Toutes coupables

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

Etre une femme libérée tu sais c’est pas si facile – Cookie Dingler

Mademoiselle, votre tenue est inadéquate

Ce lundi 21 mars, une élève de l’Athénée Royal Air Pur à Seraing a été punie pour avoir porté une tenue jugée «  inappropriée » par la direction de l’établissement. Avec le retour des beaux jours, les tenues plus légères font leur apparition et avec elles les remarques désobligeantes voire totalement sexistes à l’égard de celles qui les portent.

La jeune fille porte, alors que les premiers rayons d’un soleil printanier réchauffent nos journées, un legging, un top et une chemise mais pas de soutien-gorge et, le cours de gymnastique terminé, s’apprête à rentrer chez elle.

C’est alors que la proviseure de l’établissement l’arrête et lui signifie que sa tenue est « inappropriée » et qu’elle risque d’embarrasser la direction si des garçons se mettent à les regarder, elle et ses amies, ou à lancer des rumeurs les concernant. Et, se basant sur le règlement d’ordre intérieur de l’école qui stipule que les élèves doivent porter une tenue vestimentaire appropriée, elle décide que ce n’est pas le cas de cette étudiante et lui inflige aussitôt une retenue de 4 heures.

Il appartiendrait donc aux jeunes filles de surveiller leur tenue vestimentaire afin de ne pas exciter la concupiscence de jeunes gens apparemment incapables de contrôler et de maîtriser leurs ardeurs.

Surveille ton verre

De même, lorsque faisant la fête dans un bar, les filles sont priées de surveiller leur verre afin que n’y soient pas versées subrepticement le GHB ou le rohypnol, deux substances plus communément appelées drogues du viol. Le rohypnol est un puissant sédatif hypnotique qui, associé à l’alcool ou au cannabis voit ses effets décuplés et devient vraiment dangereux, effets qui se produisent extrêmement rapidement, empêchant celle qui en est la victime, de réagir à temps. Ils durent environ 8 heures et permettent ainsi au violeur de prendre son temps.

Désinhibition, somnolence, nausées et perte de la capacité de jugement, de mémoire, difficulté à s’exprimer clairement et à marcher droit… à forte dose même, perte de conscience sont les terribles conséquences de l’ingestion de cette drogue.

Quant au GHB, il est un anesthésiant euphorisant utilisé en médecine pour les anesthésies générales. Celle qui l’absorbe ressent diverses sensations comme une ivresse avec flottement, a des pertes d’équilibre et de repère de temps, elle perd toute inhibition et ressent une impression de bien-être, d’euphorie…

A forte dose, le produit provoque une réaction hypnotique et annihile tout souvenir au réveil. Un risque de convulsions ou même de coma ne sont pas à exclure.

Ces drogues disparaissant rapidement de l’organisme, il est particulièrement difficile de les déceler et de prouver qu’il y a eu viol. L’agresseur ne ressent généralement aucune culpabilité puisque la victime, désinhibée par les effets de la drogue, peut paraître consentante et n’a généralement aucun souvenir de ce qui s’est passé. Porter plainte devient presque impossible, ce qui accroît encore la douleur de celle qui a subi l’acte violent.

On suggère donc aux jeunes filles de ne pas laisser leurs verres sans surveillance et de ne pas en accepter de la part d’inconnus. Elles doivent aussi privilégier les sorties entre amis et éviter de porter des tenues qu’un agresseur potentiel pourrait prendre comme une invitation à un rapprochement très intime.

Pourquoi pas, comme certains le conseillent, donner aux jeunes filles des cours de self defense qui leur permettraient de mettre KO un éventuel agresseur. D’autres encore les voilent, parfois entièrement pour les soustraire à la concupiscence des hommes. Une chevelure est donc si excitante qu’elle est capable de provoquer chez l’homme un désir incontrôlable.

Faire la fête sans contraintes, sans avoir à craindre d’ingérer des produits toxiques est devenu difficile. Les jeunes filles victimes d’attouchements voire de viols sont donc coupables, coupables d’être trop « aguichantes », trop « sexys » et trop imprudentes. L’agresseur, face à tant de provocations, succombe et ne ressent aucune culpabilité d’avoir profité d’un corps qu’il estimait offert.

Tu as ce que tu mérites…

Quant aux victimes de violences conjugales, leurs bourreaux les manipulent à un point tel qu’elles finissent par se sentir responsables des coups qu’ils leur portent. Si elles sont battues c’est qu’elles l’ont bien cherché , tous les prétextes sont bons.

Culpabilité, honte, ce sont elles qui les éprouvent, elles, les victimes.

Idem dans les affaires de harcèlement.

L’affaire Weinstein est emblématique de la culpabilisation des femmes qui ont eu le courage de porter plainte contre le producteur. Tant les hommes que d’autres femmes leur reprochent au mieux de n’avoir pas réagi plus tôt au pire, de l’avoir cherché…

Elle l’a bien cherché

Aucune victime de viol, de violence, de harcèlement ne l’a cherché. Qu’elle ait bu, qu’elle porte une mini-jupe ou un décolleté plongeant, rien ne justifie de lui faire subir de tels outrages, rien ne justifie de la rendre responsable, coupable de sa propre agression.

Et, lorsque la victime porte plainte, il appartient à celui qui reçoit cette plainte non pas de souligner une possible ivresse, non pas de lui faire remarquer une tenue « aguichante », un maquillage outrancier qui feraient d’elle une provocatrice, il lui appartient de constater les faits, de les enregistrer et d’incriminer le présumé coupable et non pas de blâmer la victime, de s’en moquer, de ne pas entendre sa souffrance.

Pourquoi a-t-elle attendu pour en parler ?

Si certaines victimes en parlent, portent plainte immédiatement après l’agression, pour d’autres, le chemin pour y arriver est long et pénible. Que ce soit la honte qu’elles ressentent, la peur de ne pas être crues, que ce soit le déni, la volonté d’enfouir au plus profond de leur mémoire, le souvenir du traumatisme qui les a laissées souillées, meurtries dans leur corps et dans leur esprit, pour celles-là la démarche est difficile. Souvent le déclic aura lieu lorsqu’une autre femme ayant vécu la même expérience violente s’exprimera. De victime isolée, elle deviendra alors partie d’un groupe, avec la force probatoire qu’il représente.

Tant l’affaire Weinstein que celles des bars autour du cimetière d’Ixelles suivis par de nombreux autres comme les Jeux d’hiver, que celle des acteurs harceleurs,…, sont emblématiques de la puissance que détiennent les victimes et ceux qui les soutiennent lorsqu’elles s’unissent : condamnation pénale du producteur, bars désertés, retrait du casting,…

Conclusion

Non, la femme n’est pas coupable, non elle n’est pas responsable des violences qui lui sont infligées. Oui la femme peut s’habiller comme il lui plaît de le faire, et oui elle peut boire et même être saoule si ça lui chante, non elle ne doit pas être paranoïaque et surveiller son verre en permanence, non elle ne doit pas devenir miss karaté pour pouvoir vivre en sécurité. Oui la femme doit pouvoir vivre librement en toutes circonstances.

C’est aux hommes de respecter les femmes, c’est à nous d’éduquer nos garçons dans ce sens, c’est à la police d’écouter les victimes avec bienveillance plutôt qu’ironie ou mépris. Des inspecteurs sont spécialement formés dans ce sens dans certains commissariats.

Ne nions pas non plus que les hommes peuvent aussi être victimes de violence, de harcèlement voire même de viol et si les cas sont beaucoup plus rares, ils sont aussi graves et traumatisants.

Ils sont d’ailleurs plus généralement le fait d’autres hommes. Rares sont les femmes qui droguent, qui sont à ce point excitées par les tenues vestimentaires des messieurs qu’elles ne peuvent résister à des pulsions malveillantes.

Soyons quand même de bon compte et reconnaissons que la majorité des hommes ne sont pas des violeurs, des agresseurs, des prédateurs. Ils ne sont en fait qu’une petite minorité mais une minorité particulièrement malfaisante.

 

Sur le plateau du Heysel

Avec les réfugiés ukrainiens, entre espoirs et galères

Photos: Francis Duwyn

Leurs yeux ne peuvent même plus pleurer

Pierre Guelff - Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

Ils sont des millions à avoir fui les horreurs de la guerre en Ukraine. Leurs yeux ne peuvent même plus pleurer cet exil. Depuis leur arrivée en zone sécurisée, à quelque 2 000 km de chez eux, nous avons été à leur écoute et nous sommes à leurs côtés, dans ce moment de solidarité exceptionnel où beaucoup de citoyens se mobilisent au nom de la fraternité universelle.

En compagnie de dizaines de professionnels et de bénévoles, principalement de la Croix-Rouge, nous sommes depuis le lundi 7 mars 2022 au cœur de la tragédie. Nous, ce sont des citoyens, comme vous et moi, aguerris ou non au geste humanitaire, qui avons réagi au quart de tour pour secourir d’autres humains, pendant que militaires, lobbys, marchands de canons, adeptes de l’arme nucléaire et politiciens à leur solde décident du sort de millions de gens. Comme vous et moi.

Ce n’est pas Ludovine Dedonder, ministre social-démocrate, issue du sérail « socialiste », celui où est né le concept de l’antimilitarisme cher au monde ouvrier et à Jean Jaurès, qui me contredira, elle qui ne cesse de réclamer (et d’obtenir) des augmentations du budget de la « Grande Muette » pour l’achat d’armes.

Aujourd’hui, c’est l’Ukraine et la Syrie, demain ce sera peut-être la France et la Belgique. Ne l’oublions jamais, car, ces gens-là, les marchands de mort, n’ont ni foi ni loi, seul le business compte à leurs yeux.

Symbole émouvant des bagages et poussettes d’enfants dans le hall d’entrée de l’ancien hôpital Bordet

Des yeux, les Ukrainiens ne peuvent les cacher. Ils reflètent l’horreur et la détresse, l’angoisse et, toujours, cette reconnaissance à l’égard de ceux qui tentent, vaille que vaille, de les soutenir, de les guider dans leur exil.

Au premier jour, une Ukrainienne m’expliqua qu’elle avait fui dans leur petite voiture familiale avec son mari, leurs quatre enfants, laissant sur place sa mère, très âgée, qui n’avait pas voulu les « encombrer », dit-elle, et ne plus avoir la force physique et morale de quitter son logement.

Une autre, accompagnée de ses trois petits enfants, déclara être tétanisée à l’idée d’avoir laissé son mari au pays car, boulanger, il voulait continuer à produire du pain tant qu’il le pouvait, pour nourrir la population entre deux bombardements.

Un autre venait de se faire opérer d’un cancer et n’avait plus assez de médicaments pour supporter la douleur, était à bout de force dans la longue file d’attente pour obtenir un sésame permettant un séjour et une couverture sociale.

Allant de l’un à l’autre, les équipes baptisées « Pour mesures exceptionnelles » déploient une humanité qui, face à l’innommable, réchauffe quelque peu les cœurs.

Certes, cet élan de solidarité est exceptionnel mais, il y a lieu de souligner, aussi, que d’autres peuples méritent pareille attention et sollicitude de la part des autorités, et, encore, qu’il y aura lieu de maintenir constante cette aide et que cela ne soit pas un « one shot », enfin, et, surtout, que les citoyens se mobilisent pour inciter leurs dirigeants à parler de paix plutôt qu’à cautionner ceux qui fourbissent leurs armes.

Une semaine après les conditions plus que difficiles, pour ne pas dire délicates, à Bordet, le cap fut mis vers l’immense hall 8 du Heysel où un accueil digne de ce nom fut organisé.

D’aucuns, se demandèrent la raison de pareil déficit au départ de l’accueil, d’une telle situation de désorganisation structurelle, de la flagrante insuffisance de personnel encadrant efficacement ces gens apeurés et perdus, tous des manques heureusement quelque peu atténués par les bénévoles.

La réponse est simple : quand des Maggie De Block, secrétaire d’État à l’Asile, et Theo Francken, ministre de l’Asile et des Migrations, passèrent beaucoup de leur temps à imaginer des stratégies de refoulement des réfugiés et de leur renvoi dans leurs pays d’origine (souvent en guerre), il fallut à l’État (re)construire un accueil humanitaire performant.

File d’attente d’exilés devant l’Institut Bordet

Et la Paix ?

Jamais, il ne me sera possible d’oublier le sourire de cette petite fille à qui nous permettions de garder « pour toujours » les trois poupées qu’elle serrait contre elle dans le coin des jeux du Centre d’accueil.

Jamais, il ne me sera possible d’oublier les pleurs de cette mère entourée de ses deux adolescents, le père étant resté « au pays », confondue en remerciements alors qu’elle recevait un colis alimentaire au local de la Croix-Rouge de la localité bruxelloise où ils étaient hébergés.

Ces deux moments de solidarité prévalurent sur tous les discours politiques et, il est à nouveau apparu dans la société la nécessité d’œuvrer (militer) pour la Paix.

À ce sujet, malgré le régime dictatorial appliqué par leur gouvernement, l’exemple de milliers de Russes clamant publiquement leur opposition à la guerre et leur solidarité envers d’autres êtres humains victimes collatérales de la toute-puissance et de la mainmise de l’industrie de l’armement et du nucléaire (qui se frotte les mains devant pareil pactole), sans omettre la propagande militariste, cet exemple, donc, ne peut nous laisser insensibles.

« Aucune armée n’est sortie ‘‘gagnante’’ d’un conflit depuis la Seconde Guerre mondiale », rappela Boris Cyrulnik, éthologue et chantre de la résilience, à l’occasion de la guerre en Ukraine et, il est patent que tout conflit se termine obligatoirement par un arrêt de l’utilisation des armes.

Alors ? Et si notre société déployait un arsenal de pacifisme plutôt qu’entretenir le mythe de la « Grande Muette », celle qui apprend à tuer ? Un pacifisme militant doublé d’un activisme citoyen développé dans un esprit de solidarité sans frontières, n’est pas utopique.

Faut-il rappeler, encore et encore, que « l’utopie n’est pas ce qui est irréalisable, mais ce qui est irréalisé », comme le clama Cabu, dessinateur de presse et pacifiste notoire ?

Un génocide en Ukraine ?

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

Des corps entassés dans des fosses communes, des morts jonchant les rues, femmes, hommes et enfants victimes des exactions commises par les soldats russes, la communauté internationale cherche à qualifier ces faits d’une grande cruauté.

Ukrainiens, Américains et Canadiens considèrent en effet que l’opération russe en Ukraine s’apparente à un génocide.

Tandis que d’autres pays ont de la situation une vision différente. La France et l’Allemagne estiment le terme inapproprié et préfèrent parler de crime de guerre ou de crime contre l’humanité.

Qu’en est-il ? Génocide ou crime contre l’humanité ?

Il faut savoir que la qualification de génocide ressort de la justice et non de la politique. C’est pourquoi il ne suffit pas de parler de génocide, il faut le prouver par la réunion de plusieurs conditions énumérées par la définition officielle. Le terme a été défini en 1948 par une convention des Nations-unies suite à la Shoah comme étant un « crime commis dans l’intention de détruire, de manière totale ou partielle, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

Cette définition comprend donc deux éléments essentiels.

En premier lieu, une énumération exhaustive des groupes pouvant faire l’objet d’un génocide à savoir une race, une ethnie, une nation ou une religion.[1]

Deuxièmement, l’existence d’un génocide nécessite de démontrer, dans le chef de l’auteur, une intention de détruire le groupe en tant que tel.

Génocides reconnus par l’ONU

Le génocide des Arméniens par le pouvoir ottoman

Perpétré en 1915 par l’empire ottoman, allié de l’Allemagne, le massacre a été reconnu en tant que génocide par une sous-commission des droits de l’Homme de l’ONU en 1985 et dans une résolution du Parlement européen en 1987. Le massacre des chrétiens arméniens fit plus d’un million de victimes.

Bien que reconnu comme tel par l’ONU et par les Parlements d’une trentaine d’États, la qualification de génocide est contestée par d’autres au premier rang desquels se trouve bien évidemment la Turquie. Le pays admet des massacres mais récuse le terme de génocide. Une guerre civile en Anatolie doublée d’une famine serait responsable de l’hécatombe qui aurait fait autant de victimes chez les Turcs que chez les Arméniens.[2]

Génocide des juifs par le régime nazi

Holocauste, shoah, ces termes recouvrent l’entreprise d’extermination systématique menée par l’Allemagne nazie à l’encontre du peuple juif durant la seconde guerre mondiale au nom d’une soi-disant pureté et d’une supériorité de la race aryenne. Le mythe du grand blond aux yeux bleus dont le führer était un parfait représentant !

L’anéantissement d’un groupe devient une politique gouvernementale officielle dès 1942 lors de la conférence de Wannsee, sous l’appellation de « solution finale ».

Ce sont six millions de juifs qui y laisseront la vie.

Moins médiatisés, les roms et les Sinti ont subi le même sort.

Le génocide des Tutsis par le pouvoir hutu du Rwanda

Le génocide rwandais s’est déroulé du 6 avril au 4 juillet 1994. En seulement 100 jours, environ 800.000 personnes, principalement de la tribu Tutsi, minorité ethnique, ont été massacrées par les forces gouvernementales, par des milices et même par des citoyens ordinaires, des voisins. Des femmes et des jeunes filles ont subi des violences sexuelles. Des Hutus modérés ayant refusé de participer au massacre l’ont payé de leur vie.

Ce génocide est l’aboutissement de décennies de haine envers la population tutsie de la part d’extrémistes hutus à la tête de l’État. Il est aussi la conséquence de la mauvaise gestion par l’ONU censée maintenir la paix sur le territoire et de l’indifférence de la communauté internationale qui préférait y voir une guerre et ce, malgré les appels qui incitaient la population à commettre des massacres diffusés sur RTLM (radio-télévision des Mille Collines).

Crimes contre l’humanité, crimes de guerre

Quant aux crimes contre l’humanité, ils sont définis par l’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale comme étant des actes « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque »

C’est donc toute population civile qui est protégée par l’incrimination de crime contre l’humanité sans nécessité de prouver une quelconque volonté d’anéantissement d’un groupe tel que défini par le concept de génocide.[3]

Qu’il s’agisse de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocides, tous sont imprescriptibles.

Si une définition du génocide en détaille les éléments nécessaires, force est de constater que de vifs débats ont eu lieu quant à la portée du terme alors même, et au vu de la gravité des faits incriminés, qu’il devrait exprimer une vision commune.

Démontrer l’intention de détruire en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tels est difficile et nombreux sont ceux qui font de cette condition une interprétation personnelle éloignée de celle voulue par le législateur.

Bosnie-Herzégovine, un même cas, deux interprétations

Ainsi, les exactions commises par les Serbes en Bosnie-Herzégovine n’ont pas été qualifiées de génocide par la Cour internationale de justice qui y a vu les conséquences des conquêtes militaires et non la volonté d’éradiquer un groupe en particulier.

Le crime de génocide sera par contre retenu s’agissant du massacre de Srebrenica en raison de son caractère systématique visant essentiellement des musulmans.

Les Khmers rouges au Cambodge

Certains voient dans les massacres commis par les Khmers rouges des crimes constitutifs de génocide alors même qu’aucune race, ethnie ou religion n’était visée.

Les Indiens d’Amérique

Malgré les massacres de 14 millions d’Amérindiens – certains parlent de plus de 50 millions – depuis l’arrivée de Christophe Colomb sur le territoire américain, il n’est pas question d’un génocide reconnu par l’ONU pour ce qui concerne ces populations.

Ici aussi, ce sont deux visions qui s’affrontent. Les uns y voient un génocide en raison de l’ampleur des massacres, les autres considèrent que l’étalement dans le temps de la disparition de ces populations ne justifie pas l’appellation de génocide.

Conclusion : crimes de guerre ou génocide ?

Début mars, le procureur de la Cour pénale internationale a fait ouvrir une enquête sur la situation en Ukraine.

Cette institution basée à La Haye est née en 2002 pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les génocides et plus récemment les crimes d’agression.

Il semble que, à l’heure actuelle, la procédure porte essentiellement sur des potentiels crimes de guerre, qualificatif qui regroupe toutes les actions commises par des combattants à l’encontre des populations civiles, ainsi que l’utilisation d’armes interdites.

Si la procédure aboutit à reconnaître l’existence de crimes de guerre, celle-ci pourrait mener les responsables devant les tribunaux nationaux ukrainiens ou étrangers ou devant la cour pénale internationale. Pour cela, des preuves doivent être réunies, cette mission est accomplie par des enquêteurs dépêchés sur les lieux par la CPI. Ceux-ci ont relevé de nombreuses violations du droit international : école détruite par des bombes à sous-munitions (armes interdites par la convention d’Oslo) , viols, civils tués, exécutions sommaires,…

Qui sera accusé ?

En premier lieu, Vladimir Poutine, chef des armées ayant validé toutes les opérations militaires. Viennent ensuite le gouvernement et les hauts gradés de l’armée.

Quelles peines encourues ?

La condamnation éventuelle de Poutine reste très aléatoire. Celui-ci devrait être extradé par son pays, non signataire du statut de Rome, pour être jugé à La Haye. Cette hypothèse semble plus qu’improbable du moins tant qu’il est à la tête de l’État.

Nombreux sont ceux qui qualifient de génocide des massacres de grande ampleur commis contre des populations civiles et ce, bien que les conditions constitutives ne soient pas réunies. Or, il est important de ne pas galvauder le concept de génocide en considérant comme tels des crimes, certes graves, mais qui n’en réunissent pas les éléments.

Compte tenu de ces éléments, peut-on considérer les actes violents commis par la Russie en Ukraine comme étant un génocide ?

Doit-on plutôt y voir des crimes de guerre ou contre l’humanité commis dans le cadre d’opérations militaires en vue de la conquête de territoires ?

La question du génocide reste posée et n’obtiendra sa réponse qu’une fois le conflit terminé.

  1. Olivier CORTEN, une introduction critique au droit international, Éditions de l’ULB, 2017
  2. https://www.geo.fr/geopolitique/ou-en-est-on-de-la-reconnaissance-du-genocide-armenien-dans-le-monde-204559
  3. Olivier CORTEN, IBIDEM

La stérilisation volontaire, libre de choisir pour mon corps?

Marie Béclard - FAML

En 2022, de nombreuses personnes font le choix d’une stérilisation volontaire. Elles ont des profils très différents :d’une part des gens, femmes et hommes, qui ont eu des enfants et qui optent pour cette pratique pour ne plus devoir s’occuper de contraception, ne plus utiliser d’hormones, d’autre part des personnes qui ont fait le choix de ne pas avoir d’enfant. On les appelle les childfree. Les raisons évoquées par les childfree sont également nombreuses : simplement un non désir d’enfant, des raisons écologiques (on est déjà bien assez nombreux sur la planète et ce n’est pas la peine d’en rajouter , le refus du travail reproductif, l’envie de s’occuper de sa carrière, en passant encore par la peur de l’avenir (les guerres, les attentats, …) il serait irresponsable d’imposer cela à des enfants ou encore le refus de transmettre une maladie génétique ou héréditaire à une potentielle descendance.

La stérilisation volontaire, qu’est-ce que c’est?

La stérilisation concerne aussi bien les hommes que les femmes, elle consiste à supprimer la fécondité chez un être humain en le rendant incapable de procréer, sans pour autant modifier ses fonctions sexuelles ou endocrines. [1] Il existe différentes méthodes pour arriver à la stérilisation.

Dans nos sociétés actuelles, où femme rime encore très souvent avec maternité, les femmes dès la vingtaine passée reçoivent de nombreuses injonctions à la maternité :« et toi, c’est pour quand ? » ; « l’horloge biologique tourne », et si la personne dit ne pas vouloir d’enfant : tu ne veux pas d’enfant mais tu changeras d’avis un jour », « tu dois faire des enfants, c’est égoïste de ne pas en faire ».

Les childfree

Les raisons imaginées par le grand public et celles des personnes concernées ne sont pas toujours les mêmes. Pour l’opinion générale, les motivations qui semblent les plus évidentes sont :

l’absence d’instinct paternel ou maternel, l’absence d’intérêt pour les tâches propres à la vie de parent, le refus de sacrifier son temps pour des enfants ou encore des raisons économiques. Pour les childfree, le panel des raisons est beaucoup plus large. On les taxe souvent d’être égoïstes mais pour une partie d’entre eux c’est créer volontairement un autre être vivant qui l’est. Le parent crée un bébé non de façon désintéressée mais parce qu’on veut transmettre ses gènes, parce qu’on a peur de se retrouver seul en fin de vie, parce qu’on veut retenir son conjoint, ou encore parce que l’on cède aux pressions familiales et sociales. Un être qui devra assumer les erreurs des générations précédentes.

Pour d’autres, le refus de faire des enfants vient de leur intime conviction que le fait de ne pas mettre au monde d’enfant est un service à rendre à la planète qui est déjà surpeuplée.

Être Childfree n’est pas bien vu mais est probablement encore moins bien accepté quand on est une femme. Ne pas vouloir d’enfant continue d’étonner, voir de choquer.

Les médecins et la stérilisation volontaire

Nombreux sont les médecins qui refusent qui la stérilisation du patient parce que c’est une opération qu’on peut éviter en utilisant d’autres moyens de contraception. Les raisons invoquées pour refuser une stérilisation sont nombreuses : l’âge de la personne, le fait de ne pas avoir d’enfant ou pas assez (pour certains praticiens, il semblerait que même sept enfants ne soit pas suffisant), le fait d’être célibataire (car si on rencontre une personne qui veut des enfants, on peut regretter son choix) …

Mais en pratique, on observe qu’avoir 18 ou 40 ans, ne pas avoir d’enfant ou au contraire en avoir sept, avoir ou non des pathologies, être marié ou célibataire, rien n’empêche une personne d’essuyer un refus d’un médecin en termes de stérilisation volontaire. La demande de stérilisation amène souvent à la « confrontation entre le principe d’autonomie de la personne qui s’exprime par le respect de sa décision d’agent autonome d’une part et, d’autre part, la déontologie du médecin, encore parfois teintée d’un certain paternalisme ». [2] Mais qu’est-ce qui explique que de si nombreux médecins refusent les opérations de stérilisation volontaire?

La dangerosité de l’opération ?

La dangerosité de l’opération : il ne s’agit pas de grosses opérations, les risques sont donc limités et résident dans les risques inhérents à toute opération : l’anesthésie et les infections post opératoires. La vasectomie se fait même souvent en anesthésie locale.

Le taux élevé de regrets ?

Il y a d’abord peu d’études sur les regrets post stérilisation volontaire et les résultats connus montrent des taux de regrets assez faibles. Une étude de 2013 montre des résultats de 23/10 000 pour la ligature de trompe.

La stérilisation sur le plan juridique ?

La convention européenne des droits humains prévoit un « droit à la vie » et un « droit à disposer de

son propre corps ». La loi peut cependant prévoir des exceptions mais ce n’est pas le cas pour la stérilisation volontaire en Belgique qui donc relève du droit à la maîtrise de son corps. Il faut cependant être majeur pour qu’une procédure de stérilisation volontaire puisse être enclenchée.

Le consentement du patient est important pour ce type d’opération définitive mais il n’est en aucun cas légal de demander le consentement du ou de la conjointe. Un délai de réflexion de quatre mois peut être demandé.

Le médecin peut cependant refuser de procéder à l’opération pour des raisons éthiques mais il doit clairement informer son patient sur l’opération et lui renseigner un autre médecin qui effectuera celle-ci.

La stérilisation volontaire pour les femmes ou porteur d’utérus

Il existe différentes opérations possibles pour rendre une femme stérile.

La ligature tubaire consiste à « bloquer les trompes de Fallope afin d’empêcher l’ovule de se rendre à l’utérus » . Cette opération peut se réaliser de différentes manières :

la première méthode consiste à lier ou à cautériser les trompes en réalisant une laparoscopie sous anesthésie générale. Les trompes sont alors imperméables.

La deuxième méthode consiste à installer des clips qui obstrueront vont écraser les trompes et les obstruer à terme. Cette opération contrairement à la première implique la présence d’un corps étranger.

Une autre solution est l’hystérectomie. Il s’agit d’une opération plus importante puisqu’on enlève complètement l’utérus. On maintient généralement les ovaires pour éviter une ménopause précoce. En enlevant l’utérus, on supprime les règles.

L’ensemble de ces pratiques s’agit d’opérations qui sont très peu réversibles d’où l’inquiétude des médecins de les réaliser sur des personnes trop jeunes et qui pourraient ensuite le regretter.

La stérilisation pour les hommes ou personne disposant de spermatozoïdes.

Une seule méthode est disponible, il s’agit de la vasectomie.

Les spermatozoïdes sont produits dans les testicules et rejoignent l’urètre (le conduit qui évacue le sperme et l’urine) par les canaux déférents. L’opération vise à sectionner ou à boucher ces canaux déférents. Elle est permanente et irréversible. L’opération peut généralement se faire sous anesthésie locale et rarement sous anesthésie générale.

Elle est jugée efficace comme méthode contraceptive. En Angleterre, un homme sur cinq a recours à une vasectomie. On pratique beaucoup la vasectomie en Nouvelle-Zélande et au Canada mais en Belgique et en France, cela continue à bloquer. Bien que cette méthode de contraception ait fait ses preuves avec un taux de réussite à plus de 99% . L’opération est également peu coûteuse et bénigne.

Pourquoi les hommes sont-ils si peu nombreux à sauter le pas ?

La contraception n’est pas une affaire d’homme ? Depuis l’invention de la pilule féminine, ce sont les femmes (les personnes possédant un utérus et des ovaires) qui portent la charge de la contraception dans le couple. Si la pilule est certes une avancée majeur pour la femme, cela lui impose de prendre des hormones. Beaucoup de personnes n’y voit aucun soucis puisqu’il n’y a pas de réelles alternatives masculines et donc ne cherchent pas une solution qui n’incomberait pas à la femme.

Les représentations des médecins concernant la masculinité seraient également responsable du peu d’informations qui circulent sur la vasectomie. En effet, les professionnels sont nombreux à penser que les hommes ne sont pas intéressés de s’impliquer et d’être responsables en matière de contraception. Si on considère que la contraception est du ressort de la femme, on ne propose pas à ses patients de subir des vasectomies.

Ce qui peut expliquer les faibles chiffres de personnes ayant bénéficié d’une vasectomie. En 2017, en Belgique, 10.050 hommes ont eu recours à une vasectomie (ils étaient 8143 en 2007) .[3]

Dans les pays où la vasectomie est plus développée, comme au Royaume-Uni ou en Nouvelle- Zélande, on observe un nouveau phénomène : la vasectomie serait associée à une nouvelle forme de masculinité. La vasectomie y est parfois perçue comme un « bain de sang » héroïque et fait partie de l’identité masculine valorisée de père de famille.[4] Alors qu’en Belgique ou en France, les hommes semblent encore avoir des idées reçues négatives au sujet de la stérilisation comme « La vasectomie rend impuissant et donc moins viril », « La vasectomie impacte négativement la vie sexuelle des couples » , « La vasectomie a un effet négatif sur la libido masculine » . Trois idées reçues qui sont fausses et que l’on peut facilement démonter mais qui ont un impact important sur le recours à la vasectomie en Belgique.

Conclusion

Notre société entretient un climat nataliste qui impose une forte injonction à la parentalité. Le désir d’enfant est perçu comme une évidence où chaque individu à juste le choix de quand il sera parent et combien d’enfants il désire. Mais certains, refusent cette voie et choisissent celle de la stérilisation. Une voie qui n’est pas simple tant à cause de la pression de l’entourage et des refus très fréquents des médecins. Entre des professionnels qui empêchent ces opérations parce qu’elles ne sont pas nécessaires et une société qui impose un délai de réflexion de quatre mois alors que pour d’autres opérations comme des opérations chirurgicales, le délai n’est que de deux semaines. Il n’est pas si simple de choisir et de se faire entendre pour son propre corps.

  1. Information consultée le 12 avril 2022 sur le site https://www.senate.be/www/?MIval=/publications/viewPub.html&COLL=S&LEG=3&NR=419&VOLGNR=1&LANG=fr#:~:text=La%20st%C3%A9rilisation%20concerne%20tant%20les,ses%20fonctions%20sexuelles%20ou%20endocrines.
  2. M.A. Masella, et E. Marceau. « La stérilisation volontaire chez les femmes sans enfant de moins 30 ans : dilemme éthique et déontologique. » Canadian Journal of Bioethics / Revue canadienne de bioéthique, volume 3, numéro 1, 2020, p. 58–69. https://doi.org/10.7202/1068764ar
  3. Informations consultées le 1e avril 2022 sur le site http://www.femmesprevoyantes.be/wp-content/uploads/2018/12/Analyse2018-vasectomie.pdf
  4. Informations consultées le 1e avril 2022 sur le site http://www.femmesprevoyantes.be/wp-content/uploads/2018/12/Analyse2018-vasectomie.pdf