexe » .

« Ces univers (les catalogues de jouets, la publicité, la littérature jeunesse) sont caractérisés par des stéréotypes masculins et féminins et par des inégalités entre les sexes plus forts que ce que les enfants peuvent observer dans la réalité sociale qui les entoure ».[6]

Ce sont des univers qui influencent beaucoup la socialisation des enfants bien plus que la famille ne le fait. [7]

Même si l’éducation familiale peut rejeter les stéréotypes de genre, la télévision, les publicités, les lectures, … auront tôt fait de saper les efforts des parents. L’enfant sera vite conscient des codes établis en matière de jouets et de couleurs. « Cette construction progressive de l’identité sexuée de l’enfant explique, comme l’a montré Anne Dafflon Novelle (…) , que l’enfant soit « extrêmement rigide face au respect des codes sexués en vigueur » et qu’il « évite de se livrer à des activités ou d’adopter des comportements qu’il attribue au sexe opposé » car dans son esprit, il n’a pas le droit de le faire ». [8]

Ce sont donc en grande partie des éléments extérieurs qui imposent aux filles et aux garçons des comportements différents : « les filles sont invitées à s’occuper de la maison, à pouponner, à rêver au prince charmant et à se préparer à lui plaire » tandis que les garçons sont poussés au bricolage, à la bagarre, la compétition, au dépassement de soi. De plus, on propose majoritairement aux petites filles des jeux qui n’évoluent que très peu (des poupées, des marchandes, des cuisines et des déguisements).

Aujourd’hui, les LEGO qui auparavant n’étaient pas stéréotypés, le sont devenus. On trouve ainsi des collections pour fille. Ces dernières sont moins évolutives que celles destinées aux garçons. Les LEGO friends catégorisés fille sont accessibles dès 4 ans tandis que les catégories pour garçons ont des niveaux croissants de difficultés de 5 à 12 ans.

Selon Brigitte Grésy, on façonne des petites filles qui manquent d’ambition, d’assurance et qui intègrent un sentiment d’illégitimité et leur donne le complexe d’imposture. [9] Autant de petites choses qui vont jouer un rôle sur leur comportement dans le monde du travail et engendrer des inégalités professionnelles. Des petites filles qui deviennent des femmes avec une image fausse de ce que l’on attend d’elles et de leurs capacités. Des femmes qui vont accepter des postes inférieurs à leur potentiel, des femmes qui vont renoncer à faire carrière à cause du poids que la société fait peser sur elle.

Les jouets, les publicités, les albums jeunesses ne sont pas à eux seuls responsables des inégalités entre filles et garçons et entre femmes et hommes. Une petite fille devrait pouvoir jouer à la poupée sans que cela influence son futur salaire, ses compétences à diriger une équipe ou ses capacités à évoluer dans la hiérarchie. Il faut qu’enfin on arrête de nous faire croire que les stéréotypes liés au sexe sont une réalité immuable.

Arrêtons de répondre aux injonctions d’un lobby du jouet et de la publicité qui propagent encore un modèle bien plus stéréotypé que ne l’est réellement la société d’aujourd’hui.

Une femme doit pouvoir choisir de bosser de nombreuses heures, de gravir les échelons et d’obtenir des promotions et un homme d’opter pour un mi-temps lui permettant de s’occuper de la maison et de ses enfants sans devenir l’objet de moqueries.

Aucun salaire ne devrait jamais dépendre du sexe de celui qui le perçoit mais bien de ses compétences.

Le combat pour l’égalité risque d’être long, si les choses continuent à évoluer au rythme actuel, il faudra 84 ans pour résorber l’écart salarial entre les hommes et les femmes.

Une femme doit être l’égale de l’homme que ce soit en droits, en salaire, en liberté de faire ses propres choix.

  1. La mesure des écarts de salaires entre les femmes et les hommes, mars 2015, Informations consultées le 1 janvier 2021 https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/La_mesure_des_ecarts_de_salaires_entre_femmes_et_hommes.pdf
  2. Informations consultées le 1 janvier 2021 sur le site votresalaire.be
  3. Égalité entre les hommes et les femmes en Wallonie en 2017, informations consultées le 10 janvier 2021 sur le site https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&url=https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2018/02/HF-Cahier3-final-1.pdf&ved=2ahUKEwjFw4Wbo4PvAhVRx4UKHRHzD3kQFjABegQIAhAG&usg=AOvVaw1KYcozsCwPTlR1jopaoSs2&cshid=1614195752775
  4. H. SWINNEN, « Pères au travail, hommes au foyer: à la recherche de leviers pour asexuer les tâches au sein du ménage et de la famille » dans Hommes et l’égalité, p. 53 consulté le 2 janvier 2021 sur le site https://igvm-iefh.belgium.be/sites/default/files/downloads/Hommes%20et%20l%27%C3%A9galit%C3%A9.pdf
  5. H. SWINNEN, « Pères au travail, hommes au foyer : à la recherche de leviers pour asexuer les tâches au sein du ménage et de la famille » dans Hommes et l’égalité, p. 53 consulté le 2 janvier 2021 sur le site https://igvm-iefh.belgium.be/sites/default/files/downloads/Hommes%20et%20l%27%C3%A9galit%C3%A9.pdf
  6. C. JOUANNO, R. COURTEAU, Jouets : la première initiation à l’égalité, p.32, information consultée le 12 janvier 2021 sur le site http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1830.html.
  7. C. JOUANNO, R. COURTEAU, Jouets : la première initiation à l’égalité, p.32, information consultée le 12 janvier 2021 sur le site http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1830.html.
  8. C. JOUANNO, R. COURTEAU, Jouets : la première initiation à l’égalité, p.32, information consultée le 12 janvier 2021 sur le site http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1830.html.http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1833.html
  9. C. JOUANNO, R. COURTEAU, Jouets : la première initiation à l’égalité, p.36, information consultée le 12 janvier 2021 sur le site http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1830.html.http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1833.html

 

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