Une autre voie lactée

Zelda Moore Boucher - FAML

Dans cet article, l’autrice se réfère exclusivement aux ‘femmes cisgenres’ (une personne qui est en harmonie avec le genre qui lui a été attribué à la naissance) pour des raisons de clarté et de contexte, tout en reconnaissant l’importance de respecter les différentes identités de genre.

« À quoi ça sert d’avoir des vêtements si l’on ne peut rien faire dedans ?”

Au cours de l’automne de l’année 2020, la marque plus que centenaire Petit Bateau avait fait le pari de développer une campagne publicitaire qui envoyait un message fort en faveur des familles homoparentales. La griffe devenue intergénérationnelle avait en effet opté pour une communication originale en photographiant une famille composée d’un couple de deux mères et leurs enfants afin de faire la promotion de la collection été 2021 sur leurs réseaux sociaux.

Dans le texte qui accompagnait en légende l’une des photos, Petit Bateau portait un message engagé et bienveillant : « L’amour ne prévient pas, et l’adage dit vrai au regard de l’histoire de Pauline et Sarah. L’amour n’a pas de goût, pas d’odeur, pas de visage et pourtant il se lit, se sent, à peine nos yeux se posent sur cette photo.⁣ L’amour c’est aussi de voir deux femmes se conjuguer et devenir mamans, ensemble. Mettre au monde une petite fille aux yeux azur, et l’envelopper de douceur, de bienveillance, de confiance et materner, à deux.⁣ »[1]

À cette époque, la marque du secteur grand public avait ainsi décidé de s’engager activement en faveur des familles homoparentales en osant notamment remettre en question des préjugés persistants qui concernent l’allaitement. Au travers du poignant témoignage de deux femmes, le message de Petit Bateau, diffusé au grand public, mettait en effet en avant le procédé connu sous le nom de « lactation induite » :

« Avec Delphine et Laura, on a appris qu’il n’était pas nécessaire de porter son bébé et le mettre au monde pour l’allaiter. Nos yeux se sont mouillés, et on s’est dit que c’était ça aussi, la magie de l’amour.⁣ »[2]

La lactation induite qu’est-ce que c’est ?

Historiquement on considère généralement que le processus de lactation induite a été développé par un pédiatre canadien, le Docteur Jack Newman, un expert renommé en allaitement maternel. Concrètement cette pratique consiste à stimuler la production de lait chez une femme qui n’a pas récemment ou même jamais accouché. Cela s’applique dans des contextes divers et variés tels que l’appel à une mère porteuse, l’adoption, une personne ménopausée, un couple lesbien ou encore toute autre relation où l’un.e des partenaires souhaitent allaiter.

A l’époque actuelle, notre société se caractérise par une grande diversité de structures familiales pour qui la lactation induite est un soulagement dans la mesure où elle leur offre justement une solution qui n’existait pas auparavant. Contrairement à la pratique dit de « relactation », cette méthode unique et innovante permet aux femmes de produire du lait maternel même si elles n’ont auparavant jamais donné naissance à un enfant. La différence avec la relactation se manifeste donc par le fait que cette dernière se réfère au processus par lequel une femme qui a déjà allaité par le passé, mais a arrêté de produire du lait, tente de relancer sa production lactée. Si la relactation peut impliquer des techniques de stimulation similaires à celles utilisées dans la lactation induite, telles que la stimulation physique des mamelons et l’expression du lait, elle se limite cependant uniquement aux femmes qui ont déjà eu dans leur vie l’occasion d’allaiter.

Le processus

Le processus de lactation induite peut sembler complexe, mais il repose néanmoins sur des principes fondamentaux relativement simples. La première étape consiste à prescrire à la personne voulant induire une lactation une pilule contraceptive combinée (qui lui apporte à la fois de l’œstrogène et de la progestérone) ainsi que de la dompéridone, qui augmente les niveaux de prolactine[3] pendant au moins 16 semaines et continuer jusqu’à 6 à 8 semaines avant la naissance du bébé, puis l’arrêter complètement. Cela signifie une période de 22 à 24 semaines au total.[4] Ensuite, quelques semaines avant la naissance, il faut stimuler régulièrement les seins. Cette opération peut se faire par le biais de la succion manuelle, d’un tire-lait ou même d’un bébé qui tète, si cela est possible. Le but est ici de signaler au corps humain qu’il est le moment pour lui de commencer à produire du lait. Tout au long de cette période, il est essentiel de maintenir une routine de stimulation régulière pour encourager la production de lait.

Il est important de noter que la dompéridone est initialement prescrite pour soulager les nausées et les vomissements et que, prise à très haute dose, cette-dernière peut provoquer des effets secondaires assez lourds chez certaines femmes (tels que des troubles du rythme cardiaque ou encore des dépressions)[5]. D’ailleurs, depuis la publication de l’Arrêté royal du 26.11.2013 au Moniteur Belge, “Arrêté royal modifiant l’arrêté du Régent du 6 février 1946 portant réglementation de la conservation et du débit des substances vénéneuses et toxiques”, l’accès aux médicaments contenant de la dompéridone a été très fortement encadré et ceux-ci ne sont plus disponibles, en Belgique, que sur prescription médicale. Notons par ailleurs que dans cet Arrêté, entré en vigueur le 30 novembre 2013, la dompéridone est également ajoutée à la liste IV des toxiques.[6]

Il également intéressant de souligner qu’aux États-Unis par exemple, ni l’American Academy of Pediatrics, pas plus que l’American Academy of Family Physicians, l’American College of Obstetricians and Gynecologists ou encore l’Academy of Breastfeeding Medicine n’ont agréé ce protocole pour la lactation induite.[7]

Couvrez ce sein que je ne saurais voir

Les normes sociales et les traditions autour de la parentalité et de l’allaitement sont très profondément enracinées et la lactation induite est aujourd’hui considérée comme un processus qui vient directement défier ces normes établies. Les croyances culturelles et religieuses peuvent évidemment jouer un rôle prépondérant dans la façon dont la lactation induite est perçue. Certains groupes culturels ou religieux ont ainsi développé des conceptions particulièrement strictes de la parentalité et de l’allaitement, influençant de facto leur opinion sur cette pratique. Dans leur vision, la lactation induite est souvent associée à l’homosexualité alors qu’historiquement, plusieurs religions portent un regard négatif sur l’homosexualité, voire la condamnent fermement. C’est généralement le cas du christianisme, de l’islam et du judaïsme. Les personnes homosexuelles ont subi et subissent encore des discriminations voire des persécutions de la part d’autorités religieuses ou sous des motifs religieux et la lactation induite semble hélas ici ne pas échapper au même traitement.[8]

Love is love

Malgré les avancées en matière de droits LGBTQIA+, notre société demeure en grande majorité hétéronormative, favorisant bien souvent des normes traditionnelles en matière de relations et de genres. La lactation induite, une pratique controversée qui remet en question ces normes, suscite donc le débat et souffre d’un certain nombre de préjugés en raison de son caractère “non conforme”.

Cependant, il est essentiel de souligner que ces débats et préjugés n’ont pas lieu d’être, car chaque individu, y compris ceux de la communauté LGBTQIA+, devrait avoir le droit de décider de son propre chemin en matière de parentalité et de santé, sans subir quelque discrimination que ce soit en raison de son identité de genre ou de son orientation sexuelle. L’amour et les soins prodigués à un enfant ne sont-ils pas au final bien plus importants que la manière dont il est nourri ?

  1. https://www.facebook.com/petitbateau/photosa.433471668941/10160171350963942/
  2. idem
  3. https://www.lllfrance.org/vous-informer/fonds-documentaire/feuillets-du-dr-newman/1967-la-lactation-induite
  4. idem
  5. https://www.madmoizelle.com/avec-mon-epouse-nous-allaitons-toutes-les-deux-notre-fille-1578309
  6. https://www.afmps.be/fr/news/news_ardomperi_2013_11_30
  7. https://scholarworks.uvm.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1014&context=fammed
  8. https://fr.wikipedia.org/wiki/Homosexualit%C3%A9_dans_les_religions
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