Les hommes font dans la dentelle
Zelda-Moore Boucher - FAML
En mai 2021, Moot, une marque de lingerie spécialement conçue pour les hommes, s’est vue refuser la diffusion d’un spot publicitaire par la chaîne de télévision britannique ITV. Cette même marque de lingerie fine masculine s’est également retrouvée fréquemment censurée sur certains réseaux sociaux en raison d’un contenu jugé sexuel et, par conséquent inapproprié. Deux poids, deux mesures lorsque l’on compare au traitement réservé à la lingerie féminine ?
La marque en quelques mots
Fondée il y a quelques années par Jules Parker, un métallurgiste de 55 ans, Moot est une jeune marque indépendante de lingerie fine fabriquée à la main en Angleterre et destinée aux hommes. La marque met en effet un point d’honneur à créer des pièces originales qui célèbrent les formes des hommes. L’aventure Moot a commencé en partant du constat que si les hommes voulaient avoir d’autres options de sous-vêtements que les traditionnels caleçons en coton, leurs options se limitaient presque toujours à soit se contenter de lingerie synthétique bon marché et mal taillée, soit à acheter des sous-vêtements destinés aux personnes ayant des formes perçues comme féminines, et par conséquent peu adaptées à une morphologie masculine. Depuis quelques temps, la griffe Moot fait donc le pari de proposer des bodys, culottes et autres pièces de lingerie fine adaptées aux morphologies masculines. Si cette révolution des dessous masculins semble être accueillie avec beaucoup de positivité et de bienveillance par certains, cet accueil n’est cependant pas celui qui a majoritairement été réservé à cette évolution.
Vous ne connaissez pas la marque de Jules Parker ?
A vrai dire, ce n’est pas étonnant. En effet, l’enseigne n’est tout simplement pas autorisée à faire de la publicité sur les réseaux sociaux les plus courants, un coup dur pour une marque qui tente de percer lorsque l’on sait que ces plateformes sont devenues un outil précieux pour le lancement des petites entreprises. Facebook et Instagram ont même été jusqu’à refuser la simple diffusion d’une publicité qui ne laisserait apparaître que le logo de Moot représenté par le nom de la marque écrit en lettres cursives noires sur fond blanc. Aux yeux des deux géants des réseaux sociaux, cette publicité enfreindrait les règles de la communauté dans la mesure où ils considèrent que le site web vers lequel cette publicité renvoie revêt un caractère sexuel. Jules Parker a ainsi déclaré que les géants des réseaux sociaux Facebook et Instagram lui ont envoyé un e-mail justifiant leur interdiction par une déclaration selon laquelle il utiliserait « du contenu pour adultes et inclut des images axées sur des parties du corps individuelles ». Confrontés au rejet systématique de leurs campagnes publicitaires, les propriétaires de la marque ont décidé d’engager une spécialiste pour parcourir avec eux tout le processus d’appel. Après quelques semaines de travail, cette dernière a découvert que le compte de Jules Parker avait été placé sur liste noire à la suite de ses tentatives de diffusion des annonces pour Moot. Désormais, il ne sera plus jamais autorisé à faire de la publicité sous son propre nom et ce même s’il abandonnait la création de lingerie fine et commençait à concevoir un autre produit jugé plus conventionnel tel que du mobilier de jardin. Le constat est sans appel : il lui est maintenant totalement interdit d’avoir un compte Facebook Ads Manager. Une sanction bien lourde pour avoir uniquement osé vendre des culottes en dentelle.
Le traitement réservé à la marque de lingerie ne s’arrête pourtant pas là. Une brève interview menée par Philip Schofield et Holly Willoughby devait ainsi être diffusée durant la tranche horaire d’une émission télévisée nommée « This Morning » sur la chaîne britannique ITV. Les avocats responsables de la régulation du programme ont finalement pris la décision de refuser la diffusion de la promotion des sous-vêtements masculins Moot par crainte de la réaction de l’autorité régulatrice des télécommunications au Royaume-Uni. Si les producteurs ont assuré au fondateur de la marque que sa capsule serait diffusée à une date ultérieure, ce n’est toujours pas le cas à ce jour et l’émission a cessé de répondre aux e-mails de l’intéressé.
Le double standard de la censure
Le fait que les publications de Moot se retrouvent considérées comme contenu inapproprié, peut sembler relativement compréhensible pour une marque de lingerie fine, cependant des images révélatrices du corps féminin arborant ce même genre de tenues dans des positions parfois très implicites semblent ne pas jouir du même traitement. Qu’il s’agisse de notre fil d’actualité sur les réseaux sociaux, d’imposants panneaux d’affichage dans la rue, d’une large plage horaire pendant les publicités d’innombrables chaînes de télévision, nous sommes chaque jour exposés aux représentations du corps féminin en lingerie. Une surexposition qui ne semble pourtant pas susciter les mêmes réactions et le même émoi.
Interrogé par le journal britannique The Guardian, le Docteur Shaun Cole, Professeur de mode à l’Université de Southampton et auteur de « The Story of Men’s Underwear », explique que le genre de publicités proposées par la marque Moot ne revêt pas plus un caractère sexuel que celles qui représentent des corps féminins. Comme le docteur Shaun Cole le regrette :
« Il y a encore deux poids deux mesures dans la façon dont les corps sont représentés lorsqu’ils sont à moitié vêtus ». Dans le contexte particulier d’une société fort patriarcale, la griffe Moot est incontestablement désapprouvée. Grand nombre de personnes iraient même jusqu’à considérer comme un déviant tout homme qui opterait pour l’un de leurs produits, tranchant à nouveau avec l’attitude réservée aux femmes qui, dès la puberté, sont sexualisées et se retrouvent presque littéralement encouragées à porter de la lingerie fine. A l’heure actuelle, la semi-nudité des femmes est tellement intériorisée qu’elle engendre une banalisation de la nudité dans les médias visuels et sociaux où l’objectification et la sexualisation de la femme est normalisée et paraît inoffensive. Assez étonnement, lorsque les hommes se retrouvent dans les mêmes positions que les femmes, ils sont alors rapidement l’objet de censure, comme si soudainement la possibilité de sexualiser, d’objectifier et de soumettre l’homme devait insoutenable et inacceptable.
Pour une mode unisexe !
Tout ne semble pourtant pas si noir au royaume de la lingerie et il semble que nous soyons peut-être à l’aube d’un éveil des consciences. On constate en effet de plus en plus dans les grandes enseignes l’apparition de collections unisexes. Si ces vêtements dit « unisexe » ou « gendrer-free » représentent bien une avancée en soi, il est toutefois dommage de constater que, à de rares exceptions près, les coupes de ces vêtements empruntent uniquement au vestiaire masculin. Dans la mode actuelle, il est ainsi courant de trouver un pull, une veste en jean ou une chemise autant dans les rayons hommes que dans les rayons femmes. Si les femmes portant de larges chemises ou même des caleçons ne sont pas considérées comme travesties ni sujettes à moqueries, il n’en va évidemment pas de même pour homme qui porterait des vêtements traditionnellement perçus comme féminins. Le comportement pourrait alors être perçu par certains comme subversif et transgressif. Les vêtements unisexes que les enseignes nous proposent ne sont donc in fine que des vêtements déjà présents dans les deux vestiaires et fondamentalement masculins.
Dans un monde où l’on cherche chaque jour un peu plus à se libérer du carcan imposé par des codes vestimentaires trop genrés, il semble plus que jamais légitime qu’un homme puisse progressivement intégrer dans sa tenue vestimentaire quotidienne des pièces considérées comme relevant du vestiaire féminin. Aujourd’hui, la culture visuelle est encore trop souvent dominée par une perspective d’homme cishétéronormatif qui a pour conséquence une tendance manifeste à censurer et invisibiliser les personnes dont l’apparence serait jugée non conforme aux normes de genre ou porterait atteinte aux critères des masculinistes traditionnels. Une démonstration flagrante que, dans notre société actuelle, les expressions de différentes masculinités ne sont toujours pas les bienvenues.
Il reste encore décidément bien du chemin à parcourir lorsqu’il s’agit des combats liés à l’inclusion et il est peut-être temps d’arrêter de faire dans la dentelle…
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