Laïcité à l’école : « Surtout, pas de vague ! »

Pierre Guelff - Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

« Quand Paris tousse, Bruxelles s’enrhume ! » Deux enquêtes françaises lancent l’alerte : la laïcité est sérieusement battue en brèche dans l’école publique d’outre-Quiévrain. Indéniablement, la vigilance s’impose aussi en Belgique. « L’école laïque sous le joug de Dieu »[1] ?

La mission de la Fondation Jean Jaurès, première des fondations politiques françaises, est à la fois celle d’un groupe de réflexion, d’un acteur de terrain et d’un centre d’histoire au service de tous ceux qui défendent le progrès et la démocratie dans le monde.

Dans ce cadre, elle a récemment effectué une étude sur l’évolution du concept de laïcité au sein des enseignants de l’école publique française âgés de moins de 30 ans.

Il en ressort les résultats suivants[2] :

• 59% sont d’accord sur le port du burkini à la piscine contre 26% pour l’ensemble des enseignants ;

• 51% acceptent des horaires réservés aux femmes dans les piscines pour 20% ;

• 55% sont d’accord qu’une mère voilée accompagne les élèves en sorties scolaires pour 36% ;

• 32% des professeurs âgés de moins de 30 ans déclarent que la laïcité consiste à placer toutes les religions sur un pied d’égalité contre 16% pour l’ensemble du corps professoral et 10% chez les plus de 50 ans ;

• 14% sont favorables au port de signes religieux dans les écoles contre 6% pour leurs collègues plus âgés.

Dans la Charte de la laïcité affichée dans toutes les écoles publiques françaises, nous lisons au quatorzième point : « Le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

En d’autres termes, il est interdit de faire du prosélytisme, c’est-à-dire du « zèle déployé pour attirer de nouveaux adeptes ou propager une doctrine, parfois en imposant des convictions. »

Le mouvement de la laïcité a donc de nouveau beaucoup de travail à effectuer, même parmi les enseignants de l’école publique.

Ceci est confirmé par une deuxième enquête[3] pour le compte de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) à l’occasion de la « Journée nationale de la laïcité » fixée au 9 décembre en souvenir du 9 décembre 1905, date du vote de la loi de séparation de l’Église et de l’État. En somme, origine officielle de la laïcité en France.

Laïcité, est-il besoin de le rappeler, qui permet « d’assurer la liberté de conscience » et de « garantir le libre exercice des cultes » et permettre à l’État français d’être indépendant du clergé et impartial à l’égard de toutes les confessions religieuses. Le principe de laïcité implique la neutralité de l’État français vis-à-vis des religions, la liberté de croyance et de culte de chaque citoyen et l’égalité de traitement entre toutes les croyances. »[4]

Sous le titre « Les dix chiffres de l’enquête », voici quelques extraits de cette enquête :

• Plus d’un lycéen sur deux (55 %) a déjà été confronté à une forme d’expression du fait religieux en milieu scolaire ;

• 16 % des lycéens du public ont déjà constaté l’organisation à la cantine de tables en fonction de la religion (33 % dans les lycées classés « prioritaires »), 15 % des WC séparés en fonction de leur religion (30 % en milieu « prioritaire ») et 13 % l’institution de robinets réservés aux élèves en fonction de confession (32 % en milieu « prioritaire ») ;

• Près d’un lycéen sur deux du secteur public (48 %) rapporte avoir aussi déjà observé des élèves contester le contenu même des enseignements au nom de leurs convictions religieuses ;

• Les élèves inscrits dans un établissement classé « prioritaire » (selon l’OZP) sont beaucoup plus nombreux (74 %) que les autres (44 %) à avoir déjà observé au moins une forme de contestation d’un cours. Cette surexposition se retrouve notamment dans la contestation des cours portant sur la mixité filles-garçons (rapportés par 51 % des élèves en milieu « prioritaire) ou les cours d’éducation sexuelle (58 % en milieu « prioritaire ») ;

• L’idée selon laquelle « les règles édictées par leur religion sont plus importantes que les lois de la République » est par exemple beaucoup plus partagée par les lycéens (43 %) que les adultes (20 %) : les élèves musulmans se distinguant eux-mêmes des autres élèves par un niveau d’adhésion massif à cette idée (65 %) ;

• La question du droit à la critique des religions à l’école met encore plus en exergue le fossé existant entre les élèves musulmans et les autres sur ces sujets. En effet, alors que la majorité des lycéens (61 %) soutiennent le droit des enseignants à « montrer (…) des caricatures se moquant des religions afin d’illustrer les formes de liberté d’expression », ce n’est le cas que de 19 % des musulmans. La plupart (81 %) désapprouvent ce genre de pratique, au point qu’un sur quatre (25 %) ne « condamne pas totalement » l’assassin de Samuel Paty.

Ces résultats méritent d’être analysés en profondeur dans l’esprit de tolérance qui caractérise toute démocratie, tout en rappelant, qu’en Belgique, la participation officielle d’autorités à des offices religieux (Te deum du 21 juillet, par exemple), le subventionnement de l’enseignement libre, le financement public des cultes…, ont fait l’objet, tout au long des décennies, de multiples débats musclés, allant parfois jusqu’à des « guerres scolaires » (1879 à 1884, 1950 à 1959) et, récemment, en juillet 2021, par un arrêt de la Cour Constitutionnelle déclarant que l’enseignement libre devait être mieux subsidié.

Cependant, nous sommes en présence d’un débat de fond qui exclut, bien évidemment, de pointer du doigt ou d’ostraciser la seule communauté musulmane au nom, par exemple, du « Grand rassemblement » cher à Éric Zemmour habitué aux discours identitaires, quand on sait qu’il y a plus de mots arabes qui composent la langue française que gaulois et que la plupart des mots français sont des mots immigrés !

Également, en présence d’une attitude qui, parfois au nom de principes divers, veut que l’on ne fasse pas de vagues, que l’on censure ou interdise tels propos dénonçant des faits avérés, voire revendiqués par leurs auteurs, afin de ne pas « stigmatiser » la communauté à laquelle ils appartiennent (cas des attentats à Charlie Hebdo, de l’assassinat de Samuel Paty…)

Assurément, la laïcité mérite beaucoup mieux que ces types de discours et d’attitude, car elle fait partie intégrante de la Philosophie des Lumières, celle qui, par essence, est contre toute forme d’obscurantisme.

  1. Gérard Biard, Charlie Hebdo, 15 décembre 2021.
  2. Ifop, décembre 2020.
  3. Ifop, décembre 2021.
  4. Les Journées mondiales.fr, décembre 2021.

Le philosophe et la chouette

Benjamin Sablain - Journaliste

La chouette est un animal de proie de la famille des strigidés. Il ne faut pas les confondre avec les hiboux, dont les oreilles sont ornées d’aigrettes, petites touffes de plumes qui leur donne cet air sévère de professeur pointilleux. Rapace nocturne, la chouette se nourrit principalement de petits mammifères et oiseaux, de serpents et d’insectes. Elle est dotée d’une ouïe très fine ainsi que d’une vision nocturne exceptionnelle qui lui permet de localiser précisément ses proies. Ces capacités perceptives hors-du-commun en font un prédateur redoutable. Il en existe environ deux cents espèces. On compte ainsi la très connue chouette effraie, avec sa face en cœur si caractéristique, la très élégante chouette Harfang, avec son magnifique plumage surmonté de deux superbes yeux, ou encore la discrète chouette hulotte et son hululement si caractéristique.

Cependant, ce que l’on manque de noter, ce sont toutes les sortes de chouettes qui peuplent l’imaginaire mondial et la place centrale qu’elle a acquise pour des organismes laïques. La raison de cette connivence tient à son attribution à Athéna, déesse de la sagesse, prenant alors les traits de la minuscule chouette chevêche. Également, Athéna évoque Athènes, l’académie de Platon, le lycée d’Aristote, les dialogues de Socrate sur les chemins de la Grèce antique, tout ce qui a posé les bases d’une rationalité occidentale en rupture avec le religieux (qu’il soit polythéiste, comme il l’était durant cette ère reculée, ou monothéiste) et ouverte au libre examen. Mais, peut-être qu’un autre regard, plus nuancé, est possible. La chouette est peut-être le signe de choses bien plus complexes, comme Giordano Bruno derrière le symbole de la lutte contre une religiosité mortifère.

Comme la chouette, Giordano Bruno avait un regard chevêche sur la réalité, que ce soit à travers sa pensée politique aux allures machiavéliennes (L’expulsion de la bête triomphante), sa pensée métaphysique (le De la cause, de l’un et du principe), ou encore sa si particulière théorie de la connaissance (Les Fureurs héroïques). Son regard était si perçant qu’il a anticipé de nombreuses conceptions élaborées tout du long de la philosophie allemande et au-delà. Il fait ainsi penser à Kant, pour avoir élaboré des siècles auparavant un schématisme qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui du philosophe allemand. Sa conception du Dieu comme nature est très proche de la version que Spinoza élaborera et, à sa suite, celle de Schelling. Sa philosophie de l’histoire ramène quant à elle à Hegel. Plus avant, il est également possible d’y trouver des élaborations philosophiques qui feront indéniablement penser à Heidegger. Enfin et surtout, son style fougueux qui culmine dans ses œuvres en italien, un véritable bijou de littérature, rappelleront sans le moindre doute Nietzsche, celui-là même qui clamait préférer les climats secs italiens aux climats marécageux de ses prédécesseurs et compatriotes. Sans nul doute que Nietzsche pensait à cet ensemble de penseurs qui comprenait la si saine philosophie de Pic de la Mirandole, la philosophie lorgnant vers l’antiquité d’un certain Marcile Ficin et bien sûr son ténébreux continuateur Giordano Bruno.

Giordano Bruno

Comme la chouette, ce dernier avait un sens aigu pour repérer sa proie, l’enserrer entre ses griffes conceptuelles et les saisir tant à vif qu’il ne laissait à ses successeurs que des bouts de viande n’ayant plus leur fraicheur première (puisque déjà passé par là). Comme le célèbre philosophe italien, la chouette trouve sa subsistance dans les marges de la vie nocturne. Toutefois, si la chouette est pour sa part un animal sédentaire malgré son vol vif qui ne laisse aucune chance au malheureux mulot de passage, les ailes de Giordano Bruno le menèrent à travers toute l’Europe. Après avoir été bani pour hérésie de son monastère dominicain à Nola, il voyage à Chambéry, puis à Genève, puis même à Paris où il rejoignit la cour d’Henri III ! Nuccio Ordine, spécialiste du philosophe, raconte pour sa part que cette étape expliquerait un certain attrait pour l’œuvre de Ronsard… Toutefois, cette hypothèse mise à part, ce n’est pas à Paris que son œuvre littéraire et philosophique s’épanouit, mais bien à Londres, dans ses œuvres en italien mêlant prose, poésie et dialogues. Les titres on ne peut plus baroques témoignent de l’élan qui le portait alors : « le banquet des cendres », « l’expulsion de la bête triomphante », « Des fureurs héroïques » et d’autres encore. Malheureusement, coutumier de ne pas tenir sa langue dans sa poche, il se brouilla avec ses mécènes après les avoir traités de noms d’animaux dans le Banquet des cendres. Il poursuivit alors sa route jusqu’à l’université de Heidelberg, soit rien de moins que l’une des universités les plus prestigieuses de l’actuelle Allemagne. Se trouvant des affinités avec l’esprit germanique (affinités qui se confirmeront comme il a déjà été montré), il s’y trouvera comme une chouette dans son nid. Au niveau de sa production philosophique, sa plume fut toutefois loin de l’éclat de sa période londonienne. Sa dernière flamboyance ne fut pas intellectuelle, mais bien corporelle, par sa condamnation au bûcher. Ainsi, il vécut pour ses idées, préférant se déplacer que de concéder quoi que ce soit. Telle la chouette, il fut indéniablement un symbole de connaissance et de savoir.

Toutefois, la chouette comme Giordano Bruno ont des côtés bien plus ambigus qu’il faut explorer. L’histoire du second est bien plus riche que ce statut de libre penseur et précurseur de la modernité en laisse penser. Toujours revient l’épisode du bucher, mais, comme déjà observé, son parcours est bien plus tortueux. Ouvrir ne fut-ce qu’un de ses écrits expose à une pensée en dialogue avec la théologie, les philosophies médiévales (arabes, hébraïques et chrétiennes), ainsi que les philosophes grecs. Il n’est pas une pensée d’une rupture, mais plutôt un nœud dans un réseau d’une formidable complexité. Il est un aboutissement dans un processus intellectuel millénaire. La définition de la chouette comme symbole de savoir n’est quant à elle pas partagée par toutes les cultures et toutes les époques.

Pour en rester d’abord à la culture européenne, la chouette est dans l’écrasante majorité des cas associée à des figures plutôt négatives. Dès l’Antiquité, sa représentation positive était déjà assortie d’une série de représentations plus inquiétantes. Elle est en effet associée à la sorcellerie, comme son nom latin l’indique. Strigidae signifie sorcière. Sa taxinomie savante hérite de cette connivence : la chouette est le nom populaire d’un regroupement d’oiseaux appartenant à la famille des strigidés… L’association est donc tenace. Elle ne concerne d’ailleurs pas que le monde antique romain, puisqu’on la retrouve jusque dans les cultures africaines. Autrement, la chouette est aussi régulièrement symbole de mort, de ruse, etc. En bref, elle est associée au monde de la nuit, dans tout ce que cela implique. Elle y éclaire et dévoile ce qui était dissimulé. Parfois, cela peut être en « bien », lorsqu’elle s’en détache et devient ce qui illumine la connaissance et ainsi l’arrache au dogmatisme. Parfois, cela peut être en « mal », lorsqu’elle s’enveloppe de l’obscurité et épouse plutôt que ne rejette les êtres qui peuplent les ombres.

Il en est de même pour Giordano Bruno. Il s’imprègne de théories magiques, d’hermétisme (du nom « Hermès Trismégiste », auteur auquel est attribué une série de textes ésotériques rédigés en grec ancien et en latin) et d’occultisme au point où certain-e-s historiennes et historiens de la philosophie lui affubleront le titre de « mage ». Il a écrit des essais sur la magie (le De Umbris idearum et le traité éponyme). L’hermétisme quant à lui se mêle à sa pensée à de nombreuses reprises, constituant une sorte d’arrière-fond à partir duquel il articule sa pensée, tout comme il le fait régulièrement avec Nicolas De Cues et Marcile Ficin. Est-ce qu’il faudrait pour autant en faire un mage ? Selon de nombreux commentateurs que je rejoindrai (mais c’est un parti pris qu’on peut tout à fait discuter), ce serait aller un peu vite en besogne, étant donné qu’il s’agit surtout et avant tout dans cette perspective de philosophie élaborée dans les règles de l’art. Le traité sur la magie est anecdotique et ne satisfera certainement pas quiconque est amateur de grand frisson et de recettes à base de bave de crapaud. Giordano Bruno intègre plutôt toutes ces influences pour faire bouger les lignes établies depuis si longtemps par les autorités ecclésiastiques et élaborer une conception de monde dépouillée de toute référence à un dieu surplombant. Dieu et la nature sont une seule et même chose (ce qui est scandaleux d’un point de vue catholique). Il s’agit de sources à mettre sur le même plan que son intérêt pour les travaux de Copernic et de Galilée, ou ses discussions vives avec les « encapuchonnés » (comme il aime les nommer avec son ton provocateur habituel), ou sa revisitation brillante de la cosmologie néoplatonicienne qui fera d’ailleurs date. Giordano Bruno est plutôt un être baroque, versatile, souvent téméraire voire excessif mais certainement brillant. Ses sources hermétiques, son intérêt pour la magie, ne ressortent pas du bouillonnement de sa pensée, mais en seraient pour ma part plutôt des ingrédients qui ajoutent des nuances décisives à la saveur d’ensemble, mais non moins décisives que d’autres références qui pourraient toutes aussi bien être considérées comme en étant le coeur. C’est d’ailleurs le cas non seulement pour Giordano Bruno, mais pour de nombreux autres penseurs et savants de cette époque et des époques suivantes ! Galilée était féru d’astrologie et Newton prenait l’alchimie très au sérieux.

Francisco de Goya_-Vuelo de brujas_(1798)

Magie et science ont en effet des liens étroits comme les deux domaines ont à cœur d’agir sur le monde en en maîtrisant les forces fondamentales. Cette dimension pratique de la magie a certainement été un élément essentiel pour préparer le passage d’une conception du monde « théiste » à celle moderne que nous connaissons aujourd’hui. Pour comprendre la modernité, il faudrait donc en revenir, étrange paradoxe !, à ses origines magiques… et donc à Giordano Bruno, grand penseur qui semblerait-il a compris la nécessité de se plonger dans l’occultisme pour en tirer de nouvelles lumières. L’évolution spirituelle de l’humanité pourrait donc être considérée comme passant d’un éclat devenu trop aveuglant pour être supportable à un besoin de s’enfoncer dans les profondeurs obscures de la connaissance afin d’y animer de nouvelles lueurs… qui à leur tour un jour failliront et nécessiteront de nouvelles ressources parmi les ombres. Après tout, après le règne du catholicisme, le règne de la modernité a vacillé lors des deux guerres mondiales, où les technologies qui auraient dû être bienfaitrices pour l’humanité sont devenues engins de mort. Après tout, actuellement, le progrès continu vanté par les modernes se heurte au mur des exigences climatiques. A nous à présent de trouver de nouvelles solutions, de trouver nos propres voies occultes pour mieux ressortir de l’autre côté du tunnel, si c’est encore possible.

Cependant, par ces dérivations de chouette en philosophe, il est déjà possible d’affirmer sans devoir spéculer intensément que ces deux symboles laïques que sont la chouette et Giordano Bruno portent une zone d’ombre qui permet de nuancer la vision que l’on peut avoir de la laïcité. Elle n’est pas un jardin à la française, bien ordonnée et géométrique, mais bien un jardin à l’anglaise où un chaos méticuleusement cultivé permet à la nature un devenir imprévisible. La laïcité, ce n’est pas faire place nette au point d’avoir la sensation de mettre pied dans les couloirs aseptisés d’un hôpital. Ce serait plutôt offrir un espace d’expression, d’expérimentation, où les débats pourront s’entrecroiser sans se dominer, les cultures s’hybrider, les voix se démultiplier, afin que tous les possibles puissent en naître et participer au débat. Un état laïc, c’est un état qui cherche à se définir comme un lieu de rencontre plutôt que comme un lieu de divisions. Pour ces raisons, la laïcité peut se faire aisément chouette, portant son regard perçant sur les multiples réalités qui bouillonnent sous la surface, elles-mêmes à la fois inquiétantes par ce que cela témoigne d’étrangeté et à la fois vitales en ce qu’elles peuvent délivrer de nouvelles réponses. Pour ces raisons, la laïcité peut se faire aisément brunienne, accepter les théories magiques aussi sérieusement que l’on parlerait de physique quantique, veillant à tout instant à ne limiter l’expression de quelque conviction que ce soit. Cela s’est d’ailleurs déjà fait : la sorcellerie est revenue dernièrement sur le devant de la scène comme un phénomène positif qui a porté les germes précoces des féminismes. Il n’y a donc pas de dualité définitive entre l’ombre et la lumière, mais une lumière accueillante qui, pour ne pas devenir aveuglante, s’ouvre à ce qui n’est pas et baigne encore dans les limbes de l’ignorance.

Fraternité, je clame ton nom

Pierre Guelff - Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

À l’heure où l’on assiste à une recrudescence des idéologies nazies et fascistes, que le bruit des bottes est de plus en plus prégnant, que l’extrême droite est banalisée, voire, pour certains, assimilée à la démocratie par sa « dédiabolisation », que l’ultra individualisme supplante la notion de solidarité, il est urgent de clamer et de (re)mettre en pratique le concept de fraternité universelle. Reportage et témoignages.

Des cortèges où des slogans évoquent une « dictature » avec pour support visuel le sigle des SS ou la reproduction de l’étoile jaune portée par les juifs sur ordre des nazis lors de la Seconde Guerre mondiale, ou, encore, la photo transformée de l’entrée du camp d’extermination d’Auschwitz dans le but de manipuler l’opinion, des temples maçonniques saccagés, des tombes de juifs profanées, des habitations d’élus démocrates vandalisées, des tags contre la communauté musulmane chaulés sur des mosquées et accompagnés de têtes de porcs fraîchement coupées, des insultes et des menaces de moins en moins anonymes balancées sur les réseaux sociaux à l’égard d’humanistes, de militants pacifistes, de défenseurs de la Nature, des journalistes, photographes et dessinateurs de presse maltraités, parfois assassinés…, telle est une inquiétante réalité qui va en s’amplifiant.

Saccage du temple maçonnique de Serrières (Photo JL G.)

Récemment, des juges enjoignirent des hooligans, supporters d’une équipe de football, qui avaient brandi et scandé des propos nazis, antisémites et racistes à l’égard de joueurs et supporters « adverses », de visiter le Fort de Breendonk afin qu’ils se rendent compte de la portée de leur comportement.

Pourquoi Breendonk ?

Ode à la résistance

Lorsque les visiteurs pénètrent sur le site du fort, leur regard se porte obligatoirement vers la droite, là où, depuis le 26 septembre 2021, est érigé le monument « Ode à la résistance » élevé à l’occasion du 75e anniversaire de la Confédération nationale des prisonniers politiques et ayants droit de Belgique, dont le but est que les sacrifices et souffrances de celles et ceux qui furent emprisonnés à Breendonk lors de la Seconde Guerre mondiale, ne soient jamais oubliés.

Ce grandiose monument, œuvre de l’artiste Tom Frantzen, représente une botte (la « Botte brune », synonyme de fascisme, entre autres) qui opprime les citoyens.

Sous elle, on distingue des gens abattus, dont une mère, son enfant et leur chien, d’autres enfants qui tentent de s’enfuir, un homme et son ami qui résistent, un autre qui tire sur ladite botte, alors que le dernier personnage, qui est parvenu à s’échapper, lâche une colombe, symbole de paix, de liberté et de fraternité.

Ce monument, est-il expliqué sur place, est « une ode universelle à la résistance et à l’opposition contre toute forme d’abus de pouvoir, de domination, de dictature, d’injustice et d’intolérance, mais c’est aussi un signe d’espoir, un message de citoyenneté, de tolérance et de respect à la jeune génération. »

Je ne cache pas que, lors de mon reportage, je fus submergé par l’émotion parfois doublée d’incompréhension quand j’assiste au « spectacle » de contemporains véhiculant des propos qui menèrent tant de citoyens démocrates dans ce lieu d’horreur inimaginable, sauf pour les nazis, les fascistes et leurs sbires, bien entendu.

J’ai parcouru cette masse de béton, ces lieux sordides où chaque mur transpire encore le martyre, la famine, les coups, les humiliations endurés par des centaines de juifs, de prisonniers politiques, de francs-maçons, de tziganes, de communistes, de résistants, de citoyens dénoncés pour être des démocrates, certains étant passés auparavant par les caves de la Gestapo à l’avenue Louise à Bruxelles (voir ci-après le témoignage de Franz Bridoux).

J’ai parcouru des dortoirs où ils étaient entassés par dizaines, de rares points d’eau, des toilettes communes, j’ai vu ces wagonnets qu’ils poussaient jusqu’à l’épuisement sur le chantier voisin et, surtout, ce wagon qui symbolise les trains à bestiaux changés en convois d’êtres humains dirigés de Breendonk vers les camps de concentration. Vers la mort pour la plupart.

Témoignages

Cependant, certains, très rares, ont échappé à la mort et témoignèrent de cette étape de Breendonk sur l’itinéraire vers Auschwitz, Dachau, Buchenwald…

Quelques témoignages sont diffusés sur place :

• Une prisonnière wallonne : « Pour se laver, c’était une situation très désagréable, car on ne pouvait pas se déshabiller devant les soldats qui nous regardaient. Nous avions un petit robinet à l’extérieur de la cellule en traversant un couloir, mais je ne peux vous dire précisément le chemin car nous portions une cagoule. On pouvait seulement l’enlever pour se laver le bout du nez et les avant-bras, alors vous vous rendez compte de la situation au bout de 3 ½ mois de détention…

Je me souviens d’une odeur de ciment mêlée à une odeur fétide, c’était insupportable.

Notre rôle fut de s’encourager mutuellement et quand quelqu’un s’affaissait, on essayait de le redresser.

On parlait beaucoup de nourriture dans cette cellule. Le nombre de recettes imaginaires que nous avons confectionnées fut incroyable, ce fut comme si on les mangeait ! »

• Un prisonnier bruxellois : « Les SS avaient mis des grands tonneaux à l’extérieur et le matin les prisonniers devaient aller s’y asseoir pour se libérer. C’était à coups de chicottes …

Deux à trois cents prisonniers en même temps et d’autres, comme moi, qui devions éparpiller leurs merdes sur le potager pour la bouffe des SS flamands… qui vivaient sur notre sueur. C’était inouï ce truc (pleurs)… »

• En 1940, Wilchar (1910-2005), peintre, affichiste, linograveur, anarchiste pacifiste, ses « bombes » étaient des toiles et gravures dénonçant les injustices.

Il avait échappé à la captivité et prit une part active dans la Résistance en créant le groupe d’artistes « Contact » qui publia le journal clandestin du Parti communiste, « Art et liberté ».

Le 2 avril 1943, il fut arrêté par les SS et détenu à Breendonk jusqu’au 27 mai 1943 sous le matricule 1939.

Il fut ensuite transféré à la Citadelle de Huy et y resta emprisonné jusqu’à la Libération.

Son témoignage recueilli à Breendonk : « Pour faire nos besoins dans la journée, c’était toujours une aventure. Des prisonniers faisaient ça la nuit et le matin le bidon (servant de pot de chambre) débordait.

Il y avait de la saleté et des excréments partout, dans tous les coins, les prisonniers sous les coups de chicotte et les ordres « Schnell ! Schnell ! » devaient nettoyer… »

Probablement trop ému à ce souvenir, l’enregistrement de Wilchar s’arrêta là : il était sorti très meurtri de sa captivité à Breendonk et, par la suite, la RTBF lui consacra un documentaire sous le titre évocateur de « Wilchar, les larmes noires.

Défendre la mémoire

Des magistrats préconisent la visite de Breendonk à certaines personnes qui affichent leurs convictions néonazies ou néofascistes.

C’est une initiative louable, selon moi, mais elle n’est encore que parcimonieuse et, aux quatre coins de la planète, le bruit des bottes se fait donc à nouveau entendre.

Des bottes prêtes à écraser tous ceux qui dérangent les régimes dictatoriaux, d’extrême droite, les complotistes et conspirationnistes, comme on le rappelle au Fort de Breendonk, là où il y eut 3.500 détenus, 184 fusillés, 23 pendus et une centaine de morts des suites de mauvais traitements, de torture et d’épuisement.

Des êtres humains qui y ont souffert pour que nous puissions vivre libres.

Franz Bridoux, victime des nazis à l’âge de 20 ans (Photo L.D.)

En 1943, Franz Bridoux (1924 -2017) avait 20 ans et était membre de la section du Front de l’Indépendance du Rassemblement National de la Jeunesse, militait dans la presse clandestine, lorsqu’il fut pris dans une série d’arrestations en cascade.

Après avoir transité par les caves aux tortures de la Gestapo à Bruxelles, il se retrouva dans le camp d’Esterwegen et assista à la création de la Loge « Liberté Chérie » dans le baraquement n°6 du Camp de concentration Ermslandlager VII d’Esterwegen, réunions maçonniques qui se déroulaient dans la plus grande clandestinité.

Lors de la « Marche de la mort », il put s’enfuir et, à chaque fois que nous en parlions, cet homme profondément humaniste racontait cet épisode qui marqua de son empreinte mon esprit à tout jamais :

« Quelques-uns d’entre nous ont réussi à s’échapper du convoi grâce à un fermier allemand qui nous a hébergés en prenant un risque considérable pour lui-même et sa famille.

C’est pourquoi je ne cesse de clamer que nous n’avons pas combattu les Allemands, mais les nazis !

Dans la résistance, les uns combattaient les ‘‘boches’’ pour défendre la Patrie, les autres se battaient contre les nazis pour sauver la Liberté. »

Comme Robert Badinter, homme politique, juriste et essayiste français, principalement connu pour son combat contre la peine de mort, dont il obtint l’abolition en 1981, il clamait sans relâche que : « Défendre la mémoire, c’est surtout ne pas se laisser enterrer par celle-ci. »

Une autre victime du nazisme passée par les caves de la Gestapo à Bruxelles, fut Rosa Ehrlich (1921-2013), réfugiée allemande en Belgique avec ses parents. Durant l’Occupation, elle s’engagea dans la résistance et en juillet 1943 fut arrêtée sur dénonciation pour avoir distribué des journaux clandestins.

Envoyée au camp de Malines[1], puis déportée dans celui d’Auschwitz-Birkenau avec le vingt-quatrième convoi d’avril 1944, elle y subit les violences et traitements inhumains infligés par le docteur Mengele (1911-1979), criminel de guerre, actif dans la Shoah, qui effectuait des expérimentations médicales souvent mortelles sur des détenus (amputations inutiles, infections volontaires par le typhus, injections chimiques dans les yeux pour modifier leur couleur…)

Après la guerre, il fuit au Brésil et ne fut jamais jugé pour ses multiples crimes.

Quant à Rosa Ehrlich, elle survit durant trois jours à la terrifiante Marche de la mort et rejoignit le camp de Bergen-Belsen, d’où elle fut libérée le 15 avril par les soldats anglais.

De retour à Bruxelles, elle constata que toute sa famille avait disparu.

Elle épousa Maurice Goldstein (1922-1996), médecin, résistant, rescapé d’Auschwitz et, à deux, ils créèrent la Fondation Auschwitz afin de pérenniser le devoir de mémoire, lutter contre toute forme de nationalisme et de racisme.

Souvent, je corrobore ces faits historiques par des propos d’Albert Camus (1913-1960), Prix Nobel de Littérature, qui fut un résistant très actif lors de la Seconde Guerre mondiale dans son rôle de journaliste engagé à Combat : « Le fascisme, c’est le mépris. Inversement, toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. »

Terminons-en avec ces gens qui arborent des signes rappelant les heures très sombres de l’Humanité par un extrait de l’article de Jean-Paul Marthoz, journaliste et essayiste[1] : « Le ‘‘oui mais’’ appartient à la famille rhétorique des fausses équivalences. Comme celle, indigne, qui conduit aujourd’hui des manifestants antivaccin à afficher l’étoile jaune pour dénoncer la ‘‘dictature sanitaire’’. Sauf, comme le soulignait Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès : ‘‘ L’étoile jaune menait tout droit ceux qui la portaient, et ceux qui refusaient de la porter, dans les camps de la mort.’’ »

Liberté, j’écris ton nom

« (…) Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

(…) Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté. »

Paul Éluard (1895-1952)

Extraits de Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin) – Au rendez-vous allemand (1945, Les Editions de Minuit)

Breendonk : (Photos Marie-Paule Peuteman)

  1. La caserne Dossin à Malines fut un autre lieu d’horreur où étaient « triés » des Juifs et des Tziganes. Sur quelque 26.000 déportés passés par Malines, seulement 1.200 survécurent. Un musée et un centre de documentation sur l’Holocauste jouxtent la caserne.

Filles et garçons entre l’inné et l’acquis

Marie Béclard - FAML

« Tu vois c’est une vraie fille: elle aime le rose et les poupées”, “les filles savent faire deux choses en même temps mais elles sont incapables de lire une carte routière”…, “les garçons sont meilleurs en mathématiques car il y a une bosse dans leur cerveau”, “les hommes sont violents, c’est dans leur nature”… Tout cela, c’est la preuve que c’est inné, que dès la naissance on est programmé ainsi et qu’on ne peut rien y changer… Dans cent ans, on en sera toujours là.

Combien de fois a-t-on entendu ces phrases ? Combien de fois a-t-on douté en se demandant et “ si c’était vrai finalement?” . Parce que oui ma fille aime les poupées et est forte en français alors que mon fils préfère les lego et présente des facilités en mathématiques.

En 1949, Simone de Beauvoir écrivait dans un essai philosophique Le deuxième sexe: “On ne naît pas femme on le devient”. Elle affirmait ainsi que l’inégalité homme/femme est culturellement construite, et non naturelle. Des inégalités qui pèsent sur les femmes mais également sur les hommes.

Aujourd’hui, d’un côté on clame haut et fort que tous les êtres humains qu’ils soient femmes et/ou hommes ou transgenre[1] sont différents, pensent et agissent différemment et indépendamment de leur identité de genre mais doivent bénéficier des mêmes droits et des mêmes chances. Pourtant, on continue inlassablement d’attribuer des comportements et des caractéristiques à un sexe plutôt qu’à un autre: c’est parce c’est une fille qu’elle aime prendre soin des autres et rêve d’être aide-soignante … c’est parce que c’est un garçon qu’il a un excellent sens de l’orientation… On pourrait croire qu’en 2022, une question telle que “mon sexe influence-t-il mes goûts et mon intelligence” est réglée par la science et les progrès en imagerie cérébrale ou encore que les connaissances en biologie et en sociologie ont mis fin au débat mais ce n’est pas le cas.

Deux clans s’opposent toujours. Le premier défend un déterminisme biologique inné: les filles et les garçons fonctionnent définitivement de manière distincte à cause des gènes, des hormones et du cerveau. Dès la naissance, le cerveau serait différent selon notre sexe, ce qui influerait sur nos capacités: les filles sont douées pour les langues et les garçons excellent en mathématiques et ont un sens de l’orientation hors pair. On voit régulièrement sur internet des vidéos qui tentent de démontrer qu’il existe des différences qui sont innées entre fille et garçon. Une d’entre elles[2], a déjà été vue plus de 148 950 fois et se propose d’expliquer comment éduquer un petit garçon et insiste bien sur la différence avec “éduquer une fille”puisque les “différences hormonales et cérébrales entre les genres font que les garçons se développent différemment des filles et qu’ils sont plus nerveux et ont davantage tendance à bouger”. Ils ont une plus grande faculté de concentration et un meilleur raisonnement arithmétique, ce qui leur sera d’une grande aide à l’école. Les garçons se distinguent par leurs aptitudes mécaniques et spatiales, ce qui peut être facilement observé lorsqu’on s’attarde sur la manière dont ils construisent des structures avec leurs jouets. Dans cette vidéo, ils nous expliquent également que c’est aussi difficile que d’élever une fille car ils vont aussi pleurer (on est rassuré, les garçons peuvent pleurer) et faire des caprices de temps en temps (on ne sait pas s’ils en font plus ou moins que les filles) . La vidéo présente les choses comme si c’était scientifiquement prouvé mais quelles sont les preuves? On l’ignore.

Les défenseurs des différences innées utilisent des arguments et des études scientifiques qui sont souvent anciennes comme celle de Pierre Broca par qui durant la deuxième partie du XIXe siècle cherchait à établir le lien entre le volume du cerveau et l’intelligence. L’anatomiste déduit à l’époque que puisque le cerveau masculin est généralement plus gros que celui des femmes, cela explique la suprématie de l’intelligence des hommes. Pierre Broca démontre lui même que sa théorie est biaisée par ses propres stéréotypes: “On s’est demandé si la petitesse du cerveau de la femme ne dépendait pas exclusivement de la petitesse de son corps. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que la femme est en moyenne un peu moins intelligente que l’homme[3]”. Une recherche orientée ne peut donner que des résultats orientés. Ils savent pourtant déjà à l’époque que des variations importantes peuvent exister entre deux personnes de même sexe puisque le cerveau d’Anatole France pesait 1 kg quand celui de Ivan Tourgueniev était estimé à 2 kg. L’idée était donc clairement de prouver la supériorité de l’homme sur la femme et il a donc utilisé les éléments qui allaient dans le sens de ce qu’ils voulaient démontrer.

Dans l’autre clan, il y a les partisans d’une différence entre sexe qui se construit progressivement sous l’influence de la société. Ils appuient leurs théories sur les découvertes sur la plasticité du cerveau, une malléabilité qui lui permet d’évoluer au gré des expériences vécues et des apprentissages. Le sexe biologique ne définit donc pas qui nous sommes mais l’éducation différenciée que l’on peut recevoir peut être responsable des différences qui existent objectivement entre garçons et filles.

De plus, d’autres études tentent de démontrer que le volume et la forme du cerveau n’ont rien de décisif dans l’intelligence et qu’ils varient tellement fort d’un individu à l’autre qu’on ne peut même pas dégager des traits propres à un cerveau masculin ou féminin. Sur plus de dix mille études, seulement 2,6% ont montré des différences qui s’expliquent par le sexe.[4]

Il est vrai que les cerveaux masculins et féminins différent sur le plan biologique puisqu’ils contrôlent les fonctions physiologiques qui sont nécessaires à la reproduction sexuée.[5]Personne ne va nier que chez la femme en âge de procréer, les neurones de l’hypothalamus s’activent pour déclancher l’ovulation et qu’un tel phénomène ne se produit pas chez les hommes. Il y a donc objectivement des différences entre le cerveau féminin et masculin mais jusqu’à présent, il n’a pas été démontré que cela avait un impact sur l’intelligence.

De plus, il est très difficile d’évaluer l’importance de l’inné et de l’acquis puisque dès les premiers moments de vie de l’enfant et même déjà in utero, on se comporte différemment avec lui selon qu’on lui attribue le sexe féminin ou masculin. Son environnement (la couleur de sa chambre, de son matériel de puériculture, de ses vêtements ne seront souvent pas de la même couleur) mais aussi la façon dont on va lui parler, le type d’interaction qu’on aura avec le bébé sera différente même si cela se passe de manière totalement inconsciente chez l’adulte. Ensuite, les jouets qu’on lui offrira seront de plus en plus genrés au fil des mois.

On sait désormais que des différences de vécu peuvent influencer le rythme de croissance de certaines régions du cerveau qui est très malléable chez les plus jeunes. Cela peut donc expliquer les différences cérébrales observables. En effet, quand un nouveau-né vient au monde, il possède cent milliards de neurones mais les synapses, les connexions neuronales, commencent seulement à se former, puisque seulement 10% sont présentes à la naissance et donc 90% doivent encore se construire. Prétendre que tout se joue avec le sexe de l’enfant semble réducteur quand on voit le pouvoir des connexions neuronales, c’est l’expérience qui façonne le cerveau.

On entend souvent dire que les garçons ont un sens de l’orientation bien plus développé que les filles et que c’est inné et on ne cherche pas toujours plus loin. Si des différences peuvent exister et être objectivées, elles ne trouvent pas leurs racines dans des capacités cérébrales présentes dès la naissance mais dans l’environnement social et culturel.

A l’âge de 2 ans et demi, l’enfant s’identifie au féminin ou masculin mais depuis sa naissance, il évolue dans un environnement sexué et les filles et garçons ne sont pas amenés à réaliser les mêmes activités. Les garçons sont davantage poussés à jouer à l’extérieur et à des jeux comme le foot alors que les filles s’amusent davantage à l’intérieur et donc stimulent moins leur compétence de repérage. L’écart de compétence entre les deux sexes tend à s’accroître avec les années ce qui va dans le sens de l’acquis plutôt que de l’inné.[6]

Catherine Vidal balaie le dilemme qui oppose l’inné de l’acquis: “l’inné apporte la capacité de câblage entre les neurones, l’acquis permet la réalisation effective de ce câblage”. On est à la fois un être biologique et social. “Le sexe biologique ne suffit pas à faire un homme ou une femme”.

Des discours médiatiques véhiculent toujours le message que les différences entre filles et garçons sont le fruit des gènes, du cerveau, des hormones et cela malgré toutes les découvertes et avancées scientifiques qui montrent l’importance de la plasticité cérébrale. On continue à expliquer les différences de comportement entre les hommes et les femmes par un déterminisme génétique sans tenir compte des raisons sociales et culturelles. [7]

C’est probablement plus facile de penser que les discriminations sont dues à des différences innées plutôt que de remettre en cause tout le système qui les a créées.

Il est important d’insister sur le fait que tout tend à montrer actuellement que si les filles et les garçons ne font pas les mêmes choix d’orientation scolaires ou professionnels ce n’est pas à cause de différences cognitives, que si les femmes se trouvent toujours majoritairement en charge de l’éducation des enfants et du ménage, les hormones n’en sont pas la cause et que lorsqu’un homme agresse une femme, utiliser l’excuse de la testostérone qui rend les hommes agressifs est une insulte pour tous les hommes qui se comportent correctement.

Ce n’est en rien un problème qu’une petite fille aime jouer à la poupée et que plus tard elle choisisse de prendre un congé parental pour s’occuper de ses enfants, qu’elle préfère travailler à mi temps . Ce n’est un problème que si elle fait ce choix car la société entière fait inconsciemment pression sur elle et qu’elle croit que c’est son devoir même si elle préfèrerait recommencer à travailler directement. C’est également un problème si le petit garçon ne joue pas à la poupée parce qu’un jouet “dit de fille” est moins valorisé et qu’on a construit son éducation de telle manière qu’il ne prendra aucun de ses congés de paternité ou parental car lui il est là pour rapporter de l’argent. Comme, c’est un problème, si un homme ne peut pas pleurer et si la testostérone permet de justifier un viol ou tout autre acte violent.

Si aucune théorie n’a vraiment pu démontrer les différences innées, tout tend à démontrer que la société: nos parents, nos milieux de socialisation (crèche,écoles, activités parascolaires…) nous façonnent jour après jour de manière inconsciente.[8]

  1. Transgenre est utilisé ici dans le sens de personne qui ne s’identifie ni au sexe masculin, ni au sexe féminin)
  2. https://fb.watch/bwtiifzQ52/
  3. “Broca, 1861” dans C. VIDAL, Cerveau, sexe et idéologie”dans Diogène 2004, 4, 208, p.149.
  4. C. VIDAL, Hommes et femmes, avons-nous le même cerveau?, Paris, 2012, p.23.
  5. C. VIDAL, Hommes et femmes, avons-nous le même cerveau?, Paris, 2012, p.24.
  6. DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons. Socialisation différenciée?, Grenoble, 2006.
  7. C. VIDAL, Hommes et femmes, avons-nous le même cerveau?, Paris, 2012, p. 32-33.
  8. COLLET, L’école apprend-elle l’égalite des sexes?, France, 2019, p.30.

Contre les mesures sanitaires

Manifestation européenne du 23 janv 2022, 50,000 marchent contre les mesures sanitaires, contre la vaccination, présence nombreuse des partisans du mouvement « We are Awake»

Photos : Francis Duwyn – © 2022 Francis Duwyn