Laïcité à l’école : « Surtout, pas de vague ! »

Pierre Guelff - Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

« Quand Paris tousse, Bruxelles s’enrhume ! » Deux enquêtes françaises lancent l’alerte : la laïcité est sérieusement battue en brèche dans l’école publique d’outre-Quiévrain. Indéniablement, la vigilance s’impose aussi en Belgique. « L’école laïque sous le joug de Dieu »[1] ?

La mission de la Fondation Jean Jaurès, première des fondations politiques françaises, est à la fois celle d’un groupe de réflexion, d’un acteur de terrain et d’un centre d’histoire au service de tous ceux qui défendent le progrès et la démocratie dans le monde.

Dans ce cadre, elle a récemment effectué une étude sur l’évolution du concept de laïcité au sein des enseignants de l’école publique française âgés de moins de 30 ans.

Il en ressort les résultats suivants[2] :

• 59% sont d’accord sur le port du burkini à la piscine contre 26% pour l’ensemble des enseignants ;

• 51% acceptent des horaires réservés aux femmes dans les piscines pour 20% ;

• 55% sont d’accord qu’une mère voilée accompagne les élèves en sorties scolaires pour 36% ;

• 32% des professeurs âgés de moins de 30 ans déclarent que la laïcité consiste à placer toutes les religions sur un pied d’égalité contre 16% pour l’ensemble du corps professoral et 10% chez les plus de 50 ans ;

• 14% sont favorables au port de signes religieux dans les écoles contre 6% pour leurs collègues plus âgés.

Dans la Charte de la laïcité affichée dans toutes les écoles publiques françaises, nous lisons au quatorzième point : « Le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

En d’autres termes, il est interdit de faire du prosélytisme, c’est-à-dire du « zèle déployé pour attirer de nouveaux adeptes ou propager une doctrine, parfois en imposant des convictions. »

Le mouvement de la laïcité a donc de nouveau beaucoup de travail à effectuer, même parmi les enseignants de l’école publique.

Ceci est confirmé par une deuxième enquête[3] pour le compte de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) à l’occasion de la « Journée nationale de la laïcité » fixée au 9 décembre en souvenir du 9 décembre 1905, date du vote de la loi de séparation de l’Église et de l’État. En somme, origine officielle de la laïcité en France.

Laïcité, est-il besoin de le rappeler, qui permet « d’assurer la liberté de conscience » et de « garantir le libre exercice des cultes » et permettre à l’État français d’être indépendant du clergé et impartial à l’égard de toutes les confessions religieuses. Le principe de laïcité implique la neutralité de l’État français vis-à-vis des religions, la liberté de croyance et de culte de chaque citoyen et l’égalité de traitement entre toutes les croyances. »[4]

Sous le titre « Les dix chiffres de l’enquête », voici quelques extraits de cette enquête :

• Plus d’un lycéen sur deux (55 %) a déjà été confronté à une forme d’expression du fait religieux en milieu scolaire ;

• 16 % des lycéens du public ont déjà constaté l’organisation à la cantine de tables en fonction de la religion (33 % dans les lycées classés « prioritaires »), 15 % des WC séparés en fonction de leur religion (30 % en milieu « prioritaire ») et 13 % l’institution de robinets réservés aux élèves en fonction de confession (32 % en milieu « prioritaire ») ;

• Près d’un lycéen sur deux du secteur public (48 %) rapporte avoir aussi déjà observé des élèves contester le contenu même des enseignements au nom de leurs convictions religieuses ;

• Les élèves inscrits dans un établissement classé « prioritaire » (selon l’OZP) sont beaucoup plus nombreux (74 %) que les autres (44 %) à avoir déjà observé au moins une forme de contestation d’un cours. Cette surexposition se retrouve notamment dans la contestation des cours portant sur la mixité filles-garçons (rapportés par 51 % des élèves en milieu « prioritaire) ou les cours d’éducation sexuelle (58 % en milieu « prioritaire ») ;

• L’idée selon laquelle « les règles édictées par leur religion sont plus importantes que les lois de la République » est par exemple beaucoup plus partagée par les lycéens (43 %) que les adultes (20 %) : les élèves musulmans se distinguant eux-mêmes des autres élèves par un niveau d’adhésion massif à cette idée (65 %) ;

• La question du droit à la critique des religions à l’école met encore plus en exergue le fossé existant entre les élèves musulmans et les autres sur ces sujets. En effet, alors que la majorité des lycéens (61 %) soutiennent le droit des enseignants à « montrer (…) des caricatures se moquant des religions afin d’illustrer les formes de liberté d’expression », ce n’est le cas que de 19 % des musulmans. La plupart (81 %) désapprouvent ce genre de pratique, au point qu’un sur quatre (25 %) ne « condamne pas totalement » l’assassin de Samuel Paty.

Ces résultats méritent d’être analysés en profondeur dans l’esprit de tolérance qui caractérise toute démocratie, tout en rappelant, qu’en Belgique, la participation officielle d’autorités à des offices religieux (Te deum du 21 juillet, par exemple), le subventionnement de l’enseignement libre, le financement public des cultes…, ont fait l’objet, tout au long des décennies, de multiples débats musclés, allant parfois jusqu’à des « guerres scolaires » (1879 à 1884, 1950 à 1959) et, récemment, en juillet 2021, par un arrêt de la Cour Constitutionnelle déclarant que l’enseignement libre devait être mieux subsidié.

Cependant, nous sommes en présence d’un débat de fond qui exclut, bien évidemment, de pointer du doigt ou d’ostraciser la seule communauté musulmane au nom, par exemple, du « Grand rassemblement » cher à Éric Zemmour habitué aux discours identitaires, quand on sait qu’il y a plus de mots arabes qui composent la langue française que gaulois et que la plupart des mots français sont des mots immigrés !

Également, en présence d’une attitude qui, parfois au nom de principes divers, veut que l’on ne fasse pas de vagues, que l’on censure ou interdise tels propos dénonçant des faits avérés, voire revendiqués par leurs auteurs, afin de ne pas « stigmatiser » la communauté à laquelle ils appartiennent (cas des attentats à Charlie Hebdo, de l’assassinat de Samuel Paty…)

Assurément, la laïcité mérite beaucoup mieux que ces types de discours et d’attitude, car elle fait partie intégrante de la Philosophie des Lumières, celle qui, par essence, est contre toute forme d’obscurantisme.

  1. Gérard Biard, Charlie Hebdo, 15 décembre 2021.
  2. Ifop, décembre 2020.
  3. Ifop, décembre 2021.
  4. Les Journées mondiales.fr, décembre 2021.
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