Le vivre ensemble passif ou l’agir ensemble actif ?

 Laurent Berger

Au lendemain des attentats de Bruxelles, nous allons continuer à vivre ensemble, avec angélisme et édulcoration des conflits qui existent dans notre société où les rapports humains semblent ne plus vouloir se pacifier que par la consommation et les paradis artificiels. Les activités économiques et la libre circulation des marchandises doivent bien reprendre. Le seul avenir proposé après l’apparition de la violence, c’est de continuer à aller boire des verres, de manger des frites. Avons-nous perdu le goût de l’avenir que nous en sommes arrivés à limiter notre imagination ? Allons-nous maintenir une paix sociale suffisante en apparence en laissant vivre les communautés les unes à côtés des autres ? Allons-nous demeurer entre convaincus dans les salons mondains ? En réalité, nous nous réjouissons de pouvoir vivre ensemble entre nous. Nous n’agissons plus réellement, nous n’osons plus, par autocensure, par bienveillance, par peur du conflit. Or le conflit est déjà bien présent, non pas un conflit entre des civilisations, mais un conflit entre ceux qui aiment la liberté et ceux qui ne l’aiment pas. Entre ceux qui veulent réactiver la notion de citoyenneté et ceux qui veulent maintenir la compétition.

Agir ensemble, c’est pouvoir se rassembler, s’exprimer, remettre en cause un système dogmatique. Certains faits viennent contredire les « bien-pensants », ceux qui pensent que tout est bien dans le meilleur des mondes dans notre petite Belgique. Le président de la Ligue des droits de l’Homme a été arrêté pour être venu à la Bourse rejoindre des militants anti-racistes et durant le même mois, des militants dont certains sont membres d’un groupuscule d’extrême droite belge manifestent librement avec calicots dans Bruxelles! Ce qui signifie que ceux qui remettent en cause le néolibéralisme sont de plus en plus l’objet d’arrestations, voire de violences policières. Le mot d’ordre donné est donc le maintien à tous prix d’un mode de vie unique basé sur le libre-échange et la compétition. Le consommateur a remplacé le citoyen.

« Agir ensemble » suppose la présence de l’éthique, de l’engagement, de l’action alors que le « vivre ensemble » demeure dans la passivité, l’attentisme. Endormis que nous sommes par les appels incessants au divertissement ou à la peur. La peur étouffe la résistance. Il me paraît urgent de nous rappeler que le nazisme est apparu dans une société moderne, libérale. Celui-ci s’est développé grâce au soutien de grandes entreprises allemandes. Croire qu’un islam visible n’est que la douce et belle religion qui défend les pauvres et les révoltés contre l’impérialisme est une illusion. Un islam et le capitalisme fonctionnent très bien ensemble. L’Arabie saoudite en est le modèle parfait, pays à qui la Belgique vend des armes. Le libre-échange ne se soucie guère de l’éthique. Les révoltés qui ont cru trouver dans l’état islamique usurpateur la justice, la défense des pauvres, doivent participer aux exactions commises contre les musulmans eux-mêmes. Derrière « les terroristes » qui nous ont attaqués, se cachaient en réalité des délinquants qui aimaient financer leurs divertissements. La petite délinquance est une réponse à la grande délinquance qui relève de l’obsession de l’argent. Nous apprenons aujourd’hui une nouvelle fois que des centaines de Belges mégariches ont planqué leur argent dans des paradis fiscaux. C’est le quatrième scandale financier mondial (après le OffshoreLeaks, le SwissLeaks, le LuxLeaks) depuis 2013. Et le gouvernement est toujours à la recherche de quelques centaines de millions? Nous pouvons dès lors comprendre pourquoi depuis des années l’enseignement et la culture sont définancés. Le vivre ensemble se satisfait aujourd’hui d’un partage des richesses pour une minorité, il s’incarne également dans une vision multiculturelle artificielle. Au terme multiculturel qui relève souvent d’une approche commerciale et médiatique, je préfère agir dans une société interculturelle.

Agir ensemble suppose la volonté de nommer les choses afin d’éviter l’omniprésence de tabous et de l’autocensure. Le mot radicalisme utilisé aujourd’hui ne permet pas de désigner de manière précise une vision totalitaire qui s’exprime dans un islam qui existe en tant que tel et qui est à différencier des autres islams. Un islam qu’il faudrait voir en face sans détourner les yeux. Certains doux rêveurs ont cru voir dans celui-ci une sorte de communisme spirituel qui permettrait aux défavorisés de maintenir le lien social et la solidarité. Ils ont laissé s’installer dans certains quartiers le contrôle social, la surveillance des grands frères, le retour aux traditions tribales.

Agir ensemble, c’est pouvoir nommer les choses et ne pas s’arrêter à des causes sélectives. Comparer la révolte parfois nihiliste des punks aux jeunes qui mettent des bombes dans notre métro est une comparaison qui révèle la pratique inconsciente ou consciente de l’évitement à désigner correctement une idéologie fasciste et criminelle. Je n’ai jamais vu des punks se faire exploser dans le métro ! Le fascisme n’est pas un nihilisme mais est une idéologie totalitaire qui a recourt à la violence pour s’imposer. Il se déclare dans une société où nous vivons les uns à côté des autres. Nous avons connu le nazisme, nous connaissons aujourd’hui un autre fascisme. Nous devons apprendre à le nommer avec autant de force et de vigueur comme le précédent. Il est un islam totalitaire qui nie l’indépendance de l’individu. Le propre de tous les totalitarismes est d’empêcher la naissance individuelle. Cependant, le néolibéralisme, qui désire la libre circulation, transforme l’éducation du citoyen en éducation du consommateur. Agir ensemble suppose la présence d’individus qui peuvent être acteurs de leur propre vie. Au-dessus de la famille, du clan, de la patrie, de la religion, il existe l’humanité. L’individu et l’humanité sont ainsi à redéfinir afin de pouvoir agir ensemble.

Agir ensemble, c’est pouvoir se mettre d’accord afin de dénoncer toutes les idéologies totalitaires où qu’elles se trouvent. C’est librement, en toute lucidité, que Camus a déchiré sa carte du parti communiste. Camus, un penseur libertaire, qui a toujours su garder son indépendance et son esprit critique. Il est plutôt facile de désigner l’idéologie néo-nazie d’un skinhead, celui-ci sera clairement interpellé tel qu’il est, sans détour, sans édulcoration. Par contre, il n’en est pas de même pour ce que j’ai toujours considéré comme étant un fascisme et non un islamisme et qui existe au sein d’une communauté dite d’origine étrangère. Or les jeunes qui ont commis les attentats à Bruxelles ne sont pas des réfugiés, ils sont nés et ont grandi parmi nous. J’affirmerais même qu’ils se sont trop bien intégrés dans notre société de consommation, ils vendent et consomment des produits, ils portent des Nike, ils vivent de leurs trafics comme les puissants vivent de leurs combines financières, ils entrent dans la compétition par les moyens légaux et illégaux. Les grands couturiers ont compris la loi de l’offre et de la demande quand ils vont proposer des vêtements adaptés à la mode musulmane. Parler d’un échec de l’intégration comme explication unique me paraît aussi révéler l’évitement des véritables responsabilités. Laissons faire les petits trafics afin de ne pas provoquer des émeutes dans certains quartiers, laissons alors les dealers s’armer pour se rendre maîtres de leur territoire.

Agir ensemble implique la présence de deux principes : les normes communes et l’égalité. Il ne sert à rien de dénoncer le communautarisme des autres, si nous-mêmes nous demeurons entre nous, dans  » l’entre soi « , dans les salons mondains des convaincus qui finissent par ne plus se parler qu’entre eux et qui au nom du droit à la différence, laissent les autres parler leur propre langue. Nous sommes pour le port du voile dans « les écoles ghettos » mais nous n’y mettrons certainement pas notre fille ! J’ai souvent écrit que de nos jours, le droit à différence se retourne contre l’égalité. Vous voulez leur imposer de parler le français, mais vous êtes raciste en fait ! Laissons alors chacun parler sa propre langue en abandonnant tout espoir d’un véritable dialogue interculturel. Agir ensemble, c’est assumer la confrontation dans le dialogue, c’est admettre que toutes les idées sont à remettre en cause. Aujourd’hui des gens sont prêts à mourir au nom de leurs idées parce qu’ils refusent de tuer leurs idées. Le pari est de nous libérer de toutes les idéologies quelles qu’elles soient.

Originellement paru dans ML 191

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