Archive d’étiquettes pour : Ethique

Droit, morale et éthique : de quel côté penche la balance ?

Florence Wautelet

Chargée de mission, Cellule « Etude et Stratégie », Centre d’Action Laique

Le droit, l’éthique et la morale constituent des champs de valeurs qui s’assemblent, se séparent, se recoupent et s’opposent en de nombreuses situations, singulièrement chez l’avocat.

Aux côtés de la déontologie et des règles juridiques qui se démultiplient à une vitesse grandissante, il existe d’autres exigences : l’éthique et la morale.

Tandis que l’éthique est habituellement définie comme l’ensemble des principes qui sont à la base de la conduite de chacun, la morale est l’ensemble des règles de conduite socialement considérées comme bonnes[1]. La morale est alors considérée comme contingente à une situation socioculturelle particulière dans la mesure où elle traduit les règles consacrées en fonction de l’état de la société au moment elles sont déterminées. L’éthique interroge le contenu de chaque morale ; elle ne peut avoir pour but de rechercher un consensus et son fondement repose sur le libre examen, méthode indispensable à toute démarche devant une question nouvelle, car garante de la liberté de conscience et de pensée.

Confronté à ces questions dans sa pratique, l’avocat devra tenter d’y répondre en faisant appel à ces notions polysémiques.

Appliquée au métier d’avocat, cette phase interrogative se traduit en questionnement légitime, qui survient lors de la défense d’une personne qui le sollicite, et a trait, par exemple :

  • à une interrogation quant au comportement qu’aurait adopté une personne placée dans des circonstances identiques à celles qui font l’objet du litige
  • au regard des autres, du groupe social sur la question posée
  • à l’opposition éventuelle entre la liberté individuelle et l’appartenance à un groupe
  • à la confrontation entre les règles de droit et l’éthique personnelle
  • au rapport entre la norme juridique et la morale sociale[2].

L’avocat doit pratiquer activement une parfaite indépendance, en s’appropriant et se distanciant successivement de chacun des intérêts auxquels il fait face : ceux du client, des tiers, et le collectif.

Ainsi, tout au long du processus judiciaire, l’avocat sera saisi par des sentiments moraux de sympathie, de compassion, de dégoût, d’indignation ou encore de pitié à l’égard de la personne dont il assure la défense, mais également par des questions éthiques[3].

L’avocat se demandera jusqu’où aller dans la défense du prévenu, au regard notamment de la résonnance sociale des faits en question. Gare toutefois à ne pas faire de l’avocat le premier juge de la cause. Il n’est pas, et ne peut pas, être attendu de l’avocat de faire ce que le juge saisi fera. Ainsi, il n’est pas rare que l’un des deux plateaux de la balance penche du côté de l’âme et de la conscience plutôt que de celui des arguments juridiques et techniques[4].

Plusieurs limites, et donc pistes de réponse existent. En vertu du serment prêté, c’est en son âme et conscience individuelles que le praticien appréciera si une cause est juste ou non. Deuxièmement, les règles du droit, outre la déontologie, constituent tant des freins que des balises objectives et communes. Troisièmement, le poids donné par chacun à la morale sociale. Cet élément du triptyque a été mis en avant récemment dans quelques cas de défense pénale fortement médiatisés.

Au travers du serment prêté, c’est ainsi, à la fois une autorisation, mais aussi une injonction d’évaluer la cause soumise à l’aune de sa conscience et de son âme que l’avocat reçoit[5].

Un savant équilibre : faire coexister, en âme et conscience, le caractère juste d’une cause, l’éthique individuelle et la morale sociale[6].

[1] P. Verdier, « Morale, éthique, déontologie et droit », Les Cahiers de l’Actif, n° 276/277, mai-juin 1999, pp. 17-30, cité par Y. Kevers in « Pourquoi l’éthique, Pourquoi aujourd’hui, » L’éthique de l’avocat, Outil de marketing ou d’engagement ?, ouvrage collectif, éd. du Jeune Barreau de Liège, 2014, p.48.

[2] R. De Baerdemaeker, « Éthique et défense, Les rapports entre la juste cause, l’éthique personnelle et la morale sociale, L’éthique de l’avocat, Outil de marketing ou d’engagement ?, ouvrage collectif, éd. du Jeune Barreau de Liège, 2014, pp.26-27.

[3] E. Rude-Antoine, L’Éthique de l’avocat pénaliste, Paris, L’Harmattan, 2014.

[4] R. De Baerdemaeker, op. cit., p.31.

[5] R. De Baerdemaeker, op. cit., p.24.

[6] Idem.

 

A vot’ bon cœur ? Non : solidarité !

Gabrielle Lefèvre

Journaliste

Les plus importantes ONG œuvrant à la coopération au développement des populations les plus pauvres dans le monde sont parfois confrontées à la méfiance du public par rapport à l’usage fait de l’argent récolté. L’Association pour une éthique dans les récoltes de fonds répond à ce problème.

Il s’agit en effet de sommes importantes, glanées auprès du public (individus et entreprises), augmentées par des apports publics (fonds de coopération au développement, belges et européens), permettant l’achat de biens de première nécessité, de médicaments, de nourriture ou d’aide d’urgence en cas de guerres, de catastrophes, à l’échelle mondiale. Car les plus grandes ONG sont internationales, des sortes de multinationales de la générosité !

Le 6 juin 1996, une association sans but lucratif, « Association pour une Ethique dans les Récoltes de Fonds », (AERF) a été constituée et a adopté un Code Ethique. Il y est clairement expliqué que « Invoquer la solidarité et les sentiments nobles pour récolter des fonds ne peut supporter aucune trahison. Solliciter le soutien financier du public correspond à une forme de contrat moral entre deux parties, fait d’estime et de loyauté. »

Or, il n’existait pas de cadre légal garantissant les valeurs d’éthique, même si les ONG sont très contrôlées sur le plan de leur fonctionnement notamment financier. Ce Code énumère ainsi les aspects déontologiques liés à toute action sollicitant la générosité du public :
qualité des documents et des messages nécessaires pour garantir le droit à l’information des donateurs et assurer la transparence des comptes ;

  • clarté de la destination des fonds récoltés ;
  • respect de la volonté et du goodwill des donateurs ;
  • respect de la dignité des personnes bénéficiant de l’action de l’association ;
  • respect de la vie privée des bénéficiaires et des donateurs ;
  • rigueur des modes de recherche de fonds (dont la gestion des fichiers).

Enfin, l’AERF dispose d’un organe de contrôle ce qui en fait le premier dispositif complet et autorégulateur des aspects éthiques de la récolte de fonds dans notre pays.

Des méthodes de collecte plus dynamiques

Ces dernières années, nous avons vu se modifier la manière dont les fonds sont récoltés. Les moyens traditionnels sont la demande par courrier, lors de conférences, de manifestations, de la parution d’articles de presse, à la sortie des églises… A présent, internet, les réseaux sociaux accompagnent ces anciennes méthodes. Et l’on voit de plus en plus souvent des jeunes et sémillants étudiants distribuer des tracts, faire signer des pétitions et approcher les potentiels donateurs dans les rues et même en porte à porte. Le marketing est à l’œuvre et cela pose parfois question sur l’aspect un peu intrusif de la méthode.

Il y a aussi des méthodes sympathiques ou sportives comme les petits déjeuners des Magasins du monde Oxfam ou des marches (voire des marathons) et nages parrainées.

Du global à l’individuel

Le contenu des messages a lui aussi changé à partir des années 70. Les ONG expliquaient des situations globales, leurs modes d’actions et comment les aider dans ce devoir moral de partenariat avec des populations non plus assistées mais qui reprennent leur sort en main.  C’était l’époque des décolonisations. On est passé de la charité (« le petit Chinois qui meurt de faim ») au partenariat libérateur. Les agences des Nations Unies inondaient les rédactions de journaux et de médias audio-visuels d’analyses longues et fouillées des actions sur le terrain et des enjeux globaux pour l’humanité. De grandes campagnes dénonçaient particulièrement les sommes astronomiques investies dans les armements et le nucléaire guerrier alors que des populations rurales étaient victimes de famines dues au mal-développement. On dénonçait ainsi les causes des malheurs de l’humanité : la guerre froide et  l’exploitation économique des pays riches en ressources naturelles et l’asservissement des populations aux rapacités des multinationales soutenues par de grandes puissances comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

Puis, est venue l’ère de l’humanitaire avec l’avènement du « sans-frontiérisme ». Des affiches grand format et très coûteuses présentaient de très belles images des souffrances des populations pauvres ou victimes de violences. On en appelle à notre compassion en créant des émotions. Exit l’analyse politique sur les changements de sociétés et sur nos politiques de coopération au développement. La charité émotionnelle est de retour.

Aujourd’hui, l’analyse globale est plus présente dans des courriers modifiés et personnalisés grâce à l’informatique. Nous recevons des demandes à notre nom, racontant des histoires (vraies heureusement !) de personnes et de collectivités bénéficiant de l’aide ou en urgent besoin d’assistance en cas de guerre. Handicap International en est un exemple qui dénonce l’usage des mines antipersonnel tout en expliquant ses actions sur le terrain en fournissant des prothèses aux mutilés, enfants et adultes, acquérant ainsi une nouvelle autonomie et une chance de survivre.

Surenchère des armements

Actuellement, nous sommes entrés dans une sorte de nouvelle « guerre froide », poussée par les Etats-Unis et l’OTAN et nous assistons à une surenchère des dépenses d’armement alors même que les fonds consacrés à l’aide au développement ne cessent de décroître.

Pire, des dépenses militaires sont imputées à ce budget. Il suffit de lire dans la dernière édition de la revue électronique « Glo.be pour un monde durable », éditée par la Coopération belge au développement, les prouesses des militaires belges au Mali. Et cela dans le cadre de la « consolidation de la paix »… Il faut dire que la Coopération est rattachée au ministère des Affaires étrangères qui a aussi le commerce extérieur dans ses attributions. L’armement, c’est du commerce aussi… Quelle est l’éthique qui prédomine dans ce cas ? Les inégalités s’accroissent, les multinationales prédatrices profitent des faiblesses politiques des pays plus pauvres, suscitent même des guerres pour leur plus grand profit (voir la destruction de l’Irak, de la Libye au profit des grandes entreprises pétrolières).

On le voit, même si rien n’est parfait, les ONG mettent le maximum en œuvre pour répondre aux exigences de transparence et d’honnêteté nécessaires à leur relation de confiance avec la société. Cette même société devrait être plus attentive à l’éthique de la coopération « officielle » au développement et à l’éthique commerciale.

http://www.vef-aerf.be/

https://www.glo-be.be/fr/articles/la-defense-acheve-avec-succes-son-mandat-au-mali

 

Oxfam bashing

Le bashing (mot qui désigne en anglais le fait de frapper violemment, d’infliger une raclée) est un anglicisme utilisé pour décrire le « jeu » ou la forme de défoulement qui consiste à dénigrer collectivement une personne ou un sujet. (Wikipedia).

Le bashing devient aussi l’autre nom de l’information de presse et ce dénigrement rime avec scandale, émotion, désinformation, manque de recul et de perspective lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi complexe que la coopération au développement et l’aide humanitaire.

Peu de journaux s’interrogent sur la raison pour laquelle cette campagne est lancée sept ans après les faits – inacceptables en effet – qui sont déroulés en Haïti. Il est tout de même étrange, alors qu’Oxfam a fait le ménage sur cette affaire à l’époque, que celle-ci surgisse après que cette organisation se soit lancée dans la dénonciation forte et argumentée des injustices mondiales. Ses dirigeants ne font d’ailleurs que relayer sous une forme plus efficace ce qui est largement expliqué par les divers organismes des Nations Unies.  Mais ils le font au cœur même du système le plus inégalitaire qui soit : le Forum économique de Davos. Le rapport Oxfam est une bombe informative lancée lors du rassemblement des plus grandes fortunes mondiales, des multinationales les plus puissantes et  prédatrices, des chefs d’Etat et de gouvernement dont certains ne se distinguent que par leur corruption et leur répression des citoyens et des peuples qui se battent pour la dignité, pour la survie même.

Le cru 2018 était excellent en teneur en vitriol. Le titre déjà : « Partager la richesse avec celles et ceux qui la créent ». Résumé : « Des richesses engendrées l’année dernière, 82 % ont profité aux 1 % les plus riches de la population mondiale, alors que les 3,7 milliards de personnes qui forment la moitié la plus pauvre de la planète n’en ont rien vu. » Exemple : « Porter les salaires des 2,5 millions d’ouvrières et ouvriers du textile vietnamiens à un niveau décent coûterait 2,2 milliards de dollars par an. Cela équivaut à un tiers des sommes versées aux actionnaires par les cinq plus grands acteurs du secteur du textile en 2016. »

Inacceptable pour les conservateurs britanniques et ce gouvernement de Brexit qui déjà, l’année dernière, a coupé 34 millions de livres de financement de l’ONG, soit quasi 39 millions d’euros retirés à l’aide aux personnes les plus démunies dans le monde entier.

Une des rares voix qui s’élèvent contre ce désastre, c’est le Guardian, fidèle à sa tradition humaniste. Le 8 février on peut y lire ceci «  A l’ère de Trump, du Brexit et de Rees-Moggery (un député conservateur qui veut que la Grande-Bretagne coupe drastiquement dans son budget de l’aide au développement, NDLR), la notion selon laquelle les nations prospères ont une responsabilité morale et pratique envers les plus pauvres n’est plus à la mode. La droite populiste tend la main pour détruire le département pour le développement international, en les caricaturant comme payeurs de proxénètes et en pervers. Ceux qui croient en l’obligation persistante de la Grande-Bretagne à aider les désespérés du monde se battent aujourd’hui pour continuer à exister. »

En réalité, ne pouvant plus justifier l’exploitation au niveau mondial des plus pauvres qui ont le malheur de vivre dans des pays riches en ressources naturelles, les plus riches dénoncés par Oxfam ont lancé cette campagne de dénigrement relayée volontiers par les médias asservis eux aussi à leurs payeurs. En ne relayant que quelques scandales sans les mettre en perspective, ces médias jettent ainsi le discrédit sur les milliers de bénévoles, de volontaires et de salariés de ces ONG dont le travail est courageux, admirable et ne devrait qu’être encouragé. Car ils sont la solution aux problèmes de mal développement : ils aident les populations à ne pas sombrer dans le désespoir, à combattre pour la dignité des travailleurs, des agriculteurs, contre les néo-colonialismes et pour l’instauration de processus démocratiques.

Il faut rappeler aussi que, depuis 1996, de nombreuses ONG se sont groupées pour créer une « Association pour une Ethique dans les Récoltes de Fonds » afin de répondre aux demandes d’une meilleure transparence dans la collecte et l’utilisation des fonds récoltés dans le public. Sur le terrain, souvent les ONG – dont Oxfam – pallient les insuffisances et les manques de moyens des Nations Unies. Leur travail en commun sauve des milliers de vies lors de catastrophes naturelles ou causées par les humains. Ce travail est encadré, vérifié, contrôlé de nombreuses façons, même s’il y a toujours plus à faire en ce domaine.  Cette face si belle de notre humanité ne peut être occultée par de malheureux et regrettables faits-divers.

(article paru sur www.entreleslignes.be le 23 février 2018.)

https://www.oxfamfrance.org/communique-presse/justice-fiscale/davos-2018-1-plus-riches-ont-empoche-82-des-richesses-creees-lan

https://www.theguardian.com/global-development/2018/feb/17/oxfam-scandal-does-not-justify-demonising-entire-aid-sector

https://www.theguardian.com/global-development/2018/feb/15/desmond-tutu-resigns-oxfam-ambassador-immorality-claims

https://www.theguardian.com/global-development/2018/feb/17/oxfam-scandal-does-not-justify-demonising-entire-aid-sector

https://www.theguardian.com/global-development/2018/feb/16/oxfam-chief-accuses-critics-of-gunning-for-charity-over-haiti-sex-scandal-claims

Éthique et presse « people »

Pierre GUELFF

auteur et chroniqueur radio

Il est souvent question de « presse people » assimilée à une « presse de caniveau », pour désigner des médias dits « à scandale, à sensation, aux titres accrocheurs, textes succincts, photos et images de paparazzi. »[1] Sans nier que ce genre de presse-là existe, il paraît dangereux de généraliser et d’établir des amalgames à l’encontre de tous les médias classés dans cette catégorie. Témoignage.

Comme dans tout, il faut raison garder et la profession de journaliste est devenue suffisamment difficile face à la vogue des réseaux sociaux, que pour se livrer à une surenchère d’invectives peu confraternelles, au titre que tel fait partie de la « grande presse » et tel autre de la « presse populaire ». Je ne peux mieux corroborer ceci, que par un cas que j’ai vécu au cœur même d’une situation médiatique exceptionnelle et d’envergure internationale. Certes, il n’est pas question de m’ériger en modèle, mais j’ai toujours tenté de faire miens la déontologie journalistique[2] et les préceptes philosophiques non dogmatiques.

De l’espoir à l’horreur

De 1992 à octobre 1996, je suis bénévole à l’association citoyenne « Marc et Corine » (recherche d’enfants disparus) et rédacteur de sa publication, quand, le 24 juin 1995, les disparitions de Julie Lejeune et Mélissa Russo, puis celles d’An Marchal et Eefje Lambrecks en août, ensuite celles de Sabine Dardenne et Laetitia Delhez en mai et août 1996, sèment l’effroi. Je rédige des articles d’investigation, j’anime des débats publics aux côtés des parents des jeunes disparues avec l’espoir que les autorités judiciaires et policières les retrouveront.

Dès août 1996, reportages dans le cadre des arrestations de Marc Dutroux, Michèle Martin, Michel Lelièvre et Michel Nihoul, puis lors de la libération de Sabine et de Laetitia, de la découverte des corps sans vie de Julie, Mélissa, An et Eefje, du dessaisissement du juge Connerotte, de fouilles entreprises pour découvrir d’éventuelles autres victimes, de la Marche Blanche…

De 1997 à 2004, en tant que chroniqueur judiciaire dans un magazine « people »[3], toujours dans le cadre de l’affaire Dutroux, je couvre différents événements (la Marche pour la vérité organisée par les parents des victimes, l’évasion de Dutroux, des reconstitutions de rapts, des séances de la Chambre du conseil et autres audiences en correctionnelle pour des faits antérieurs…), puis, de mars à juin 2004, la totalité du procès « Dutroux et consorts » durant lequel je participe, en plus, à sept débats dominicaux à la RTBF et à RTL-TVI[4].

Je suis parmi des journalistes venus du monde entier (1.300 accrédités) et je peux même assister en direct à plusieurs audiences dans le saint des saints, c’est-à-dire dans le prétoire, en plus des dizaines suivies dans les salles dites d’écoute. Je n’en rate pas une seule !

Scoop mondial et éthique

Après cette nécessaire présentation, j’en viens à évoquer « Éthique et presse ‘people’ », en reproduisant des passages significatifs du chapitre 32 (« Mon interview exclusive de Marc Dutroux ») de mon ouvrage « Dutroux, l’affaire, les pistes, les erreurs » paru aux Éditions Jourdan et qui a fait l’objet de longues interviews dans différents médias, dont « Le Soir Mag », « La Dernière Heure », « Het Laatste Nieuws », « Le Républicain Lorrain », « Télé Bruxelles » (« BX1 »), « Actu TV »… :

« Dès le début du procès, j’avais constaté que le président Goux était particulièrement fébrile à interroger Marc Dutroux. Alors qu’il devait « ferrailler » l’accusé, quasiment toutes les parties se rallièrent à cet avis. En vain. Absolument scandalisé par l’attitude injurieuse de Dutroux à l’égard des victimes, j’ai décidé de l’interpeller directement, sans la moindre concession. Bien sûr, et il serait hypocrite de le nier, j’espérais aussi que Dutroux me révèle ce qu’il avait publiquement dit qu’il ferait, dès le troisième jour du procès (le 3 mars) : « J’ai encore beaucoup de choses à dire… » Mais, comment opérer cette interpellation ?

Dix-huit questions embarrassantes

Un questionnaire de dix-huit questions/commentaires assez précis a été transmis à Dutroux par l’intermédiaire de Me Martine Van Praet, l’un des conseils de Dutroux, qui avait accepté le principe de ma démarche, le jeudi 15 avril 2004. Dans ces questions, je ne mâchais pas mes mots. Ainsi, je rappelais à Dutroux ses mensonges, ses multiples versions et son manque de crédibilité quand il prétendait avoir voulu protéger les siens, j’évoquais aussi sa stratégie pour faire un écran de fumée afin d’échapper à la perpétuité, je lui demandais d’être plus précis au sujet d’un réseau dont il se disait n’être qu’un simple maillon.

De plus, je n’ai pas hésité à remettre en cause les notions d’un Dutroux non pédophile (expertise psychiatrique) en prenant pour exemple la morphologie de « toute petite fille » de Sabine qu’il avait enlevée, séquestrée et violée, j’ai demandé qu’il s’explique sur le fait qu’il aurait pu être payé pour les photos prises de lui à la prison d’Arlon (pas un euro n’a été proposé – et ne l’aurait été – à Dutroux lors de ma démarche, que les choses soient bien claires !). Je lui ai aussi rappelé que son fils Frédéric l’avait catalogué de « malade ». Dans la foulée, que ses parents avaient tenu des propos virulents à son égard. Je lui demandais, encore, s’il était conscient du mal qu’il avait fait…

Non au scoop !

Le lundi matin 19 avril 2004, Me Van Praet confirma que mon courrier « avait été remis à qui de droit la veille au soir ». Soit, le dimanche 18 avril 2004.

Et, c’est le mardi 25 mai 2004, que j’ai enfin reçu les réponses de Marc Dutroux. Mais, malgré ce « scoop », rien ne fut publié suite à ma décision prise en âme et conscience ! Et il n’en sera jamais rien. Pourquoi cette décision irrévocable ?

Tout d’abord, Me Martine Van Praet m’expliqua le parcours des réponses de son client et l’origine de fuites : « Il y a quelques semaines j’ai reçu la copie des réponses de Marc Dutroux à votre courrier, mais je ne vous l’ai pas transmise parce que son envoi, qu’il vous adressait directement, a été intercepté par la censure (le directeur de la prison) et que je ne voulais pas jouer un rôle que je ne peux pas tenir. »

Que s’est-il passé ensuite ? Mis au courant de l’interception de son courrier, Dutroux en a fait des copies qu’il envoya à plusieurs de ses anciens avocats (dans ce cas, la censure n’est pas d’application), leur demandant de me faire parvenir sa prose. Mais, l’un d’eux offrit à d’autres médias des extraits de mon questionnaire et des réponses de l’accusé et ils les diffusèrent le mercredi 26 mai 2004.

Si, pour ma part, je n’ai pas publié une ligne, un mot, des réponses de Dutroux, que l’on arrête de jouer les vierges effarouchées face à ma démarche auprès de l’accusé : de nombreux journalistes l’ont tentée sans succès et certains médias n’hésitèrent pas à publier des extraits de mon travail sans citer leurs sources. Travail qui aurait pu être très rémunérateur, vous pensez bien !

Pourquoi ce refus ? Parce que les réponses de Dutroux étaient méprisantes, nauséabondes, injurieuses pour les victimes décédées ou rescapées et leurs parents et, par respect et humanité, je ne pouvais publier cette prose qui, en plus, n’apportait rien de nouveau dans la recherche de la vérité. Aujourd’hui, encore, je suis très heureux d’avoir agi de la sorte. »

Conclusion

Cet exemple est significatif que la presse people, jugée de caniveau, rappelons-le, peut aussi faire preuve d’une indiscutable éthique. Je souligne, enfin, que grâce en soit encore rendue au rédacteur en chef de l’époque, Marc Deriez, et à mon éditeur, Alain Jourdan, d’avoir accepté de ne pas publier ce scoop mondial, pourtant prometteur de ventes assez importantes, donc de rentrées financières conséquentes. Donc, qui dit presse populaire ne dit pas forcément un manque de déontologie et d’éthiquecela répondra à votre attente. J’ai préféré un témoignage que d’étaler des théories sur l’éthique, car, qui suis-je pour le faire ?

[1] Wikipédia, 2018.

[2] Enseignée en cours de promotion sociale  à l’Institut pour Journalistes de Belgique (1977-79), études entreprises après une formation et des emplois de technicien dans l’industrie dans le but d’épouser la carrière de journaliste professionnel, un rêve d’adolescent qui est devenu réalité à l’âge de 45 ans.

[3] Après des collaborations à « POUR », « Les Sports », « Belgique N°1 », « Radio Contact » de 1973 à 1991, et comme professionnel à « Publi Choc » (Groupe Vlan-Rossel) de 1991 à 1995,  je travaille à la rubrique « Société » de « Ciné-Télé Revue », de 1997 à 2006, avec quelque trois cents procès d’assises et « grandes affaires » judiciaires couverts.

[4] Respectivement, cinq à « Mise au Point » et deux à « Controverse ».

La clause de conscience, nouvelle arme des anti choix en matière d’IVG

Julie Papazoglou

juriste eu service Etude et Stratégie du CAL

Ces dernières années, une offensive concertée de groupes religieux et en particulier de l’Eglise catholique, est menée sur plusieurs continents pour tenter d’imposer un droit « général » ou « universel » à l’objection de conscience et de ce fait, contourner les lois auxquelles ils s’opposent. Cette généralisation de l’objection de conscience est particulièrement revendiquée en matière de droits sexuels et reproductifs (avortement et contraception), de droits des personnes LGBTI (mariage pour des personnes de même sexe, adoption et PMA) ainsi que pour la fin de vie et l’euthanasie.  Historiquement pourtant, le concept d’objection de conscience s’est développé essentiellement dans le cadre du service militaire obligatoire. En effet, était considérée comme objecteur de conscience la personne qui, refusant d’effectuer le service militaire, pouvait remplacer celui-ci par un service civil. En dévoyant le sens initial de l’objection de conscience et en l’assimilant au terme « clause de conscience », ces mouvements visent non pas à la désobéissance civile face à un ordre considéré comme illégal ou face à une obligation qu’ils estimeraient contraires à leur conviction, mais  plutôt à entraver le choix et/ou l’accès de certaines catégories de personnes (les femmes, les homosexuels, les personnes atteintes de maladies graves) à des droits ou des pratiques  pourtant légalement autorisées.

En Europe par exemple, les refus, par des médecins, de pratiquer une interruption de grossesse se sont multipliés ces dernières années entrainant la mort tragique de plusieurs femmes au sein même d’unités hospitalières.

La généralisation de ces refus est particulièrement préoccupante en Italie.  En effet, alors que la loi permet l’IVG, le recours à la clause de conscience est passé de 59 % en 2005 à 70 % en 2011. Dans le sud, plus de 80 % des gynécologues refusent de pratiquer des avortements. Le chiffre atteint 87 % en Sicile et même plus de 90 % dans la région de Rome, ce qui pose évidemment problème pour les femmes en demande d’IVG, mais également pour les médecins qui, pratiquant cette intervention, sont débordés[1]. L’Italie a d’ailleurs été condamnée à deux reprises, en 2013 et en 2016, par le Comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe pour défaut de garantir un droit effectif à l’avortement.

La clause de conscience dans la loi belge du 3 avril 1990 relative à l’interruption volontaire de grossesse

Le terme « clause de conscience » n’a pas de définition légale en Belgique. Il découle de la liberté de conscience et pourrait être défini comme la possibilité pour une personne de refuser de poser un acte qui serait contraire à sa conscience, pour des raisons morales ou religieuses.

Quant au code de déontologie médical, il précise qu’ «hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a toujours le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles ». [2]

Les articles 85 et 86 du même code abordent particulièrement la clause de conscience en matière de sexualité et de contraception. Ils stipulent que si le médecin estime ne pouvoir faire abstraction de ses opinions personnelles, il doit le laisser apparaître clairement et donner la possibilité à son patient de recourir aux avis et recommandations d’autres confrères. Dans les cas de pathologies maternelles ou fœtales, le premier devoir du médecin est d’informer complètement la patiente. Le médecin peut envisager ou être sollicité de réaliser une interruption de grossesse notamment dans le cadre de certaines dispositions légales. Dans tous les cas, le médecin est libre d’y prêter son concours. Il peut s’y refuser pour des motifs personnels (…)  Dans tous les cas, l’autonomie de la personne, et s’il échet du couple, doit être respectée. A cet effet, l’information complète et précise sur tous les aspects du problème médical et social ainsi que le consentement éclairé de la patiente doivent précéder toute décision médicale en ce domaine. L’interruption de grossesse doit se faire dans des institutions de soins disposant de l’infrastructure nécessaire pour que la sécurité et la continuité des soins soient garantie dans un environnement de soutien psychologique adéquat ».

Le code de déontologie médical conditionne donc de manière précise la manière dont le médecin peut faire application de sa clause de conscience. Une obligation de transparence et d’information complète vis à vis du patient est également imposée à celui-ci ainsi que le renvoi du patient vers d’autres confrères en cas de refus de procéder à l’intervention.

Rappelons que tous les médecins doivent se conformer au code sous peine de sanctions de l’ordre (avertissement, censure, réprimande, suspension du droit d’exercer l’art médical pendant un certain terme, radiation).

Pourtant, le libellé de la clause de conscience inscrit en 1990 dans la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse est nettement moins contraignant et s’écarte donc de celui du code de déontologie médical. En effet, fruit d’un compromis, l’article 350 du code pénal se limite à indiquer « qu’aucun médecin, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse. Le médecin sollicité est tenu d’informer l’intéressée, dès la première visite, de son refus d’intervention ».[3]

Nulle obligation ici de renvoyer le patient vers confrère ou une consœur qui pratique l’intervention, ni de limiter la clause aux médecins qui pratiquent l’acte, ni de l’interdire en cas d’urgence, ni d’informer le patient en toute transparence…

Aujourd’hui, les médecins sont donc confrontés à deux textes qui divergent sur un sujet qui mériterait une définition et un champ d’application sans équivoque.

D’autant que, selon la hiérarchie des normes, le texte de loi prime sur le code de déontologie médical ![4]

Le libellé actuel ouvre donc la voie à des dérives voire à des entraves volontaires. En effet, certains hôpitaux prévoient une clause de conscience pour toute l’institution hospitalière et conditionnent l’engagement des médecins au refus de pratiquer ce type d’intervention. A Malines par exemple, l’équipe de gestion du centre explique qu’ils ont fait le choix de ne pratiquer des IVG qu’en cas d’urgence médicale. Il en va de même aux CHU de Namur et  Dinant. Les IVG n’y sont pas pratiquées.  A l’accueil, les personnes en demande d’IVG sont priées de prendre contact avec un planning familial.

Dans d’autres institutions, des médecins pratiquant des IVG relatent qu’ils sont régulièrement confrontés à des membres du personnel (infirmier-e-s, anesthésistes), qui refusent de poser les actes préalables, mais nécessaires à l’IVG en invoquant leur clause de conscience.  Quand ils ne sous dosent pas les antidouleurs ou refusent l’occupation de lit.

A ce sujet, on peut regretter que la Belgique n’ait pas adopté de texte visant à sanctionner le délit d’entrave. A cet égard, l’exemple français est assez inspirant. La loi du 4 juillet 2001[5] relative à la contraception et à l’IVG  prévoit l’impossibilité pour les chefs de service des établissements publics de santé de s’opposer à ce que des IVG soient pratiquées  dans leur service. La clause de conscience ne peut donc pas être appliquée de manière collective

Enjeux et pistes

Pour éviter de tels abus, des limites devraient être définies et respectées par tous les praticiens de la santé.

Certains pays, comme la Suède, interdisent totalement le refus d’une IVG pour raison de  conscience. D’autres pays obligent le médecin qui ne veut pas en pratiquer à en informer la patiente lors du premier contact et à lui indiquer, dans les plus bref délais, un autre médecin qui acceptera l’intervention. À ces conditions minimales, on pourrait également ajouter l’interdiction de la clause de conscience collective dans des institutions ainsi que la restriction du refus aux seuls médecins qui posent l’acte, en excluant le personnel infirmier ou administratif. Il va de soi que le recours à la clause de conscience doit être interdit en cas d’urgence. Dans cet ordre d’idées, les conséquences du refus doivent reposer sur celui ou celle qui s’oppose à l’intervention et non sur les femmes. Pour illustrer ce point, précisons que dans certaines régions d’Angleterre, un numéro d’appel centralisé met directement les femmes en contact avec un médecin pratiquant des IVG. Cela permet d’éviter une confrontation culpabilisante avec le jugement moral d’un tiers sur cette décision profondément intime.

De fait, l’interprétation extensive de ce recours à la clause de conscience dans la loi de 1990 ainsi que cette focalisation sur l’IVG démontrent, qu’en Belgique, cet acte de santé publique est encore considéré avec suspicion, et que le droit à l’autodétermination des femmes reste soumis au jugement moral d’un tiers, fut-il médecin.

En conclusion, afin de garantir une application cohérente et balisée du recours à la clause de conscience, et pour éviter les contradictions entre les textes qui laissent libre cours à de possibles abus, il serait urgent et indispensable de supprimer la référence spécifique à la clause de conscience dans la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse. Le code de déontologie médical, qui en précise les modalités, suffit car il est d’application pour tous les actes médicaux, en ce compris l’IVG.

[1] En octobre 2016 en Sicile, une jeune femme de 32 ans décède de septicémie dans un hôpital de Sicile. Enceinte de 19 semaines de jumeaux dont l’un était en souffrance respiratoire, le médecin a refusé l’avortement thérapeutique tant qu’il pouvait entendre battre le cœur d’un des fœtus. Alors que la loi italienne lui permettait pourtant d’intervenir, le médecin a invoqué une clause de conscience. Un cas similaire s’est déroulé en Irlande en 2012 provoquant un léger aménagement de la loi.

[2] Article 28 du code de déontologie médical

[3] Article 350 du code pénal

[4] Rappelons que cette clause étant consacrée dans la loi du 3 avril 1990, elle prime sur le code qui n’a d’ailleurs toujours pas été transcrit dans un arrêté royal.

[5] Loi du 4 juillet relative à la contraception n°2001-588