Une soif insoupçonnée : Le côté obscur du tourisme
Marie Béclard - FAML
Le tourisme est généralement perçu comme une expérience enrichissante qui permet de remettre en question nos idées préconçues sur le monde et sur les autres, offrant ainsi découvertes et épanouissement mais il soulève des inquiétudes quant à son impact sur l’environnement et sur les communautés locales. Si voyager peut être une source de découverte et d’épanouissement, il est désormais impossible de ne pas se questionner sur ses conséquences environnementales et éthiques. [1]
L’eau qu’elle soit douce ou salée attire le tourisme et fait partie essentielle du voyage. Mers, océans, lacs sont des endroits très recherchés pour passer des vacances. Le touriste a besoin d’eau pour s’hydrater, pour se laver mais aussi pour ses loisirs que ce soit pour les piscines ou l’entretien des espaces verts comme les terrains de golf. On estime entre 84 et 2000 litres en moyenne la consommation quotidienne d’eau douce d’un touriste. Cela peut paraître beaucoup mais le tourisme international représenterait selon les statistiques moins de 1 % de l’utilisation de l’eau. C’est l’agriculture qui en consomme le plus: les prélèvements pour cette activité s’élèvent eux à environ 70 % et représentent donc des quantités bien supérieures. [2] Mais les chiffres faibles de consommation d’eau pour le tourisme pourraient s’expliquer par le fait qu’on ne prend pas en compte quantité de postes cachés. En effet, selon un chercheur suédois de l’Université de Lund, Stefan Gössling, la consommation et les prélèvements en eau se situent plutôt entre 2000 et 7500 litres par jour.[3] Selon lui, ces chiffres s’expliquent parce qu’on ne prend pas en compte différents facteurs. En voici deux auxquels on ne pense pas spécialement quand on parle d’eau: l’alimentation et le transport.[4]
Le transport
On fait facilement le lien entre transport, pollution et CO2 mais on ne voit pas toujours où se situe l’eau dans cette équation.
Selon le Worldwatch Institute, la production d’un litre de carburant va nécessiter 18 litres d’eau. Pour faire Bruxelles – Bangkok en avion, les calculs sont vite faits quand on sait qu’un avion consomme l’équivalent de 4 litres de carburant par passager pour 100 Km. Pour faire ces 9600 km chaque passager sera responsable de la consommation de 376 litres de carburant et donc de 6768 litres d’eau.[5]
L’alimentation
Pendant leurs vacances, il est fréquent que les touristes mangent plus et gaspillent plus qu’ à la maison et ils consomment davantage d’aliments riches en protéines comme la viande.
Lorsqu’il y a du surplus alimentaire lors d’un séjour à l’hôtel, ceux-ci sont généralement destinés à être jetés, alors qu’à la maison, ils auraient plus de chances d’être consommés ultérieurement. Il est en effet difficile de ramener un doggy bag dans sa chambre d’hôtel.
Les hôtels avec buffets à volonté sont également responsables d’une grande quantité de gaspillage de nourriture chaque jour.
Pour répondre aux attentes des touristes, les hôtels proposent des plats internationaux ce qui implique une multitude de plats différents dont tout ne pourra pas forcément être consommé. Cuisiner des produits qui ne sont pas locaux augmente l’impact des émissions de carbone pour faire venir ces produits. Le secteur touristique, en tant que consommateur d’aliments, participe de manière indéniable à la demande en eau nécessaire à l’agriculture.
Tourisme et saisonnalité
Vous aimez voyager sous la pluie? Si c’est votre cas, c’est super mais ce n’est pas celui de la majorité des touristes.
Ils arrivent généralement à la saison sèche, lorsque la demande en eau est déjà élevée dans les régions touristiques. Cette affluence exerce une pression supplémentaire sur les ressources en eau parfois déjà limitées de ces zones. Si on prend le cas de la Thaïlande, la saison haute se situe en dehors de la saison des pluies et souvent les touristes créent même leur itinéraire en fonction du meilleur climat. Ce qui peut être encore plus marquant sur certaines petites îles où l’accès en eau est déjà compliquée.
Le tourisme à travers le monde
Si le tourisme ne se vit pas de la même manière en France, à Dubaï ou sur un bateau de croisière, il a dans tous les cas un impact sur l’environnement et sur l’eau. On observe généralement une concentration spatiale importante le long du littoral, ce qui peut avoir un impact sur les zones sensibles. Les régions touristiques proposent souvent des équipements qui exigent une consommation d’eau importante comme les terrains de golf, les piscines. [6]
Dans certaines régions du monde, cela peut même entraîner une concurrence entre le secteur touristique et l’agriculture locale pour l’accès à l’eau. L’agriculture, qui dépend fortement de l’eau pour l’irrigation des cultures, peut être affectée par la demande accrue des touristes. Cette concurrence peut entraîner des tensions et des déséquilibres dans l’utilisation des ressources en eau, avec des conséquences potentielles sur la sécurité alimentaire et le développement économique des communautés locales. C’est parfois le cas en Egypte, où d’un côté 30% de la population est employée dans le domaine de l’agriculture et de l’autre la Mer Rouge accueille un nombre important de touristes chaque année tout en étant une zone aride. Ces deux activités peuvent être concurrentielles.[7]
En plus de consommer énormément d’eau pour leurs loisirs: piscines, activités nautiques, les touristes mettent également en danger ses récifs coralliens, sa biodiversité marine à cause de l’utilisation de crème solaire par exemple. Chaque année, c’est 14 000 tonnes de crème solaire qui sont amenées dans les océans. [8]
Dubai
Tripadvisor a décerné à Dubaï le titre de destination touristique la plus prisée au monde en 2022 lors de ses Travellers’ Choice Awards.
Le développement du tourisme dans cette région aride du monde ne s’est pas fait sans conséquences environnementales. Il a entraîné une augmentation du nombre d’hôtels qui nécessitent une quantité considérable d’eau pour leurs activités quotidiennes. Les jardins luxuriants, les piscines, les fontaines et les terrains de golf verdoyants sont très nombreux à Dubaï.
L’augmentation du nombre de touristes a fait croître le besoin en eau potable. Les hôtels, les restaurants, les centres commerciaux et autres infrastructures touristiques nécessitent de grandes quantités d’eau pour répondre aux besoins des touristes.
Les espaces verts et les terrains de golf sont arrosés à grandes eaux. Dans une région où les ressources en eau sont limitées, il est paradoxal de maintenir des étendues verdoyantes artificielles. Cela exige des systèmes d’irrigation sophistiqués qui consomment de grandes quantités d’eau chaque jour.
En outre, la construction de nombreux hôtels a entraîné une augmentation de la demande en eau. En effet, la construction de gratte-ciel et d’infrastructures touristiques nécessite l’utilisation d’eau pour le mélange du béton, la suppression de la poussière et le nettoyage. Cette demande en eau supplémentaire pendant les phases de construction met une pression supplémentaire sur les ressources en eau déjà limitées du pays.
En conséquence, l’utilisation intensive de cette ressource naturelle dans le secteur touristique a des répercussions sur l’approvisionnement en eau de la région. Dubaï dépend principalement de l’eau dessalée pour répondre à ses besoins en eau potable, ce qui nécessite une grande quantité d’énergie et de ressources pour le processus de dessalement. De plus, l’extraction excessive des eaux souterraines pour répondre à la demande a entraîné une diminution du niveau des nappes phréatiques et une intrusion saline, ce qui rend l’eau douce encore plus rare et coûteuse à obtenir.[9]
Pour faire face à ces défis, Dubaï a mis en place des initiatives visant à réduire la consommation d’eau dans le secteur touristique. Des réglementations strictes en matière d’utilisation de l’eau ont été introduites. [10]
France
Alors avec tout cela, on évite l’avion, les pays construits au milieu du désert… mais où va-t-on alors ? En France?
Le changement climatique risque d’entraîner une fréquence accrue des sécheresses. Les températures plus élevées vont augmenter l’évaporation, ce qui renforcera à la fois l’intensité et la durée des périodes de sécheresse.
En France, certaines régions demandent déjà aux particuliers de réduire leur consommation d’eau, même avant le début de la saison estivale. Cette mesure vise à faire face à la pénurie d’eau potable et à réduire les risques d’incendie.
Cependant, il est important de noter que cette situation est aggravée par l’afflux de touristes qui multiplie la population par quatre dans certaines régions. Dans ce contexte, il est légitime de se demander s’il est possible de demander aux résidents locaux de réduire leur consommation d’eau tout en encourageant le tourisme.
En tant que touriste, faudrait-il éviter de se rendre dans de telles zones durant les périodes chaudes pour ne pas les mettre sous pression davantage. Mais quid des personnes qui vivent du tourisme?
Croisière
Ce type de vacances a gagné en popularité ces dernières années. [11] L’impact d’une croisière sur les lieux visités ne sera évidemment pas le même si on visite par exemple une petite île d’Hawaii ou Singapour. Sans parler de la pollution causée par le pétrole. Selon l’organisation maritime internationale (OMI), un navire de croisière qui peut accueillir 3000 passagers et membres d’équipage consomme environ 260 000 litres d’eau par jour.
L’eau sur laquelle navigue le bateau peut également être contaminée de différentes manières : par des fuites de gaz ou d’huile, les eaux usées des cuisines. Les bateaux de croisières contaminent également l’eau et sont la cause de nombreux déchets flottants : bouchons de bouteille, sacs en plastique qui peuvent causer la mort d’animaux. [12]
Les croisières génèrent des déchets solides : des emballages alimentaires, des bouteilles en plastiques. Les déchets ne sont pas toujours bien gérés et peuvent être rejetés dans l’eau et participer à la pollution de celle-ci.
Les ballasts
Un bateau vide peut être instable et pourrait rouler ou tanguer excessivement en raison de son faible poids. C’est pour cette raison que les navires remplissent leurs réservoirs d’eau de mer ou d’eau douce pour augmenter leur poids et améliorer leur stabilité. C’est ce que l’on appelle l’eau de ballast. L’eau est prise dans la mer ou dans un port est ensuite stockée dans des réservoirs situés dans la coque.
Cette eau de ballast peut contenir des organismes vivants tels que des plantes et des animaux, des bactéries (comme le choléra), des microbes, oeufs, kystes qui peuvent être pathogènes ou elles peuvent également devenir envahissantes si elles se multiplient de façon trop importantes au détriment des espèces indigènes.[13]
L’eau de ballast est ensuite déchargée dans les ports et les baies à l’arrivée du navire, parfois des milliers de kilomètres plus loin. Ces organismes peuvent être libérés dans l’environnement local, où ils peuvent causer des dommages écologiques et sanitaires.
Pour lutter contre cela, des lois imposent, des pays imposent la filtration avant de verser à la mer. [14]
Comment le touriste peut-il agir?
Il nous semble important de parler de l’impact du tourisme sur la gestion de la ressource en eau. Pour que chaque personne puisse réfléchir à sa manière de voyager et de consommer l’eau durant ses vacances.
Certains hôtels essaient de sensibiliser leurs clients à économiser l’eau. Par exemple, en leur indiquant qu’ils ou elles peuvent accrocher leur linge pour ne pas qu’il soit lavé tous les jours. Ou encore des pommeaux de douche lumineux qui symbolisent le nombre de litres utilisés. S’il est important que chaque touriste soit le plus soucieux de l’environnement et questionne sa manière de voyager, on peut cependant questionner cette volonté de mettre la responsabilité sur l’individu, de le culpabiliser plutôt que de faire reposer les faits sur les collectivités et les entrepreneurs qui sont responsables à bien plus grandes échelles.
Alors vous partez où cet été?
- M. FAULON et I. SACAREAU, « Tourisme, gestion sociale de l’eau et changement climatique dans un territoire de haute altitude : le massif de l’Everest au Népal », Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine [En ligne], 108-1 | 2020, mis en ligne le 03 avril 2020, consulté le 01 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/rga/6759 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rga.6759 ↑
- Du bon usage de l’eau pour un tourisme durable colloque de novembre 2017, Informations consultées le 12 mai 2023 sur le site http://www.aqueduc.info/IMG/pdf/eau_et_tourisme_-_dossier_aqueduc.info.pdf ↑
- Eau et tourisme :menaces sur la ressourceinformations consultées sur le site http://www.aqueduc.info/Eau-et-tourisme-menaces-sur-la-ressource ↑
- MEDSTAT II: Etude pilote “Eau et Tourisme”, 2009. ↑
- Eau et tourisme E. REYNARD, M. CALIANNO, M. MILANO consulté le 12 mai 2023 sur le site https://news.unil.ch/document/1616074942395.D1616075866398 ↑
- MEDSTAT II: Etude pilote “Eau et Tourisme” consulté https://ec.europa.eu/eurostat/documents/3888793/5844533/KS-78-09-699-FR.PDF.pdf/fb4a9ccf-034b-49c7-ae3d-de5dba39fbe8?t=1414779469000 ↑
- Informations consultées le 12 mai 2023 sur le site https://agriculture.gouv.fr/egypte ↑
- Informations consultées le 10 mai 2023 sur le site https://officedelamer.com/se-proteger-du-soleil-tout-en-protegeant-les-oceans-cest-possible/#:~:text=Chaque%20ann%C3%A9e%2C%20pr%C3%A8s%20de%2014,cr%C3%A8mes%20qui%20respectent%20les%20oc%C3%A9ans. ↑
- Informations consultées le 10 mai 2023 https://lewebpedagogique.com/asoulabaille1/niveau-5e/geographie/dubai-et-la-gestion-de-leau/ ↑
- Informations consultées le 20 mai 2023 sur le site https://fr.euronews.com/next/2022/11/24/les-technologies-capables-de-produire-de-leau-potable-en-plein-desert ↑
- Informations consultées le 23 mai 2023 sur le site https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/20137 ↑
- Informations consultées le 12 mai 2023 sur le site https://ec.europa.eu/programmes/erasmus-plus/project-result-content/cfbafeff-ef12-4fa7-80ad-573b636be14a/EFFT%20LEARNING%20MATERIALS%20AND%20CASE%20ESTUDIES%20(FRA).pdf ↑
- Sustainable Cruise Tourism Development Strategies, informations consultées le 12 mai 2023 sur le site https://www.e-unwto.org/doi/epdf/10.18111/9789284417292 ↑
- Informations consultées le 23 mai 2023 sur le sitehttps://journals.openedition.org/etudescaribeennes/20137 ↑
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