Paix et Liberté avec des femmes résistantes, pacifiques, militantes

Pierre Guelff - Juriste

Notre société contemporaine a besoin de « modèles » afin de jouer l’inestimable rôle de phares dans le brouillard et la grisaille ambiants.

Même si Aragon clama que « la femme est l’avenir de l’homme », trop rarement celle-ci est mise en lumière dans la lutte menée pour nos libertés fondamentales.

Pourtant, souvent, des femmes sacrifièrent ou sacrifient encore leur jeunesse, leur vie privée, leur carrière professionnelle, voire leur existence, pour que nous puissions vivre libres et en paix.

Des femmes résistantes armées aux activistes pacifiques, en ce 110e anniversaire de la « Journée de la Femme », parole est (re)donnée à certaines d’entre elles.

Passionnée par la lecture dès l’âge de 5 ans, ayant alors logiquement suivi des études de Lettres, aujourd’hui, Mathilde de Jamblinne est responsable de la promotion dans une maison d’édition et auteure.

Après « Histoires de fous et autres originaux », « Mes études, mon planning et moi », « Mes joyeuses années au pensionnat », « La vraie vie des détectives de fiction »… , elle vient de publier son dixième essai aux Éditions Jourdan : « Femmes dans la résistance ».

Un ouvrage qui présente des portraits de femmes ayant pris les armes et luttèrent contre le nazisme lors de la Seconde Guerre mondiale.

  • Comment et pourquoi une jeune femme de trente ans s’est-elle penchée avec autant d’acuité sur ce sujet qui, jusque-là, semblait principalement réservé aux écrivains ?

– Me pencher sur ce sujet s’est, tout simplement, imposé comme une évidence à moi… Passionnée depuis toujours par la petite histoire, celle qui façonne la Grande à sa manière, les destins méconnus m’ont toujours attirée.

C’est après la lecture d’un ouvrage sur la Seconde Guerre mondiale que le sujet des femmes dans la résistance m’a interpellée : peu d’ouvrages, en effet, l’abordent réellement. Soit des biographies complètes d’une centaine de pages suivant l’un ou l’autre parcours individuel, soit des ouvrages plus sociologiques sur le phénomène de la Résistance, mais très peu de galerie de portraits.

Depuis toujours, quand je ne trouve pas mon bonheur, je le crée. Ce fut déjà le cas avec « La vraie vie des détectives de fiction », un ouvrage retraçant la biographie des grands détectives au regard de ce que disent les œuvres d’eux.

Il m’a donc semblé indispensable de remédier à ce manquement et d’écrire moi-même cette galerie de portraits.

  • Votre livre est-il aussi une manière de rendre hommage à toutes ces citoyennes trop oubliées par les historiens et, en sorte, les réhabiliter aux yeux des jeunes générations ?

Toutes les femmes présentes dans ce livre ont un point commun : elles se sont érigées contre le nazisme et contre les idées d’Adolf Hitler. Toutes ne l’ont pas fait en prenant les armes, elles n’avaient pas les mêmes origines, la même nationalité ou le même âge. Chacune avait une « vie d’avant », quelques-unes ont survécu tant bien que mal et ont pu essayer de se reconstruire dans la « vie d’après ».

Le choix de ces grandes dames a surtout été tributaire de la documentation que l’on peut retrouver sur elles : que ce soit sur internet (beaucoup de témoignages filmés, à l’occasion de l’une ou l’autre commémoration), dans des ouvrages, dans des journaux. J’ai également essayé de trouver les témoignages les plus neutres possibles, l’expérience m’ayant appris que parler de soi est très difficile et que l’on a toujours tendance à exagérer ou minimiser les faits.

Ensuite, j’ai essayé de sélectionner des profils différents, sans en juger aucun. Le but étant de dresser un panorama le plus complet possible de la résistance féminine allant de l’aristocrate qui utilise son prestige et sa place sociale pour communiquer des messages secrets à l’institutrice qui cache des enfants juifs en passant par la jeune étudiante espionne ou encore la conservatrice de musée qui tente de récupérer des œuvres volées. Toutes les nationalités sont représentées, car je voulais, à travers ce texte, démontrer que la Résistance, comme malheureusement la collaboration, a pu être un phénomène mondial, à petite ou à grande échelle.

  • Et parce que, de plus en plus de femmes s’engagent dans la société actuelle et que celles qui se retrouvent dans votre ouvrage furent, en sorte, des pionnières ? Une démarche « féministe » de votre part ?

Mon livre ne se veut pas féministe, ce n’est ni ma démarche ni ma manière de voir les choses : il s’inscrit juste pour combler une sorte de vide, une sorte d’oubli de l’Histoire, oubli qui se répare de jour en jour, celui des femmes qui, alors que leurs pères, fils ou époux étaient au front, se sont battues pour leur liberté et celles de leurs enfants.

Le fait que ces femmes prennent les armes n’en fait pas pour autant des guerrières, au sens premier du terme, puisqu’elles n’ont pas fait de cette prise d’armes leur métier. Elles se sont juste révoltées, à leur manière, contre une situation et une idéologie qui ne leur convenaient pas. C’est en ça qu’elles sont admirables, c’est pour cela que leurs noms ne devraient jamais tomber dans l’oubli et c’est ce qui m’a motivée à leur rendre hommage.

Pacifistes et activistes

Comme la résistance armée décrite ci-avant, la résistance pacifique et la non-violence active ne sont pas l’apanage des hommes. Cependant, une précision majeure s’impose afin d’écarter toute ambiguïté au sujet de cette dernière : « La pratique de la non-violence est autant un état d’esprit qu’une stratégie, et c’est aussi une philosophie. La non-violence ne consiste pas à ne pas faire d’éclat, elle n’a rien de commun avec la non-résistance, la lâcheté et l’inertie. Elle est une mobilisation active de forces morales face à l’injustice, à l’exploitation de l’être par l’être, à tout système qui avilit, humilie… Elle se veut utiliser des techniques, telle la désobéissance civile, qui déjouent des plans ou situations contraires au Droit de l’être humain et, surtout, elle privilégie le dialogue. S’il doit y avoir une victoire, c’est celle de la lumière sur les ténèbres. »[1]

À ce propos, le Prix Nobel de la Paix a été créé et attribué pour la première fois en 1901 afin de récompenser la personnalité ou la communauté qui a le plus ou le mieux contribué à la lutte pour la paix, les droits humains, l’aide humanitaire et la liberté.

À quelque cent trente reprises il a été attribué[2] et dix-sept femmes (22,10%) l’ont reçu aux titres de pionnières, militantes et activistes pour le droit de vote des femmes et la paix dans le monde, le désarmement, le respect des peuples autochtones, la démocratie, contre les dictatures, la répression des enfants et des jeunes, les mines terrestres antipersonnel, les violences sexuelles en tant qu’arme de guerre…

Mais, il n’y a pas que ces femmes lauréates du prestigieux Nobel, et ici aussi, les historiens et la littérature en font peu écho.

Ainsi, exemple frappant, on ne retient principalement de Joséphine Baker qu’elle dansa et chanta au Casino de Paris les seins nus et la taille entourée d’une ceinture de bananes, et très accessoirement qu’elle fut agent du contre-espionnage et œuvra dans les services secrets de la « France Libre » (régime de résistance extérieure fondé à Londres par le général de Gaulle lors de la Seconde Guerre mondiale), s’acquittant de missions importantes pour transmettre, au risque de sa vie, des messages secrets (microfilm d’une liste d’espions nazis, entre autres) à l’adresse d’agents britanniques.

Par après, elle milita contre le racisme et pour les droits civiques de la communauté noire aux États-Unis.

Et que dire de Judi Bari (1949-1997), environnementaliste américaine pour qui les luttes pour la justice sociale et contre les intérêts destructeurs et capitalistes de certaines industries passaient par les questions écologiques et l’action directe non-violente, qui déclara : « Si l’on veut sauver la planète, il faut également aborder les causes profondes des problèmes auxquels nous faisons face, y compris le problème de patriarcat et celui d’une société destructrice et exploiteuse » ?

Cela n’a pas plu à certaines multinationales du bois et autres industriels, paraît-il, et elle paya très chèrement son engagement puisqu’elle fut victime d’un attentat à la bombe, dont elle resta traumatisée.

Il y a quelques années, lors de la semaine de la Marche non-violente pour la Paix entre Metz et Verdun (tout un symbole !), à laquelle j’ai participé aux côtés de Théodore Monod, d’une partie de la rédaction de Charlie Hebdo (Cabu, Cavanna, Wolinski) et de centaines de pacifistes venus des quatre coins de l’Europe, il y avait de nombreuses femmes, dont des mères de famille, certaines accompagnées de leurs enfants. L’une d’elles expliqua que le devoir des femmes est de faire aussi comprendre à leurs enfants l’importance du discours et de l’attitude pacifiques par rapport à celui de la haine, de la discorde, du nationalisme, alors que des plus jeunes, relativement radicalisées, prônaient de faire la « grève du ventre » comme action non-violente contre la guerre.

Elles furent raillées et insultées, même traitées (comme tous les manifestants ») de « cohorte poussiéreuse et enhaillonnée » par Charles Hernu, futur ministre PS de la Défense.

Plus près de nous et dans un militantisme qui perdure depuis six à sept décennies, il y a Jane Fonda, l’immense star du cinéma qui, à l’heure actuelle, reste une activiste pacifiste et qui ne cesse d’agir concrètement contre le changement climatique et le droit des femmes.

De la guerre au Vietnam aux manifestations du vendredi chères à Greta Thunberg, en passant par la lutte contre la guerre en Irak, Jane Fonda, malgré sa réputation de vedette du grand écran, resta dans le collimateur des autorités et sous surveillance policière. Elle fut même arrêtée pour trafic de drogues, alors qu’il s’agissait de… vitamines, sa photo d’identité judiciaire à la prison du Comté de Cuyahoga la montre poing levé en soutien aux Noirs opprimés et des documents l’exhibent les poings menottés alors qu’elle manifestait pacifiquement près du Congrès il y a peu, à l’ère de Donald Trump.

Folklore et romanesque

Pour d’aucuns, tout cela fait folklore et relève du romanesque à côté des actions armées des résistantes, comme celles décrites par ma consœur Mathilde de Jamblinne. C’est une erreur, selon ma perception.

Ainsi, Sophie Magdalena Scholl fut une résistance pacifiste allemande après avoir constaté, dès la Ligue des Jeunesses Hitlériennes, l’idéologie totalitaire qui se dégageait dans le discours d’Hitler et de son régime. Avec son frère Hans, le professeur de philosophie Kurt Huber et un ami, elle s’engagea dans le groupe résistant « La Rose Blanche », un mouvement qui luttait de manière ouverte contre le régime.

De juin 1942 à février 1943, ils rédigèrent des tracts antinazis, certains étant distribués par centaines dans des lieux publics, ils écrivirent des slogans pacifistes et antifascistes sur des murs, ils collectèrent des victuailles à destination de détenus de camps de concentration et s’occupèrent de leurs familles…

Sophie Magdalena Scholl et plusieurs membres de « La Rose Blanche » furent arrêtés le 18 février 1943, et après un interrogatoire de trois jours et un procès de trois heures, elle et ses camarades furent exécutés à l’issue de ce simulacre de tribunal. Elle avait 22 ans.

Pensons aussi à Amparo Poch y Gascón qui déclencha une révolution sociale en réaction au putsch fasciste de Franco, organisa une aide humanitaire clandestine à la population lors de la guerre civile d’Espagne, fit passer des enfants des zones de ce conflit en des lieux plus sûrs à l’étranger, fonda des écoles libres pour remplacer les orphelinats répressifs de l’Église catholique espagnole…, tout cela fut, pour elle « une tâche constructive au nom du pacifisme. »[3]

Car, il faut savoir que de nombreuses pacifistes ont également été torturées, violentées, emprisonnées, tabassées, exécutées, pour avoir aidé des Juifs à échapper aux nazis et à leurs sbires, pour avoir combattu des régimes dictatoriaux par des actions non violentes, avoir osé braver publiquement l’intégrisme religieux qui les confinent depuis des siècles dans la discrimination, un statut s’apparentant parfois à de l’esclavagisme, qu’elles sont encore trop régulièrement des êtres considérés comme des objets de marchandage (mariages « arrangés »)…

Le Printemps arabe (contestation populaire en 2010) révéla la présence exceptionnelle de 10 à 15% de femmes, certaines jouant un rôle de leaders, alors que le Hirak ou Révolution du Sourire en Algérie (depuis février 2019) a constaté une ampleur inédite de femmes dans les manifestations…

Les activistes pacifistes ne sont donc pas de doux rêveurs, ni des pleutres, et ils tâchent, petit à petit, prise de conscience après prise de conscience, action après action, de démontrer qu’il est possible que les stratagèmes mis en place par les dictatures, les multinationales, les fanatismes de tous bords…, peuvent être déjoués et éradiqués, tant individuellement que collectivement.

Cependant, quelques conditions s’imposent : privilégier le dialogue au rapport de force violent, insister sans relâche sur les concepts qui prédisposent à un vivre-ensemble acceptable par tous, redonner force et vigueur à l’éthique à tous niveaux, plus particulièrement au monde politique, ne pas respecter une loi qui ne serait pas conforme à sa conscience, refuser d’obéir à toutes directives qui mettraient en péril les relations humaines…

Larzac : une référence mondiale

Pour terminer, il me plaît d’évoquer la décennie de lutte pacifique menée par des femmes du plateau du Larzac qui, aux côtés des hommes, quelque fois aux avant-postes, menèrent à bien une action d’envergure citoyenne citée comme un modèle du genre.

De 1971 à 1981, se déroula sur le plateau du Larzac (Massif central en France), l’une des plus importantes luttes non-violentes de l’Histoire, là où 14.000 hectares comprenant des fermes, bergeries, exploitations, champs, hameaux et villages, toute une vie sociale, familiale et professionnelle, allaient faire place à un terrain de manœuvres militaires, expulsions manu militari de citoyens sacrifiés sur l’autel des armes, chars, jeeps…

Un Comité Larzac se créa aussitôt par plus de cent paysans concernés avec un double mot d’ordre : rester unis, quoi qu’il advienne, et non-violents, malgré les provocations, les menaces, les railleries orchestrées.

Des comités de soutien essaimèrent dans tout l’Hexagone, puis à l’étranger, des manifestations (j’en fus), des concerts, des meetings, de la désobéissance civile, des actions hors du commun (marche silencieuse de 700 kilomètres du Larzac jusqu’à Paris, troupeau de brebis sous la Tour Eiffel…) mobilisèrent des centaines de milliers de personnes et la victoire fut au bout par l’abandon pur et simple du projet par l’armée.

Parmi les 103 paysans, il y avait Christiane, Marie-Rose, Marizette…, qui ne furent pas les dernières à militer.

J’ai retenu quelques-uns de leurs propos qui, avec le bon sens rural qui les caractérise, souvent avec de la compréhensible inquiétude – parfois masquée par de l’humour -, mais boostée par une volonté d’en découdre « jusqu’au bout » avec une attitude pacifique chevillée à leur détermination, ce mouvement est devenu une référence mondiale et valeur d’exemplarité :

« Quand le ministre de la Défense, Michel Debré, déclara qu’il allait étendre le camp militaire sur le Larzac, ça nous est tombé sur la tête comme une massue. Quand nous avons appris qu’il y avait 103 paysans concernés, donc 103 familles et 103 exploitations, nous avons eu besoin de nous rencontrer, de nous connaître. Nous étions dans la méfiance de l’armée et de militants violents extérieurs. Mais la force était en nous et il fallait trouver des moyens de ne pas agresser les gens mais d’effectuer des actions et mettre l’opinion de notre côté. On s’est dit : il faut qu’on fasse un serment à s’engager à ne jamais vendre nos terres, quel que soit le prix que nous offrait l’État.

(…) Notre arme extraordinaire furent les brebis ! Notre action avec les bêtes sur le Champ de Mars à Paris était très symbolique, puisqu’il s’agit du tout premier terrain militaire de France. Ce fut très pacifique et cela fit le bonheur des enfants de voir des brebis sous la Tour Eiffel. Les CRS essayaient de les embarquer dans des camions, mais ils n’y arrivaient pas, nous, nous savions comment opérer avec les animaux ! Ces images et photos ont fait le tour du monde !

(…) À un moment donné, nous avons demandé du soutien et il y eut la création d’une centaine de Comités Larzac. Quelle solidarité ! Ce fut une force supplémentaire pour nous. Le Larzac était devenu tentaculaire et il y eut des gens qui nous soutenaient de partout, des étudiants, des paysans, des ouvriers, dont ceux de Lip, chassés de leur usine, certains se sont installés sur le causse, ont retapé des bergeries ou des fermes et sont devenus paysans et le sont encore !

(…) Nous avons aussi découvert à travers notre action qu’il y avait des gens plus misérables que nous…, et ce furent alors des rencontres fraternelles. Nous avons aussi découvert autre chose que nos terres : les ventes d’armes, d’où notre slogan « Le blé fait vivre, les armes font mourir ». Alors, nous avons offert le produit d’une moisson au Tiers Monde.

(…) Un jour, il y eut un jet de pierres partant de notre manifestation vers les forces de l’ordre : il s’agissait d’un geste de violence d’un policier des renseignements généraux de Bordeaux, que j’avais rencontré lors d’une interpellation. Des journalistes ont également constaté – et filmé – le même genre de provocation de la part de plusieurs policiers lors de notre marche pacifique parisienne.

(…) Il a fallu vaincre la peur à plusieurs reprises, mais nous n’avons pas le souvenir de s’être dit que ce que nous faisons était illégal. Tout était légitime. La légitimité passait devant la légalité. »

Tous ces exemples concrets corroborent au moins une chose : en matière d’engagement citoyen, la femme est bien l’égale de l’homme.

Journalisme engagé

L’objectivité et la neutralité sont les conditions essentielles dans la pratique journalistique, selon les mythiques canons de la profession. « Les faits rien que les faits », clame-t-on à la BBC et « Pas question de laisser transparaître sa propre opinion », renchérit-on encore dans maints médias ou associations professionnelles, et, bien entendu dans le monde politique et décisionnel qui ne supporte pas certaines enquêtes et contre-enquêtes journalistiques concernant différentes « affaires ».

Alors, d’aucuns reprochent à des journalistes « de terrain » d’être « engagés ». Ils les appellent dédaigneusement des « journalistes-militants ». Comme le prouve le reportage ci-contre, je suis de ces derniers.

La raison est simple à expliquer, car elle est guidée par une prise de conscience comme il le fut expliqué lors de récents débats à la Maison des Journalistes à Paris, entre autres : « Albert Camus, écrivain, philosophe mais aussi journaliste, fut parmi les premiers à revendiquer l’importance d’un journalisme enraciné dans la société, impliqué dans la vie et en lutte contre l’injustice. Selon Camus, il faut prendre conscience de son appartenance au monde de son temps, renoncer à une position de simple spectateur et mettre sa pensée ou son art au service d’une cause. Bref, pour Camus, il faut s’engager. »

« Rehoming » Les enfants d’occasion

Céline Béclard - Juriste

Adopter un enfant trouvé grâce à une petite annonce postée sur internet, cela nous semble totalement impossible et immoral mais c’est quelque chose de très courant aux Etats-Unis, cela s’appelle la ré-adoption (« rehoming »)[1]. Cette ré-adoption permet aux parents ayant adopté un enfant de le « rendre »  c’est-à-dire de lui trouver une nouvelle famille parfois à l’aide d’agences mais très souvent à l’aide d’annonces postées sur des sites internet dont certains sont plus que douteux.

Ce sujet a été traité par la réalisatrice Sophie Przychodny, qui vit aux Etats-Unis, dans un reportage.[2] Elle y a mené une enquête sur ce phénomène. Ce documentaire dévoile un marché de l’adoption qui concernerait près de 100 000 enfants par an. Un quart de ces enfants, soit environ 25 000 enfants seraient chaque année, « cédés », « c’est-à-dire remis dans le circuit des enfants ré-adoptables, à un prix deux fois moins élevé que pour une adoption classique qui se situe autour des 5 000 dollars.[3]

Lorsque ces enfants sont jugés trop difficiles ou caractériels par leurs parents adoptifs, ils peuvent passer de famille en famille, se retrouvant parfois même dans les mains de parents considérés comme défaillants, voire même de pédophiles puisqu’il n’existe aucun suivi pour ce type d’adoptions.[4] Les services sociaux responsables des adoptions ne vérifient jamais les antécédents des futurs parents ni même de leur capacité à élever des enfants.

Des media comme Reuters ont analysé les « retours d’enfants ». La plupart de ceux-ci étaient âgés de 6 à 14 ans et provenaient de pays tels que la Russie, la Chine, l’Éthiopie et l’Ukraine.[5]

Ce système de « rehoming » est-il envisageable chez nous ?

Le terme ré-adopté très usité aux USA n’existe pas chez nous. L’adoption en Belgique constitue bien souvent un parcours du combattant pour les candidats à l’adoption tant les règles sont strictes. Nombre de conditions doivent être remplies, des enquêtes sociales et psychologiques sont menées pré et post adoption.

Après avoir été préparés à ce qui est appelé la « parentalité adoptive » à l’aide de différentes formations, les futurs parents potentiels sont jugés aptes ou non par le tribunal de la famille.

Une fois l’accord obtenu, il leur faut attendre, parfois très longtemps, l’enfant qui les comblera. Il n’existe aucun catalogue en tout cas dans le circuit officiel et les enfants adoptables sont en réalité peu nombreux.

Aux États-Unis, les futurs parents ont une toute autre perception de l’acte d’adoption. L’enfant qu’ils souhaitent obtenir doit répondre à toute une série de critères comme l’âge, le sexe, la « beauté », la couleur des cheveux, des yeux,… Si l’enfant ne leur convient pas, ils s’en séparent tel un objet devenu inutile.

Comment les enfants issus du « Rehoming » perçoivent-ils ce système d’adoption ?

Ce système d’adoption est très pesant pour des enfants souvent issus de familles maltraitantes. Pour séduire d’éventuels parents adoptifs, ils doivent à tout prix montrer leur meilleur profil. Les agences qui s’occupent de ces adoptions organisent souvent des « foires » au cours desquelles les enfants pour avoir plus de chances de plaire à leur future famille, doivent montrer leurs atouts et leurs performances, tel un spectacle de fin d’année.

Une fois adoptés, ces enfants n’ont pas nécessairement accès à une sécurité familiale puisque, à tout moment, leurs « parents » adoptifs peuvent s’en séparer sous n’importe quel prétexte. Ces enfants, parfois plusieurs fois rejetés, ont de plus en plus de difficultés à faire confiance à une nouvelle famille.

L’absence de contrôle des qualités des personnes adoptantes fait que celles-ci peuvent avoir des antécédents criminels ou être psychologiquement instables. Les enfants peuvent alors être exposés à des abus d’ordre émotionnel voire sexuel, certains risquant même la mort.

Les prédateurs profitent de la détresse de parents adoptifs émotionnellement épuisés, en leur offrant une « issue de secours », souvent gratuitement.[6]

Combien coûte une adoption de ce type ?

Les frais d’agence sont de 3 500 dollars auxquels il faut ajouter 200 dollars d’enregistrement et de 1 500 à 2 000 dollars d’honoraires d’avocats pour un total d’environ 5 000 dollars, soit un montant bien moins élevé qu’une adoption faite « dans les règles ». Une adoption faite via petites annonces peut être encore bien moins chère.

Un marché noir des adoptions

L’adoption est une procédure longue et souvent coûteuse, ce qui incite beaucoup de gens à se tourner vers un marché parallèle, une sorte de système de petites annonces disponibles sur Internet. La famille transfère alors provisoirement la garde de l’enfant en signant un simple document.

La ré-adoption n’est pas un procédé officiel et n’assure aucune stabilité à l’enfant adopté. Selon une étude menée par le « Yahoo bulletin board intitulée « Adopting-from-Disruption »[7] », les Américains ont adopté environ 243 000 enfants provenant d’autres pays depuis la fin des années 1990.

Mais contrairement aux parents qui accueillent des enfants nés aux États-Unis dans le cadre du système américain de placement familial, les familles adoptant des enfants provenant de l’étranger ne reçoivent que peu ou pas de formation du tout. Il n’est pas rare que les enfants qu’ils ramènent à la maison aient des problèmes physiques, émotionnels ou comportementaux non divulgués.

Aucune autorité ne suit l’enfant depuis son arrivée sur le territoire américain, ce qui ne permet pas de déterminer la fréquence des échecs des adoptions internationales.

Le gouvernement américain estime que les adoptions nationales échouent à un taux pouvant aller « de 10 à 25 pourcents »[8]. Si les adoptions internationales échouent à peu près à la même fréquence, alors plus de 24 000 adoptés étrangers ne sont plus avec les parents qui les ont amenés aux États-Unis. Certains experts estiment que le pourcentage pourrait être plus élevé étant donné le manque de soutien pour ces parents.

Une loi fédérale américaine adoptée en 2000 oblige les États à documenter les cas dans lesquels ils prennent la garde d’enfants issus d’adoptions internationales ratées. Le département d’État recueille ensuite ces informations. De plus, les agences d’adoption sont censées signaler au ministère certains types d’adoptions internationales ratées qui retiennent leur attention.

Législation concernant l’adoption aux USA

Il existe un accord entre les cinquante États américains, le district de Columbia et les îles Vierges américaines appelé « Interstate Compact on the Placement of Children ».[9] L’accord exige que si un enfant doit être transféré en dehors de la famille dans un nouveau foyer situé dans un autre État, les parents doivent en avertir les autorités des deux États. De cette façon, les futurs parents adoptifs peuvent être examinés par les autorités.

Le pacte a été adopté par chaque État et est codifié dans divers statuts qui lui donnent dès lors force de loi. Malgré cela ces lois restent rarement appliquées, c’est en partie dû au fait que le pacte demeure largement inconnu des autorités chargées de l’application des lois.

Il appartient également à chaque État de décider de la manière de punir ceux qui donnent ou emmènent des enfants en violation des dispositions du pacte. Si certains États imposent des sanctions pénales, d’autres ne sont parfois pas explicites sur la manière dont ces violations doivent être traitées. Un enfant peut être retiré de la nouvelle maison si une « ré-adoption » illégale a été constatée. Mais les parents ne sont que rarement punis. Il faut savoir qu’aucune loi qu’elle soit d’État, fédérale ou internationale ne reconnaît même l’existence de la « ré-adoption ».

Du changement pour l’avenir ?

Cette pratique devrait bien évidemment être illégale, malheureusement, peu de lois protègent les enfants cédés à d’autres. Dans certains États, le passage devant un tribunal est obligatoire pour ré-adopter un enfant.

Le Wisconsin a voté en avril 2014 une loi interdisant aux parents de faire de la publicité pour des enfants de plus d’un an afin de lutter contre ce marché parallèle dénué de tout contrôle et qui vise à proposer les enfants à l’adoption sans passer par une agence spécialisée. Cette loi est actuellement en vigueur dans dix États. Dans tous les autres, la pratique continue à se faire en toute impunité et toujours sans enquête préalable.

James Langevin, député, lui-même enfant adopté, milite pour interdire la ré-adoption. Il est l’auteur d’un projet de loi national qui vise à interdire cette pratique et à « donner les ressources nécessaires aux familles » en difficulté pour faire en sorte que la « première adoption reste la seule ». Ce projet nécessitant 50 millions d’euros de budget ne semblait pas être la priorité du gouvernement. La nouvelle administration en décidera peut-être autrement ?

Conclusion

Le manque d’encadrement de ces adoptions fait qu’en cas de difficultés avec l’enfant adopté, les parents n’ont souvent personne vers qui se tourner pour obtenir une quelconque aide. Des centres d’aide aux parents adoptifs qui se sentent dépassés devraient être créés, ce qui éviterait une grande partie des abandons.

Des pays comme la Russie ont fini par interdire les adoptions par des Américains, ceci résultant d’un conflit diplomatique plus large.

D’autres pays, dont le Guatemala et la Chine, ont également rendu le processus d’adoption plus difficile. En conséquence, le nombre d’enfants nés à l’étranger adoptés aux États-Unis est passé de près de 23 000 en 2004 à moins de 10 000 par an aujourd’hui.

Les enfants ne sont pas des objets pouvant être vendus et revendus au gré des caprices de « parents » adoptifs peu scrupuleux. Plus que tout autres, ils doivent être protégés, pas seulement dans les textes mais dans les faits.

  1. « Rehoming » un terme qui à l’origine était plutôt réservé pour les adoptions d’animaux.
  2. Reportage de Sophie Przychodny : « Etats-Unis, enfants jetables ».
  3. Disponible sur https://www.parents.fr/envie-de-bebe/adoption/le-scandale-des-enfants-jetables-aux-etats-unis-13936 (consulté le 25 janvier 2021).
  4. Disponible sur https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/donne-enfant-adopte-aux-etats-unis-le-marche-de-l-enfant-d-occasion_1781811.html (consulté le 26 janvier 2021).
  5. Disponible sur : https://www.reuters.com/investigates/adoption/#article/part1 (consulté le 27 janvier 2021).
  6. Disponible sur : https://adoption.com/atollo/articles/rehoming-the-underground-marketplace-for-adopted-children/ (consulté le 27 janvier 2021).
  7. Enquête menée par Reuters, disponible sur : https://www.reuters.com/investigates/adoption/#article/part1 (consulté le 27 janvier 2021).
  8. Disponible sur : https://www.reuters.com/investigates/adoption/#article/part1 (consulté le 26 janvier 2021).
  9. Texte disponible sur : https://aphsa.org/AAICPC/AAICPC/text_icpc.aspx (consulté le 26 janvier 2021).

23,7 %

Marie Béclard - FAML

Une journée de la femme… mais pourquoi donc? Et pourquoi pas une journée de l’homme tant qu’on y est ? On est en 2021, non ? L’égalité homme-femme on l’a depuis longtemps… sauf peut-être dans les pays pauvres, là-bas, loin ! Cette journée, c’est un coup des féministes !! Autant de phrases qu’on a entendues et parfois même pensées. Parce que oui, on a envie de croire qu’une femme égale un homme et qu’on a tous les mêmes droits. Comment expliquer alors qu’en moyenne un homme gagne 23,7% de plus qu’une femme? En 2017, ces 23,7% représentaient l’écart salarial entre un homme et une femme exprimé en salaires annuels bruts. C’est beaucoup. Alors oui, on trouve un autre pourcentage, celui de 9,6% qui correspond à l’écart salarial au niveau du salaire horaire entre homme et femme. C’est moins que 23,7% mais cela signifie que pour chaque heure travaillée un homme gagne 9,6% de plus qu’une femme. On compare par rapport aux heures réellement prestées. Comment imaginer que c’est possible aujourd’hui, en 2021 ? et pourtant, c’est la réalité.

Des chiffres différents sur l’écart salarial on en trouve, et beaucoup, de quoi perdre son latin. Ils vont du simple au quadruple. Difficile de s’y retrouver et de comprendre ce qu’ils représentent réellement. Des différences qui s’expliquent par des méthodes différentes de calculs : « Ils peuvent porter sur la rémunération brute ou nette ; les écarts peuvent alors se creuser », certains peuvent aussi être estimés sur la base du salaire en équivalent-temps pour neutraliser le facteur temps de travail et permettre de comparer les salaires sur une base comparable. [1]

Comme toujours, les chiffres, les pourcentages doivent être pris avec une grande précaution car ils peuvent s’avérer trompeurs si on ne se fixe que sur eux. Un faible pourcentage d’écart salarial peut aussi bien s’expliquer par une absence importante des femmes sur le marché du travail que par des horaires plus réduits qui leur permettent d’assumer en sus les tâches ménagères et l’éducation des enfants, tâches pour lesquelles elles ne perçoivent bien évidemment aucune rémunération.

Cela se passe « près de chez nous », nous qui sommes censés être des modèles en matière d’égalité salariale.

L’écart salarial, une injustice, un crime ?

Un homme peut gagner plus qu’une femme comme une femme peut gagner plus qu’un homme. Il n’y a rien d’illégal. Le problème se pose lorsque deux salariés de la même entreprise ayant le même niveau de qualification, les mêmes d’années d’ancienneté et qui exercent le même type de tâches, perçoivent une rémunération différente sans raison valable. On parle alors de discrimination salariale et bien que la plupart des pays l’interdisent, elle est encore pratiquée à grande échelle. C’est la triste réalité.

Certains employés négocient leur contrat, obtiennent un meilleur salaire et commencent à un échelon supérieur. Même si certaines femmes discutent les conditions de leur contrat, il faut bien constater que c’est plus souvent le fait des hommes.

Pourquoi l’état ne fait rien contre ces injustices ? Il y a tellement de variables qui jouent pour déterminer un salaire et les entreprises tablent sur les descriptions de poste pour payer plus certains employés que d’autres. Il est donc difficile de prouver qu’il y a discrimination salariale. [2]

Comment expliquer ces écarts de salaire ?

Les femmes seraient-elles moins diplômées? Certainement pas, elles sont plus nombreuses que les hommes à terminer les études supérieures et souvent avec de bien meilleurs résultats.[3] Ce n’est donc pas ce critère qui expliquera une telle différence de salaire entre hommes et femmes.

La première cause est la différence de temps de travail, si deux personnes travaillent l’une à temps plein et l’autre en temps partiel, c’est tout logiquement que des différences de salaire apparaîtront.

Et cette différence s’amplifie avec les années et l’avancement de la carrière. On observe que majoritairement ce sont des femmes qui décident de travailler à temps partiel pour assumer à côté de leur travail la majorité des charges du ménage, pour s’occuper des enfants ou d’un parent âgé ou malade.

Bien sûr, rien n’empêche les femmes d’occuper des postes à temps plein mais elles devront toujours assumer en plus leurs tâches ménagères dans les mêmes proportions.

Un investissement important des hommes dans les tâches ménagères et familiales est indispensable pour permettre à leurs compagnes de prendre davantage part au marché du travail.[4]

Les femmes « manquent de temps pour gagner plus ». Obtenir une promotion, gravir un échelon dans la hiérarchie demande souvent de consacrer beaucoup de temps à son travail, de faire des heures supplémentaires et parfois même de voyager. Des choses qu’il est difficile de faire quand il faut conduire les enfants à l’école à 8h30 et les récupérer à 15h30, préparer le repas, penser aux collations… Rien n’impose aux femmes de prendre en charge l’ensemble de ces tâches mais c’est souvent la réalité observée.

Hommes et femmes font des choix de carrière différents, « des choix qui dépendent plus de leur sexe que de leur libre arbitre ».[5] C’est généralement le travail de la femme qui est sacrifié au profit de celui de son conjoint. Le calcul est vite fait dans un couple dont l’homme gagne déjè plus que la femme : la perte de revenu globale du couple est moindre si c’est la femme qui prend un temps partiel.

La deuxième explication réside dans le fait que les femmes et les hommes n’occupent pas un emploi dans les mêmes secteurs. Ceux où l’on retrouve généralement une majorité de femmes sont souvent moins rémunérés que ceux qui occupent majoritairement des hommes. Les femmes sont plus nombreuses dans les domaines d’aide à la personne : elles sont infirmières, puéricultrices, aides ménagère, des fonctions importantes mais qui sont peu rémunératrices.

Dans une plus faible mesure, on observe que les femmes préfèrent, par facilité, travailler à proximité de leur domicile. Elles choisissent donc d’intégrer des plus petites entreprises qui offrent souvent des salaires plus faibles que les grandes entreprises davantage choisies par les hommes.

Les écarts salariaux, une réalité seulement belge ?

Dans de nombreux pays, les femmes perçoivent un salaire horaire inférieur à celui des hommes. Les femmes dans l’UE gagnent en moyenne, près de 15% de moins que leurs homologues masculins. Cependant, ces différences varient fortement d’un pays à l’autre : le plus grand écart de rémunération entre hommes et femmes a été enregistré en Estonie avec 23%, alors que le pays où l’écart de rémunération entre les sexes le plus faible est la Roumanie avec 3%.

Ces chiffres peuvent être trompeurs puisqu’un faible écart s’explique souvent par un faible taux de femmes au travail tandis qu’un grand écart indique un grand nombre de femmes en temps partiel ou encore que celles-ci sont concentrées dans des secteurs peu rémunérateurs.

Et si tout commençait avec des jouets ?

Depuis les années 90, on assiste à une aggravation de la ségrégation entre les filles et les garçons. Selon une étude d’une sociologue américaine, dans les années 70 seuls 2% du catalogue de chez Sear’s étaient genrés, aujourd’hui tous les jouets Disney, entre autres, le sont.

Actuellement, dans tous les domaines, on trouve des produits distincts pour fille ou pour garçon. Cela va des jouets aux vêtements en passant par exemple par une brosse à dent « fille » ou garçon ou même des sparadraps… Le matériel de puériculture n’échappe pas à cette mode. Dès sa naissance, on différencie une fille d’un garçon par sa couverture ou la couleur de son biberon.

Y a-t-il un problème si une fille préfère le rose et un garçon le bleu ? Si une fille veut jouer à la poupée et être esthéticienne et si un garçon aime bricoler et rêve de devenir programmateur de robot? Faut-il les en dissuader ? De l’avis de certains, les enfants se tournent naturellement vers les jouets de « leur sexe » .

« Ces univers (les catalogues de jouets, la publicité, la littérature jeunesse) sont caractérisés par des stéréotypes masculins et féminins et par des inégalités entre les sexes plus forts que ce que les enfants peuvent observer dans la réalité sociale qui les entoure ».[6]

Ce sont des univers qui influencent beaucoup la socialisation des enfants bien plus que la famille ne le fait. [7]

Même si l’éducation familiale peut rejeter les stéréotypes de genre, la télévision, les publicités, les lectures, … auront tôt fait de saper les efforts des parents. L’enfant sera vite conscient des codes établis en matière de jouets et de couleurs. « Cette construction progressive de l’identité sexuée de l’enfant explique, comme l’a montré Anne Dafflon Novelle (…) , que l’enfant soit « extrêmement rigide face au respect des codes sexués en vigueur » et qu’il « évite de se livrer à des activités ou d’adopter des comportements qu’il attribue au sexe opposé » car dans son esprit, il n’a pas le droit de le faire ». [8]

Ce sont donc en grande partie des éléments extérieurs qui imposent aux filles et aux garçons des comportements différents : « les filles sont invitées à s’occuper de la maison, à pouponner, à rêver au prince charmant et à se préparer à lui plaire » tandis que les garçons sont poussés au bricolage, à la bagarre, la compétition, au dépassement de soi. De plus, on propose majoritairement aux petites filles des jeux qui n’évoluent que très peu (des poupées, des marchandes, des cuisines et des déguisements).

Aujourd’hui, les LEGO qui auparavant n’étaient pas stéréotypés, le sont devenus. On trouve ainsi des collections pour fille. Ces dernières sont moins évolutives que celles destinées aux garçons. Les LEGO friends catégorisés fille sont accessibles dès 4 ans tandis que les catégories pour garçons ont des niveaux croissants de difficultés de 5 à 12 ans.

Selon Brigitte Grésy, on façonne des petites filles qui manquent d’ambition, d’assurance et qui intègrent un sentiment d’illégitimité et leur donne le complexe d’imposture. [9] Autant de petites choses qui vont jouer un rôle sur leur comportement dans le monde du travail et engendrer des inégalités professionnelles. Des petites filles qui deviennent des femmes avec une image fausse de ce que l’on attend d’elles et de leurs capacités. Des femmes qui vont accepter des postes inférieurs à leur potentiel, des femmes qui vont renoncer à faire carrière à cause du poids que la société fait peser sur elle.

Les jouets, les publicités, les albums jeunesses ne sont pas à eux seuls responsables des inégalités entre filles et garçons et entre femmes et hommes. Une petite fille devrait pouvoir jouer à la poupée sans que cela influence son futur salaire, ses compétences à diriger une équipe ou ses capacités à évoluer dans la hiérarchie. Il faut qu’enfin on arrête de nous faire croire que les stéréotypes liés au sexe sont une réalité immuable.

Arrêtons de répondre aux injonctions d’un lobby du jouet et de la publicité qui propagent encore un modèle bien plus stéréotypé que ne l’est réellement la société d’aujourd’hui.

Une femme doit pouvoir choisir de bosser de nombreuses heures, de gravir les échelons et d’obtenir des promotions et un homme d’opter pour un mi-temps lui permettant de s’occuper de la maison et de ses enfants sans devenir l’objet de moqueries.

Aucun salaire ne devrait jamais dépendre du sexe de celui qui le perçoit mais bien de ses compétences.

Le combat pour l’égalité risque d’être long, si les choses continuent à évoluer au rythme actuel, il faudra 84 ans pour résorber l’écart salarial entre les hommes et les femmes.

Une femme doit être l’égale de l’homme que ce soit en droits, en salaire, en liberté de faire ses propres choix.

  1. La mesure des écarts de salaires entre les femmes et les hommes, mars 2015, Informations consultées le 1 janvier 2021 https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/La_mesure_des_ecarts_de_salaires_entre_femmes_et_hommes.pdf
  2. Informations consultées le 1 janvier 2021 sur le site votresalaire.be
  3. Égalité entre les hommes et les femmes en Wallonie en 2017, informations consultées le 10 janvier 2021 sur le site https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&url=https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2018/02/HF-Cahier3-final-1.pdf&ved=2ahUKEwjFw4Wbo4PvAhVRx4UKHRHzD3kQFjABegQIAhAG&usg=AOvVaw1KYcozsCwPTlR1jopaoSs2&cshid=1614195752775
  4. H. SWINNEN, « Pères au travail, hommes au foyer: à la recherche de leviers pour asexuer les tâches au sein du ménage et de la famille » dans Hommes et l’égalité, p. 53 consulté le 2 janvier 2021 sur le site https://igvm-iefh.belgium.be/sites/default/files/downloads/Hommes%20et%20l%27%C3%A9galit%C3%A9.pdf
  5. H. SWINNEN, « Pères au travail, hommes au foyer : à la recherche de leviers pour asexuer les tâches au sein du ménage et de la famille » dans Hommes et l’égalité, p. 53 consulté le 2 janvier 2021 sur le site https://igvm-iefh.belgium.be/sites/default/files/downloads/Hommes%20et%20l%27%C3%A9galit%C3%A9.pdf
  6. C. JOUANNO, R. COURTEAU, Jouets : la première initiation à l’égalité, p.32, information consultée le 12 janvier 2021 sur le site http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1830.html.
  7. C. JOUANNO, R. COURTEAU, Jouets : la première initiation à l’égalité, p.32, information consultée le 12 janvier 2021 sur le site http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1830.html.
  8. C. JOUANNO, R. COURTEAU, Jouets : la première initiation à l’égalité, p.32, information consultée le 12 janvier 2021 sur le site http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1830.html.http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1833.html
  9. C. JOUANNO, R. COURTEAU, Jouets : la première initiation à l’égalité, p.36, information consultée le 12 janvier 2021 sur le site http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1830.html.http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1833.html

 

Quelle validité pour un mariage au premier regard ?

Céline Béclard - Juriste

La télé-réalité « Mariés au premier regard » a retrouvé l’antenne sur RTL-TVI et c’est l’occasion de se poser quelques questions quant à la pertinence de ce genre d’émission et tout particulièrement de celle-ci dont la finalité est d’engager la vie amoureuse de deux personnes et de la sceller par un mariage  célébré très solennellement par des officiers de l’état civil au sein de maisons communales en Belgique et de mairies en France.

Fondé sur une série danoise appelée « Gift Ved Første Blik» dérivée elle-même de son homologue américain « Married at First Sight », le programme organise des mariages pour des célibataires en peine de trouver l’amour.

Des experts, sexologues, docteurs en psychologie, sociologues, professeurs d’université mettent leurs compétences au service de l’émission afin de trouver aux candidats sélectionnés le partenaire qui leur conviendra et qui répondra le mieux à leurs attentes. Ils se basent pour ce faire sur une série de critères et sur des tests de compatibilité. Celle-ci devra atteindre un pourcentage supérieur à 70 %.

Ceux qui auront eu la chance de passer avec succès les différentes épreuves, et après un délai de quelques semaines leur permettant d’informer leurs proches et d’effectuer l’achat de tenues de mariage, vont se trouver le jour de leur mariage face à une personne qu’ils n’ont jamais vue et dont ils ne savent absolument rien.

Face à l’officier d’état civil et après avoir signé par procuration un contrat de mariage de séparation de biens , ils devront, en quelques minutes, prendre la décision de se marier ou non.

Lorsque la réponse des deux candidats est positive, une fête réunissant les deux familles leur est offerte par la production. S’ensuit une nuit de noce dans un hôtel de luxe et un voyage de noces dans des contrées idylliques.

De retour au pays, ils décideront ou non de cohabiter. En cas de difficultés, le nouveau couple pourra recevoir les conseils des experts.

Au bout de quelques semaines, il sera demandé aux époux s’ils souhaitent rester mariés ou au contraire, s’ils veulent mettre un terme à l’expérience et divorcer.

Les producteurs de la série ne voient pas leur émission comme un jeu télévisé mais ils la vendent comme une véritable expérience pour les participants.

Controverses engendrées avant la diffusion de l’émission

En 2017, suite à l’annonce de la diffusion de l’émission sur RTL-TVI, le bourgmestre de la commune de Woluwe-Saint-LambertOlivier Maingain annonce qu’il a refusé de participer à l’émission. Selon lui, le Parquet de Bruxelles consulté par les autorités communales aurait répondu « qu’il pouvait y avoir suspicion de vice de consentement et une contestation de la validité du mariage» et qu’il lui aurait été « vivement recommandé de ne pas accepter » de célébrer ce type de mariage. Olivier Maingain, ajoute qu’il a demandé au Ministre de la justice de consulter le collège de Procureurs généraux afin qu’une jurisprudence uniforme soit mise en place dans tout le pays concernant la diffusion de l’émission ainsi que les mariages qui y sont au cœur.[1]

Cependant quatre ans après la première diffusion de l’émission, il demeure toujours un certains nombre de questions concernant ces mariages proposés tant sur un plan scientifique, éthique, que juridique.

Au niveau de la valeur scientifique avancée par les experts

L’émission se base sur le principe selon lequel l’attirance entre deux individus pourrait être prédite sur la base de plusieurs critères scientifiques. Mais ce postulat est encore remis en doute par une autre partie du monde scientifique qui affirme qu’aucune formule à ce jour ne permet de prédire l’amour entre deux personnes. Et d’ailleurs lorsqu’on consulte les chiffres de réussite de ces mariages, on constate très vite qu’ils ne sont pas bons.[2] « L’émission « mariés au premier regard » tend même à montrer l’invalidité de cette méthode : sur les vingt-et-une unions célébrées entre 2016 et 2020, déjà dix-huit se sont soldées par une séparation »[3].

« Selon des experts, l’attirance pour une personne peut en particulier être difficile voire impossible à prédire avant que les deux personnes ne se rencontrent dans la vraie vie. Une relation est plus que la somme de ses parties. Il y a une expérience partagée qui apparaît quand vous rencontrez quelqu’un qui ne peut pas se prédire à l’avance»[4]. Cette théorie permettrait d’ailleurs d’invalider toute les méthodes qui prétendent pouvoir prédire l’amour entre les personnes.

Au niveau de l’aspect légal du mariage

Le mariage est une institution d’ordre publique, qui se doit de remplir de strictes conditions tant il peut engendrer des conséquences sur de multiples aspects légaux de la vie quotidienne. Ces conditions d’interprétation stricte sont par ailleurs énoncées dans le Code civil et vérifiées préalablement à l’union par l’officier de l’état civil qui ne peut célébrer le mariage si celles-ci ne sont préalablement remplies.

Un mariage valable nécessite plusieurs conditions à savoir un âge minimum de 18 ans (des dispenses pouvant toutefois être obtenues), l’absence de lien de parenté entre les époux, la condition de célibat des deux époux, et enfin un consentement libre et éclairé.

Cette dernière condition peut-elle véritablement être considérée comme remplie dans le cadre d’un « mariage au premier regard » ? Pourrait-il y avoir contestation de la validité du mariage ?[5]

C’est d’ailleurs à ce titre qu’une question a été posée au parquet, : « Est-ce que les conditions légales d’un mariage sont entièrement respectées? Un recours pourrait-il être introduit devant le tribunal de la famille? »

Le mariage est interdit si la  condition de consentement mutuel, libre et volontaire de chacun des futurs époux n’est pas remplie. Il doit s’agir d’un consentement qui est dit « libre et éclairé » et le rôle de l’officier de l’état civil est de s’en assurer et de contrôler qu’il ne s’agit pas d’un consentement purement formel.

Consulté par Olivier Maingain quant à la possibilité d’interdire l’émission, le ministre de la justice, Koen Geens, déclare ne pas en avoir le pouvoir mais met en garde les candidats quant aux risques qu’ils encourent. Une relation moins formelle serait, selon lui, une meilleure alternative .

« Le collège des procureurs a d’ailleurs conclu concernant ces mariages, qu’il n’y avait pas de raisons suffisantes pour les sanctionner par une nullité, comme ce serait le cas par exemple s’il s’agissait d’un mariage simulé ou forcé, ou encore d’une erreur sur la personne ».

Cependant des enquêtes complémentaires sur la motivation au mariage peuvent être menées par l’officier de l’état civil.[6]

L’article 167, alinéa 2, du Code civil donne d’ailleurs : « la possibilité aux officiers de l’état civil de surseoir à la célébration du mariage pendant une période de deux mois et d’ensuite demander l’avis du ministère public dans le cas où il existe des présomptions sérieuses que le mariage ne satisfait pas aux conditions requises pour se marier »[7]. Cet article permet donc de remettre en cause la validité du mariage avant sa célébration. L’appréciation des conditions du mariage relève de la compétence exclusive des officiers de l’état civil[8] et, comme précisé plus haut, cela doit faire l’objet d’une analyse au cas par cas.

Au niveau de l’aspect éthique du mariage

En ce qui concerne l’aspect éthique de ces mariages, quelle est la différence avec des mariages arrangés en toute impunité ? Bien sûr ces mariages ne sont pas réalisés pour légaliser un séjour et obtenir des papiers ou pour tout autres motifs similaires, mais ils peuvent l’être par exemple pour acquérir une notoriété grâce à la télévision.

Le but premier de l’institution du mariage est de créer une communauté de vie durable or, dans le cas de l’émission présentée, une porte de sortie est offerte aux candidats après seulement quelques semaines sous la forme d’un divorce, prévu par contrat, tous frais payés par la production.

Au niveau de ces divorces

Lorsqu’un mariage « classique » se termine, le couple passe devant le juge qui prononce le divorce, procédure parfois douloureuse pour un voire pour les deux époux, dans laquelle on ne s’engage pas avec plaisir.

Dans le cadre de l’émission, le divorce se fait par consentement mutuel. Celui-ci nécessite néanmoins la réunion d’un certain nombre de conditions qui font que la procédure n’est pas immédiate.[9]

Dans le cas du divorce d’un couple ayant participé à l’émission, la procédure de divorce aura une durée plus longue que celle du mariage.

Les étapes du divorce par consentement mutuel sont communes. Des négociations doivent être entamées par les époux afin d’établir et de signer la convention préalable au divorce.

Une fois cette convention signée, la procédure peut être introduite par une requête conjointe déposée au greffe du tribunal de la famille.

La dernière étape est le prononcé du jugement de divorce par le tribunal de la famille suivi de sa publication. Mention du divorce est faite dans l’acte de mariage.

Au cours de la première diffusion de l’émission en 2017, le divorce de certains candidats n’avait pas pu être obtenu plus d’un an après l’introduction de la procédure là où celle concernant un divorce « normal » sera obtenu dans un délai d’un an maximum.

« La production les a avertis que le divorce pouvait prendre 3 mois comme un an ».

Toute la procédure du divorce doit être réalisée devant un notaire, mais celle-ci avait dû être stoppée suite à des controverses concernant la validité de l’émission.

Conclusion

Bien qu’une décision judiciaire ait conclu que les mariages organisés par l’émission n’étaient pas contraire à l’ordre public, il n’en demeure pas moins qu’ils posent toujours des questions au niveau de l’éthique puisque un mariage est fondé sur l’amour et sur une communauté de vie. Or ici si pour certains l’objectif est réellement de trouver l’amour et de mettre toutes les chances de leur côté, pour d’autres il apparaît avec évidence qu’il s’agit d’une manière détournée de pouvoir passer à la télévision ou de profiter des séjours offerts par la production.

Plusieurs anciens candidats de cette émission participent désormais à des émissions de ce type.

Pourquoi un mariage formel et pas un statut de cohabitant légal ou encore une relation non formelle, le temps de confirmer la compatibilité ?

Pourquoi dénaturer une institution comme le mariage en prévoyant d’emblée la possibilité de se séparer d’une personne rencontrée seulement quelques semaines auparavant ?

Certes le statut de cohabitant entraîne lui aussi des conséquences mais il plus facile de s’en défaire.

Le divorce est une procédure qui n’est pas très agréable. Quant au mariage, il reste une institution importante pour ceux qui s’y engagent avec sérieux et ce genre d’émission le réduit à un simple sujet de télé-réalité.

  1. Disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mariés_au_premier_regard_(Belgique) (consulté le 1 février) ; « Olivier Maingain refuse de marier des candidats de l’émission « Mariés au premier regard » », La Libre Belgique,‎ 9 septembre 2017 (lire en ligne [archive], consulté le 9 septembre 2017).
  2. « La formule magique pour prédire l’attirance entre les individus plus insaisissable que jamais » [archive], sur www.charlatans.info (consulté le 1 février 2021)
  3. Chiffres disponibles sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mariés_au_premier_regard_(Belgique)#cite_note-3 (consulté le 29 février 2021)
  4.  S. JOEL, P. W. EASTWICK, E. J. FINKEL, « Is Romantic Desire Predictable ? Machine Learning Applied to Initial Romantic Attraction », Psychological Science, 2017.
  5. La Chambre des Représentants – Question et réponse écrite n° 55-641 : Validité du mariage. © La Chambre des Représentants, 29/10/2020, www.lachambre.be
  6. La Chambre des Représentants – Question et réponse écrite n° 55-641 : Validité du mariage. © La Chambre des Représentants, 29/10/2020, www.lachambre.be
  7. L’article 167, alinéa 2, du Code civil
  8. L’ article 164 de la Constitution
  9. C. AUGHUET, L. BARNICH, D. CARRE, N. GALLUS, G. HIERNAUX, N. MASSAGER, S. PFEIFF, N. UYTTENDAELE, et A.-C. VAN GYSEL, T. VAN HALTEREN, « Chapitre 4 – Le divorce par consentement mutuel » in Tome I – Les personnes. Volumes 1 et 2, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 457-512