Haute école Francisco Ferrer : l’enseignement laïque mis à rude épreuve !

Georges Verzin (avec Dominique Grisay, avocat)

La neutralité de l’enseignement de la ville de Bruxelles est gravement menacée depuis le dépôt d’une plainte pour discrimination, de deux étudiantes de la haute école Francisco Ferrer mettant en cause le règlement d’ordre intérieur de cet établissement d’enseignement, qui interdit le port de tout signe ostentatoire, qu’il soit religieux, philosophique ou politique, et qui se traduisait pour elles par l’interdiction de porter le foulard islamique dans les enceintes de l’école.

Un jugement surprenant du Président du Tribunal de Première instance francophone de Bruxelles, du 24 novembre 2021, a annulé les deux articles du règlement qui interdisaient le port de signes ostentatoires, en déclarant qu’ils constituaient une discrimination indirecte à l’égard des deux étudiantes concernées. Très curieusement, la Ville de Bruxelles n’a pas interjeté appel de cette décision dans les délais. Aujourd’hui, grâce à un recours en tierce opposition d’un collectif de professeurs de la haute école, l’affaire a pu être plaidée une seconde fois devant le même juge, qui statuera pour le 14 novembre prochain.

L’affaire, que l’on présente erronément comme étant celle du « port du voile islamique », marque un tournant essentiel au niveau du choix à opérer entre deux modèles de société : un modèle universaliste, qui promeut un enseignement public, laïque et neutre, fondé sur la défense des valeurs héritées des lumières, la rationalité et le libre-examen, ou un modèle communautariste de type Anglo- saxon qui fait malheureusement la part belle aux propagateurs d’un islamisme politique, qui infiltrent depuis plus d’une décennie tous les rouages de notre société en ce compris les partis politiques et grignotent pas à pas les acquis d’une société sécularisée que l’on croyait coulés dans le marbre.

Le côté pervers du débat entamé par les pseudo-étudiantes de la Haute Ecole résulte du fait qu’elles créent une opposition entre les principes fondamentaux de l’enseignement moderne, basés sur l’approche rationnelle et scientifique, et le droit aux croyances personnelles, qui ressortissent de la sphère personnelle.

Nous ne devons cependant pas nous tromper de cible : ce qui est en cause ce sont les principes de base qui structurent notre capacité à vivre ensemble en séparant les églises et l’Etat, en assurant la primauté de la LOI votée dans des assemblées élues au suffrage universel sur la foi quelle qu’elle soit, sur la liberté pour chacun de croire ou de ne pas croire et de pratiquer sa religion dans sa sphère privée mais de respecter la loi dans la sphère publique. C’est en cela que la laïcité est la meilleure garantie du respect des convictions de chacun en ce qu’elle définit un espace commun où chacun peut rencontrer l’autre dans le respect du droit à la différence de chacun mais, en même temps, du respect par tous de la loi commune.

Soyons néanmoins réalistes !

Quand on constate que le juge qui va rendre son jugement le 14 novembre est celui là même qui a rendu le premier jugement il y a quelque mois, il ne faut pas être grand clerc pour percevoir que son verdict risque, dans le meilleur des cas, de considérer la tierce opposition comme non fondée et, dans le pire, à l’estimer irrecevable.

Faut-il pour autant désespérer ?

Certainement pas !

Le CAL et les professeurs auront évidemment, le cas échéant, le droit de se pourvoir en appel et donc de se défendre devant un autre juge.

Mais, surtout, leur avocat, Dominique Grisay, pourra appuyer la thèse qui est la nôtre en se basant sur le tout récent arrêt de la Cour européenne de justice du 13 octobre 2022 !

Cet arrêt, qui confirme d’ailleurs une décision rendue par la Cour constitutionnelle dans l’affaire de la Haute Ecole Francisco Ferrer en 2018 (arrêt dont la teneur n’a, en pratique, pas été appliquée dans le jugement qui fait l’objet de la tierce opposition), conclut d’une part « qu’un règlement de travail interdisant aux travailleurs de manifester leurs convictions religieuses ou philosophiques par le port visible d’un vêtement ou d’un signe à connotation religieuse,…, ne constitue pas une discrimination aux yeux de la directive, pour autant que cette interdiction soit appliquée de façon générale et indifférenciée, », et d’autre part que ce règlement de travail ne pourra être considéré comme constituant une discrimination indirecte, que si le juge (national) venait à considérer que celui-ci n’est pas proportionné a l’objectif légitime poursuivi par l’employeur.

Ces principes, aujourd’hui clairement d’application en droit du travail, devront logiquement également régir la sphère de l’enseignement.

Il y a donc vraiment des raisons d’espérer que, dès le début de 2023, l’appel des enseignants de la haute école trouve un épilogue heureux et permette de rétablir le règlement d’ordre intérieur de la Haute Ecole Francisco Ferrer, constituant ainsi le premier exemple d’un résistance réussie aux thuriféraires de la mouvance fréro-salafiste et un signal clair aux autorités locales et régionales !

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