Rien de neuf sous le soleil

Marie Béclard - FAML

L’ école doit contribuer à la réussite de tous les élèves et donner les mêmes chances à chacun d’y parvenir! Pourtant, chaque année à l’annonce des résultats du CEB, on s’étonne de la baisse du niveau. Pas parce qu’on a analysé les épreuves et détecté une réelle simplification de celles-ci mais simplement parce qu’il y a une majorité des enfants qui ont réussi. N’était ce pas l’objectif ? Ne devrait-on pas se féliciter pour ce travail et chercher à aider les quelques pourcents d’élèves qui ont éprouvé des difficultés? N’oublions pas que le CEB correspond aux bases essentielles, en d’autres termes normalement au minimum requis pour pouvoir commencer les secondaires. Alors comment expliquer ces injonctions contradictoires : tous les élèves doivent réussir mais pour qu’un diplôme ait de la valeur il faut beaucoup d’échecs ?

« Les enseignants et les établissements sont donc pris en tenaille, on leur demande à la fois plus de réussite de tous au nom du bien commun (pouvoir politique depuis 15 ans) mais également plus de sélection au nom des intérêts privés (parents). L’égale et forte légitimité de cette double commande en fait donc une injonction paradoxale très paralysante pour les enseignants ». [1]

Dans de nombreux pays, les redoublements ne sont décidés que très occasionnellement et ainsi à 15 ans, les retards scolaires sont inférieurs à 5 %. Dans d’autres pays (Communauté germanophone de Belgique, Espagne, Luxembourg, Mexique et Portugal), les taux de retard à 15 ans sont supérieurs à 30 %. En FWB (Fédération Wallonie-Bruxelles) ces taux sont proches des 40 %. Est-ce que faire doubler permet au système scolaire de mieux fonctionner ? Il semble que non, puisque ce deuxième groupe de pays ne présente pas un taux de réussite aux tests PISA particulièrement élevé (même si bien entendu la valeur des tests PISA peut être remise en question). Par contre, on observe que le redoublement amplifie les inégalités sociales de performances. A compétences égales, le redoublement est plus fréquent chez les élèves d’origine sociale modeste. [2] Alors pourquoi reste-t-on si attaché à cette pratique en Belgique ? Même s’ils n’aiment pas ce système, parents et enseignants ont grandi avec ce mode de fonctionnement et même s’ils désirent que les choses soient différentes, on a inconsciemment tendance à rechercher ce qu’on a connu et à le reproduire. Il est donc important que la société quitte un système où l’on pense qu’on a besoin de la menace du redoublement pour motiver les élèves à apprendre et trouver d’autres méthodes pour aider les élèves en difficulté. Personne ne niera que dans certaines situations, un élève peut avoir besoin d’un peu plus de temps mais que ce n’est pas et cela ne doit pas être la norme et que le seul redoublement ne suffit pas, il faut un réel accompagnement de l’élève (avant et après).

Le tronc commun, un possible changement ?

Dans sa réforme du Pacte pour un Enseignement d’excellence, la Fédération Wallonie- Bruxelles a introduit l’idée d’un tronc commun plus long, c’est même un de ses grands piliers. Tous les élèves inscrits de la 1re maternelle à la 3e secondaire devraient suivre les mêmes apprentissages jusqu’à la fin de ce tronc commun. Fini les options et les orientations précoces avant la 3e secondaire. Mais pourquoi ? Le tronc commun veut lutter contre les inégalités scolaires, la relégation par l’échec scolaire et il souhaite revaloriser l’enseignement qualifiant.

Aujourd’hui, en Fédération Wallonie-Bruxelles, moins de 20% des enfants entrés en 1ère maternelle se retrouveront en 6e secondaire de l’enseignement général. En 14 ans, 4 jeunes sur 5 auront donc connu le redoublement ou l’orientation vers une autre filière que le général et ne nous le cachons pas, c’est rarement un choix positif. L’allongement du tronc commun devrait s’avérer positif pour éviter de reléguer des élèves vers des filières professionnelles quand ce n’est pas un choix délibéré et positif de l’élève. « La division précoce des élèves en filières hiérarchisées d’enseignement général et qualifiant ne repose aucunement sur leurs capacités ou leurs envies, encore moins sur de prétendues intelligences théoriques ou manuelles ; elle n’est que le reflet et la reproduction de la division sociale du travail dans nos sociétés inégalitaires ». [3]

Avec l’instauration du nouveau tronc commun, le redoublement est fortement déconseillé. Mais est-ce qu’en pratique cela va vraiment changer quelque chose ?

En secondaire, la situation est très différente de l’enseignement fondamental. Mais en primaire, on peut se poser la question. Les redoublements sont déjà assez rares et les parents peuvent même s’y opposer. En Finlande, pendant toute la durée du tronc commun, le redoublement n’existe quasi pas. Mais à côté de cela, chaque enfant est soutenu en cas de problème et pour cela tous les enseignants ont reçu une formation pour déceler les difficultés des enfants et y apporter les remédiations nécessaires. Un enseignant spécialisé apporte également son aide dans chaque école. Ainsi, un élève en difficulté peut donc recevoir gratuitement l’aide de ce professeur spécialisé. En fonction des sources consultées « entre 16 et 30% des élèves bénéficieraient d’un tel soutien au cours de leur scolarité. Ces élèves suivent le même programme que les autres, mais ont davantage d’espaces pour l’assimiler, soit en petits groupes autonomes, soit au sein de leur classe pour qu’ils ne soient pas pointés du doigt. ». [4]

Dans son projet de tronc commun, la FWB veut mettre quelque chose en place de similaire mais avec quelle ampleur ? Généralement, le pacte prévoit de distribuer deux périodes par semaine pour mettre en place du co-enseignement. Mais comme souvent ce qui est donné quelque part est repris ailleurs et le dispositif de FLA ??qui vise à aider les élèves en difficultés dans l’usage du français est progressivement diminué. Comment imaginer que deux heures sur une semaine vont suffire ? Deux heures où deux enseignants seront présents pour plus d’une vingtaine d’élèves. Bien entendu, le professeur mettra en place d’autres choses dans sa classe mais seul la tâche semble parfois insurmontable. Surtout si on prend en compte les réalités du terrain : combien de fois le co enseignant ne sera pas présent parce qu’il est malade ou surtout car il aura à prendre en charge la classe d’un collègue absent de longue durée ? Qui seront ses enseignants spécialisés en Belgique ? Des instituteurs qui auront suivi une formation de deux journées comme cela a été le cas pour le fla?

Faire à la finlandaise sans prendre en compte toutes les réalités de leur système, n’est-ce pas un peu trompeur ?On ne peut pas mettre en place un système avec des enseignants qui font de leur mieux mais qui sont trop peu formés .

L’autre injonction contradictoire  importante de l’enseignement belge: c’est vouloir donner les mêmes chances à chacun et pourtant laisser perdurer un système créateur d’inégalités.

En l’état actuel, l’enseignement en Fédération-Wallonie Bruxelles est un des plus producteur d’inégalités sociales au monde, la responsabilité en incombe au quasi marché scolaire. L’école finlandaise était élitiste jusqu’à la réforme de son système d’enseignement mais une réforme essentielle a consisté à fusionner l’école primaire et le 1er cycle du secondaire en une seule école: «l’école fondamentale». Cette réforme avait la volonté de faire réussir tous les élèves, peu importe leur provenance géographique ou leur origine socio-économique.

C’est l’objectif également de notre tronc commun élargi en Belgique.

L’école fondamentale obligatoire est destinée aux élèves de 7 à 16 ans et attribuée selon un critère de proximité.  Si on compare chez nous, le tronc commun s’arrête à 15 ans mais cela ne semble pas être véritablement une différence qui puisse tout changer. Par contre, là où le bas blesse se situe plutôt dans l’idée d’attribution de l’école selon les critères de proximité. Les enfants sont automatiquement inscrits dans une école du quartier. La majorité des écoles fondamentales finlandaises sont des écoles publiques gérées par une ou plusieurs communes. En Belgique, les écoles publiques sont également plus nombreuses que les écoles privées mais elles ne sont pas toutes et loin de là gérées par l’État. Puisque l’enseignement libre et surtout confessionnel occupe une large part du marché scolaire belge.

En Belgique, on est très loin de cette situation avec un quasi marché scolaire où les parents favorisés choisissent la meilleure école pour leur enfant et celle-ci n’est pas nécessairement dans leur quartier. Une école qui sera souvent une école libre confessionnelle[5] (même si on n’est absolument pas croyant) parce qu’on en a l’image d’une école de qualité contrairement au réseau officiel qui pourtant s’avère souvent aussi qualitatif puisque dans les deux systèmes on trouve malheureusement le meilleur et le pire.

Un réseau unique et publique serait fortement favorable à tous les élèves et permettrait de mettre fin à la la ghettoïsation de l’enseignement. Nico Hirtt explique que si on attribuait une école à chaque enfant, les écoles pourraient être vraiment mixtes et on pourrait dire au revoir aux « écoles poubelles ».[6]

De plus, le tronc commun en Belgique sera bel et bien allongé d’un an. Cependant, la distinction entre écoles primaires et secondaires va bien persister pour l’instant : bâtiments différents, enseignants différents, pouvoirs organisateurs différents. On peut également craindre que des problèmes logistiques viennent compliquer certaines mesures, les cours techniques par exemple demanderont du matériel, de l’espace que les écoles n’ont pas ou ne pourraient obtenir afin de dispenser des cours de qualité.

Dans cette grande réforme, il y a (comme quasi toujours) de bonnes choses mais on peut légitimement se poser la question de comment faire autrement sans avoir vraiment changé les cartes ?

  1. J. CORNET, L’enfer scolaire pavé des bonnes intentions catholiques dans la revue Politique (Hors série), octobre 2010 consulté sur le site https://changement-egalite.be/L-enfer-scolaire-pave-des-bonnes
    • M. CRAHAY, « En guise de conclusion : du redoublement à la régulation des apprentissages »

    dans Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? (2019), pages 427 à 446

  2. N. HIRTT, Suffira-t-il d’allonger le tronc commun ?19 janvier 2018 consulté sur le site https://www.skolo.org/2018/01/19/suffira-t-dallonger-tronc-commun/
  3. L’école finlandaise, un modèle pour la Belgique? Dans https://ligue-enseignement.be/lecole-finlandaise-un-modele-pour-la-belgique/
  4. L’enseignement francophone en Belgique dispose de plusieurs réseaux : d’abord le réseau officiel avec celui de la fédération Wallonie-Bruxelles mais également le communal et provincial. Il y a ensuite le réseau libre qui est soit confessionnel (enseignement catholiques, israélique, islamique, …) soit non confessionnel. A côté de ces réseaux totalement ou partiellement subventionnés, il existe l’enseignement privé.
  5. O. MOTTINT, En finir avec les mystifications du marché scolaire Publié le 24 mai 2022 sur https://www.skolo.org/2022/05/24/en-finir-avec-les-mystifications-du-marche-scolaire;N. HIRTT, L’ inégalité scolaire ultime vestige de la Belgique unitaire ? 1/1 Une analyse statistique des causes de l’inégalité scolaire dans l’enseignement flamand et francophone belge, à partir des données de l’enquête PISA 2018 Nico Hirtt, mars 2020 consulté le 24 juillet 2022 sur le site https://www.skolo.org/CM/wp-content/uploads/2020/02/PISA-2018-FR.pdf
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