Droit, morale et éthique : de quel côté penche la balance ?
Florence Wautelet
Le droit, l’éthique et la morale constituent des champs de valeurs qui s’assemblent, se séparent, se recoupent et s’opposent en de nombreuses situations, singulièrement chez l’avocat.
Aux côtés de la déontologie et des règles juridiques qui se démultiplient à une vitesse grandissante, il existe d’autres exigences : l’éthique et la morale.
Tandis que l’éthique est habituellement définie comme l’ensemble des principes qui sont à la base de la conduite de chacun, la morale est l’ensemble des règles de conduite socialement considérées comme bonnes[1]. La morale est alors considérée comme contingente à une situation socioculturelle particulière dans la mesure où elle traduit les règles consacrées en fonction de l’état de la société au moment elles sont déterminées. L’éthique interroge le contenu de chaque morale ; elle ne peut avoir pour but de rechercher un consensus et son fondement repose sur le libre examen, méthode indispensable à toute démarche devant une question nouvelle, car garante de la liberté de conscience et de pensée.
Confronté à ces questions dans sa pratique, l’avocat devra tenter d’y répondre en faisant appel à ces notions polysémiques.
Appliquée au métier d’avocat, cette phase interrogative se traduit en questionnement légitime, qui survient lors de la défense d’une personne qui le sollicite, et a trait, par exemple :
- à une interrogation quant au comportement qu’aurait adopté une personne placée dans des circonstances identiques à celles qui font l’objet du litige
- au regard des autres, du groupe social sur la question posée
- à l’opposition éventuelle entre la liberté individuelle et l’appartenance à un groupe
- à la confrontation entre les règles de droit et l’éthique personnelle
- au rapport entre la norme juridique et la morale sociale[2].
L’avocat doit pratiquer activement une parfaite indépendance, en s’appropriant et se distanciant successivement de chacun des intérêts auxquels il fait face : ceux du client, des tiers, et le collectif.
Ainsi, tout au long du processus judiciaire, l’avocat sera saisi par des sentiments moraux de sympathie, de compassion, de dégoût, d’indignation ou encore de pitié à l’égard de la personne dont il assure la défense, mais également par des questions éthiques[3].
L’avocat se demandera jusqu’où aller dans la défense du prévenu, au regard notamment de la résonnance sociale des faits en question. Gare toutefois à ne pas faire de l’avocat le premier juge de la cause. Il n’est pas, et ne peut pas, être attendu de l’avocat de faire ce que le juge saisi fera. Ainsi, il n’est pas rare que l’un des deux plateaux de la balance penche du côté de l’âme et de la conscience plutôt que de celui des arguments juridiques et techniques[4].
Plusieurs limites, et donc pistes de réponse existent. En vertu du serment prêté, c’est en son âme et conscience individuelles que le praticien appréciera si une cause est juste ou non. Deuxièmement, les règles du droit, outre la déontologie, constituent tant des freins que des balises objectives et communes. Troisièmement, le poids donné par chacun à la morale sociale. Cet élément du triptyque a été mis en avant récemment dans quelques cas de défense pénale fortement médiatisés.
Au travers du serment prêté, c’est ainsi, à la fois une autorisation, mais aussi une injonction d’évaluer la cause soumise à l’aune de sa conscience et de son âme que l’avocat reçoit[5].
Un savant équilibre : faire coexister, en âme et conscience, le caractère juste d’une cause, l’éthique individuelle et la morale sociale[6].
[1] P. Verdier, « Morale, éthique, déontologie et droit », Les Cahiers de l’Actif, n° 276/277, mai-juin 1999, pp. 17-30, cité par Y. Kevers in « Pourquoi l’éthique, Pourquoi aujourd’hui, » L’éthique de l’avocat, Outil de marketing ou d’engagement ?, ouvrage collectif, éd. du Jeune Barreau de Liège, 2014, p.48.
[2] R. De Baerdemaeker, « Éthique et défense, Les rapports entre la juste cause, l’éthique personnelle et la morale sociale, L’éthique de l’avocat, Outil de marketing ou d’engagement ?, ouvrage collectif, éd. du Jeune Barreau de Liège, 2014, pp.26-27.
[3] E. Rude-Antoine, L’Éthique de l’avocat pénaliste, Paris, L’Harmattan, 2014.
[4] R. De Baerdemaeker, op. cit., p.31.
[5] R. De Baerdemaeker, op. cit., p.24.
[6] Idem.