Slovénie : « orbanisation » de la présidence tournante de l’Union européenne
Patricia Keimeul - Administratrice FAML
Il y avait la Hongrie avec les dérives autoritaires d’extrême droite de Viktor Orban : une révision de la Constitution, votée par un Parlement qui lui est acquis, lui accorde des pouvoirs particulièrement étendus.
Son parti, le Fidesz se faisant fort de garantir les valeurs chrétiennes du pays et en particulier celles de la famille traditionnelle, définit entre autres l’institution du mariage comme étant « l’union de vie d’un homme et d’une femme », et c’est de facto une porte fermée à la possibilité de reconnaître le mariage homosexuel.
Le pays est, depuis trois ans, sous le coup d’une procédure pour violation des valeurs européennes .
Orban s’en moque, tout comme il se moque des dispositions du Traité fondateur de l’Union et des valeurs que tout membre s’engage à respecter et à promouvoir, une Union à laquelle son pays a librement fait le choix d’adhérer.
Dans son pays, il y a des atteintes graves à la liberté d’expression et en particulier à la liberté de la presse. La création d’un mécanisme de régulation déséquilibré d’un point de vue politique, doté de pouvoirs disproportionnés sans être soumis à un contrôle judiciaire suffisant fait peser de lourdes menaces sur l’indépendance des médias audiovisuels de service public.1
Atteintes aussi à l’indépendance de la justice avec la limitation des pouvoirs de la Cour constitutionnelle, avec la mise à la pension d’office de certains juges et leur remplacement par deux cents magistrats soigneusement sélectionnés et nommés par le Président de l’Office national de la justice, lui-même désigné directement par le Gouvernement pour une durée de neuf ans.
Quitte à bafouer, bafouons et ce sont les droits et l’humanité des réfugiés entassés aux frontières de cette forteresse bien gardée qui sont niés, le racisme est devenu affaire d’État.
La liberté religieuse existe en Hongrie mais seulement pour les catholiques. Tout autre communauté confessionnelle devra désormais obtenir son agréation par le Parlement qui, rappelons-le est entièrement dévoué à un président très catholique.
Récidive récente dans la discrimination de certaines minorités avec le vote d’une loi interdisant la « promotion » de l’homosexualité auprès des mineurs, texte qui va à l’encontre de toutes les valeurs de l’Union européenne en décrétant l’invisibilité de ces communautés, au point que le premier ministre hollandais déclarait que la Hongrie n’avait plus sa place au sein de l’Union, tandis qu’Ursula von der Leyen la présidente de la Commission qualifiait le texte de honte.
Celle-ci enverra une lettre à Budapest pour manifester son indignation, et celle de l’Union européenne, à propos d’une « loi qui discrimine les personnes sur base de leur orientation sexuelle ». On ne verra désormais plus en Hongrie d’homosexuel, trans,… dans des films, à la télé, dans des pubs, … c’est beaucoup trop traumatisant pour les enfants !
Le texte qui prétend lutter contre la pédophilie fait un amalgame tout à fait scandaleux entre cette déviance impliquant des enfants, parfois très jeunes, et l’homosexualité qui concerne des adultes consentants.
Lutter contre la pédophilie ? En condamnant à une faible amende et à aucune peine de prison l’ambassadeur de Hongrie au Pérou coupable d’avoir stocké sur son ordinateur plus de vingt mille clichés d’enfants !
Le texte est entré en vigueur malgré tous les avertissements de ses partenaires européens, de certains tout au moins. La Pologne et la Slovénie n’en font pas partie…
Ce 25 juillet, des milliers de Hongrois ont envahi la capitale pour le défilé annuel de la Budapest Pride. La manifestation avait, cette année, un fort goût de protestation contre la loi homophobe du gouvernement Orban.
La Hongrie n’a plus sa place au sein de l’Union ?
L’exclusion d’un membre de l’Union, qu’il ait commis une faute grave ou qu’il en ait violé les principes, n’est pas prévue par les traités.
Seul l’article 7 du Traité prévoit la possibilité, en cas de violation grave et persistante des valeurs fondatrices de l’Union définies à l’article 2 et qui sont le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’état de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités, non pas d’exclure un membre mais de suspendre son droit de vote du pays au sein du Conseil.
Cette suspension n’empêche pas que les décisions auxquelles il n’a pas pu participer, s’appliquent à lui.
Sachant que le vote de sanctions contre un pays requiert l’unanimité, cette procédure a très peu de chance d’aboutir dans le cas de la Hongrie qui bénéficie du soutien indéfectible et réciproque entre autres de ses amis Polonais.
La Commission planche toujours sur le nouveau mécanisme qui devrait conditionner les subsides européens au respect de l’État de droit.
Il y avait aussi la Pologne.
Même combat, mêmes dérives autoritaires, mêmes violations des règles européennes… mêmes violences envers ceux qui pensent ou vivent « autrement ».
Un gouvernement nationaliste, un parti Droit et Justice qui cherche à imposer sa vision traditionaliste de la société polonaise, voilà de quoi encourager tout ce que le pays compte de groupes d’extrême droite à se croire investis de la mission, par la force ça va de soi, de réprimer toute manifestation contre le pouvoir ou contre ses lois.
Rendue responsable de la quasi interdiction de l’avortement par un haut tribunal, l’Église catholique subit, à travers ses édifices, la vindicte des manifestant(e)s. Encouragés par le gouvernement nationaliste et par le parti Droit et Justice de Jarosław Kaczyńsk, des groupes d’auto-défense d’extrême droite néofascistes, ultranationalistes accompagnés de hooligans du football se sont érigés en défenseurs des églises. Les rebelles qualifié(e)s de barbares gauchistes s’en souviendront , violences, insultes ont plu contre ces progressistes qui entendaient défendre les droits des femmes, des LGBTQ,,…
Dégoûtés par leur Église, par son intolérance et son accointance avec un pouvoir qu’elle sert avec dévotion,les Polonais apostasient, en masse, plusieurs milliers semble-t-il. Non pas qu’ils cessent d’être croyants, la foi ils l’ont toujours. Simplement, ils refusent désormais de faire partie de cette Église polonaise rigide et rétrograde, cette Église qui protège les prêtres pédophiles mais condamne tout ce qui n’est pas un couple composé d’un homme et d’une femme, qui a fait pression sur le gouvernement pour rendre quasi impossible l’interruption volontaire de grossesse. Impossible et surtout illégal, ça l’est de facto puisque le tribunal constitutionnel a considéré que la malformation du fœtus ne pouvait en aucun cas donner à la femme le droit de faire interrompre sa grossesse.. 2
Cette Église dont les valeurs sont distantes, de plus en plus, de celles qu’elle prétend défendre et dont le chemin qu’elle prend l’éloigne de l’Église officielle, celle du Pape François mais aussi de ses propres ouailles.
C’est désormais sur 41 % d’opinions favorables que l’Église polonaise peut compter, score en baisse de 22 % par rapport au dernier sondage.
Tout comme la Hongrie, le pays est sous le coup d’une procédure intentée par l’Europe ; tous deux refusent le plan de relance post COVID car celui-ci est lié au respect des valeurs démocratiques de l’Union.
Les menaces, ils n’en ont cure, la règle de l’unanimité leur donne raison. Soutenus par leurs voisins, ils se sentent invincibles. Pour eux, ce n’est que l’ingérence d’une Union dont ils ont souhaité faire partie mais dont ils ont décidé de ne pas respecter les règles.
On croyait, avec la Pologne et la Hongrie, avoir tout vu en matière de gouvernement d’extrême droite, c’était sans compter avec la Slovénie, pays qui tiendra les rênes de l’Europe durant les six prochains mois puisque c’est à elle que revient d’occuper la présidence tournante de l’Union .
Ce petit pays est issu de l’éclatement de la Yougoslavie en diverses républiques qui sont, outre la Slovénie, la Serbie, le Monténégro, la Croatie, la Macédoine du Nord et la Bosnie-Herzégovine.
Gouvernée par le centre gauche jusqu’en 2004, année de l’effondrement du parti libéral démocrate, la Slovénie a amorcé, depuis 2018, un virage à droite à 180° sous l’impulsion de son premier ministre, Janez Janša, ami de Viktor Orban, et de son parti, le parti démocratique slovène (SDS). C’est donc un homme condamné à deux ans de prison pour corruption et qui passera neuf mois derrière les barreaux qui tient les rênes du pays et avec lui une droite identitaire et xénophobe. 3
Grand admirateur de personnalités aussi controversées que Donald Trump et que son ami Viktor Orban, il est surnommé maréchal « Twitto » pour la propension qu’il partage avec l’ex-président américain à twitter de manière frénétique. 4
Ce tournant à droite se traduit par des attaques contre les ONG, contre les médias que Janša accuse d’être aux mains des communistes et d’avoir été un frein à son accession au pouvoir. Pour les contrer, il a mis en place, avec l’aide d’un entrepreneur étroitement lié à Viktor Orban, son propre pool médias.5 Ceux-ci se sont spécialisés dans la propagande en faveur du premier ministre et dans des campagnes de diffamation des membres de l’opposition ou des associations de défense des droits humains, des LGBTQ ou encore celles de protection de l’environnement dont il faut savoir que son ministre manifeste davantage d’intérêt pour des investissements dans des centrales électriques que pour la protection de l’environnement.
Le premier ministre s’affiche d’ailleurs ouvertement climato-sceptique, tout comme son modèle, le milliardaire américain Trump.
Des ONG menant des projets humanitaires et sociaux ont vu leurs subsides supprimés. Un recours contre ces mesures a été introduit auprès de la Cour constitutionnelle qui les a suspendues.
La pandémie a constitué un parfait prétexte pour voter des restrictions à la liberté de manifester avec grosses amendes à la clé.
En 2015, la Slovénie s’est trouvée sur la route empruntée par des millions de réfugiés. La Hongrie ayant fermé ses frontières, c’est entre autres vers la Slovénie que le flux s’est dirigé pour ensuite passer en Autriche et puis en Allemagne. Lorsque Vienne à son tour bloque le poste frontalier emprunté par les candidats réfugiés, Ljubljana tente de militariser sa frontière avec la Croatie mais doit renoncer suite à l’opposition de certains membres de la coalition au pouvoir. Les droits des migrants sont néanmoins drastiquement limités.
C’est donc à un président qui a Trump – il est lui aussi partisan de thèses conspirationnistes – et Orban pour modèles que sont confiées les clés de la Maison Europe à partir du 1er juillet 2021 et pour six mois, probablement parmi les plus longs de sa vie.
D’une manière générale, dans les Balkans les partis d’extrême droite ont le vent en poupe et sont souvent incarnés par un leader charismatique. Viktor Orban en Hongrie, Janez Janša en Slovénie tandis que la Pologne a Jarosław Kaczyński, président du parti conservateur Droit et Justice.
A l’inverse de l’extrême droite française qui tente de se donner une respectabilité par les propos plus édulcorés de sa présidente, par le choix d’un nouveau nom plus rassembleur, celle des pays balkaniques est totalement décomplexée et ne craint pas d’afficher sa xénophobie, son mépris de la femme et des minorités sexuelles, son ultralibéralisme,… son rejet des valeurs humanistes d’une Europe dont ils ont voulu faire partie.
L’élargissement de l’Union aux anciennes républiques socialistes est sans doute une bonne chose pour le maintien de la paix, principale réussite de la construction européenne. Pour autant ces pays étaient-ils prêts à intégrer cette structure supranationale, à en respecter les règles et les valeurs, en avaient-ils la maturité ?
On peut en douter…
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