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Revue de web 13/06/2017

Revue de web 23/05/17

Le cours de citoyenneté cherchera à déjouer les dogmes et à construire une pensée autonome

Le cours de citoyenneté cherchera à déjouer les dogmes et à construire une pensée autonome – La Libre

ML 194

Avancées et menaces sur les droits des femmes en Belgique

  Sylvie Lausberg
Directrice « Etudes & Stratégie » CAL

En Belgique, malgré les politiques d’égalité, et les législations qui les soutiennent, nous devons faire le constat que l’inégalité reste la règle.

Une inégalité constante, dans tous les domaines de la vie : études, finances, professions, reconnaissance sociale, santé, etc. Il s’agit d’une violence structurelle, qui a un impact sur la vie de toutes les femmes,  jusqu’à mettre en péril leur droit à la santé. En effet, cette violence institutionnalisée légitime, in fine, la violence physique dont les femmes belges sont victimes, dans tous les milieux, et à tous les âges. Les femmes, leur ventre, leur sexe : voilà le cœur de la question.  Tout est politique ; la sexualité aussi.  Malheureusement pour celles qui composent 60% de la population belge…

Une indépendance professionnelle et financière à géométrie variable

L’évolution fut pourtant nette au cours du 20e siècle. En 1900, la loi reconnaît le droit à l’épargne de la femme mariée, ainsi que le droit d’obtenir un contrat de travail et d’encaisser son propre salaire (avec un maximum de 3000 francs par an).  En 1969, il est interdit aux employeurs de renvoyer les femmes pour cause de grossesse ou de mariage. Enfin, en 1976, l’égalité des hommes et des femmes dans le mariage est reconnue en ce compris pour les droits de propriété matrimoniale.  Les femmes mariées peuvent enfin ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation du conjoint

Au 21e siècle cependant, en 2010, l’homme le plus pauvre de Wallonie est une femme. L’inégalité dans l’emploi comme l’inégalité salariale restent des constantes objectivées.  Et ces dernières années de nombreuses mesures ont aggravé la situation des femmes. L’accès aux postes à responsabilité, plus rémunérateurs, reste durablement entravé.  En Belgique, en 2010, 50% des femmes âgées de 30 à 34 ans étaient titulaires  d’un diplôme de l’enseignement supérieur contre 39% des hommes  (Eurostat 2010). Mais, dans les universités par exemple, la féminisation de la population étudiante ne se traduit pas par une hausse du pourcentage de femmes aux échelons les plus élevés de la carrière académique et dans les instances décisionnelles des universités : les filles sont majoritaires parmi les étudiants, égales parmi les assistants et seulement  11% parmi les professeurs ordinaires. La moyenne européenne est de 19% : 32% Roumanie et 2% à Malte.

Dans les entreprises privées, ce n’est pas mieux : en 2012, les femmes ne représentaient que 10.1% des membres des conseils d’administration des entreprises cotées en bourse et 7.1% des entreprises non cotées. Soulignons néanmoins que le taux de présence de femmes dans les conseils d’administration des entreprises du BEL20 (20 plus grandes entreprises cotées) est lui passé de 11% en 2011 à près de 20% en 2013.Les femmes ne représentent que 11.6% des directeurs généraux des services publics fédéraux et 23% des membres des autorités académiques, ce qui contraste fortement avec la représentation féminine importante dans ces deux domaines.

L’infériorisation des femmes au travail est justifiée par leur rôle maternel, sauf quand cela arrange le législateur et l’Etat.  Deux exemples démontrent que la société occidentale dite moderne se structure dans une opposition toujours entretenue entre vie professionnelle des femmes et rôle familial.  En Allemagne aujourd’hui, la régulation des postes à pourvoir est automatique : il n’y a pas de crèches et les horaires scolaires libèrent les enfants l’après-midi… En revanche, quand l’économie manquait de bras, comme dans les pays communistes d’après 1945 en ce compris l’Allemagne de l’Est,  l’avortement était libre et gratuit… Pas question alors de rester à pouponner à la maison.

Chez nous, le baromètre social wallon 2016 le confirme : 40% des Wallons estiment  que la priorité doit être donnée aux hommes lorsque les emplois sont rares ». CQFD

Droits civiques

En Belgique, les libertés civiques sont plus tardives que dans les autres pays européens.

En 1919, un nombre limité de femmes obtient le droit de vote : les mères et les veuves de militaires et de civils tués par l’ennemi ainsi que les femmes emprisonnées ou condamnées par l’occupant. En 1920,  la loi du 15 avril accorde le droit de vote aux femmes aux élections communales (à l’exception des prostituées et des femmes adultères) et ce n’est qu’en 1948[1] qu’elles peuvent enfin voter pour élire des députés !

En 2003, la loi sur la parité et l’alternance femme/homme sur les listes électorales fait suite à la loi Smets- Tobback de 1994 qui imposait aux partis 1/3 des places de leurs listes aux femmes à tous les niveaux électoraux.  Pourtant,  dans les deux derniers gouvernements belges, c’est la bérézina ; le gouvernement Di Rupo de 2012 compte 4 femmes ministres et une secrétaire d’Etat sur 18 postes et celui de Charles Michel, une femme ministre de moins sur le même nombre de portefeuilles…Le pire est le gouvernement wallon, avec une seule femme pour 9 ministères et cela depuis 2007 ! La Wallonie  fait mieux cependant au niveau parlementaire, puisqu’elle compte 26 députées sur 75 (soit 16% de plus qu’en 2004) ;

Quant au droit à la liberté sexuelle, on peut dire que c’est le « pompon ».  La Belgique reste structurellement marquée par une inégalité des femmes devant la liberté sexuelle, même si aujourd’hui personne ne le reconnaît de manière aussi crue.

Historiquement, c’est un fait. Le Code  pénal de 1867 condamne  la femme adultère à un emprisonnement de trois mois à deux ans, quand son mari, lui sera moins lourdement sanctionné – un mois à un an – et uniquement s’il a fait rentrer sa maîtresse dans la maison conjugale.

Ce même Code pénal considère qu’avorter est un délit contre l’ordre des familles et la moralité publique.  Et non comme les chrétiens d’aujourd’hui voudraient nous le faire croire, contre un « enfant à naître ». En 1923, on interdit la contraception, et ce n’est qu’avec le tollé provoqué par l’Affaire Peers que cela changera. Ce n’est pourtant qu’en 1987 que le délit d’adultère est supprimé. L’avortement, lui, reste inscrit dans le Code pénal. Que les femmes meurent d’avortements clandestins ou soient à jamais mutilées ne modifie pas la donne.   Avec la loi de 1990, ce délit est enfin excusé sous certaines conditions, nous y reviendrons.

Le contrôle de la société sur les femmes, leur sexe, leur ventre est donc structurel et violent.

En conséquence, on peut dire que les violences envers les femmes, violences liées à leur « sexe », sont physiques, économiques et politiques. Comment s’étonner alors que, malgré les volontés affichées, la Belgique  se singularise pas un taux de viols absolument effrayant : 18 par jour en Wallonie, selon le dernier baromètre de l’IWEPS[2]. En Wallonie, près de 28 000 femmes déclarent avoir subi, au cours des 12 derniers mois, des violences physiques et/ou sexuelles.  Plus de 25% des coups et blessures volontaires rapportés aux parquets ont lieu au sein du couple.  Plus d’1 femme sur 4 qui passe par un hébergement en maison d’accueil a entre 18 et 25 ans. Sur l’ensemble du territoire, 60% des femmes (contre 55% dans l’EU) disent avoir subi du harcèlement sexuel depuis l’âge de 15 ans. En 2014, la police judiciaire fédérale a enregistré 2.882 viols soit près de 8 cas chaque jour. Comme on sait qu’à peine 7,2% des faits de ce type sont déclarés à la police, faites le calcul…. Enfin, phénomène nouveau, chaque année, entre 230 et 300 viols collectifs sont enregistrés en Belgique. Pour résumer, les taux des violences envers les femmes en Belgique sont égaux ou plus élevés que la moyenne européenne.

Le droit à décider de sa vie… de femme

L’accès à l’IVG est un droit indicateur du degré de démocratie d’un pays car il est indispensable si l’on veut que les femmes soient égales devant les  études et les professions, ce qui conditionne leur autonomie financière, et également au regard de leur liberté sexuelle et du droit à choisir si elles veulent des enfants, combien, quand et avec qui.

Si les attaques frontales restent encore marginales ou déguisées, en revanche, les risques qui pèsent sur l’accès à l’avortement sont aujourd’hui  réels et inquiétants.

Lors du vote de la loi de 1990, ce fut un énorme soulagement et une véritable victoire, pour les femmes mais également pour les médecins, les équipes et tous les progressistes.

A l’époque, les concessions faites aux opposants – les partis chrétiens avec comme chef de fil Herman van Rompuy (CVP, aujourd’hui CD&V) étaient un moindre mal ; en respectant les conditions de la loi, l’IVG devenait accessible et médicalement sûr.

Un quart de siècle plus tard, nous devons constater que les opposants n’ont pas disparu, et qu’au contraire, ils sont de plus en plus présents, de plus en plus actifs, de mieux en mieux organisés, et roués à une communication pernicieuse. Sites internet mensongers, évangélistes en charge d’éducation sexuelle dans les écoles, lignes téléphoniques d’urgence noyautée par des anti-IVG.  La liste est longue. Nous pensions que c’était un acquis ; que personne n’oserait jamais revenir sur ce droit à la santé reconnu par l’OMS : nous nous trompions. Les propositions de loi sur la table de la commission justice qui visent à donner un statut au fœtus et à inscrire dans le code civil qu’un embryon est un enfant sont là pour nous alerter sur l’imminence du danger. L’argument fondateur des mouvements anti-IVG est le même : tout embryon est un enfant à naître, et l’IVG est, selon cette logique,  assimilé à un meurtre….

Réagir à ces dogmatiques qui empêchent les autres de poser des choix en toute liberté est une nécessité, mais cela ne suffit pas.

Nous avons aussi le devoir d’analyser la situation dont nous nous sommes contentés durant toutes ces années, parce que nous croyions que c’était un acquis.

Sur le terrain, on ne forme pas systématiquement à l’avortement en faculté de Médecine.  Ce n’est que depuis une dizaine d’années qu’une formation spécifique sur demande est mise en place, et ce, uniquement à l’ULB.

Sur le plan politique, le tabou reste de mise : il a fallu interpeller durant deux ans la ministre de la santé  pour que le site du SFP Santé Publique diffuse une information officielle sur l’IVG en Belgique. Ce fut chose faite en avril dernier sous l’onglet début et fin de vie…   Pas la moindre liste référençant les centres pratiquant l’avortement, mais bien, en résumé, les conditions de la loi. Et elles doivent nous faire réfléchir ! Il y a bien entendu le délai de 12 semaines, mais surtout l’obligation pour l’accueillant de détailler à la femme enceinte :

  • les droits, aides et avantages garantis aux familles, aux mères célibataires et à leurs enfants,
  • les possibilités offertes par l’adoption ou l’accueil de l’enfant à naître,
  • les moyens de résoudre les problèmes personnels (logement, contexte familial, couverture sociale,…) avec une assistance et des conseils pour aider concrètement les femmes

Aider concrètement les femmes à quoi ?  A garder « l’enfant à naître » alors qu’elles viennent demander une IVG !

Cette culpabilisation des femmes, le déni de leur autonomie de décision se retrouve dans d’autres conditions strictes de la loi comme la nécessité d’attester de leur « état de détresse » ou d’attendre minimum 6 jours entre le premier rendez-vous et l’intervention.

Dans les faits, ces prescrits ne sont certainement pas tous respectés ! La preuve en est l’omission sur le site du SPF Santé publique de l’obligation faite au médecin  « d’informer la femme des risques médicaux actuels ou futurs qu’elle encourt suite à une IVG ».

Comme pour toute loi pénale, si les conditions d’une dépénalisation partielle ne sont pas respectées, les sanctions prévues sont applicables : une amende et un emprisonnement de trois mois à un an.

Voilà pourquoi, il faut aujourd’hui sortir l’IVG du Code pénal[3].  Plusieurs propositions de loi sont actuellement sur la table[4].

Il est grand temps d’envisager cette question sous l’angle de la santé des femmes et non plus  dans une optique de répression pénale et judiciaire.

Il est grand temps de reprendre les combats – et celui-ci est emblématique – pour que les femmes belges soient, enfin, traitées de manière égalitaire, dans tous les domaines de leur vie.

Originellement paru dans ML 193


[1] 1906 Finlande, 1913 Norvège, 1915 Danemark, 1917 Pologne, 1918 Allemagne, Autriche, Estonie, Géorgie, Hongrie, Kirghizistan, Lettonie, Lituanie et Russie , 1919 Islande, Biélorussie, Ukraine, Luxembourg, Pays-Bas, Suède , 1921 Tchécoslovaquie, Arménie, Azerbaïdjan, 1928 Royaume-Uni et Irlande, 1931 Espagne, 1934 Turquie, 1944 France, 1945 Italie, Croatie et Slovénie, 1946 Albanie, 1947 Bulgarie, Yougoslavie, 1948 Belgique, Roumanie

[2] L’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPSwww.iweps.be

[3] Brochure « L’avortement hors du code pénal », CAL – 2015

[4] DEFI, PS, Ecolo-Groen, ainsi qu’une résolution SPA

Aux sources de la démocratie

 Elias Constas

La démocratie a évolué depuis ce qui aurait été son « invention » en Grèce. C’est au Vème siècle avant notre ère que seuls les Athéniens votaient ; les étrangers et les épouses des citoyens étaient exclus du scrutin. A priori cela paraît peu démocratique. Nous aurions tendance à critiquer cette démarche politique novatrice car théorisée, dont les écrits nous sont parvenus. Rien ne dit que des procédures similaires n’auraient pas vu le jour en d’autres lieux. Faute de traces c’est à Athènes que revient la place de la première cité démocratique. Son Ecclesia (assemblée), sa Boulè (parlement), son Héliée (tribunal populaire) furent constitués selon une extraordinaire organisation.

En effet, sur les 400.000 habitants de la région, on estime que les citoyens dignes de voter représentent environ 40.000 habitants. Pour faire partie de l’assemblée, il n’y a pas de condition de fortune. La participation est directe et sans obligation. Le participant vote à main levée et par tête ; il s’agit d’une démocratie directe, n’importe quel citoyen peut en faire partie durant un an et est désigné au sort. Quant au tribunal populaire, le juré doit avoir plus de trente ans et est désigné par tirage au sort dans le dème. La séance n’est pas publique. Accusateur et accusé parlent tour à tour avec l’aide d’un logographe. La délibération se  conclut par le dépôt d’un caillou dans l’urne. La peine est fixée par loi et par décret.

Le système est bien rôdé. Platon parle du régime démocratique lors d’une oraison funèbre : « C’est le régime politique qui nourrit le peuple. Il produit de braves gens s’il est bon, des méchants s’il est mauvais. Il convient donc de montrer que nos ancêtres ont été élevés dans un régime bien réglé, qui les a rendus vertueux tout comme les hommes d’aujourd’hui, au nombre desquels comptent les morts ici présents.

C’était alors le même régime que de nos jours, le gouvernement des meilleurs, par lequel nous sommes régis aujourd’hui comme nous l’avons toujours été depuis cette époque, la plupart du temps. Tel l’appelle démocratie, tel autre du nom qui lui convient mais c’est en vérité une aristocratie avec l’assentiment de la foule.» (Platon, Ménexène, 238 c).

Il est interpellant de lire dans ce texte que pour son auteur la démocratie est considérée comme une aristocratie « pouvoir des meilleurs ». Cela signifie que ceux qui y participent sont les meilleurs. En effet, comme nous l’avons vu plus haut tout citoyen athénien est apte à gouverner, par conséquent la démocratie est le meilleur des systèmes, en tout cas le moins mauvais, entre autres pour les raisons suivantes :

« Le principe fondamental du régime démocratique, c’est la liberté. Voilà ce que l’on a coutume de dire, sous prétexte que c’est dans ce seul régime que l’on a la liberté en partage. On dit que c’est le but de toute démocratie. Une des marques de la liberté, c’est d’être tour à tour gouverné et gouvernant … »  (Aristote, Politique, 1317, b)

« Le Conseil prépare, dans ses délibérations, la tâche du peuple, et le peuple ne peut rien voter qui n’ait été l’objet d’une délibération préalable du Conseil et ne soit inscrit à l’ordre du jour dressé par les prytanes. En vertu de cette règle, tout vote émis en dehors de l’ordre du jour expose l’auteur de la proposition à une accusation d’illégalité ».

(Aristote, Constitution d’Athènes, 45).

 Même s’il faut être athénien, pour être citoyen et profiter de ses droits, il n’est pas rare qu’un étranger acquière ce statut : « La première condition légale, pour qu’un étranger soit naturalisé parmi nous, ce sont des faits témoignant d’un grand zèle pour l’état. La décision prise par le peuple, et la grâce accordée, la loi veut que le décret soit confirmé dans une assemblée où six mille citoyens au moins donneront secrètement leurs suffrages. Là, les prytanes feront apporter les urnes, et distribueront des bulletins au peuple, avant que les étrangers paraissent, avant qu’on dresse les boutiques sur la place. Il faut que chacun, ayant l’esprit libre, examine à loisir quel est celui qu’on a fait son concitoyen, et s’il mérite cette haute faveur. Enfin cette double élection peut être attaquée par le moindre des Athéniens devant un tribunal ; et celui-ci est admis à prouver l’indignité du nouveau citoyen, le vice de son adoption. Plusieurs ont reçu titre des mains du peuple abusé: eh bien leur nomination a été dénoncée comme illégale! La cause a été portée devant les juges; et, convaincus de ne pas mériter l’honneur qu’ils venaient d’obtenir, ils s’en sont vus juridiquement dépouillés. Je ne citerai pas tous les exemples anciens: rappelez-vous Pitholaos de Thessalie, et I’Olynthien Apollonide, citoyens par décret, redevenus étrangers par sentence. Les faits sont assez récents pour que vous ne les ignoriez pas.» (Démosthène, Contre Nééra).

Dans ce texte, Démosthène insiste pour que la citoyenneté soit accordée à celui qui prouve son amour et son intérêt pour la cité, sans évoquer que la défection de la vie citoyenne est sanctionnée. Comment remotiver nos propres concitoyens à participer activement à la construction de la cité ? Remettre nos textes fondateurs en avant auprès des hommes politiques ?

Force est de constater l’abandon de ces textes dans le secondaire. Le grec et le latin étant des matières obsolètes, il convient que nos enfants se tournent vers des matières servant à un futur certain, à « quelque chose ». Depuis une quinzaine d’années, on assiste à deux tendances, celle de la volonté de l’absence de difficulté – normale pour un ado – et celle de la propension à l’utilité souvent mercantile – encouragée inconsciemment ou non par les parents, y compris par ceux ayant accompli de telles études. Non pas que d’autres matières soient plus simples,  bien au contraire. Néanmoins ces langues mortes sont optionnelles. Si en revanche les mathématiques et le néerlandais étaient facultatifs, nous assisterions probablement aussi à une désertification progressive de ces disciplines car elles sont aussi difficiles.

Tout cela est bien sérieux, et notre démocratie comporte des points faibles. En effet nos bourgmestres, députés, présidents de conseils perçoivent une rémunération et des jetons de présence, pour exercer leur « métier » de citoyen.

Rappelons la parodie d’Aristophane lorsqu’il mentionne les prytanes, cette commission permanente du parlement : « Mais jamais, depuis que je vais aux bains, la paupière ne m’a piqué les sourcils comme aujourd’hui : c’est jour d’assemblée régulière . C’est le matin, et la Pnyx est encore déserte. On bavarde sur l’Agora : en haut, en bas, on évite la corde rouge. Les Prytanes mêmes n’arrivent pas : ils arrivent à une heure indue ; puis ils se bousculent, vous savez comme les uns les autres, pour gagner le premier banc, et ils s’y jettent serrés. De la paix à conclure, ils n’ont aucun souci. Ô la ville, la ville ! Pour moi qui viens toujours le premier à l’assemblée, je m’assois, et là, tout seul, je soupire, je bâille, je m’étire, je pète, je ne sais que faire, je trace des dessins, je m’épile, je réfléchis, l’œil sur la campagne, épris de la paix, détestant la ville, regrettant mon dème, qui ne m’a jamais dit : « Achète du charbon, du vinaigre, de l’huile ! » Il ne connaissait pas le mot : « Achète », mais il fournissait tout, et il n’y avait pas ce terme, « achète », qui est une scie. Aujourd’hui, je ne viens pas pour rien ; je suis tout prêt à crier, à clabauder, à injurier les orateurs, s’il en est qui parlent d’autre chose que de la paix. Mais voici les Prytanes ! Il est midi ! Ne l’ai-je pas annoncé ? C’est bien ce que je disais. Tous ces gens-là se ruent sur le premier siège. » (Aristophane, Les Acharniens).

Les prytanes semblent désinvoltes aux yeux de l’auteur satirique et ne songent qu’à la première place. Et aujourd’hui ?

Il faut constater la méconnaissance des outils cognitifs dont nous disposons. Dans notre société « capitalisante », nous sommes tellement heureux de profiter des vacances, assister à l’un ou l’autre jeu du cirque que forcément, il arrive que nous culpabilisions. Alors nous n’hésitons pas. Il faut bien que nous nous mettions au courant, feignions d’apprendre. Blottis dans notre fauteuil, nous allumons notre poste. Et là nous découvrons le monde tel qu’il paraît. Les média, sensés être garants de la démocratie, transforment l’information ; ce qui nous parvient n’est pas la réalité. Les gens se rendent compte progressivement du choix, du parti pris des chaînes télévisées, et vont jusqu’à parler de complot, ne pouvant faire la part des choses entre intox et info.

La télévision transforme ceux qui la produisent, les journalistes et l’ensemble des producteurs culturels. Plus un organe de presse veut atteindre un public étendu, plus il doit s’attacher à ne choquer personne. On construit l’objet conformément aux catégories de perception du récepteur avec pour conséquence un désir voulu ou non d’homogénéisation, de conformisme.
La télé ne bouscule rien, elle est simplement ajustée aux structures mentales du public. On parle beaucoup de morale, mais la morale n’est efficace que si elle s’appuie sur des structures (P. Bourdieu).

Autrement dit depuis deux mille ans rien n’a changé. Entre d’une part le manque d’investissement des citoyens pour les affaires de la cité, la paresse et la recherche de confort en politique, les choses sont demeurées identiques.

Espérons qu’un jour la Communauté française rendra obligatoire un cours tel que l’éducation aux médias et une réhabilitation généralisée des sources propres à notre culture occidentale. Pourtant j’en doute : qu’est-ce qui motiverait nos pouvoirs ?

« Il y a culture et culture, celle qui additionne des connaissances, et celle plus courante qui additionne des carences ». Boualem Sensal

Originellement paru dans ML 192

ML 192

La démocratie est mal partie

 Merry Hermanus

« Là où il n’y a pas de conflits visibles, il n’y a pas de démocratie ! » (Montesquieu). François Mauriac écrivait dans son célèbre « bloc-notes » : « en politique tout va toujours mal »; en le paraphrasant, je dirais qu’en démocratie tout va toujours mal… le problème c’est qu’on ne le comprend pas ! En fait, quoi de plus normal dans un système démocratique que de contester les politiques menées, les uns sont pour, les autres sont contre, ceux qui restent sont contre tout ce qui est pour ! A mes yeux, rien de plus sain, rien de plus normal que ces contestations, même si souvent la mauvaise foi est l’ingrédient majeur de l’étrange mayonnaise politique.

Mais sait-on de quoi on parle quand on évoque la démocratie ? Je ne ferai pas injure aux lecteurs en rappelant la formule de ce bon vieux Winston ; bien plus représentative de la démocratie est sa glorieuse défaite aux élections de 1945 où il est, lui le dernier des lions, remplacé par Clément Attlee, dont le féroce fumeur de cigare disait « une voiture vide s’arrête devant le 10 Downing street, Attlee en descend. » Plus de deux millénaires plus tôt Périclès affirmait lui aussi qu’Athènes était une démocratie, il n’oubliait « que » les femmes consignées dans le gynécée dont elles ne sortiront en Belgique qu’en 1948, et les esclaves qui n’étaient que des « choses qui parlent ». Il y a donc un monde entre la démocratie formelle et la démocratie réelle telle qu’elle existe aujourd’hui. La démocratie en tant que système politique ne peut se réduire aux droits électoraux et au fonctionnement du parlementarisme. Il s’agit d’un ensemble beaucoup plus vaste, de pouvoirs et surtout de contre-pouvoirs, d’acteurs sociaux, de groupes d’opinions, ces éléments étant cimentés par des valeurs communes, là est l’essentiel. On l’oublie trop souvent, la démocratie n’est pas seulement la loi de la majorité, elle est avant tout la protection de la minorité !

Le Progrès et l’Avenir après Auschwitz.

Après la deuxième guerre mondiale, c’est ce système qui a été mis en place en Europe occidentale, constituant enfin une démocratie, certes imparfaite, mais permettant aux citoyens de disposer de droits et de protections jamais obtenues jusqu’alors. Liberté politique, liberté religieuse, liberté d’entreprendre, protections sociales étendues, accès à l’enseignement pour tous… la liste est longue ! Or, depuis une trentaine d’années ce système est en grand danger. Nos démocraties sont prises en étau, elles sont phagocytées d’une part par la mondialisation, la désindustrialisation, la financiarisation de l’économie, le chômage de masse et d’autre part remises en cause par ceux qui, ayant abandonné l’espoir d’un quelconque messianisme politique, exigent le retour à une religion moyenâgeuse. Je pense avec l’historienne Mona Ozouf que notre civilisation a perdu deux notions constitutives de ses valeurs, deux axes sans lesquelles notre système ne peut subsister, à savoir l’Avenir et le Progrès. Il est vrai qu’après Auschwitz, il fut difficile d’envisager ces concepts essentiels comme le faisaient naïvement les positivistes du XIXème siècle. Quand Victor Hugo écrivait « quand on ouvre une école, on ferme une prison », il ne pouvait imaginer que le peuple dont l’humanité entière encensait les philosophes allait mettre en oeuvre la solution finale. A cette première perte de confiance dans l’avenir s’est ajouté un discours eschatologique constitué de peurs millénaristes, de méfiance à l’égard du progrès, de doute sur le rôle de l’homme sur notre planète… le tout débouchant vers un très fructueux business de la peur. Un éphémère candidat écolo à la présidence de la république française proposa benoîtement de taxer le deuxième enfant des familles, jamais on avait été plus clair quant à la méfiance envers l’avenir, envers l’homme. Quant au sympathique René Dumont, lui aussi candidat à la présidentielle de… 1974, il buvait un verre d’eau à la télévision, expliquant que ce geste si simple ne pourrait plus être fait dans vingt ans ! Curieux qu’on ne rappelle jamais cette fausse prévision apocalyptique. Normal, elle n’est pas politiquement correcte, ne cadre pas avec la bien-pensance !

En 1991, le rêve communiste, qui depuis des lustres n’était plus qu’un atroce cauchemar, s’effondrait victime de ses mensonges, de son incapacité de donner un avenir aux peuples qui lui étaient, pour leur plus grand malheur, soumis. Certains, n’hésitant pas à écrire que l’humanité était arrivée à la fin de l’histoire, prédiction aussi étonnante que stupide. Nous rentrions dans une autre histoire, voilà tout ! « Nous allions être condamnés à vivre dans le monde où nous vivons » comme l’écrit si justement François Furet dans son mémorable « Passé d’une illusion. » Pourtant beaucoup de ceux qui alors avaient perdu leurs certitudes, conservaient au creux de leur coeur de stimulantes illusions… Ne faut-il pas mieux en avoir plutôt que de sombrer dans l’absolue, stérile, morbide désespérance !

Confrontés à la déconfiture économique, à une courbe du chômage toujours ascendante, (1973, nonante-quatre mille chômeurs complets pour plus de cinq cent mille aujourd’hui) certains sont tentés de quitter les rives rassurantes des démocraties pour oser… autre chose. Philippe Moureaux, ministre d’état, caïd du PS bruxellois et fédéral, lançant il y a peu un groupe de réflexion n’hésita pas à se référer à Alain Badiou, philosophe de quatre-vingts ans, dernier thuriféraire de Mao, remettant en cause la démocratie telle que nous la connaissons. Inquiétant et symptomatique des errances d’une certaine gauche abandonnant le rouge pour le brun ; je ne peux m’empêcher de penser à propos du promoteur de ce groupe de réflexion à la phrase d’Arthur Koestler qui me semble particulièrement appropriée quand il dit : « le désir de faire de la politique est habituellement le signe d’une sorte de désordre de la personnalité et ce sont ceux qui ambitionnent le plus ardemment le pouvoir qui devraient en être le plus soigneusement à l’écart. » Populisme, démocratie d’opinion… démocratie d’émotion… démocratie d’illusion !

A l’autre bout du spectre a surgi un adversaire, de loin plus redoutable que les pathétiques enfants perdus du gauchisme, « maladie infantile du communisme » écrivait déjà ce « grand démocrate » Lénine. Je veux parler du populisme. Au pouvoir en Hongrie, en Pologne, aux portes des palais nationaux en Autriche, en France, présent dans le discours du candidat Trump, pire encore dans ceux de Nigel Farage et Boris Johnson qui, lors de la campagne du Brexit, n’hésitera pas à proclamer qu’en votant pour le retrait de la Grande-Bretagne de l’UE « les Anglaises auraient de plus gros seins et leurs maris pourraient s’acheter une plus grosse BMW. » Enorme mais vrai ! Oserais-je supposer que c’est à Eton ou à Oxford qu’une argumentation de cette qualité lui a été inculquée ? Le populisme, nouvelle formulation de ce vieux poujadisme, qui permit à Le Pen de se voir le plus jeune élu de la République dans les années cinquante, a donc refait, avec succès, sa réapparition. Le populisme, c’est votre chauffeur de taxi qui vocifère à propos de tout, satisfait de rien, qui trouve que tout va mal, que le temps est mauvais, que le prix des tomates est trop élevé, que les voiries sont mal entretenues, que les clients ne laissent pas de pourboire, tout… n’importe quoi ! Récriminations sur tout ! On reconnaît le vocabulaire de Trump ou de Beppe Grillo dont le parti dirige depuis quelques semaines deux grandes villes italiennes. De fait, comme l’écrivit récemment un politologue de l’ULB « nos vieilles démocraties craquent de partout. » Le pacte rousseauiste est ignoré par les uns, remis en question par les autres. Ici ou là, on évoque un parlement qui serait tiré au sort ou dont certains en seraient. On connaît déjà depuis longtemps les ASBL dont les membres, sans aucune légitimité démocratique élective, se sont auto instituées « pouvoir de contrôle de la démocratie » mais dont personne ne juge de la composition ; seule chose importante pour elles, obtenir des subsides permettant de faire vivre l’institution ainsi créée et, avec l’argent du contribuable, sans la moindre base légale, contester à
tout va les projets ou les réalisations des autorités publiques dûment élues.

Le rêve d’un roi

Je ne peux m’empêcher de me souvenir que l’un des grands rêves du Roi Baudouin Ier était de mettre sur pied un gouvernement de techniciens, ou de « douze hommes en colère » libéré du « boulet » parlementaire. Il ne manquait pas de suriner ce projet à ses visiteurs pendant quinze ans, certains l’écoutant d’une oreille intéressée, frappés sans doute du syndrome « De Man » qui en 1940, président du POB (ancêtre du PS), vira brutalement sa cuti, se lança tout de go dans la mise sur pied d’un régime fort, bien dans l’esprit du temps, tel que le souhaitait Léopold III… On sait comment l’entreprise se solda !

Le trône branla, la République pointa timidement le bout de son nez. On entend aussi parler de la suppression de ce qu’on appelle pudiquement les corps intermédiaires, qui bloqueraient les réformes empêchant notre société d’évoluer vers plus de compétitivité ! Bien voyons ! Mais c’est bien sûr ! Supprimons les syndicats, les organismes sociaux, replongeons avec délice (pas pour tous) dans un Etat du XIXème siècle, où l’accumulation primitive des richesses se pratique sans entrave, revenons à la politique du « renard libre dans le poulailler libre ». Réapparaît avec la vague populiste l’idée du référendum, le peuple le vrai, celui que Degrelle appelait « le pays réel » aurait ainsi voix au chapitre, il pourrait s’exprimer. Etonnant oubli de l’histoire, le référendum a toujours été une forme de plébiscite ; c’est le premier choix des dictatures, l’illusion jetée en épais brouillard aux yeux des citoyens pour leur faire croire qu’ils décident… enfin ! Rien de plus faux ! Le référendum, c’est l’émotion avant la raison, c’est l’exacerbation d’un présent mal compris, c’est un rugissement de colère qui masque une impuissance bien réelle, qui précède la captation du pouvoir par celui qui aura posé la question. Ainsi, si le sujet n’était pas aussi dramatique, on éclaterait de rire à la lecture de la question qui sera posé en octobre aux Hongrois sur l’immigration… impossible de répondre négativement à ce que souhaite Orban. Le récent référendum sur le Brexit démontre bien quelles ambiguïtés recèle cette pratique, de fait contraire à la démocratie. On objectera, on le fait toujours, l’exemple Suisse. Un leurre de plus, la Suisse compte vingt-six cantons dont certains ne sont habités que par quelques milliers d’habitants… et puis souvenons-nous que dans certains de ces sympathiques, fleuris et si propres cantons, les femmes, par référendum se sont vu refuser le droit de vote jusqu’il y a peu ! Dans le dernier des cantons, les femmes attendront 1990 pour pouvoir voter ! Les femmes turques votaient depuis 1923 !

Allemagne 1933 – Europe aujourd’hui !

N’en doutons pas, les mêmes causes produisent les mêmes effets, le chômage de masse, la perte de confiance dans l’avenir, la décrédibilisation du personnel politique, c’est Weimar 1933 ; cela pourrait être partout en Europe dans un futur proche. Sur cette toile de fond peu réjouissante, s’est ajoutée depuis une vingtaine d’années la mise en cause directe, brutale, sanglante des valeurs de notre civilisation. Le monde Arabe, longtemps humilié par une colonisation brutale, ayant quitté l’espérance communiste, ayant subi les dictatures nationalistes peintes aux couleurs d’un socialisme baasiste monstrueux, se lance à corps perdu dans une immersion religieuse moyenâgeuse, tournant le dos, non seulement à la modernité mais aussi aux apports fondamentaux de l’immense, prestigieuse civilisation musulmane. Mettant en cause globalement les valeurs de l’Occident, ces obscurantistes ont déclaré une guerre à tout ce qui ne se soumet pas à leur vision du monde. Ceux qui, pendant des années ont nié ce phénomène, ont nié le remplacement de la population de certains quartiers des villes européennes, ont nié le choc de civilisations qu’Huntington avait déjà conceptualisé dans les années nonante, ceux-là ont refusé de voir le réel, ce que Prévert appelle « les terrifiants pépins du réel. » Il est vrai qu’on perçoit moins bien le remplacement de la population à Woluwe-Saint-Pierre ou à Lasnes. Il en est cependant qui, marqués par une culpabilité postcoloniale, alliée à une haine de soi, sont prêts à se soumettre… de compromis en compromissions liquident une à une nos valeurs fondamentales… « La laïcité, à quoi bon en parler, elle n’existe pas vraiment en Belgique, elle ne figure pas dans la Constitution, l’égalité homme/femme… à quoi bon la mettre en avant alors même que des disparités économiques existent encore même en Belgique… le voile dans les services publics… mais pourquoi pas, chacun doit pouvoir exprimer librement sa foi, n’y a-t-il pas des femmes qui portent au cou une petite croix ! » Fil après fil, c’est la trame des valeurs, de nos valeurs conquises après des siècles de luttes contre l’obscurantisme, qui se déchire. Cela avec le consentement complice de ceux qui ne voient apparemment aucun inconvénient à faire d’un élu un Vice–Président du Parlement bruxellois alors qu’il participa à Anvers à une manifestation dont l’un des slogans était « les juifs dans le gaz »… vous avez dit Valeurs ! Voilà un exemple qui mieux qu’un long discours permet de comprendre pourquoi notre civilisation a perdu confiance en elle-même, en ses valeurs, voilà pourquoi le discours culpabilisant est aujourd’hui dominant.

Défendre… enfin nos valeurs.

La pire des choses, c’est la démocratie veule, celle de Munich qui trahit les démocraties, celle qui, par lâcheté, laisse crever la République espagnole de 1936… On sait le prix qu’il a fallu payer pour réparer ces dramatiques erreurs. L’histoire le démontre tragiquement, la démocratie molle est le chewing-gum de la dictature, elle la mâche, feint d’y prendre goût, mais le sucre ayant disparu, elle le crache au mieux dans le caniveau… ou elle le colle… sous un pupitre du Parlement bruxellois. Nous ne disposons pas de trente-six solutions. La seule qui vaille trouve son fondement dans une foi intransigeante en nos valeurs, dans la défense absolue des Droits de l’Homme et du citoyen, dans le refus catégorique de toute révision de ces droits, dans le respect d’une absolue égalité Homme/Femme, dans le respect de la laïcité. Notre démocratie doit être défendue parce qu’elle seule nous offre des droits, des libertés n’existant nulle part ailleurs… que certains, par bassesses électoralistes, sont prêts à brader. Rappelons-nous que dans les années trente, la France, la Belgique, la Grande-Bretagne, les pays scandinaves ont résisté victorieusement à la vague fasciste. Si Degrelle avait 21 élus en 1936, il lui en restait 2 en 1939 ! Il s’agit aujourd’hui de résister comme Londres l’a fait en septembre 1940 sous les bombes allemandes, recourir à la résilience, sans jamais rien céder de nos libertés, sans rien admettre de ceux qui veulent transformer notre société, liquider nos valeurs… Et surtout, surtout, car là est notre avenir, grâce à un enseignement revalorisé tant au plan de ses moyens budgétaires, qu’au niveau de la rémunération des maîtres, permettre aux enfants d’aujourd’hui, citoyens de demain, de jeter sur le monde un regard instruit ! Ce sont ces regards instruits qui constitueront le rempart de la démocratie, le rempart de nos valeurs.

La vérité ! Ma vérité ! ce n’est rien de fixe, d’arrêté, de trop sûr de soi. Ce n’est que quelque chose qu’on cherche. Ce n’est qu’un grand chemin sur lequel marchent tous les hommes, d’un pas plus ou moins vif, plus ou moins alerte, plus ou moins sûr, mais c’est pour tous le même chemin depuis que l’homme est l’homme, à la conquête d’une petite lumière qui, soudain, l’éclairerait et résoudrait son destin. Ceux qui voient le plus clair marchent le mieux et sont les plus libres

C’est du moins ce que je crois. Nous ne faisons, pour la plupart, que les suivre. Ce que nous appelons notre vérité est fait de quelques rares choses que nous savons, mais d’un bien plus grand nombre que nous croyons seulement, et nous avons tout lieu d’être très humbles et sans arrogance. Le difficile est de garder courage dans ces incertitudes. Beaucoup se fatiguent sur le chemin et finissent par s’en remettre à des fables qui les consolent et leur paraissent tout arranger. C’est d’autant de perdu pour la recherche de la vérité. La mort est au bout pour tout le monde, il est vrai, et il peut sembler qu’il importe guère comment on a vécu, de quelle vaniteuse foi ou de quelle fantaisie on s’est contenté pour vivre et mourir plus tranquille, mais la mesure de notre dignité est sûrement de vouloir vivre dans la clarté, même si notre lucidité ne nous aide pas. Il faut accepter de penser que la vérité peut être triste, mais pour agir et travailler, et la rendre moins triste, croire, quoi qu’il en soit, que les lumières s’ajoutent aux lumières. Là est la grandeur de la vie, et la mort peut n’être qu’un gouffre de clarté où l’on finit par tomber.

Jean Guéhenno – Carnet du Vieil Ecrivain

Originellement paru dans ML 192

Le « vivre ensemble » et ses nécessaires prolongements

 Philippe Moureaux

Aujourd’hui, après des événements dramatiques qui nous ont conduits à constater avec effroi qu’une frange de notre population  se réfugie dans des conduites criminelles justifiées par de soi-disant impératifs religieux, nous prenons conscience de l’immense difficulté de l’organisation d’un « vivre ensemble » pacifique que nous appelions de tous nos voeux.

Certes, la dérive de cette minorité criminelle trouve ses origines dans nombre de facteurs complexes que j’ai, récemment, tenté de synthétiser dans un livre intitulé « La vérité sur Molenbeek ». Les responsabilités de l’Occident à travers une politique internationale violente, incohérente et sans analyse sérieuse des conséquences ultérieures de ses actes n’est pas mince.

Elle ne doit cependant pas occulter nos responsabilités.

Dans la foulée généreuse de relancer le « vivre ensemble », beaucoup, sans grande réflexion, crient haro sur le maintien de « ghettos » dans nos cités. Lorsque ces paroles proviennent d’interlocuteurs anglo-saxons, elles prêtent à sourire. En effet dans ces pays, particulièrement aux Etats-Unis, ces concentrations de populations sont monnaie courante. Mais dépassons les niaiseries de quelques journalistes sans esprit critique et regardons ce qui se passe chez nous.

Bien sûr, ce que nous appelons des « ghettos » n’a pas l’opacité et la fermeture qui caractérisaient des situations courantes dans le passé. Les espaces dont nous parlons aujourd’hui sont des regroupements de populations qui reproduisent partiellement le mode de vie de leurs pays d’origine. Ces lieux ne sont pas fermés. Malgré une dominante incontestable d’une culture arabo-musulmane ou turque, vous pouvez les traverser, y faire vos achats , mieux, vous pouvez y vivre. D’ailleurs, en plus d’une population européenne résiduaire, on y rencontre de plus en plus de personnes originaires d’Europe centrale ou d’Afrique sub-saharienne.

Certains défendent l’idée qu’il serait simple de disloquer ces « ghettos ». Ils oublient un élément important : ces lieux ne sont pas, pour l’essentiel, des lieux de repli mais bien des lieux de relégation. Les populations bigarrées et d’un niveau social modeste ne sont pas les bienvenues dans les communes ou les quartiers où sont concentrées des classes moyennes et je ne parle pas des « ghettos » de riches…

Tous ceux qui ont tenté d’éparpiller le logement social dans tout Bruxelles pour briser la concentration de populations fragiles ont fait la triste expérience d’une opposition politique de la droite et, plus feutrée, d’une partie de la gauche dite modérée. Moi-même, lorsque j’ai voulu créer des logements sociaux dans le quartier résidentiel de Molenbeek pour briser le carcan de la pauvreté, j’ai subi une volée de bois vert de la droite libérale.

Aérer culturellement nos espaces urbains n’est donc pas chose aisée et beaucoup de ceux qui tiennent de beaux discours en sont les principaux opposants lorsque se profilent à l’horizon des projets concrets.

Que faire ? Dans une période difficile où le fossé entre les cultures différentes s’élargit, il faut dans un premier temps reconstruire des ponts, isoler les extrémistes de tous bords et plaider le vrai : une minorité criminelle ne peut en aucun cas être assimilée à une grande majorité pacifique. Des efforts doivent être faits de part et d’autre. Une attention particulière doit être portée à une fraction de la jeunesse attirée par la violence ambiante. En cette matière, l’action doit être bien pesée et se nourrir d’une connaissance approfondie des ressorts psychologiques qui animent ces jeunes.

La culture doit être encouragée vigoureusement car elle est un lieu propice aux rencontres et aux confrontations pacifiques qui conduisent à des métissages pleins de promesses. En créant au coeur de Molenbeek une maison DES CULTURES, j’ai voulu apporter une contribution majeure à la diffusion des cultures qui s’épanouissent dans le monde entier. La beauté dans toute sa diversité est un gage de respect mutuel.

Au-delà du « vivre ensemble » que je prône sans réserve , il faut oeuvrer à une approche plus forte qu’une simple juxtaposition pacifique de cultures différentes. Le métissage dont je viens de parler me paraît fondamental. Je n’y reviens plus.

Dans des textes écrits précédemment, j’ai à la fois rejeté les accommodements raisonnables à la québecoise – on ne transige pas avec la loi – et j’ai d’un même souffle célébré les accommodements pragmatiques. Je me risque aujourd’hui à une formule nouvelle, celle des « accommodements raisonnables pragmatiques et RECIPROQUES ». Dans un monde où malgré toutes les politiques restrictives la circulation des personnes s’intensifiera, il faut que chacun fasse un effort pour s’adapter à l’autre. J’insiste sur l’aspect réciprocité qui est souvent difficile à obtenir et qui est pourtant crucial. Pour créer une véritable convivialité entre les personnes, il faut tenir compte du vécu de l’autre. J’ai par exemple été peiné par un refus de me serrer la main que je tendais dans un geste plein de respect. J’ai droit à la compréhension de l’autre. Bien entendu, moi aussi, je dois mieux saisir les souhaits de mon interlocuteur.

Et la laïcité ? Je pense qu’au mieux de sa forme, généreuse, empathique, ouverte au monde, elle peut être le creuset de cette politique nouvelle qui va au-delà du  « vivre ensemble ».

Rien n’est simple. L’histoire nous bouscule. Ne perdons pas le fil de l’espoir et de la fraternité.

Originellement paru dans ML 191