Enseignement et pauvreté

Les chiffres de la pauvreté font froid dans le dos : à Bruxelles, ce sont 4 enfants sur 10 qui vivent sous le seuil de la pauvreté et ce sont un quart de ces enfants qui vivent dans un ménage sans revenu du travail. Le nombre d’enfants touchés par la pauvreté ne cesse d’augmenter. Une triste nouvelle mais les choses ne s’arrêtent pas là. Cette pauvreté risque très fort de conditionner leur vie future : être un enfant pauvre conditionne les chances de réussite à l’école, la possibilité de trouver un emploi stable et va jusqu’à réduire l’espérance de vie. Une boucle de répétition à l’identique qui fait qu’un enfant issu d’un ménage précaire aura plus de chances de connaître la précarité à l’âge adulte.

Et l’école dans tout cela ? Elle est souvent présentée comme un vecteur d’émancipation sociale. Elle a un rôle important à jouer dans la lutte contre les inégalités et pour l’émancipation de chaque élève. Mais est-ce vraiment le cas?

Education et pauvreté : quels liens ?

Les enfants qui vivent dans la pauvreté présentent un risque plus important de connaître une scolarité difficile. Le fait d’avoir quitté l’école sans diplôme augmente considérablement le risque de pauvreté à l’âge adulte puisque ces personnes ont généralement plus de difficultés à trouver un emploi et celui qu’ils trouvent est souvent faiblement rémunéré et plus fréquemment instable.

Les familles précaires et l’école

Les relations entre les familles précarisées et l’école sont souvent insuffisantes et déficientes. La communication passe mal parce que l’information est souvent écrite et formulée de façon trop complexe.

Le redoublement

Les systèmes d’enseignement francophone et flamand de Belgique sont parmi les plus inégalitaires d’Europe : « La Flandre est même devenue le champion international de l’inégalité, quel que soit l’indice considéré ». [1]

Les enquêtes PISA montrent qu’à l’âge de 15 ans, « les performances des élèves belges sont deux fois plus déterminées par leur origine sociale qu’en Norvège. Et les écarts de performances entre élèves riches et pauvres sont également 60 à 80% plus élevés chez nous. ».[2]

Par exemple, Saint- Josse est la commune la plus pauvre de Belgique et c’est là aussi qu’on retrouve le plus grand taux de retard scolaire : 38% des élèves du secondaire sont en retard scolaire de deux ans ou plus. Alors qu’une commune riche comme Woluwe-Saint-Pierre enregistre le pourcentage de retard scolaire le plus bas pour l’ensemble des élèves du secondaire, seulement 11 %. [3] Mais ce retard scolaire (minimum 2 ans de retard) se marque dès le premier cycle du secondaire : cela varie de 5 % à Woluwe-Saint-Pierre à 16 % à Saint-Josse-ten-Noode pour l’année scolaire 2016-2017.

Comment expliquer un tel décalage ? Par une différence d’intelligence ?  Si les riches sont riches c’est surtout parce qu’ils sont plus malins ? Une idée d’un autre temps qui n’a plus de place aujourd’hui ? En Belgique, Wim Van den Broeck professeur à la VUB défend cette théorie : « les inégalités sociales à l’école sont inévitables parce qu’elles reflètent, au moins pour une part importante, des inégalités d’intelligence. Si les riches sont riches c’est surtout parce qu’ils sont plus malins »[4] et de conclure « Le fait que les différences socio-économiques soient dues en partie à des différences d’intelligence d’origine essentiellement génétique explique pourquoi il n’existe aucun pays au monde où l’enseignement ne présente aucune inégalité sociale, comme il ressort de l’étude PISA ».  [5]

Pour d’autres, ce décalage s’explique par le fait que l’école n’adapte pas le rapport au savoir des classes populaires, les enfants ne se sentent pas bien à l’école.  Il faut leur proposer des apprentissages de manière différente mais les enseignants intègrent difficilement cette nécessité parce qu’ils sont souvent trop éloignés de ce milieu socio-économique plus faible. Certains enseignants font des formations pour se confronter à ce monde différent, pour changer leur manière d’enseigner mais cela dépend de leur bonne volonté individuelle et n’est en aucun une obligation et ne fait pas partie de leur formation de base.

Les écoles ghettos

A Bruxelles, un élève sur cinq est scolarisé dans une école-ghetto très pauvre et seul un tiers des élèves vont dans des écoles réellement mixtes, « c’est-à-dire dont l’indice socio-économique moyen est proche de l’ISE moyen bruxellois ».[6] Quelles actions peut-on mener pour voir disparaître les écoles ghettos ? Chaque parent en pensant individuellement au bien-être de son enfant porte une petite part de la responsabilité dans le maintien des écoles « poubelles » en choisissant une école plutôt qu’une autre pour assurer un meilleur avenir. Seuls les parents qui ne perçoivent pas l’importance du choix d’une « bonne école » voient leurs enfants regroupés dans les moins bonnes voire les plus mauvaises.  Il y a bien sûr quantité d’autres raisons mais une étude de Nico Hirtt montre qu’il serait possible de réduire le nombre d’école ghettos : « Si chaque enfant se voyait attribuer une école dès l’inscription dans l’enseignement fondamental, la ségrégation scolaire serait éradiquée ».[7] Chaque enfant se verrait attribuer une école proche de chez lui et réellement mixte. Nico Hirtt insiste sur la possibilité de ne pas accepter l’école proposée et de se mettre alors en quête d’une autre école de son propre chef. Cela permettrait de rapprocher les enfants de leur logement et de réduire quasiment à néant les écoles ghettos.

Risque-t-on de se retrouver avec des écoles ghettos dans des quartiers ghettos ? Selon Nico Hirtt, selon l’étude qu’il a réalisé pour Bruxelles et qui est pourtant une ville avec des quartiers très polarisés socialement parlant, on arrive à créer la mixité dans la majorité des cas : «  ( …) actuellement un élève bruxellois sur cinq est scolarisé dans une école-ghetto très pauvre, il ne resterait plus aucune école de ce type après la mise en œuvre de la proposition de l’Aped. Inversement, seul un tiers des élèves sont actuellement scolarisés dans des écoles réellement mixtes, c’est-à-dire dont l’indice socio-économique moyen est proche de l’ISE moyen bruxellois. Mais au terme de notre simulation, nous sommes parvenus à faire en sorte que 94% des élèves soient dans de telles écoles ».[8] La réponse est donc clairement non, il est tout à fait possible de faire rimer mixité et proximité.

Pauvreté et filières d’enseignement

Le système même de l’organisation scolaire mène à des inégalités. « De manière générale, les pays qui ont les troncs communs les plus courts (6 ans et moins), sont plus inégalitaires du point de vue scolaire que les pays dont le tronc commun est plus long, 9,33 années en moyenne ».[9]Il semble que les pays qui ont des filières à partir de 14 ans ne font pas partie des pays les plus égalitaires.

La sélection au sein même des écoles

Sans parler de relégation dans une filière en particulier, « les inégalités entre les élèves peuvent dépendre du niveau de ségrégation sociale et scolaire des établissements. La manière dont on regroupe les élèves est susceptible de jouer un rôle décisif dans leurs acquisitions et dans la formation des inégalités ». [10]

Certaines écoles secondaires créent un vrai système de ségrégation au sein de leur établissement en répartissant les élèves selon leur école d’origine par exemple. Si une école secondaire accueille des élèves issus de différentes écoles primaires et que les niveaux de celles-ci sont très disparates, certains directeurs font le choix de rassembler les meilleurs et de laisser les plus faibles entre eux. On  observe que, la plupart du temps, les élèves les plus faibles sont issus de quartiers défavorisés.

L’objectif officiel ? Créer des classes les plus homogènes pour apporter à tous les élèves les soins nécessaires. L’objectif caché ? Dans certaines écoles, il est de garder une élite quitte à sacrifier les élèves en plus grandes difficultés.

 

 

Pauvreté et enseignement spécialisé

Depuis 1997, l’objectif que s’est fixé le système scolaire belge est d’être une école de la réussite pour tous, quel que soit le milieu socio-économique de l’élève. [11]

Des élèves pauvres sont plus nombreux dans l’enseignement dit spécialisé. En effet, le taux d’envoi vers celui-ci est 3,5 fois plus élevé dans les écoles les plus défavorisées que dans les écoles les plus favorisées. Il n’y a cependant aucune raison objective à ce  que des enfants issus d’un milieu socio-économique plus faible y soient plus nombreux. Pauvreté, ne devrait pas rimer avec handicap.

Il n’est pas rare que des enfants qui présentent de grands retards soient « abandonnés » ; « l’école garde l’inscription, les laisse passer de classe ou les fait redoubler, mais ne s’en occupe pas ». Pour les enfants qui n’ont pas appris à lire avant 8-9 ans (pour toutes sortes de raisons : retards, échec, absentéisme, immigration) la situation devient encore plus complexe puisque rien n’est mis en place pour eux dans l’enseignement ordinaire. Ils sont alors très nombreux à être envoyés dans un établissement enseignement spécialisé, alors que beaucoup ne souffrent d’aucun handicap.[12]

Riche ou pauvre : un avenir différent ?

La proportion de jeunes entre 18 et 24 ans qui ont au maximum un diplôme de l’enseignement secondaire inférieur et qui ne suivent pas d’enseignement ni de formation est important. En 2017, cela concernait près d’un jeune Bruxellois sur sept. [13]

La faute aux enseignants ?

Les enseignants connaissent peu la vie de ces familles et les jugent souvent négativement, à partir de leur propre expérience et de leurs représentations : les enfants mal habillés, n’ayant pas leur matériel, parfois leur repas, sont rapidement considérés comme « négligés » ; les parents ne payant pas les frais, ne se présentant pas aux réunions, comme se désintéressant de la scolarité, voire de leurs enfants…[14]

Les enseignants jouent sans le vouloir le jeu du système malgré eux puisque c’est le seul moyen de fonctionner qu’ils connaissent. La plupart sont de bons élèves issus de la classe moyenne.  Leur formation ne les a généralement pas mis en situation de comprendre et d’intégrer le mode de fonctionnement des populations défavorisées.

Les professeurs font de leur mieux et mettent souvent, de leur propre initiative, beaucoup de processus en place pour amener tous leurs élèves à la réussite.

Malheureusement, il peut arriver que certains élèves se sentent  tellement humiliés par des remarques et des menaces répétées lorsqu’il leur manque du matériel ou qu’ils  ne paient pas les frais demandés, qu’ils préfèrent quitter l’école. On se trouve alors devant le phénomène du décrochage scolaire.

Le « corona virus » créateur d’inégalités scolaires ?

Dès l’annonce de la possible fermeture des écoles pour endiguer le virus, de nombreux établissements ont cherché des solutions pour permettre aux élèves de suivre à domicile, une forme de scolarité. Une bonne idée ? Certainement pour créer un fossé encore plus important entre les élèves issus d’un milieu socio-culturel faible et ceux d’un milieu plus élevé.

Pourquoi ?

D’abord parce que beaucoup de professeurs sont partis du principe que tous les enfants disposent à domicile d’un ordinateur et d’une connexion internet or, ce qui n’est pas forcément le cas pour les enfants précarisés.

Ensuite, tous les enfants ne seront pas dans les mêmes conditions pour effectuer ce travail. Certains d’entre eux seront accompagnés soit par des parents voire par des professeurs particuliers qui les pousseront à l’excellence. Ces élèves disposeront d’un espace calme et seront stimulés, rythmés. Pour d’autres, les choses seront plus compliquées. Certains parents ne sont pas à même d’accompagner les enfants dans leur travail à domicile, soit par manque de temps soit de capacité. De plus, vivant parfois dans des logements exigus, il est difficile à l’enfant de s’isoler au calme pour réaliser son travail.

C’est pourquoi, certaines écoles ont donc choisi de ne pas donner de travail pour ne pas créer une plus grande injustice. D’autres par contre ont pris la décision d’imprimer les dossiers que les parents peuvent récupérer à l’école.

Les sources des inégalités scolaires sont multiples. La première d’entre elles est liée au fait que les sociétés sont hiérarchisées et stratifiées et que l’école est souvent à son image. Les élèves sont issus des milieux familiaux très différents.  Chaque enfant arrive ainsi à l’école, porteur « d’une inégale maîtrise des fondamentaux attendus par l’école ». [15]

Une fatalité ?

Bien sûr que non !  Quelques mesures simples pourraient changer les choses.

Les enseignants devraient être formés « à la prise en compte dans leur pédagogie des inégalités culturelles, pas pour « rabaisser le niveau » mais pour cesser l’hypocrisie du «  tous pareils  », les former à ne pas être indifférents aux différences ». [16]

Il est impératif de mettre en place des mesures compensatoires aux inégalités de richesse et d’intelligence en promouvant dans l’enseignement certains traits de personnalité comme la persévérence, la méticulosité et l’autodiscipline qui sont aussi des facteurs de réussite scolaire.

Pour changer les choses ?

Il appartient à chacun de prendre sa part du travail. Il faut une réelle réforme de l’institution scolaire et une prise de conscience collective tant du monde politique, des enseignants que des parents. Pour le gouvernement, cela passe par la prise d’importantes mesures qui ne plaisent pas toujours à l’électorat, pour les enseignants, par la formation et pour les parents, cela reviendra à renoncer à une totale liberté de choix pour avoir enfin une école de qualité pour tous.

Marie Béclard
FAML

[1]                 Informations consultées le 12 janvier 2020 sur le site http://www.skolo.org/2019/12/09/inegalites-segregations-marche-scolaire-petites-lecons-de-pisa-2018/

[2]                 Informations consultées le 10 janvier 2020 sur le site https://www.ccc-ggc.brussels/sites/default/files/documents/graphics/rapport-pauvrete/barometre_social_2018.pdf

[3]                 Informations consultées le 10 janvier 2020 sur le site https://www.ccc-ggc.brussels/sites/default/files/documents/graphics/rapport-pauvrete/barometre_social_2018.pdf

[4]                 N. HIRTT, Les négationnistes de l’inégalité Offensive idéologique en Flandre contre l’équité dans l’enseignement, Montreal, le 25 mars 2014 consulté le 12 mars 2020 sur le site http://www.skolo.org/CM/wp-content/uploads/2014/04/van_den_broeck_f_.pdf

[5]                 N. HIRTT, Zéro-école ghetto article consulté le 12 mars 2020 sur le site http://www.ieb.be/spip.php?page=impression&id_article=30681

[6]                 N. HIRTT, Zéro-école ghetto article consulté le 12 mars 2020 sur le site http://www.ieb.be/spip.php?page=impression&id_article=30681

[7]                N. HIRTT, Zéro école-ghetto http://www.ieb.be/spip.php?page=impression&id_article=30681

[8] N. HIRTT, Zéro école-ghetto http://www.ieb.be/spip.php?page=impression&id_article=30681

[9]                F. DUBET, M. DURU-BELLAT, A. VERETOUT, Les inégalités scolaires entre l’amont et l’aval. Organisation scolaire et emprise des diplômes dans Sociologie 2010/2, Vol.1, p.187.

[10]             F. DUBET, M. DURU-BELLAT, A. VERETOUT, Les inégalités scolaires entre l’amont et l’aval. Organisation scolaire et emprise des diplômes dans Sociologie 2010/2, Vol.1, p.188.

[11]              Décret Missions de 1997 

[12]              D. VISEE-EPORCQ, Grande pauvreté et droits de l’enfant les enfants pauvres et leurs familles, des droits fondamentaux en friche…Les principes du droit à l’éducation : Lutter contre l’absentéisme et l’abandon scolaires. Décrochage scolaire et pauvreté.  Information consultées le 12 janviers 2020 sur le site https://www.atd-quartmonde.be/IMG/pdf/2010_AN14_VD_0823.pdfs, p.12.

[13]              Informations consultées le 12 janvier 2020 sur le site https://www.ccc-ggc.brussels/sites/default/files/documents/graphics/rapport-pauvrete/barometre_social_2018.pdf

[14]              D. VISEE-EPORCQ, Grande pauvreté et droits de l’enfant les enfants pauvres et leurs familles, des droits fondamentaux en friche…Les principes du droit à l’éducation : Lutter contre l’absentéisme et l’abandon scolaires. Décrochage scolaire et pauvreté.  Information consultées le 12 janviers 2020 sur le site https://www.atd-quartmonde.be/IMG/pdf/2010_AN14_VD_0823.pdfs, p.11.

[15]             G. FELOUZIS, Comment se construisent les inégalités scolaires ? Dans Les inégalités scolaires,2014, p. 68.

[16]             Trois mesures pour lutter contre les inégalités  http://www.cahiers-pedagogiques.com/Trois-mesures-pour-lutter-contre-les-inegalites

Bénévolat et précarité

Vous avez un peu de temps, envie de vous rendre utile dans une école de devoir, un club sportif, une ONG, …  en leur apportant vos compétences ?

Vous voulez devenir bénévole ou volontaire ? Existe-t-il une différence entre ces deux statuts ?

S’il est généralement perçu positivement, le bénévolat est-il exempt de certaines dérives ?

En Belgique, 10 à 14% de la population sont impliqués dans des activités de volontariat. Ce qui représenterait un chiffre entre 1 million et 1,8 million de personnes en 2018. Mais ces chiffres varient très fort d’une étude à l’autre car il n’existe aucun registre centralisé des bénévoles. Les résultats varient selon les méthodes utilisées pour la réalisation du comptage.

Le terme bénévolat vient du latin bene valeus qui signifie « qui veut bien ».

Le volontariat peut être défini selon les critères suivants : il s’agit d’une activité qui ne vise pas la récompense financière ; elle n’est donc pas rémunérée. Le volontariat est le fruit d’un libre choix et il bénéficie à une tierce personne qui ne fait pas partie de la famille ou du cercle d’amis. Il est ouvert à tous : on observe du bénévolat dans presque toutes les catégories sociales. [1]

Le bénévolat joue un rôle important dans notre société. En plus de tout ce qu’il apporte à l’association qu’il aide, le volontaire peut y trouver certains avantages : des contacts sociaux, l’acquisition de connaissances et de compétences professionnelles, ou encore de l’estime de soi. Mais le bénévole apporte lui aussi des compétences à l’association.

Si l’on veut mettre en évidence le poids réel que représente le travail non rémunéré dans l’économie, il est nécessaire de le quantifier en termes de nombre de personnes concernées, de volume horaire ou encore d’équivalents temps plein. Une telle mesure n’est toutefois pas aisée à effectuer.

Il est une réelle force de travail, qui permet de rendre des services utiles à la collectivité en offrant son aide à des associations dans des domaines divers comme l’action sociale, la santé, l’éducation, le sport ou encore la culture.[2]

Les actions menées par des citoyens pour lutter contre la pauvreté sont nombreuses.

Les frigos solidaires

Vous entendez parler de frigo solidaire, ouvert, partagé, collectif, communautaire, urbain, de rue, public… Toutes ces dénominations sont en réalité des synonymes et le choix revient au porteur de projet. Pour la petite histoire, les premiers frigos solidaires émergent en Allemagne et en Espagne en 2012. L’initiative s’installe en Angleterre, en Inde ou encore la Nouvelle-Zélande. En Belgique, le premier frigo solidaire a vu le jour en 2014 à Bruxelles et on en trouve aujourd’hui sept dans la capitale mais également un peu partout en Belgique.

Le frigo solidaire est un réfrigérateur proposé en libre-service et accessible depuis un espace public. Dans d’autres cas, il est à l’intérieur d’une association, d’un garage transformé en chambre froide ouverte et au public pendant des permanences. Les bénévoles accueillent alors ceux qui viennent faire des dons et ceux qui souhaitent se servir. Chacune des options présente des avantages : ouverture plus large et anonymat pour la première version, plus de contacts humains dans la deuxième.

Il est rempli par des citoyens, souvent des voisins, des associations, des restaurateurs ou encore des commerçants. Et chacun peut venir s’y servir à la seule condition de s’engager à consommer ce qui a été pris et de penser dans la mesure du possible aux autres bénéficiaires pour que chacun puisse bénéficier du service.

On y place des produits frais, des dons d’invendus et des produits dont la date de consommation est limite. On peut parfois lire que les produits cuisinés par des particuliers ne sont pas autorisés mais l’AFSCA l’autorise quand le frigo est une initiative citoyenne et s’engage à ne pas faire de contrôles dans ce genre d’initiative en partant du principe que « Les personnes qui déposent des produits alimentaires dans un frigo partagé sont considérées comme des personnes responsables et prudentes. Lorsque ce frigo partagé est une initiative privée, l’agence alimentaire est très flexible ; l’initiative ne devra pas être enregistrée auprès de l’Agence, ni avoir une autorisation spécifique[3] ». Lorsqu’il y a plainte, l’AFSCA vérifiera quelques points et rappellera les conditions nécessaires d’hygiène. Par contre, lorsque le frigo est tenu par une banque alimentaire, les règles ressemblent beaucoup plus à celles mises en place dans la restauration classique mais là aussi l’AFSCA se veut conciliante et flexible.   Afin d’éviter que l’offre de banques alimentaires et d’organisations caritatives ne diminue en raison d’obligations administratives, l’AFSCA est très flexible. Par exemple, des directives adaptées ont été élaborées, en particulier pour les organisations caritatives, afin qu’elles puissent distribuer des denrées alimentaires de manière sûre et avec le moins de gaspillage possible. [4]

Les frigos solidaires une réponse à une double problématique

Les frigos répondent à un double besoin actuel à savoir aider des personnes dans la précarité mais aussi lutter contre le gaspillage alimentaire. Deux problèmes importants chez nous.  La Belgique occupe la triste place de deuxième pays européen le plus gaspilleur. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), chaque année c’est environ 1,3 milliard de tonnes d’aliments qui sont jetés durant les différentes étapes de la chaîne de production. En Belgique, sur toute la filière alimentaire, ce sont 345 kilogrammes par habitant qui sont perdus. Des chiffres qui donnent le vertige et se partagent entre les ménages belges, l’industrie agroalimentaire, les commerces, la grande distribution, la vente au détail ainsi que la restauration.

En Belgique, les chiffres exacts sont difficiles à obtenir mais la Fédération des Services Sociaux estime que 450 000 personnes bénéficient d’une certaine forme d’aide alimentaire chaque année. [5] Les frigos solidaires représentent donc une solution à ces deux problématiques. Même si ce type d’actions ne permettra ni de réduire à zéro le gaspillage alimentaire, ni la faim en Belgique mais s’inscrivent totalement dans cette double démarche de réduction du gaspillage alimentaire et de lutte contre la faim. On ne peut que saluer ces initiatives individuelles qui tentent de pallier le manque d’ambition des décideurs.

En 2017, à Schaerbeek, le free go a permis de sauver 32 tonnes de nourriture.

A qui sont destinés les frigos ?

Si le projet vise essentiellement les sans-abris mais pas seulement, ils sont cependant ouverts à tous mais puisque l’objectif est bien d’offrir une aide quotidienne qui “permette aux personnes d’assumer d’autres types de frais, comme des factures médicales, des activités extrascolaires, etc. d’aider des personnes dans le besoin mais qui n’osent pas ou ne veulent pas demander les aides auxquelles elles ont droit. Ce sont donc aussi bien des étudiants que des pensionnés ou encore des travailleurs en difficulté. Qu’importe l’endroit où est installé le frigo, on s’aperçoit qu’il y a souvent de la misère cachée, même dans les quartiers les plus aisés, on trouve par exemple des personnes âgées qui ont du mal à joindre les deux bouts.[6]

Chaque type de bénéficiaire va avoir ses préférences : un étudiant va généralement préférer des produits simples à cuisiner en petite portion alors qu’une famille aura besoin de plus grandes portions, de viande et de légumes. Chaque type de dons pourra donc trouver acquéreur.

Et les voisins dans tout cela ?

Nous l’avons dit, une partie des dons proviennent des voisins. Cependant, la création d’un frigo solidaire ne plait pas toujours à tout le monde. En effet, dans certains quartiers les riverains craignent que ceux-ci attirent des personnes en grande précarité et que cela cause des soucis : vols, déchets, bruit. Les associations qui mettent en place ce type de projets doivent donc porter un soin important à la sensibilisation des riverains

 

 

Des douches pour les sans –abris ou personnes en grande précarité

Si manger est une première nécessité, le manque d’hygiène pose aussi un problème aux personnes vivant dans la rue. Leur permettre de prendre une douche va leur « permettre de retrouver la dignité en commençant par la (ré)appropriation du corps ».[7]

Pour permettre aux personnes sans-abris de pouvoir avoir accès à l’hygiène, certaines associations proposent un accès à des sanitaires. Ils peuvent ainsi prendre une douche ou utiliser des toilettes, dans certains cas utiliser des machines pour laver leur linge.

L’association Rolling douche a créé un service d’hygiène mobile. Ils utilisent pour cela un motor-home spécialement équipé de sanitaires. Chacun pourra y prendre une douche, gratuite, sans inscription, sans liste d’attente. Le projet a pour but d’aller vers les personnes qui en ont besoin et de ne pas limiter leur accès pour qu’un maximum de personnes puisse en être bénéficiaire.

Que les douches soient mobiles ou fixes, le rôle des bénévoles ne se limite pas à proposer à ces personnes en grande difficulté un service mais aussi d’offrir une écoute et parfois des aides ponctuelles comme remplir des papiers pour avoir accès à l’aide sociale, …

Les dérives du volontariat

Si la plupart des personnes se lancent dans le bénévolat sans rien attendre d’autres en ont fait un véritable commerce.

Le volontourisme

Il s’agit de la contraction entre les mots tourisme et volontariat. Le volontouriste est le terme donné aux voyageurs qui profitent de leur séjour pour enseigner, participer à un projet environnemental, de construction. Le projet propose ainsi « de contribuer à construire des infrastructures vitales pour les communautés défavorisées », ou encore d’aider à l’émancipation des femmes. Les destinations proposées sont nombreuses : du Cambodge au Sénégal en passant par les îles Fidji.

Les différentes associations qui proposent du volontourisme, s’occupent de gérer les détails logistiques pour que le voyageur puisse se concentrer sur son expérience, tout cela, en échange de quelques milliers d’euros.

Ces voyages sont–ils vraiment au service des populations ? Selon une organisation : « A première vue, il est parfois difficile de mesurer la différence que peut faire un volontaire en quelques semaines. Mais quand des milliers de personnes accordent un peu de leur temps à des objectifs communs, elles peuvent accomplir de grandes choses ». Un avis que ne partagent pas les ONG. Le volontourisme est présenté comme une sorte de mythe de l’Homme blanc qui veut sauver les pauvres petits étrangers.

De nombreux touristes veulent désormais voyager autrement, se rendre utiles auprès de populations pauvres. Pour cela, certains sont prêts à payer des fortunes pour partir faire du volontariat. Des agences de voyage et d’autres organismes à but lucratif proposent de nombreuses formules pour aider des enfants, faire fonctionner un dispensaire, pour enseigner. Un voyage qui a un coût par exemple : « deux semaines en Afrique du Sud au prix de 2200€ sans le billet d’avion et où une infime partie de la somme seulement sera finalement reversée aux projets de développement ou aux populations locales ».[8]

On met souvent en avant l’inutilité des volontaires et des projets qui sont mis en place par les organismes de volontourisme. Certains prétendent même que pour entretenir les projets : « On observe ainsi l’ouverture massive d’orphelinats en Asie, remplis avec des enfants arrachés à leurs parents pour satisfaire les envies d’humanitaire des touristes ».[9] Ces projets pourraient alors être responsables de la séparation d’enfant et de parents dans le seul objectif de faire de l’argent. Beaucoup se lancent, sans préparation, dans des projets dits humanitaires dans le seul but de se donner bonne conscience.

Les ONG demandent avec insistance aux voyageurs de laisser agir les professionnels en matière d’humanitaire.

Se rendre utile, aider son prochain, apporter sa pierre à l’édifice pour réduire l’impact de la pauvreté est certes très louable. Mais il est important de chercher à s’associer à des personnes dont c’est le métier.

Aider oui mais pas en tirer profit pour satisfaire son ego et chercher à se valoriser sur les réseaux sociaux, aider sans propager des stéréotypes sur la pauvreté.

Chaque citoyen peut bien évidemment jouer un rôle important dans la lutte contre la pauvreté mais certainement pas n’importe comment.

Avant de se lancer dans du bénévolat, il convient de s’assurer qu’il s’agit bien de répondre à un réel besoin et non de le créer pour satisfaire une envie purement égoïste. Il est tout aussi important de s’en référer à des vrais professionnels et non à des personnes motivées par un intérêt purement financier.

Marie Béclard
FAML

[1]               Le volontariat en Belgique. Chiffres-clés. Informations  consultées sur le site https://www.kbs-frb.be/fr/Virtual-Library/2015/20151019DS

[2]                 Informations consultées le 12 décembre 2019 sur le site https://www.kbs-frb.be/fr/Virtual-Library/2015/20151019DS

[3]                 Informations consultées le 15 janvier 2020 sur le site http://www.afsca.be/consommateurs/viepratique/autres/frigoscommunautaires/

[4]                 http://www.afsca.be/consommateurs/viepratique/autres/frigoscommunautaires/

[5]                 Informations consultées sur Comment créer et gérer un frigo solidaire en Région de Bruxelles-Capitale ? à la page 5 sur le site https://www.goodfood.brussels/sites/default/files/be_cool_guide_24-05-19_0.pdf

[6]                 Informations consultées sur Comment créer et gérer un frigo solidaire en Région de Bruxelles-Capitale ? à la page 5 sur le site https://www.goodfood.brussels/sites/default/files/be_cool_guide_24-05-19_0.pdf

[7]                 Informations consultées le 12 février 2020 sur le site http://doucheflux.be/notre-action/services/douches/

[8]                 Informations consultées le 12 mars 2020 sur le site https://tour-monde.fr/les-bons-et-les-mauvais-cotes-du-volontariat-et-volontourisme/

[9]                 Informations consultées le 12 mars 2020 sur le site https://www.carenews.com/fr/news/8344-lu-tourisme-humanitaire-les-ong-s-inquietent

Pour un humanisme universel

Rencontre avec Jean-Michel Quillardet, fondateur de l’Observatoire International de la Laïcité Contre les Dérives Communautaires,  ancien membre de la Commission Nationale (française) Consultative des Droits de l’Homme, initiateur de la rédaction de la Charte de la Laïcité dans l’École de la République Française, auteur de Pour un humanisme universel.

« Aujourd’hui, je pense qu’il y a une universalité d’un corpus de valeurs qui nous viennent des Lumières et avec lesquelles l’homme ne peut ni négocier ni transiger. La liberté de conscience, les droits de l’homme, le droit à la dignité pour tous, la liberté d’expression, la liberté de manifestation, la démocratie peuvent être partagés par toutes les cultures du monde. »

Ainsi s’exprime Jean-Michel Quillardet dans son nouvel essai Pour un humanisme universel paru chez Dervy, auteur, avocat, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, rencontré à la librairie bruxelloise Abao : « Il y a lieu d’expliquer ce qu’est une vision humaniste universelle, parce qu’elle contient des valeurs pouvant être acceptées par tous. Cela participe à un combat mené contre le populisme. Il y a des rappels à faire face à l’obscurantisme, à l’intégrisme, à l’antimaçonnisme… », précisa-t-il.

À la question de savoir si l’humanisme est une croyance au même titre que la religion, Jean-Michel Quillardet répond : « C’est à la fois une croyance et une réalité, il faut essayer que l’Amour règne dans la Société. En effet, compte tenu de la renaissance du communautarisme, de ne pas s’ouvrir aux autres, il faut enseigner la laïcité. C’est un principe trop peu connu. Être laïque n’est pas être contre une religion, mais c’est la séparation de l’Église et de l’État[1], l’application du multiculturalisme, car aucune identité n’est supérieure à une autre. Il faut expliquer, dès l’école primaire, ce qu’est la Charte de la Laïcité, dont je suis à l’origine, et ne pas omettre que la démarche humaniste est un combat à mener au quotidien sur soi-même. »

En sept chapitres bien rythmés et illustrés de nombreux exemples, l’auteur aborde la nécessité de s’engager : « Il existe un esprit, une conscience, qui donne à l’homme une responsabilité particulière et qui l’oblige, pour reprendre le beau mot de Montaigne ‘‘à porter l’humaine condition’’, se remettre en question et choisir soi-même plus de force, plus de sagesse, plus de beauté. »

Des militants de l’humanisme

Comment définir l’humanisme ? Comment l’appliquer ? Jean-Michel Quillardet expose son point de vue : « L’humanisme, c’est préserver en l’homme son immense et incomparable dignité. C’est découvrir la nature profonde de l’être humain. L’énergie spirituelle qui fonde la nature humaine, est la raison elle-même. Le mouvement des Lumières est un idéal universel qui permet encore au XXIe siècle de donner un sens et un guide à l’humanité. Les Lumières constituent la révolution de l’esprit dont nous avons plus que besoin. Les Lumières, c’est la libre pensée, le libre examen, le refus de tout dogmatisme, elles constituent le projet humaniste avec lequel il ne peut être transigé. L’homme est au cœur de nos interrogations à partir du moment où nous nous considérons comme des militants de l’humanisme. C’est dans le sens de l’affirmation de la liberté et dans le combat contre tout déterminisme, qu’il soit considéré comme naturel ou comme culturel, que nous devons pousser nos efforts. »

Laïcité républicaine, Devoir de Mémoire et Justice humaine

« La laïcité est un progressisme » Jean-Michel Quillardet.

Trois concepts (Laïcité républicaine, Devoir de Mémoire et Justice humaine) bouclent cet essai qui devrait interpeller tout un chacun, mais plus particulièrement tous ceux qui, comme aux Amis de la Morale Laïque, à la rédaction de son magazine ML, défendent, plus que jamais, la laïcité : La laïcité, explique Jean-Michel Quillardet, c’est la liberté de penser, la liberté d’opinion, la liberté de croyance, la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté de conscience : « Les Églises et les religions sont ainsi restituées dans la sphère uniquement privée, dans laquelle le domaine public n’a pas à intervenir de quelque façon que ce soit, sauf pour faire respecter les grandes lois républicaines et en particulier la liberté de conscience. »

 

Hélas, ce principe n’est pas d’application dans tous les pays. Ainsi, les présidents des USA prêtent toujours serment sur l’une ou l’autre bible et, en Belgique, l’Église est omniprésente dans maints rouages de la Nation, dans l’enseignement et le financement des cultes, par exemple.

L’auteur insiste : « La laïcité républicaine, c’est dire toujours que nous sommes, avant d’être juifs, musulmans, catholiques, protestants, athées, agnostiques, francs-maçons, etc., d’abord et avant tout des citoyens », il clame encore que « le totalitarisme de la foi viole constamment la liberté de penser et la liberté de choisir ses propres certitudes ou interrogations. »

Cependant, pour Jean-Michel Quillardet, la laïcité ne peut pas se résumer qu’à la séparation de l’État et des Églises, « c’est aussi une vision d’une société égalitaire qui considère l’individu d’abord comme un citoyen en fonction de son humanité et non de son appartenance à tel ou tel groupe culturel ou ethnique. »

Encore plus concrètement, il déclare que « tant que la population, pauvre, précarisée, non instruite et non éduquée existera, la laïcité, idée émancipatrice pour l’être humain, ne pourra guère triompher. »

Au sujet de la nécessité du Droit de Mémoire, l’auteur rappelle, à juste titre, que « la bête immonde, ce monstre froid, qui comme dans la nouvelle de Kafka se couche, se déploie et se déploie encore et prend une telle place qu’elle étouffe et très vite étrangle, cette bête immonde est toujours prête à renaître »

Pourtant, la civilisation ne signifie-t-elle pas le respect de l’individu, la liberté et la tolérance ?

La Shoah, l’Arménie, les Khmers rouges, Staline, Mao, Franco, Pinochet, le Rwanda, le Darfour et tant d’autres exemples, cela exista quoi que disent les révisionnistes. Et, comme l’Histoire a tendance à repasser les plats, même les plus nauséabonds, la nécessité de se souvenir que, je cite encore, « les bourreaux trouvent toujours une bonne raison de bâillonner, d’emprisonner, de tuer », cette nécessité vitale doit donc être constante.

Pour Jean-Michel Quillardet, avocat de profession, rappelons-le, « seul un État de droit, avec des règles, des lois et des cours de justice, permettra à l’homme de maîtriser ses passions, de canaliser ses tentations et d’organiser le vivre ensemble malgré nos contradictions. »

Et puisqu’on évoque la Justice, il insiste également sur le concept de « Justice humaine », c’est-à-dire que « nous savons bien que le miroir nous renvoie l’image de notre pire ennemi : nous-même ! »

Sans le moindre détour il expose que « l’homme a une terrible responsabilité à l’égard de l’humain et qu’il doit toujours, pour être un homme, éradiquer l’inhumain dans l’humain. Seules les règles de droit, d’un droit démocratiquement élaboré, d’un droit humaniste, peuvent éviter les transgressions. Le Justice doit rendre sa dignité d’homme à la victime, lui rendre son humanité, pour le présent et l’avenir, exprimer de manière rationnelle, implacable, irréfutable, le jugement de l’humanité, chaque homme étant porteur de la condition humaine. »

Il ne s’agit pas d’un discours, un de plus, qu’émet Jean-Michel Quillardet puisqu’il fut cheville ouvrière de la Charte de la Laïcité à l’École affichée et, en principe commentée, dans tous les établissements scolaires de l’Enseignement public en France.

Elle s’articule sur trois grands principes : prévenir, répondre et soutenir. Il y est question de neutralité de l’État, de la liberté de croire ou de ne pas croire, de s’exprimer librement dans le respect de l’autre, du vivre ensemble, de l’accès à une culture commune et partagée, du rejet de toutes formes de violence, du devoir de stricte neutralité des personnels…

Et si d’autres pays, dont la Belgique, prenaient exemple sur cette Charte plutôt que tergiverser depuis des décennies en cette matière ?

Une matière devenue particulièrement urgente à traiter, compte tenu des bouleversements sociétaux auxquels nous assistons.

 

Rationalisme et Lumières

De Jean-Michel Quillardet dans Pour un humanisme universel :

  • « L’utilisation du rationalisme n’est pas exclusive d’une démarche intuitive ou poétique.»
  • « La démarche rationnelle est également poésie, intuition, imagination, parce qu’elle tente de briser les convenances, les apparences, ou des signes, et ouvre les portes de la complexité de l’être humain.»
  • « La philosophie des Lumières a libéré l’Homme de ses chaînes ; les Lumières, c’est la constitution, pour chaque homme[2], d’une pensée libre, préoccupée du réel sans messianisme religieux ou politique.»
  • « Les Lumières, ce sont des textes juridiques et philosophiques, actes fondateurs générés par l’Homme lui-même, contractualisé par et pour l’humanité.»
  • « La lumière, c’est la lumière naturelle à l’intérieur de l’homme qui s’oppose à la lumière surnaturelle.»
  • « La lumière naturelle n’est pas l’inclination qui nous porte à croire, elle nous fait connaître.»

Pierre Guelff
Auteur, chroniqueur presse écrite et radio

[1] Ce qui est loin d’être le cas en Belgique, par exemple.

[2] N.D.L.R. : être humain.

Belgique, pays du surréalisme

Pays du surréalisme où après qu’une de ses composantes – entendons le parti le plus important en termes de sièges – ait claqué la porte, le gouvernement fédéral devient minoritaire (les francophones l’étaient dès le début).  Ce même gouvernement, chargé de la gestion des affaires courantes à la suite des élections législatives de mai 2019 et toujours sans majorité, s’est vu privé de son premier ministre qui a pris sa fonction de président du conseil européen, s’est donc vu obligé de se trouver un remplaçant.

Pressenti, parmi d’autres, pour occuper le poste de Charles Michel resté vacant, Didier Reynders, opportunément blanchi dans une affaire de corruption, quitte, lui aussi, la politique nationale pour se réfugier à l’Europe où il deviendra dès le 1er novembre commissaire européen à la justice.

Et nous voilà sans ministre des affaires étrangères !

Voilà donc un pays où deux membres d’un parti ayant perdu les élections sont récompensés par une nomination à des postes européens de prestige et, ce qui ne gâche rien, extrêmement bien rémunérés.

Alors que les gouvernements wallon, bruxellois et flamand sont déjà en place, le fédéral qui détient encore les fonctions régaliennes, semble ne plus intéresser grand monde. Jan Jambon, par exemple, qui briguait le poste de premier ministre y a renoncé pour occuper la présidence du gouvernement flamand.

Pas de gouvernement fédéral, une « première ministre » ad intérim issue d’un parti toujours minoritaire, tout comme le nouveau ministre des affaires étrangères. Et nous voilà avec un gouvernement fédéral en affaires courantes dont seuls subsistent six ministres de l’équipe d’origine et personne au sein de la population pour s’en inquiéter !

Il faut dire que la vacance du pouvoir avait duré cinq cent quarante et un jours dans l’attente du gouvernement Leterme, créant bien davantage d’émoi à l’étranger que dans notre cher pays. Mais au moins, le gouvernement intérimaire détenait une assise parlementaire.

Afin de pallier l’absence d’un gouvernement issu des urnes, certains, parmi les élus, proposent de mettre en place un exécutif de technocrates faisant fi de la volonté de l’électeur qui s’est exprimé démocratiquement. Incapables de former un gouvernement de plein exercice, ils pourraient donc le faire avec des spécialistes ?

D’autres envisagent un retour aux urnes avec le risque et il est grand, d’un renforcement des partis extrémistes et la possibilité que les résultats de ce nouveau scrutin ne permettent pas davantage de dégager des majorités capables de s’accorder.

Voilà un pays dans lequel une certaine politique se joue en insultes. Bart De Wever et ses amis flamands, dans l’espoir d’une scission du pays, n’ont de cesse de traiter les Wallons avec haine et arrogance.  Le patron de la N-VA refuse désormais de « prélever des milliards d’euros d’impôts en Flandre pour entretenir des électeurs passifs ».

C’est oublier un peu vite qu’il fut un temps – quelques dizaines d’années quand même – où la Flandre bénéficiait largement de la générosité de la Wallonie alors à l’apogée de sa prospérité. L’argent wallon a été investi dans l’aéroport de Zaventem, dans les ports d’Anvers et de Zeebrugge sans que les Flamands ne soient accusés de manger le pain de leurs voisins du « Sud ».

Voilà un pays où, dans l’indifférence générale, le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, est nommé en tant que parlementaire au Conseil de l’Europe, institution chargée de faire respecter la Convention européenne des Droits de l’Homme !

Voilà un pays dans lequel le carnaval flamand de la ville d’Alost est exclu de la liste du patrimoine de l’Humanité de l’Unesco pour ses relents racistes et son antisémitisme.

Voilà un pays où un chirurgien plastique, Jeff Hoeyberghs (dont la clientèle est probablement constituée majoritairement de femmes) se permet, à l’université de Gand et devant un public hilare de jeunes catholiques pour le moins extrêmes, de tenir des propos sexistes d’une rare violence, déclarant notamment « les femmes veulent les privilèges de la protection masculine et de l’argent, mais elles ne veulent plus ouvrir les jambes ».[1]

 

 

Voilà un pays dans lequel le gouvernement régional bruxellois récemment mis en place a pour but d’interdire la circulation de tout véhicule à propulsion thermique dans la ville de Bruxelles à l’horizon 2035.

Si cette décision peut paraître sympathique, il n’en reste pas moins qu’elle pose un certain nombre de problèmes et peut avoir des conséquences pour le moins inattendues voire contraires au but recherché qui est de rendre la ville plus conviviale.

Comment se fera l’approvisionnement des commerces si les camions et camionnettes de livraison deviennent indésirables ? verra-t-on mourir le centre des villes ?

Comment le citoyen fera-t-il ses courses ? on vous conseillera d’utiliser vos pieds ou votre vélo pour vous rendre dans les commerces de « proximité » !

En voilà une bonne idée ! Qui, dans les villes, a encore la chance d’avoir, dans un périmètre raisonnable, une boucherie, une boulangerie, une droguerie, une épicerie, une poissonnerie, … ? sera-t-on condamné à effectuer désormais nos achats dans les « petites surfaces » des grandes enseignes (Carrefour express, city Delhaize, …) ?

Si la volonté de cet exécutif régional est d’engraisser ces multinationales, il ne s’y prendrait pas autrement !

Voilà un pays, parmi les plus riches du monde, dont la capitale détient le triste record de la pauvreté des enfants à Bruxelles, mais aussi en Wallonie !

Il faut savoir, d’après une étude réalisée par Frank Vandenbroucke et Anne-Catherine Guio, que l’état de déprivation des petits Bruxellois est comparable à celui des enfants pauvres de Pologne ou de Roumanie et celui des enfants wallons aux petits Lituaniens.

L’état de déprivation qui concerne 40% des petits Bruxellois et 25% des petits Wallons, est celui dans lequel se trouvent des enfants qui, par exemple, vivent dans un logement mal chauffé, qui ne peuvent participer aux excursions scolaires, qui ne peuvent inviter leurs amis chez eux, …

Comment évaluer la pauvreté ? il suffit de se baser sur le revenu du ménage. Celui-ci est considéré comme pauvre si son revenu représente moins de 60% du revenu médian national à savoir 885,00 euros par mois, ce qui, il faut le reconnaître, est déjà scandaleusement bas.

Ces enfants pauvres vivent principalement dans des ménages sans emploi qui seraient, toujours selon l’étude, 54% en fédération Wallonie-Bruxelles (pour 41% en Flandre), plaçant la Belgique à la triste première place européenne pour cet indicateur.

La cause de ce malheureux record : l’étude pointe des prestations sociales (indemnités de chômage, revenu d’intégration sociale, …) insuffisantes et ne permettant pas à ceux qui en « bénéficient » de sortir de la pauvreté et de vivre dignement.

Les enfants ne sont pas les seules victimes d’un système inadapté, nos rues sont envahies par des sans-abris de plus en plus nombreux, certains d’entre eux ayant un travail rémunéré mais insuffisant pour permettre de payer un loyer et une garantie locative.

Pauvreté scandaleuse d’un côté, salaires et primes indécents d’un autre …

Le patron de la poste, Johnny Thijs, alors que le gouvernement envisageait la limitation à 290.000,00 euros de la rémunération des tops managers – ceux payés par les deniers des citoyens – se déclarait « prêt à faire un effort », mais pas à voir son salaire passer de 1,1 million (trois fois le salaire du président des Etats-Unis) à un salaire de misère et comparait ce montant à des cacahuètes juste bonnes pour des singes. Il faut croire que le pays est peuplé de singes ! Dans le même temps, il mettait en place un plan drastique de réduction des effectifs tout en exigeant de son personnel, une augmentation de la productivité.

Louis Michel, ancien ministre et député européen, déclarait dans une interview au VIF, non sans cynisme et mépris, que la limiter à 4.800 euros nets mensuels, les émoluments des parlementaires (ils avoisinent actuellement les 9.000 euros[2]), serait une mauvaise chose car seuls les enseignants – ne le fut-il pas lui-même ? – et les fonctionnaires pourraient être intéressés par ce salaire de misère ajoutant que cela « couperait le Parlement de la réalité ».[3] Une réalité à 4.800 euros ?

Il faut aussi savoir que les ministres belges sont parmi les mieux rémunérés. Le site d’information français Direct Matin cité par La Libre révèle que le salaire du premier ministre ne serait dépassé que par celui du président des Etats-Unis. [4]

Didier Bellens, ancien CEO de ce qui était encore Belgacom, a touché en 2012, la modique somme de 2.400.000,00 euros. Dominique Leroy qui lui succéda à la tête de l’entreprise aurait quant à elle perçu pour l’ensemble de ses rémunérations un peu plus de 940.000,00 euros annuels. Montant manifestement insuffisant puisqu’elle envisageait de doubler cette rémunération en rejoignant KPN aux Pays-Bas. Mais ça, c’était avant d’être rattrapée par la justice pour une sombre affaire de délit d’initié.

La palme de l’indécence revient bien évidemment à Stéphane Moreau, patron de Nethys, avec ses 11 millions d’euros de primes (10 fois son salaire annuel).[5]

Il faut croire que ces patrons, ministres, députés, … sont à ce point indispensables et irremplaçables qu’en leur absence, leurs entreprises et pire encore, l’Etat, … s’effondreraient, nul autre n’ayant les compétences suffisantes pour assurer leurs tâches.

Et, malgré cela, …

Les Belges sont les champions d’Europe du bonheur, eh oui, ils détiennent parfois des records positifs ! C’est en effet dans ce pays que l’on retrouve en moyenne – 76% – le plus de gens qui se disent heureux !

Comment expliquer cette propension au bonheur quand pas grand-chose ne va ?

Humour belge, sens de la dérision ? Peut-être.

Surréalisme ? sûrement !

Patricia Keimeul
Directrice FAML

[1]                 https://www.rtbf.be/info/regions/detail_l-ugent-suspend-le-kvhv-pour-deux-mois?id=10388476

[2]                 https://www.rtbf.be/info/dossier/la-prem1ere-soir-prem1ere/detail_indemnites-de-sortie-et-salaire-des-deputes-des-montants-trop-eleves?id=10249591

[3]                 https://www.rtbf.be/info/dossier/la-prem1ere-soir-prem1ere/detail_indemnites-de-sortie-et-salaire-des-deputes-des-montants-trop-eleves?id=10249591

[4]                 https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/le-salaire-brut-des-ministres-belges-parmi-les-plus-eleves-51b8ead8e4b0de6db9c693b7

[5]                 https://www.google.com/search?q=limitation+des+salaires+des+tops+managers&rlz=1C1GCEU_frBE824BE824&sxsrf=ACYBGNQYs1PgLeaAstxjrfnpFjBYA9EuEg:1574339086113&ei=DoLWXajCBpKXkwX-xqrQAg&start=10&sa=N&ved=2ahUKEwioge-PpvvlAhWSy6QKHX6jCioQ8NMDegQICxA_&biw=1366&bih=625

Le féminisme : ce qu’il est, et ce qu’il n’est pas. Et pourquoi il est indispensable.

Le féminisme est né d’une injustice planétaire et millénaire reléguant les femmes dans un sous statut par rapport aux hommes. Après quelques révoltes ponctuelles au fil des siècles de la part de femmes d’exception, le mouvement s’est véritablement constitué au 19è siècle en Angleterre, avec le combat des « Suffragettes » pour obtenir le droit de vote.

Ces combats, qui ont certainement fait évoluer les idées et réduit l’injustice faites aux femmes, sont loin d’avoir éradiqué toutes formes d’inégalités, de mauvais traitements, d’exploitations imposées aux femmes ; dans de nombreux pays « la malédiction d’être une fille » [D. Sigaud] perpétue le plus vaste scandale de l’histoire humaine. Quelle que soit l’injustice subie par un groupe humain, elle s’avère toujours pire pour les femmes.

Malgré cela, il n’est pas rare d’entendre des personnes dire « je ne suis pas féministe », même si elles partagent l’idéal d’égalité homme/femme dont le terme est porteur ; qu’elles soient convaincues que « tout est acquis » et qu’il n’y a plus lieu de s’inscrire dans une revendication féministe, ou qu’elles désirent se démarquer de connotations associées au mot « féministe » pose évidemment question et indique la nécessité d’un travail d’information. Le présent texte résulte du sentiment d’urgence d’y participer et de tenter de dissiper les malentendus qui déforcent ces luttes pour plus d’égalité.

Le genre

Le statut d’infériorité imposé aux femmes et l’injonction de se conformer à un rôle  vient de préjugés et stéréotypes très anciens mais toujours vivaces à l’heure actuelle : « L’invention d’une différence radicale entre homme et femme aboutit à des rôles prescrits (vus comme naturellement déterminés) pour l’un et pour l’autre, qui avec la potentialité de maternité, renvoie toujours la femme au foyer, dans le soin aux enfants, aux faibles, aux vieillards…et les tâches domestiques. » [E. Badinter (interview, 2011)]

Comme l’a magistralement exprimé et démontré S. De Beauvoir (« On ne naît pas femme, on le devient »), la féminité est avant tout un fait culturel, donc acquis. Les individus sont tous différents et notre identité est avant tout un élément personnel unique, déterminé culturellement au fil de notre existence, et non par une constitution physiologique. Chacun porte en soi un mélange subtil de ce que l’on appelle féminité et virilité.

Le « genre » est précisément l’ensemble des « marqueurs » que la société assigne à chaque sexe biologique ; il définit ce qui sera attendu comme comportement « normal » de la part d’un homme ou d’une femme et contribue de façon plus ou moins contraignante à orienter chaque sexe  vers une « identité de groupe » prédéterminée et des parcours de vie « genrés » (en caricaturant à peine : l’infirmière et le soldat, la ballerine et le boxeur, la secrétaire et le patron).

Universalité du féminisme

Les acquis du féminisme sont voulus universels : que toute femme, tout homme soit doté des mêmes droits, reçoive les mêmes chances de se réaliser, et jouisse d’une même liberté indépendamment de son sexe biologique. Il n’y a pas de féminisme « réservé » ou « excluant » en fonction de quelque critère que ce soit ; il n’y a pas de féminisme blanc ou noir, du Nord ou du Sud, du riche ou du pauvre.

La liberté de faire le mariage de son choix, de faire carrière, d’avoir ou de ne pas avoir d’enfants, de participer à la vie sociale, de disposer à sa guise de son propre corps, d’aller et venir sans chaperon…tout cela qui est « bon pour moi » est aussi bon pour chaque femme (et chaque homme) dans le monde. Avoir un salaire égal à celui d’un homme pour le même emploi, recevoir la même part d’héritage, avoir la même voix qu’un homme en politique, au tribunal, et devant toutes les lois est bon pour chaque femme dans le monde.

Bon…mais pas encore réalisé, malgré de considérables progrès (dans les pays occidentaux notamment) : même en Belgique, des fillettes subissent l’excision, des jeunes filles sont mariées de force  et retirées de l’école ; partout, des femmes subissent la violence de leur conjoint (en France, près de 220.000 femmes subissent des violences de la part de leur conjoint ou ex-compagnon et plus de 250 femmes sont violées chaque jour). Le féminisme est la volonté de faire disparaître ces injustices.

Le féminisme universaliste ne fait pas l’hypothèse de l’existence d’une « essence » qui caractériserait de façon globale les comportements, les goûts, les caractères, les capacités de tous les membres d’un même sexe. Il constate des différences individuelles, et reçoit comme êtres humains « égaux » toutes ces personnalités, sans imposer d’alignement à une soi disant « normalité ».

On pourrait paraphraser ce que disait K Popper [    ] de l’essentialisme en sciences ou en philosophie : cette conception du monde, ayant son origine dans les philosophies de Platon et surtout d’Aristote, qui consiste à demander d’une chose quelle est son essence ou sa vraie nature » plutôt qu’à observer sa variabilité et les invariances de quelques relations, a engagé la recherche sur la voie de la stérilité à chaque fois qu’elle a été mobilisée.

Usurpateurs et imposteurs

Le féminisme n’est l’apanage d’aucun parti politique et il n’est soumis à aucune idéologie autre que la sienne propre ; il ne peut souffrir la main mise d’aucune conviction religieuse ou philosophique ; toute velléité de l’inféoder à une quelconque pensée « supérieure » conduit à le pervertir, à le détourner de son but, à l’étouffer progressivement.

Le féminisme est une valeur porteuse, simple à définir et difficile à réaliser…et comme tout « produit » de grande valeur, il souffre de nombreuses contrefaçons.

Ainsi, depuis ses origines, le féminisme a trouvé dans son sillage quantité de mouvements n’adhérant pas à ses valeurs, mais s’autoproclamant « féministes autrement » : mouvements essentialiste, différentialiste, maternaliste, religieux, décolonial, intersectionnaliste rivalisent avec d’autres courants (imprégnés de misandrie, de puritanisme,…) pour noyer le poisson auprès du grand public qui parmi tous ces intitulés se dorant du blason féministe ne sait séparer le bon grain de l’ivraie. Nous tenterons, en quelques mots, de brosser les caractéristiques principales des « concurrents » du féminisme universaliste les plus répandus de nos jours.

  1.  le courant essentialiste (ou différentialiste) affirme que les hommes et les femmes sont par nature essentiellement différents et doivent de ce fait être traités différemment. Il postule l’existence de qualités innées différentes pour les deux sexes, qui leur confère ex-officio des rôles pré déterminés.
    L’essentialisme crée donc une norme pour ce qui relève du féminin et y enferme les femmes (et une norme du masculin pour enfermer les hommes). Historiquement, le différentialisme fut longtemps soutenu par ceux qui souhaitaient ainsi justifier les inégalités de statuts entre hommes et femmes : c’est donc un argument central en faveur de la domination masculine. Le « féminisme essentialiste » dont le principe est antinomique avec l’égalité n’est donc pas un féminisme, mais une idéologie sexiste, même lorsqu’elle valorise certaines vertus qualifiées de féminines.
  2. un courant religieux : « féminisme musulman » tente le « grand écart » consistant à se présenter sous la double bannière d’une des idéologies parmi les plus sexistes et misogynes et celle de la défense de droits des femmes. Tout en proclamant vouloir trouver un chemin féministe dans les méandres de l’islam rigoriste, l’essentiel des revendications émanant de cette tendance en occident consiste à militer pour le droit à porter le voile islamique sous toutes ses formes (niqab, etc.) et en toutes circonstances ; dans les pays musulmans toutefois, on observe d’autres revendications moins superficielles (s’opposant aux lapidations, aux certificats de virginité par exemple).Religion parmi les autres, l’Islam par sa résistance dure aux avancées de l’égalité entre les sexes s’oppose au droit à l’IVG, au libre choix de son partenaire (avec ou sans mariage), et persiste à promouvoir la polygamie, les mariages « arrangés » avec de très jeunes filles, la mise sous tutelle masculine des filles et des femmes ; sur certains thèmes, il trouve des alliances opportunistes avec les autres courants religieux (contre les droits sexuels et reproductifs, le « mariage pour tous », et pour l’interdiction du blasphème par exemple). Les mouvements « Pro-life » ne font à cet égard que figure de la partie visible de l’iceberg des reculades actuelles en terme de liberté des femmes à disposer de leur propre corps. Ces courants qui inféodent les revendications des femmes à des diktats religieux, s’opposant à l’idéal d’égalité entre les hommes et les femmes, demeurent parmi les principaux bastions de la domination masculine.
  3. le courant «  intersectionnaliste », (et ses dérivés « décoloniaux », « indigénistes », etc.) est l’un des derniers arrivés sur le marché idéologique et a désormais ses entrées dans nombre de grandes institutions belges (universités, organismes officiels et monde associatif). A l’origine, le concept d’intersectionnalité (Kimberlé Williams Crenshaw, 1989), né du constat évident de la pluralité des discriminations (sexisme, racisme, homophobie,…) proposait d’analyser une seconde évidence, à savoir le cas de personnes victimes de plusieurs d’entre elles. Ce concept a permis de faire évoluer positivement le système judiciaire américain. Depuis, et tout particulièrement en Europe, le concept, retiré de son contexte, corrompu et récupéré est devenu un amalgame de combats qui conduit à une hiérarchisation des luttes antidiscrimination. La défense de l’égalité hommes/femmes s’y dilue et devient parfois anecdotique, lorsque l’importance de l’injustice subie par une femme est évaluée au travers de prismes qui la rend relative : la violence commise à l’encontre d’une femme qui n’est en outre ni « blanche » ni « pauvre », ni « occidentale », ni homosexuelle, ni handicapée (etc.)…étant considérée comme moins grave. Le courant le « intersectionnaliste » tente de décrédibiliser le féminisme universaliste, accusé de collaborer à la domination occidentale. Certaines déclarations de ce mouvement confinent au racisme (inversé) et au sexisme.
  4. Si on ajoute à cela les mouvements qui se déclarent ouvertement opposés à l’égalité homme/femme, comme les courants masculinistes , les fondamentalismes religieux et le dangereux retour des idéologies d’extrême droite, à divers titres décomplexées et nostalgiques du KKK hitlérien (Kinder, Küche, Kirche assignant la place des femmes auprès des enfants, de la cuisine et de l’Eglise), on comprendra l’urgence de se réveiller sans attendre que la jeunesse du pays ne soit massivement contaminée par les appels racistes et sexistes de « Schild en Vrienden ».

Pour un féminisme uni

Si des femmes subissent violences ou injustice différentes selon leurs « origines », leur statut social, leur lieu de vie, mais inhérentes à leur sexe et non à d’autres facteurs, qui pourrait  prétendre  que la discrimination dont elles souffrent  n’est pas une facette du sexisme universel ? Mutilations sexuelles, polygamie, crimes d’honneurs, viols « thérapeutiques », violences conjugales…sont bien évidemment des crimes sexistes infligés aux femmes, et seront à combattre en tant que tels. Nul besoin  pour cela de créer des féminismes spécifiques ! La division du « mouvement » féministes en sous-mouvements, comme toute division, affaiblit le combat central, commun et universel.

Et alors, que faire ? Partout et tout le temps, que chacun-e devienne porteur de lumière et de progrès :

  • à la maison comme à l’école, offrir aux jeunes une éducation non genrée
  • en famille, entre amis, au travail refuser les stéréotypes sexistes (ou pire, misogynes)
  • en toute occasion, réaffirmer les vraies valeurs du féminisme, universaliste, libre de toute mainmise idéologique, partisane ou religieuse.

L’égalité ne sera pas donnée : elle doit se conquérir.

G. De Meur

 

Pistes de lecture

  • Popper « La société ouverte et ses ennemis », Routledge (1945)
  • Sigaud « La malédiction d’être une fille », Albin Michel (2019)
  • Guirous « Le suicide féministe », Ed. de l’Observatoire (2019)
  • Badinter « Fausse route », Odile Jacob (2003)
  • De Beauvoir « le deuxième sexe », Gallimard (1949)
  • Geerts «  Dis, c’est quoi le féminisme ? » Renaissance du livre (2017)
  • De Meur  «Féminismes contre Féminisme » La Pensée et les Hommes n°114 (2019)

 

Le tourisme et les femmes

Le tourisme est la plus grande industrie mondiale ?avec 1,4 milliard de personnes ayant passé au moins une nuit dans un pays étranger en 2018.

Mais qu’est-ce qui se cache réellement derrière le terme tourisme ? Le tourisme caractérise un « ensemble d’activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans des lieux situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires ou pour d’autres motifs. »[1]

Le tourisme est un grand défi pour l’avenir car il représente de plus en plus une source « majeure, sinon la principale, de croissance, d’emploi, de revenus et de recettes pour beaucoup de pays en développement à travers le monde ».

En 2010, le secteur du tourisme était à l’origine de plus de 235 millions d’emplois dans le monde, soit 8,1 % de l’emploi total, les femmes représentant 54% des employés du tourisme. Les emplois concernent aussi bien l’hébergement des visiteurs, les activités de restauration, le transport ferroviaire, routier, aérien ou par voie d’eau, les agences de voyage, les activités culturelles…

Le tourisme est souvent présenté comme un levier puissant pour favoriser l’autonomisation des femmes. Ces dernières années, de nombreux progrès ont été réalisés à ce niveau, mais l’égalité n’est pas encore acquise. [2] Les femmes sont encore loin de jouir des mêmes droits, privilèges et avantages fondamentaux que les hommes. Les femmes gagnent toujours beaucoup moins que les hommes, effectuent une quantité disproportionnée de travaux ménagers, disposent de moins de droits, de moins de mobilité sociale et d’un accès limité aux ressources. Le tourisme est un secteur où les femmes sont vulnérables et doivent faire face à des types d’emplois précaires, à l’inégalité, à la violence au travail, au stress ainsi qu’au harcèlement sexuel.

Les difficultés rencontrées par les femmes

Les femmes gagnent en moyenne 10 et 15 % en  moins que leurs homologues masculins. [3]

L’Organisation Internationale du Travail (OIT) montre également que les femmes sont plus susceptibles de chercher des emplois à temps partiels ou flexibles. Par conséquent, elles cherchent régulièrement des emplois qui permettent cette flexibilité pour s’occuper de leurs enfants ou de leurs parents. Mais ces emplois ont tendance à payer moins et à être souvent plus précaires.

Les femmes travaillent également souvent bénévolement dans des entreprises familiales liées au tourisme. En réalisant par exemple les ménages dans un hôtel géré par un homme de la famille, elles travaillent de nombreuses heures sans salaire, ni réelle reconnaissance.

Elles sont moins susceptibles d’être promues à des postes de direction que leurs homologues masculins. Les postes qu’elles occupent ne permettent pas de réelles promotions.

Il existe bien des femmes qui créent leur propre entreprise mais elles sont bloquées à de nombreux niveaux : les moyens financiers, des compétences qui leur manquent car elles n’ont pas accès à certains domaines d’études. Mais malgré toutes ces difficultés, on observe une augmentation des femmes entrepreneurs dans le domaine du tourisme.

Elles sont moins soutenues que les hommes car il leur est plus difficile d’obtenir le financement nécessaire pour développer leur entreprise. Les banques sont beaucoup plus frileuses pour prêter de l’argent à une entrepreneuse qu’à un homme malgré le succès de bon nombre d’entreprises dirigées par des femmes : « 70% des petites et moyennes entreprises appartenant à des femmes ne sont pas desservies ou mal desservies par les institutions financières ». [4]

Si les femmes sont très nombreuses à suivre des études dans le domaine du tourisme, elles n’atteignent pas des niveaux d’études suffisants pour leur permettre d’accéder à des fonctions de leadership. On retrouve donc la majorité des femmes dans des emplois d’accueil ou de femmes de ménage alors que les hommes exercent des fonctions de guide ou de manager. [5] Ces dernières années, des investissements dans la formation professionnelle des femmes a permis d’avoir de bons résultats pour aider les femmes à accéder à des fonctions plus élevées. Pour cela, il a fallu permettre aux femmes d’acquérir des compétences techniques, de leadership mais aussi alphabétiser des femmes qui souvent n’ont pas eu accès à une scolarité classique. [6]

De grandes sociétés prennent conscience des inégalités qui persistent entre les hommes et les femmes.

 

 

Tourisme et prostitution

Si le tourisme peut aider la femme dans un processus d’autonomisation, il peut également la placer dans un cycle négatif de dépendance.

Certaines zones touristiques amènent une plus grande proportion de jeunes femmes qui se prostituent. Des « jeunes filles employées dans des bars travaillent  dans des conditions et des structures qui, loin d’améliorer leur situation financière, les engagent dans un cycle de dépendance dont il est difficile de s’échapper ». Elles travaillent pour un employeur qui les exploite pour eux-mêmes en retirer un maximum de profit. Travailleuses occasionnelles, les femmes travaillent à la commission et ne cotisent en aucun cas pour leur pension.

On a pu observer dans des zones de destination touristiques, que l’extension de la prostitution a provoqué la recrudescence de maladies graves, en particulier chez les femmes. En effet, la prostitution implique souvent des abus et de la violence exercés contre les femmes. Ces dernières sont souvent peu informées en matière de maladies sexuellement transmissibles.

Comment les acteurs du tourisme peuvent-ils agir pour l’équité homme/femme ?

Il existe un grand nombre de façons d’agir pour l’équité homme/femme, dont certaines sont très simples comme « l’écoute mutuelle, le respect, la créativité et l’instauration d’actions collectives au sein d’une équipe composée de femmes et d’hommes, tous à égalité sans exception ». Mais si on veut agir pour l’égalité homme/femme, il faut aussi changer les idées préconçues et reconsidérer sa communication. Veiller à ne pas diffuser des supports de communication qui indiquent à la femme le rôle qu’elle devrait tenir.

Certaines entreprises font le choix de valoriser le travail des femmes dans des milieux généralement réservés aux hommes.

Au sein de la société British Airways, on observe une absence de représentation des femmes aux échelons supérieurs de la hiérarchie, tant au niveau des pilotes que des cadres, ce qui explique les différences de salaire entre les hommes et les femmes. La société a voulu lutter contre ces inégalités et montrer aux femmes qu’elles étaient capables de mener des carrières de pilote en menant des campagnes de sensibilisation au sein des écoles et des universités.

C’est également une campagne de sensibilisation qui  a été choisie par ?????

D’autres entreprises agissent par la mise en place d’une politique responsable active sur le recrutement, l’accès à la formation, les congés maternité.

Des grandes chaînes d’hôtels comme Hilton ou Marriott ont mis en places des programmes de soutien aux femmes. Ils paient les congés de maternité ainsi que les congés parentaux, remboursent les frais de scolarité. Ce qui a permet aux femmes de pouvoir mener plus aisément vie familiale et professionnelle.

Les femmes ont souvent besoin d’une formation pratique qui leur permet de monter les échelons et d’oser se lancer comme entrepreneur. Elles ont également besoin d’être accompagnées, la création de communauté d’expertes bénévoles peut les aider à développer leur projet.

De manière plus globale, le tourisme durable se présente également  comme une solution pour favoriser l’égalité homme/femme. Le tourisme durable prône la parité entre les hommes et les femmes et l’accompagnement de ces dernières vers plus d’autonomie(…).

Il est important de veiller à renforcer la protection légale des femmes dans les emplois liés au tourisme. Et pour cela, les politiques liées au tourisme durable doivent inclure une réglementation du salaire minimum et une législation sur l’égalité des salaires et de lutter pour améliorer les conditions des congés de maternité, la flexibilité des horaires.[7]

Pour l’avenir

Des études sur le tourisme durable ont démontré que « les femmes dirigeantes font des choix stratégiques plus responsables avec une approche pérenne et plus éthique. Elles ont des objectifs de croissance durable, priorisent les relations humaines et s’appuient sur un modèle de management collectif. » [8] Il semble donc important d’amener plus de femmes à entreprendre dans le domaine du tourisme. Mais pour cela, il faut amener à changer les mentalités.

On peut apporter son soutien aux projets de développement, participer à des voyages solidaires qui aident les femmes dans leur quotidien et leurs démarches d’entreprenariat.[9] Il est important de (re)donner confiance aux femmes dans leurs capacités à mener à bien des projets dans le domaine du tourisme.

Marie Béclard
FAML

[1]Information consultée le 10 octobre 2019 sur le site http://fits-tourismesolidaire.org/ressource/pdf/B1bALaurentSyntheseCaracteriserletourismeresponsablefacteurdedeveloppementdurable.pdf

[2] Bureau international du travail, Outils sur la réduction de la pauvreté par le tourisme, Genève, 2011, p. 6.

[3] Global Report on Women in Tourism, p. 9 consulté le 12 octobre 2019 sur le site https://www.e-unwto.org/doi/pdf/10.18111/9789284420384

[4] Bureau international du travail, Outils sur la réduction de la pauvreté par le tourisme, Genève, 2011, p.8.

[5] Global Report on Women in Tourism, p. 14 consulté le 12 octobre 2019 sur le site https://www.e-unwto.org/doi/pdf/10.18111/9789284420384

[6] Global Report on Women in Tourism, p. 15 consulté le 12 octobre 2019 sur le site https://www.e-unwto.org/doi/pdf/10.18111/9789284420384

[7] Informations consultées le 10 octobre 2019 sur le site https://www.tourisme-durable.org/actus/item/880-quelle-place-a-la-femme-dans-le-tourisme

[8] Informations consultées le 10 octobre 2019 sur le site https://www.tourisme-durable.org/actus/item/880-quelle-place-a-la-femme-dans-le-tourisme

[9] Informations consultées le 10 octobre 2019 sur le site https://www.tourisme-durable.org/actus/item/880-quelle-place-a-la-femme-dans-le-tourisme.

La femme, son statut et ses (non) droits à travers l’histoire

Il suffit d’ouvrir un manuel d’histoire pour constater à quel point les femmes sont absentes dans ce domaine. Il y a bien quelques grandes dames dont on cite le nom et les exploits. Les femmes du commun des mortels, passent elles complètement à la trappe. Si depuis quelques décennies, on tente d’écrire une histoire de la femme, il n’est pas toujours évident de trouver les sources nécessaires dans une histoire écrite essentiellement  par des hommes pour des hommes.

A la préhistoire

Il est difficile de savoir ce qu’il en est réellement des femmes, de leurs droits et de leur statut à cette période. L’absence de textes complique l’étude de ces temps reculés et tout ce qui est envisagé par les différents scientifiques relève de l’hypothèse. Au XIXe siècle, les préhistoriens ont popularisé l’image des premières femmes « occupées à cueillir des baies en attendant le retour de leurs mâles chasseurs qui les entraîneront par les cheveux au fond de la caverne… »[1]

Mais aujourd’hui, beaucoup de spécialistes s’accordent à dire que l’image développée à cette époque et ensuite véhiculée par les films et la littérature est probablement biaisée. Des anthropologues s’orientent vers une théorie selon laquelle : « les hommes préhistoriques auraient été beaucoup plus calmes et organisés, avec des principes d’égalité entre hommes et femmes que ce que l’on aurait envisagé ».[2]

Des études sur des tribus modernes  de chasseurs-cueilleurs montrent une répartition égalitaire des tâches entre les hommes et les femmes. Des anthropologues pensent qu’on peut transférer cette logique moderne à la préhistoire puisque ces sociétés présentent beaucoup de similitudes. On peut supposer que : « les femmes avaient un rôle économique et social important avec des activités liées à la transformation et aux transports des animaux morts : les tâches sont attribuées en fonction des capacités et non du sexe. Elles avaient un rôle actif de cueillette et de collecte ». Les anthropologues supposent que les femmes avaient le droit de s’exprimer et étaient probablement aussi écoutées que les hommes.

 

 

Durant l’antiquité

En Mésopotamie, entre 1792 et 1750 avant J.-C., les femmes semblent protégées par des textes de lois précis comme c’est le cas dans le code Hammurabi. Elles sont lourdement punies lorsqu’elles commettent des fautes mais « elles sont aussi protégées du viol avec la peine de mort pour le coupable ». [3] Les femmes n’ont pas accès au pouvoir mais elles peuvent exercer certaines fonctions importantes comme être scribes.

Quelques siècles plus tard, en Grèce et plus particulièrement à Athènes, dans les familles aisées garçons et filles         reçoivent très tôt une éducation différente, puisque dès sept ans, les deux sexes sont séparés. Aux hommes, les apprentissages intellectuels, aux femmes on réserve une formation orientée vers la gestion de la maison et du domaine (travail de la laine, gestion du personnel …). Des formations qui s’expliquent par les tâches à venir de chacun de deux sexes puisque « les garçons sont formés à leur futur rôle de guerrier ou de citoyen  et les filles à leur futur rôle de mère et d’épouse ou de gestionnaire du domaine familial ».[4] En effet, les femmes n’ont pas le statut de citoyennes mais d’épouses ou de mères de citoyen. Elles ne peuvent accéder à la justice qu’avec l’accord de leur mari ou d’un tuteur. Il en va de même pour avoir accès à la propriété, elles ne peuvent pas posséder de biens immobiliers. [5]

Durant la Rome républicaine, la « société est fondée sur un système d’inégalité entre les citoyens, dans lequel les droits et les devoirs sont à géométrie variable, et sont essentiellement proportionnels à l’importance de la naissance et de la fortune » et aussi du sexe.

Les femmes sont tenues à l’écart des fonctions publiques et civiques. Le droit romain est clair: il n’est de citoyenneté possible que pour les hommes. Il n’existe même pas de terme pour désigner une citoyenne. [6]

Dans une jurisprudence romaine datée du Ve siècle avant J.-C., on apprend que les femmes même lorsqu’elles sont majeures doivent rester sous tutelle « sous une autorité masculine, que ce soit la potestas du père, la manus du mari, ou la tutelle d’un frère, d’un oncle ou d’un membre extérieur à la famille ».  [7]

Au Moyen-âge

Les femmes sont souvent absentes des sources puisque les textes sont écrits par des hommes qui ne leur accordaient que très peu d’importance. Le Moyen-âge ne fait pas exception à la règle. Seules les reines et les abbesses font couler un peu d’encre. De cette période considérée souvent comment période noire, on n’attend pas beaucoup d’amélioration des droits de la femme. Les viols, les droits de cuissage inondent la littérature et les films. Qu’en est-il  vraiment ?

Quand on parle des autres femmes ce n’est pas souvent en termes élogieux. On trouve dans certains textes que le mari peut frapper sa femme. En effet, dans les Coutumes de Clermont-en-Beauvaisis,  un ouvrage de droit français  écrit par Philippe de Beaumanoir à la fin du XIIIe siècle, on conseille même de réprimander son épouse  si elle est désobéissante.

Pourtant, les femmes mariées ont  quant à elles, des droits avancés et jouent un rôle beaucoup plus important que dans certaines régions et période de l’Antiquité. Elles peuvent hériter de terres, gérer des fiefs lorsque leur mari est absent, saisir les tribunaux. [8]

Au XIIIe siècle, les femmes  ont le droit de travailler : « Les corporations d’artisans se montrent ouvertes aux femmes. (…) Les statuts de la corporation des fourreurs de Bâle, rédigés en 1226, leur accordent les mêmes droits qu’aux hommes. (…) Elles sont également présentes dans les soins de santé. Elles exercent des emplois de sages-femmes mais aussi de médecins. On les retrouve aussi dans l’éducation. À Paris, on compte vingt-et-une maîtresses d’école à la tête d’écoles élémentaires de jeunes filles.[9] Au XIIIe siècle, on retrouve aussi des femmes libres qui se sont battues aux côtés des paysans contre l’oppression féodale. « Des femmes qui ont organisé la première grève des femmes à Bruxelles : elles considéraient que leur salaire versé par la Corporation des tisserands était insuffisant. Ce secteur était florissant en Belgique et reconnu internationalement. Elles ont donc arrêté le travail et ont menacé le secteur de la tapisserie d’être en faillite car leur travail se situait au début de la chaîne. Elles ont obtenu gain de cause : leur salaire a été augmenté. »[10]

On voit encore ici que l’obtention ou le maintien des droits de la femme est loin d’être une histoire linéaire.

A partir de 1300, des règlements urbains cherchent à  exclure les femmes des commerces qu’elles pouvaient tenir. En France aucune femme n’est  habilitée à étudier, ou encore moins à enseigner dans les universités. Les femmes perdent progressivement des droits.

Aux temps modernes

Si cette période est celle de la redécouverte de l’Antiquité en termes culturels et place l’Homme au centre de tout, on aurait pu espérer que les intellectuels de l’époque donnent aux femmes un statut équivalent au leur. Mais au contraire « C’est le début d’un mouvement souterrain qui va complètement évincer les femmes des fonctions publiques au 16e siècle et tenter de les renvoyer à leur vocation de potiche ». [11]

En effet, pour la femme, on assiste à « un durcissement de ses conditions de vie dans nombre de domaines et, pire, à  un recul de ses droits civiques, les femmes redeviennent des éternelles mineures.[12]

C’est à cette époque que les procès en sorcellerie débutent réellement contrairement à l’imaginaire collectif qui les place plutôt au Moyen-âge. En effet, c’est au XVe siècle et majoritairement au XVIe et au XVIIe siècle qu’on assiste à de nombreux procès pour sorcellerie. On accuse les femmes sans enfants  pour détourner l’impuissance de l’homme. Beaucoup de sages-femmes et de guérisseuses se sont vu également condamnés.[13] Pendant la Renaissance, « l’homme est remis au centre. Mais c’est de l’homme (petit h) dont on parle, pas l’Homme… Et toutes les femmes détentrices d’un certain savoir, et par extension d’un certain pouvoir, furent persécutées»[14]

 

 

La Révolution française

Une nouvelle chance pour les femmes d’être mieux considérées ?

Les femmes se sont battues pour l’égalité. Sur les représentations iconographiques de la Révolution française, on peut voir des hommes et des femmes qui mènent ensemble des actions: « prise de la Bastille, scènes de rue, de procès, d’assemblée, de pillage, d’exécution, de soutien aux armées partant défendre «la patrie en danger» ».

Les hommes ont pourtant réussi à les faire disparaître dans l’historiographie traditionnelle. On ne parle que d’hommes à l’exception de quelques femmes extraordinaires. La femme est totalement effacée comme si ce n’avait pas été le fruit de toute la population mais une révolution purement masculine.

Si la Révolution et son principe d’égalité laissaient augurer une amélioration et un changement de statut pour la femme. Il n’en est rien dans la réalité. Les femmes obtiennent bien le titre de «citoyenne» mais n’acquièrent pas pour autant de droits politiques et n’ont légalement pas le droit de vote.[15]

Pourtant, ce n’est pas l’intérêt politique qui manque chez les femmes.  Elles sont très  assidues dans les assemblées révolutionnaires. [16] Certaines d’entre elles expriment même des idées féministes qui visent à améliorer leur statut comme Olympe de Gouges et sa Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne mais le combat pour l’égalité reste encore long et difficile.

Sous l’Empire

Aucun droits politiques ou civils ne lui sont accordés. La femme reste une  éternelle mineure placée sous la coupe de son mari ou de celle de son père.

Depuis le 7 novembre 1800 en France,  les femmes ne pouvaient plus porter le pantalon sous peine d’être accusées de travestissement. Une loi qui n’a étonnement été abrogée qu’en 2013.[17]

En France, les premières revendications politiques apparaissent durant la Révolution de 1848, avec la mise en place du suffrage universel, encore réservé aux hommes.

Le XXe siècle

« Les femmes mariées obtiennent le droit d’ouvrir un compte d’épargne et d’en retirer de faibles sommes sans l’autorisation de leur mari. Elles peuvent aussi conclure un contrat de travail et toucher une partie de leur propre salaire. Elles peuvent dépenser cet argent sans autorisation de leur mari pour autant qu’il soit affecté aux besoins du ménage. Toutes les restrictions à disposer de son propre revenu professionnel seront levées en 1922, et le droit de percevoir sa propre pension sera instauré en 1928 ». Autant de choses qui semblent tellement naturelles actuellement, tellement inimaginables qu’elles en sont risibles et qui est pourtant, pour obtenir ces droits, il a fallu de longues luttes. En France, les femmes auront dû attendre jusqu’en 1965 et en 1976 en Belgique pour avoir le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’accord de leur mari.   [18]

Si actuellement en Belgique, on a progressé sur la route de l’égalité homme-femme, la route reste encore très (trop) longue. On assiste encore à des inégalités salariales si deux individus salariés de la même société et possédant le même niveau de qualification exécutent des tâches similaires mais que par contre ils ne sont pas payés de la même façon. Bien que cette pratique soit illégale, il arrive encore que des hommes soient payés plus que des femmes à diplôme et poste équivalent.

Les femmes sont les grandes absentes de la hiérarchie dans bon nombre de sociétés. On explique souvent ce phénomène par le « plafond de verre ». Expression qui renvoie au fait que les femmes peuvent progresser dans la hiérarchie de l’entreprise mais seulement jusqu’à un certain niveau. Elles n’atteignent que rarement les postes les plus hauts. Comment expliquer que la Belgique n’a jamais eu de premier ministre femme jusqu’à la nomination de Sophie Wilmès dans une fonction que peu d’hommes auraient accepté pour combler le vide du pouvoir fédéral ? Et même en regardant chez nos voisins, les dirigeants femmes sont à compter sur les doigts d’une main. [19]

On l’a vu à travers l’histoire, jamais les droits ne sont totalement acquis pour la femme et un retour en arrière n’est jamais impossible. Il ne faut pas aller très loin ni géographiquement ni dans le temps pour assister à des pertes de droits pour la gente féminine. En 2016, La Pologne a tenté d’interdire totalement l’avortement mais sous la  pression, l’a fortement limité : il n’est autorisé qu’en cas de viol, d’inceste, de danger pour la mère ou de malformation irréversible du fœtus. A Malte, en 2019, il reste interdit qu’importe le motif et implique une peine de prison pour la femme et le médecin qui ne respecteraient pas l’interdit.  [20]

Les religions « Les religions n’aiment pas les droits des femmes » [21]? On peut se poser la question quand on assiste à des situations comme celle d’une fillette de neuf ans  qui est excommuniée pour avoir avorté suite aux viols répétés de son beau-père et face au risque important de décès pour la jeune mère.  Pour citer Geneviève Fraisse : « Allons-y sans détour : aucune religion ne pense l’égalité des sexes, aucun des trois monothéismes notamment. Chrétiens, juifs, musulmans louvoient tous à leur façon pour éviter cette question brutale : l’égalité, doublée de la liberté, pour tous et toutes ». [22]

Peut-on vraiment lui donner tort ? Restons vigilant(e)s, l’histoire nous a appris qu’en matière d’égalité homme-femme rien n’est jamais acquis définitivement.

Marie Béclard
FAML

 

[1] I. GREGOR, Les tribulations des femmes à travers l’Histoire, herodote.net, p.8.

[2] https://www.hominides.com/html/actualites/egalite-sexes-prehistoire-0924.php

[3] I. GREGOR, Les tribulations des femmes à travers l’Histoire, p.14.

[4] C. MARISSAL, Femmes hommes Un passé commun Antiquité et Moyen âge, http://www.avg-carhif.be/media/d_Femmesethommesdanslhistoire_71317.pdf

[5] A. CHATELARD, « minorité juridique et citoyenneté des femmes dans la Rome » dans Clio. Femmes, Genre, Histoire » 2016/1, 43, p.27.

[6] A. CHATELARD, « minorité juridique et citoyenneté des femmes dans la Rome » dans Clio. Femmes, Genre, Histoire » 2016/1, 43, p.27.

[7]

[8] https://www.boutique.afnor.org/resources/8c157a96-2705-475d-b149-785413ce2091.pdf

[9] I. GREGOR, Les tribulations des femmes à travers l’Histoire, herodote.net, p.54.

[10] Conférence : le féminisme ne sert plus à rien, p. 3 consulté le 10 octobre 2019 sur http://www.lepoissonsansbicyclette.be/wp-content/uploads/2018/04/180318-Ape%CC%81ro-le-fe%CC%81minisme-c%CC%A7a-sert-plus-a%CC%80-rien-.pdf

[11] I. GREGOR, Les tribulations des femmes à travers l’Histoire, herodote.net, p.57.

[12] I. GREGOR, Les tribulations des femmes à travers l’Histoire, herodote.net, p.59.

[13] Informations consultées le 11 octobre 2019 sur le site https://www.franceinter.fr/culture/la-chasse-aux-sorcieres-la-face-cachee-de-la-renaissance

[14]

[15]N. THÉVENET,  Les femmes et la Révolution française, https://www.reseau-canope.fr/la-classe-loeuvre/fileadmin/user_upload/projets/musee935/MRF-DossierPed-FemmesRevol.pdf

[16] N. THÉVENET,  Les femmes et la Révolution française, https://www.reseau-canope.fr/la-classe-loeuvre/fileadmin/user_upload/projets/musee935/MRF-DossierPed-FemmesRevol.pdf, p.4.

[17] Informations consultées dans l’article, Les femmes ont (enfin) le droit de porter un pantalon

https://www.bfmtv.com/politique/femmes-ont-enfin-droit-porter-un-pantalon-439964.html

[18] Conférence : le féminisme ne sert plus à rien, p. 6 consulté le 10 octobre 2019 sur http://www.lepoissonsansbicyclette.be/wp-content/uploads/2018/04/180318-Ape%CC%81ro-le-fe%CC%81minisme-c%CC%A7a-sert-plus-a%CC%80-rien-.pdf

[19] Informations consultées le 4 septembre sur le site https://igvm-iefh.belgium.be/fr/activites/emploi/plafond_de_verre

[20] Informations consultées le 4 septembre sur le site https://www.touteleurope.eu/actualite/le-droit-a-l-avortement-dans-l-ue.html

[21] Religions et droits des femmes : un combat éternel  Informations consultées le 4 septembre sur le site genreenaction.net/Religions-et-droits-des-femmes-un-eternel-combat.html

[22] Religions et droits des femmes : un combat éternel  Informations consultées le 4 septembre sur le site genreenaction.net/Religions-et-droits-des-femmes-un-eternel-combat.html

De quelques spécificités des « guerres de religion »

Dans le vaste débat contemporain sur les rapports entre religion et violence, beaucoup d’auteurs font appel à des arguments à connotation historique. Ils évoquent notamment les « guerres de religion » des 16e et 17e siècles pour tenter de comprendre et d’endiguer les violences actuelles. Certains spécialistes de la période se sont livrés à l’exercice, au-delà des raccourcis simplistes et des conclusions hâtives[1]. L’objectif de ces propos est d’approfondir leurs réflexions sur la nature et les spécificités des anciennes « guerres de religions », en interrogeant leur pertinence pour l’étude des conflits actuels.

Qu’est-ce qu’une « guerre de religion » ?

Il faut se garder d’appliquer le terme fort ambigu de « guerre de religion », qui renvoie à des notions connexes, elles aussi problématiques, telles « guerre sainte » ou « conflit de civilisation », de manière irréfléchie aux guerres contemporaines. Élie Barnavi définit la « guerre de religion » comme une guerre « où la dimension religieuse domine toutes les autres », mais cette définition élude une distinction importante à faire entre, d’une part, la religion comme cause de conflit et, d’autre part, la religion comme élément de légitimation de violences commises en son nom.

Les origines étymologiques de la notion de « guerre de religion », en français mais aussi dans d’autres langues européennes, remontent aux conflits à caractère confessionnel qui ont ravagé l’Europe aux 16e et 17e siècles. À cette époque, politique et religion étaient indissociables et ce serait un leurre de vouloir traiter séparément de l’une ou de l’autre. Quoiqu’il en soit, la violence religieuse jouait un rôle déterminant dans ces affrontements d’un type nouveau. Il s’agissait bel et bien de guerres à connotation religieuse : dire cela, ce n’est pas nier que d’autres facteurs, politiques, géostratégiques, sociaux ou économiques, y intervenaient également. C’est souligner le fait que les causes de ces conflits d’une part, et, surtout, les manières de les légitimer, d’autre part, étaient d’abord et avant tout de nature confessionnelle.

Des guerres d’une violence inouïe

Pour mieux saisir les spécificités de la « guerre de religion », il faut « écouter » les témoignages des contemporains, c’est-à-dire des hommes (et des femmes) du 16e siècle (et du 17e siècle) qui ont écrit sur elle… Le fait qu’ils ont donné de nouveaux noms aux conflits qui se sont déroulés sous leurs yeux, « Religionskrieg » et « guerre de religion » entre autres, est révélateur du caractère inédit de ces conflits. Pour eux, le rôle prédominant de la religion ne fait pas l’ombre d’un doute. Ils se savent confrontés à un phénomène nouveau, « inouï », « hors catégorie ». Et ils sont conscients du fait que les guerres dites « de religion » sont encore plus violentes, encore plus impitoyables que les autres guerres. Pourquoi ? Les explications d’Élie Barnavi sonnent juste : « La religion ajoute à la guerre une dimension unique, qui la rend particulièrement féroce et inexpiable : la conviction des hommes qu’en la faisant ils obéissent à une volonté qui les dépasse et qui, par cela même, fait de leur cause un droit absolu ». Ces constats de grande cruauté se retrouvent dans beaucoup de témoignages d’époque.

Les « guerres de religion » sont des guerres sauvages dans lesquelles tout, ou presque, est encore permis. C’est aussi pour cette raison-là qu’elles sont si destructrices et si meurtrières. Elles touchent de près des populations entières, y compris des gens qui ne sont pas directement impliqués dans les combats mais qui doivent en supporter les retombées souvent catastrophiques. Ainsi, les ravages commis par des armées en déroute sont un véritable fléau des 16e et 17e siècles. Il en va de même pour les vols, usurpations, mises à feu, viols et autres violences perpétrées contre des civils. Peu de guerres ont donné lieu à autant de massacres, c’est-à-dire de tueries désordonnées et gratuites de non-combattants, que les guerres de religion.

 

 

Des violences fratricides et « de foule » portées par des peurs de « fin du monde »

Et puis, ces guerres sont par définition fratricides, ce qui renforce leur brutalité aux yeux des acteurs et des témoins. Dans les guerres dites « de religion », les ennemis ne sont pas, comme dans les croisades, des musulmans, des « infidèles » considérés comme étant sans foi ni loi ; ils sont chrétiens eux-mêmes, des chrétiens qui appartiennent à la mauvaise confession, qui sont d’effroyables « hérétiques » ou d’horribles « papistes », mais qui sont des chrétiens, tout de même. Cette caractéristique rend les guerres de religion plus difficiles à supporter, plus « cruelles » aux yeux des contemporains.

En effet, il ne s’agit pas de guerres contre l’« autre », le fondamentalement différent, facile à déshumaniser et à diaboliser. Ce sont plutôt des guerres contre le « même », contre des voisins avec lesquels on aurait tout intérêt à vivre en paix, contre des frères et des parents, au sens figuré, mais aussi parfois au sens propre du terme. Cette cruauté intrinsèque, due à la grande proximité et aux nombreuses ressemblances entre les adversaires, est particulièrement importante dans les guerres civiles, dans les guerres entre factions religieuses rivales d’un même pays, d’une même région, voire d’une même ville.

Le côté absolu de la religion devient destructeur lorsqu’il est combiné avec d’autres éléments et lorsqu’il s’épanouit dans un contexte propice à la brutalité. Natalie Zemon Davis, une historienne américaine qui a publié des études pionnières sur la violence pendant les guerres de religion françaises, a montré que le 16e siècle est déjà un siècle « de foules » et plus précisément de « violences de foule », de violences collectives difficiles à endiguer. Les liens entre actes de piété et actes de violence sont souvent très étroits, comme si les derniers participaient à part entière d’une cérémonie religieuse, d’un rituel sacré. Cette association est aussi fondée sur des croyances anciennes, ancrées dans les mentalités de l’époque, partagées par les catholiques et les protestants, sur les vertus purificatrices de la violence. Cette lecture, qui emprunte des concepts anthropologiques, permet de mieux comprendre comment des massacres de grande envergure et d’une exceptionnelle cruauté, tels les massacres de la Saint Barthélémy en août 1572, ont pu se dérouler dans des sociétés aussi policées, à première vue, que la société française.

Denis Crouzet a poussé encore plus loin l’étude des violences collectives pendant les guerres de religion françaises, dans un ouvrage monumental paru en 1990 qui porte un titre très parlant : Les guerriers de Dieu. À l’origine, il y a, selon lui, la « grande angoisse du châtiment divin » qui se répand en France à partir des années 1520, en d’autres termes des peurs apocalyptiques, de « fin du monde ». Selon lui, l’origine religieuse du conflit ne fait pas l’ombre d’un doute. En ce temps où l’on croyait à l’imminence de la fin du monde, il s’agissait de réinstaurer par tous les moyens la pureté du royaume. Le sens donné à la notion de pureté variant évidemment en fonction des camps, de nombreux rituels de violence étaient ainsi mis en place de part et d’autre.

Des guerres de propagande : rôle central de l’image

Les « guerres de religions » présentent une autre caractéristique qui rappelle les conflits de notre époque, à savoir le recours massif et constant à la propagande, au sens large du terme. En effet, dans ces conflits, les discours, sur soi et sur l’autre, jouent un rôle déterminant. Afin de convaincre du bien-fondé de conflits qui sont souvent des conflits fratricides, les systèmes de propagande mis en place par les belligérants doivent être performants, c’est-à-dire jouer sur des arguments extrêmes : dans les guerres de religion, l’ennemi fait l’objet de virulentes attaques par l’imprimé et par l’image qui visent à lui enlever sa dignité et son humanité, à le présenter comme une menace permanente, une caricature de l’erreur, voire comme l’incarnation suprême du « Mal ». La violence n’est pas uniquement sur les champs de bataille et sur les lieux de massacre, mais aussi dans les pamphlets et les livres, dans les harangues et les prêches, dans les gravures et les tableaux. Il s’agit de « guerres idéologiques sans merci » (selon l’expression de Georges Livet) dans lesquelles les combats par les armes classiques se doublent de combats d’idées, de combats par la parole, par le texte et par l’image.

En effet, les guerres de religion des 16e et 17e siècles se mènent aussi par les images. Rappelons l’importance des pratiques iconoclastes chez les protestants, les destructions massives, par vagues, d’œuvres d’art, de vitraux, de mobilier et d’objets de culte dans les églises et couvents. Ces attitudes sont portées par des aspects religieux, mais aussi par des raisons socio-économiques, ainsi que par des éléments relevant de l’anthropologie culturelle et de la psychologie sociale. Le recours à la propagande par l’image est incessant et il concerne tous les camps : dans les « guerres de religion », les gravures cherchant à abaisser, ridiculiser, dénoncer, diaboliser l’ennemi jouent un rôle central. Ces nouveaux supports de la propagande religieuse et politique connaissent une diffusion importante grâce à l’imprimerie, qui s’impose comme une technique de communication de masse aux 16e et 17e siècles, et par des relais de distribution multiples et variés.

 

 

Des guerres de propagande : l’âge d’or du pamphlet

La propagande par l’écrit se traduit par la multiplication d’ouvrages savants, de théologie par exemple, d’une influence certaine pendant ces conflits éminemment idéologiques que sont les guerres de religion. Mais les 16e et 17e siècles sont aussi et surtout des siècles du pamphlet, de la littérature de combat, très passionnée, d’une violence crasse. Luc Racaut, qui a étudié en profondeur les pamphlets catholiques français de l’époque des guerres de religion, a forgé à ce sujet le terme très parlant de « Hatred in Print », de « haine imprimée ». Il a notamment analysé certains thèmes et arguments récurrents de la polémique catholique contre les protestants dans la France de la deuxième moitié du 16e siècle : accusations de rébellion, c’est-à-dire de crime contre l’autorité légitime du prince et de crime contre l’ordre social ; accusations d’atteintes à la morale, au « bon ordre des choses » (les protestants sont présentés comme des « femmelettes », des « pervers », des gens qui veulent mettre le monde « à l’envers ») ; accusations d’infanticide, de massacres d’innocents et d’autres monstruosités. Loin de moi l’idée de faire des rapprochements douteux… Mais comment ne pas penser aux discours haineux, nourris de mensonges, de diffamations et de théories du complot, qui fleurissent de nos jours sur la toile, le world wide web qui contient tant de hate speech, d’appels à la haine contre les uns et les autres.

Ces quelques réflexions sur les guerres de religion d’il y a plusieurs siècles montrent que l’étude du passé, si elle ne permet pas de parallèles faciles aboutissant à des raccourcis simplistes, peut alimenter nos interrogations contemporaines de manière indirecte et stimulante.

Monique Weis
FNRS-ULB

[1] Voir surtout : Elie Barnavi & Anthony Rowley, Tuez-les tous ! La guerre de religion à travers l’histoire, VIIe-XXIe siècle, Perrin/Tempus, 2006 ; Denis Crouzet & Jean-Marie Le Gall, Au péril des guerres de religion. Réflexions de deux historiens sur notre temps, PUF, 2015.

Au cœur de l’extrême droite

Pas de cordon sanitaire pour le journaliste ou le chroniqueur d’investigation ! Comment, en effet, appréhender les discours et actions de l’extrême droite, et y répliquer par des arguments – démocratiques – crédibles, si ce n’est être à son contact, disons « sur le terrain » ? Reportage.

Un peu partout sur la planète, des théories d’extrême droite sont (re)mises au mauvais goût du jour et le bruit des bottes se fait de plus en plus prégnant. Ce ne sont pas obligatoirement des « fachos » au crâne rasé, vandalisant des temples maçonniques[1], pratiquant des ratonnades, faisant le salut fasciste cher aux Mussolini, Hitler et Cie, ou variante moderne, la quenelle à la Dieudonné, mais davantage une « élite » en col et cravate qui distille son venin surtout basé sur le concept du complot mondial que, subtilement, l’auteur à succès Dan Brown arriva aussi à glisser dans certains de ses romans vendus à des millions d’exemplaires, par exemple.

Faut-il rappeler que ce thème récurrent comme un fléau non maîtrisé, explicita l’extermination de millions de juifs, tziganes, homosexuels, francs-maçons,  communistes, opposants – même Allemands – à Hitler, et continua à faire ses ravages après la Seconde Guerre mondiale alors que l’on croyait – et espérait – que le « Plus jamais ça ! » finirait pas vaincre ?

Hélas, l’Histoire est un éternel recommencement et elle semble repasser les plats de manière de plus en plus active ces derniers temps.

Dès lors, comment ne pas être d’accord avec ma consœur Aurélie Charon, chroniqueuse sur France Inter, lorsqu’en présence de ceux « qui brandissent des convictions à mille lieues des siennes »[2], elle clame : « …je demande à rencontrer ces gens, je ne peux pas me montrer méprisante ou hautaine, je ne suis pas là pour les humilier, mais face à eux, je ne mens pas, je dis ce que je pense. »

Exactement ma manière de concevoir et d’appliquer, autant que faire se peut, mes reportages et pas seulement relater les lectures de leur propagande, de répercuter des informations à leur sujet glanées sur Internet ou les réseaux sociaux.

Culture de mort

Un vendredi de fin d’hiver, vers 18 heures, quelques dizaines de personnes sont réunies dans les environs des locaux du Grand Orient de France, rue Cadet à Paris. Elles y dénoncent l’interruption volontaire de grossesse, la contraception, le mariage pour tous, la franc-maçonnerie à l’origine de cette « culture de mort »… Ce n’est pas leur première manifestation du genre et, en d’autres lieux, au fil des années, il y eut des exactions, menaces, agressions… auprès du personnel et de patients de Plannings familiaux et milieux hospitaliers, entre autres, avec les tristement célèbres « commandos anti-IVG ».

La Justice s’en mêla, condamna, interdit régulièrement les manifestations dites « prières publiques », puis relâcha son étreinte et toléra ces dernières. D’où, ce vendredi de fin d’hiver…

Première approche en acceptant le tract qui est distribué et signé par « SOS Tout-Petits » sous le titre « Derrière la culture de mort, la franc-maçonnerie » et, surtout, le lire ! Extraits :

« Sa (Franc-Maçonnerie) religion est celle de l’homme qui se fait Dieu contre Dieu qui se fait homme. Gnostique, ésotérique, elle est réservée aux seuls initiés. Son secret cache Lucifer, l’Adversaire de la Révélation, de l’Incarnation et de l’Église. Sa philosophie est le subjectivisme. La liberté est exaltée aux dépens de la vérité. Elle tire sa force de la perversion du langage et de la confusion du bien et du mal, du vrai et du faux, du juste et de l’injuste : son symbole est la Tour de Babel. Sa morale est l’individualisme, l’hédonisme et l’utilitarisme. Sa vertu est la tolérance, non tant indulgence pour les personnes que relativisme des principes.

La culture de la franc-maçonnerie est la culture de mort qui dissout les consciences avant même que d’être homicide : contraception, stérilisation, avortement, eugénisme, euthanasie, homosexualité, pornographie… Sa politique est le laïcisme. Dieu est rejeté de la Cité. Elle-même se fait Église. Constituée en ‘‘nomenklatura’’, elle est un État dans l’État[3]. Fille des ‘‘Lumières’’, gardienne de la révolution, des Droits de l’Homme et du Mondialisme, elle est omniprésente à l’ONU et dans les institutions internationales : IPPF (Fédération Internationale du Planning Familial), Groupe Rockfeller, B’naï Brith, CFR, Bildeberg, Trilatérale, Club de Rome…

Elle a été condamnée par les Papes et les Magistere… Léon XIII : ‘‘Comme il s’agit d’une secte qui a tout envahi, il ne suffit pas de se tenir sur la défensive, mais il faut descendre courageusement dans l’arène et la combattre de front.’’ Le 26 novembre 1983, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : ‘‘Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la Sainte Communion.’’ »

Deuxième approche (en compagnie de mes confrères de France Télévisions) : celle du contact avec les deux principaux organisateurs de cette « prière publique ».

Le docteur Xavier Dor, fondateur de « SOS Tout-Petits », mouvement catholique radical. (Photo MPP)

À savoir, le docteur Xavier Dor, fondateur, en 1986, de « SOS Tout-Petits » dont l’objectif est la lutte contre l’avortement, association également opposée à la contraception, à l’euthanasie… Catalogué de « militant violent » par Libération[4], il fut condamné à onze reprises pour ses actions, dont de la prison ferme, mais la peine fut aménagée compte tenu de son âge[5]. Le slogan de ce mouvement catholique radical est « Défendre la vie est un devoir » et il clame haut et fort plusieurs récentes déclarations papales : « La seule pensée que des enfants ne pourront jamais voir la lumière, victimes de l’avortement, nous fait horreur. » (François), « L’avortement provoqué est le meurtre délibéré et direct. » (Jean-Paul II), « La liberté de tuer n’est pas une vraie liberté, mais une tyrannie qui réduit l’être humain en esclavage. » (Benoît XVI).

L’acolyte, si j’ose dire, du docteur Dor est l’abbé Guy Pagès, membre du Conseil national de la Résistance européenne (CNRE), mouvement considéré comme identitaire (pensée et courant politique d’extrême droite) auquel est affilié le… Vlaams Belang.

Un Vlaams Belang (Vlaams Blok jusqu’au 15 novembre 2004) qui publia une liste de francs-maçons (décédés, vivants et supposés) sur Wikipedia et qui fit dire à Christian Laporte dans La Libre Belgique (2008) : « Une démarche qui rappelle tristement certaines dérives de l’avant-guerre. »

Plus près de nous, « Schild en Vrienden » (« Bouclier et Amis »), fondé par le député Dries Van Langenhove, récemment élu Vlaams Belang et occupant la sixième place de « L’Homme de l’Année » en Flandre, est un mouvement considéré comme « identitaire » par la Sûreté de l’État.

Nous sommes bien au cœur même de l’extrême droite de dimension européenne !

Les yeux dans les yeux

À nos côtés à Paris, quelques dizaines de manifestants déploient une immense banderole en cinq langues, des calicots et autres panneaux où l’on peut lire : « Innocent. J’ai 7 semaines et mesure 22 mm et condamné à mort », « Reine du Très Saint Rosaire sauvez-nous », « L’avortement est un droit. J’ai 6 semaines et mesure 15 mm. Non un meurtre ! »…

Le dialogue débute, sous l’œil, goguenard, de policiers et celui de la caméra de France Télévisions :

– Nous prions publiquement pour les francs-maçons, car c’est le franc-maçon Pierre Simon qui a initié les lois de l’avortement. La franc-maçonnerie rejette le principe de la liberté, on tombe dans l’esclavage. Dans la franc-maçonnerie, il n’y a pas de bien et de mal, déclare le Père Pagès.

– Pourtant, Monseigneur Danneels, archevêque de Belgique, a publiquement déclaré que « La franc-maçonnerie cultive la raison humaine comme instance suprême… » lui dis-je[6].

– L’Église, à travers ses papes, a condamné la franc-maçonnerie et Monseigneur Danneels n’a pas autorité sur les papes !

– Oui, mais Monseigneur Danneels était quand même archevêque et ce n’est pas n’importe qui dans l’Église, non ?

– Nous sommes au cœur de la perversion ! On ne peut pas toucher à l’Arbre du bien et du mal. Les francs-maçons suivent Lucifer et je l’ai même dit à plusieurs francs-maçons. Ils ont remplacé la vérité par la liberté, mais je dis qu’il n’y a pas de liberté sans vérité, intervient le Docteur Dor.

– D’où votre rassemblement de ce soir ?

– Notre combat tient en deux mots : nous prions ! (il récite, avec le Père Pagès, l’Ave Maria).

L’abbé Guy Pagès, membre du Conseil national de la Résistance européenne, mouvement considéré comme identitaire.

– Et, que pensez-vous de cette déclaration de Monseigneur Gaillot disant qu’il savait que l’un de ses prêtres était franc-maçon et qu’il l’approuvait sans l’ombre d’un doute ?

– Ah ! le malheureux… On ne peut pas marier la carpe et le lapin. Voltaire était déiste, mais était-il croyant ? Non ! Il n’y avait pas plus incroyant que lui. Les francs-maçons acceptent Dieu le Père, pas le Fils, car c’est un démon…

– Il ne s’agit pas d’un discours chrétien dans vos propos. Il n’y a pas beaucoup d’Amour…

– C’est la franc-maçonnerie que nous visons, pas les francs-maçons !

– Ce n’est pas ce qui est écrit dans vos tracts, pourtant…

Le Père Pagès, visiblement courroucé, entame le Rosaire, aussitôt suivi par le docteur Dor et les autres manifestants.

Fin de l’interview et des contacts, du moins « sur le terrain », car les réseaux sociaux ultraconservateurs et d’extrême droite qui ont repris cette interview, tout en la commentant à leur manière, se déchaînent.

Un réel dialogue est-il possible ?

Albert Camus (1913-1960), écrivain notoire et journaliste engagé (Résistance et luttes morales après la Seconde Guerre mondiale), clama : « Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. »

Assurément, aujourd’hui, cette démocratie – que nous chérissons tant – est à nouveau en grande souffrance, mais, après ce constat, une question majeure s’impose : comment réellement dialoguer, voire encourager le dialogue, avec ces militants de l’extrême droite ?

Est-il possible d’instaurer un contact qui soit basé sur un échange et non un rejet systématique du moindre propos ou argument qu’un démocrate énonce ? Rejet s’articulant parfois autour de l’invective et souvent de propos volontairement « détournés » du sujet abordé avec eux.

Bien sûr, outre le rôle d’informer, l’intention n’était pas de convaincre de manière ostentatoire les organisateurs de ces manifestations de se rallier aux thèses humanistes, mais d’établir une écoute partagée et, éventuellement, de les amener à s’interroger sur le bien-fondé de leurs convictions. En vain, dans ce cas-ci.

Cependant, à quelque niveau que ce soit, mais plus particulièrement dans un média comme « Morale Laïque », poursuivons, sans relâche, l’action contre l’indifférence et le populisme (dans le sens de « dérive de la démocratie »), car « Il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir », dit le même Albert Camus.

Pierre Guelff
Auteur et chroniqueur radio

[1] Saccage de celui de Tarbes en mars 2019, vandalisme d’un autre à Rennes en mai 2019, le même mois, tags antisémites et antimaçonniques à Poitiers, ces derniers apparaissant à Vitré en juillet dernier, alors qu’au même moment un incendie était bouté à un Temple de Fougères…, sans parler d’agressions de francs-maçons à la sortie d’un Temple à Bruxelles quelques mois auparavant…

[2] Télérama du 24 juillet 2019.

[3] Théorie du complot mondial.

[4] Le 7 novembre 2017.

[5] 90 ans au moment d’écrire le présent article.

[6] Mgr Danneels était encore vivant au moment de l’interview.

Voile sur Bruxelles

Parmi les différentes mesures sorties des négociations pour la constitution du gouvernement de la région de Bruxelles capitale, celle qui autorise désormais le port du voile aux étudiantes de l’enseignement supérieur non universitaire est assurément la plus symbolique de ce que d’aucuns voient comme une communautarisation croissante de notre société. Et l’on ne peut que s’étonner que cette revendication portée par ECOLO ait été acceptée par le PS et, singulièrement, par Défi…

Mais, sans doute, comme l’écrivait Marie-Cécile Royen dans Le Vif du 15/8, Bruxelles vaut bien un voile…

Nous avons donc demandé à François Braem et à Nadia Geerts ce qu’ils en pensaient…

 

Port du voile et enseignement supérieur : un péril en la demeure ?

François Braem
Anthropologue

L’ accord de coalition du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a soulevé un certain émoi en ce début d’été. Cet accord annonce en effet la fin de l’interdiction du port du voile pour les étudiantes dans l’enseignement supérieur non-universitaire.

De manière à mieux pouvoir préciser la portée de cet accord, remarquons tout d‘abord qu’il ne s’agira pas de la fin de l’interdiction pour tous les établissements d’enseignement supérieur non-universitaire ou de promotion sociale. En effet, il n’existe aucune législation uniforme en Fédération Wallonie-Bruxelles en la matière. Tout comme pour l’enseignement obligatoire et l’enseignement universitaire, toute interdiction du port de signes convictionnels relève de règlements d’ordre intérieur. C’est donc à chaque pouvoir organisateur qu’il revient de se prononcer. Dans le cas de la Région de Bruxelles-Capitale qui nous occupe ici, seul l’enseignement francophone est concerné. Et la mesure annoncée ne concerne pas l’ensemble du supérieur non-universitaire. Mais bien le seul réseau de la Cocof. Ceci dans la mesure où le Gouvernement bruxellois n’a de compétence que vis-à-vis de ce réseau au travers du Collège communautaire francophone bruxellois.

Qu’en est-il aujourd’hui dans les universités francophones ?

Toujours dans le cadre des divers règlements d’ordre intérieur, rappelons ici que les universités francophones ont toutes décidé d’autoriser le port du voile à leurs étudiantes. Ceci y compris à l’Université de Liège en tant qu’université d’Etat et à l’Université Libre de Bruxelles en tant qu’université libre de tradition laïque. L’argument devenant ensuite qu’il n’y a aucune raison pour l’enseignement non-universitaire de ne pas suivre les universités sur cette question. En effet, les étudiantes concernées sont majeures et l’obligation de neutralité ne saurait leur être appliquée en tant que simples usagères de service public.

Décrets et règlements d’ordre intérieur

Un contre-argument qui est ensuite régulièrement présenté est celui de la nécessité d’une règle générale qui puisse être applicable à tous les établissements d’enseignement. Quel que soit le niveau de ceux-ci. A savoir tant dans l’enseignement obligatoire que dans l’enseignement supérieur dans sa globalité. A ce propos, se pose de manière plus globale encore une question qui agite le monde laïque : une réforme de la Constitution intégrant la notion de laïcité sera-t-elle tout à la fois pertinente et suffisante pour arriver à imposer l’interdiction du port de signes convictionnels à la totalité des élèves et des étudiantes ? Atteindre un tel objectif supposerait tout d’abord une majorité qualifiée au sein des deux composantes linguistiques de la Chambre. Et nous savons déjà qu’il sera sans doute difficile de réunir une majorité du côté de la Flandre sur cette question. En admettant que les majorités requises se prononcent en faveur d’une telle réforme constitutionnelle, reviendrait ensuite aux Communautés de traduire en décrets des dispositions générales s’appliquant alors à l’ensemble de leurs divers réseaux d’enseignement.

Qu’en sera-t-il pour les Hautes écoles qui ne dépendent pas de la Cocof ?

Mais avant de tracer des plans sur la comète, examinons tout d’abord les conséquences de la décision Cocof s’agissant des réseaux d‘enseignement supérieur non-universitaire qui ne sont pas le sien. Comme il s’agit dans tous les cas de règlements d’ordre intérieur, la question restera ici – provisoirement – ouverte. A ce stade, chaque réseau demeure donc libre de suivre ou de ne pas suivre la Cocof. Ne se manifeste donc aucune réaction en chaine qui puisse être vue comme étant de caractère automatique. Chaque réseau – et au sein de chaque réseau, chaque pouvoir organisateur – reste autonome en matière de décision à prendre.

Le positionnement du réseau libre subventionné catholique

A ce propos, il peut être utile d’observer les pratiques au sein de l’enseignement catholique. S’agissant de l’enseignement obligatoire, ce sont là également les P.O. des divers établissements qui décident d’autoriser ou non à leurs élèves le port du voile : aucune règle générale ne prévaut donc dans les enseignements primaire et secondaire du réseau catholique. Seules quelques écoles y autorisent encore le port du voile, mais l’enseignement catholique semble ne pas avoir de position de principe très affirmée en la matière : si le voile y est aujourd’hui refusé dans la grande majorité des cas, c’est sans doute avant tout pour des raisons de caractère pédagogique. Et chaque école en décide sur base de ses réalités de terrain et de son contexte spécifique. Voilà qui correspond bien à la volonté affirmée d’autonomie qui caractère l’enseignement catholique. Y compris entre les écoles catholiques elles-mêmes. Au niveau de l’enseignement supérieur non-universitaire par contre, il n’existe aucun P.O. du réseau catholique qui interdise aujourd’hui le port du voile.

La question du statut des enseignants

La question la plus sensible que pose toute autorisation du port du voile dans l’enseignement supérieur est sans doute celle de la continuité entre études à vocation pédagogique et fonction d’enseignant. Ceci concerne tout particulièrement les réseaux de l’officiel de l’enseignement obligatoire au sein desquels les enseignants sont astreints à une neutralité vestimentaire d’apparence au titre de leur neutralité en tant qu’agents de service public. Selon certains, il y aurait bien là une contradiction. Au moins apparente. Si pas strictement formelle. Face à ce questionnement, il peut être rappelé que le supérieur universitaire délivre lui aussi des diplômes à vocation pédagogique. Et donc que le problème s’y pose dans des termes similaires. En effet, les cursus universitaires pédagogiques prévoient eux aussi des stages dans les établissements scolaires. Même si c’est dans une moindre mesure que pour les Hautes écoles pédagogiques. Achevons enfin le parallélisme en indiquant que de plus en plus de co-certifications entre Hautes écoles et universités sont en train de se mettre en place. Ce qui plaide objectivement en faveur de règles qui puissent devenir communes.

Quel statut pour les étudiantes-stagiaires ?

La question concrètement posée reste alors la suivante : comment admettre que des étudiantes stagiaires puissent porter le voile dans des écoles au sein desquelles tout signe convictionnel est interdit aux enseignants eux-mêmes ? La réponse semble ici assez simple : en ne les considérant en aucune manière comme des enseignantes. Ceci même au cas où elles seront amenées – de manière ponctuelle – à dispenser l’un ou l’autre cours dans le cadre de leurs stages. En effet, une étudiante stagiaire ne peut pas être considérée comme partageant un statut d’enseignante : elle n’est pas rattachée à l’école et n’a pas vocation à l’être. Le statut des enseignants de l’établissement ne devrait donc en aucune façon être remis en cause par la présence ponctuelle de stagiaires voilées. Voilà qui ne devrait pas être trop compliqué à expliquer aux élèves de l’enseignement obligatoire eux-mêmes.

La tenue des stages

S’agissant de l’organisation concrète des stages pour des étudiantes voilées, il devrait pouvoir en aller de même que pour certains cours sportifs ou de sciences dans le cadre de leurs propres cursus académiques. A savoir que certaines limitations à tout port du voile pourront être exigées. Soit pour des raisons de juste compétition entre étudiantes, soit pour des raisons de sécurité. Existent donc déjà des restrictions au port du voile dans les deux cas. Et elles restent tout aussi justifiables dans un cas que dans l’autre. Une école pourra donc imposer à une étudiante stagiaire de retirer ou d’adapter son voile lors d’une séance de laboratoire, par exemple.

La question des débouchés pédagogiques

Autre questionnement posé dans les cercles laïques : comment refuser tout accès à la fonction enseignante à quiconque aura pu – sans encombre – mener l’ensemble de ses études supérieures pédagogiques en portant le voile ? Ne s’agira-t-il pas d’une transgression du principe même de neutralité tel qu’il devrait s’appliquer de manière rigoureuse au monde enseignant ? Et ceci tout particulièrement dans l’enseignement officiel ? Une fois encore, la réponse semble assez simple : en veillant à distinguer le statut d’enseignant de sa fonction.

Dernière considération : en tant que majeure, toute étudiante voilée doit être considérée comme pleinement responsable de ses actes. De sa part, entamer des études à vocation pédagogique se signifiera pas qu’un emploi d’enseignante lui sera pour autant garanti. Et certainement pas en persistant à vouloir porter le voile. Traitons donc ces jeunes filles comme des adultes. De plus, rien de nous dit qu’elles décideront d’enseigner un jour. Ni même qu’elles ne changeront pas d’avis à propos du voile. Soit au cours même de leurs propres études, soit après la fin de celles-ci.

L’école, Temple de la laïcité ?

On le voit, l’autorisation du port du voile dans l’enseignement supérieur repose la question de la neutralité exigible dans l’enseignement obligatoire. Selon moi, cette exigence de neutralité demande avant toute chose à porter ??sur les enseignants eux-mêmes en tant qu’acteurs pédagogiques. Et non nécessairement sur l’école elle-même. En tant qu’usagers de service public, les autres acteurs de l’école – dont les élèves eux-mêmes – ne demandent certainement pas à être soumis aux mêmes exigences. En effet, le monde scolaire ne peut être que le reflet de la société elle-même. Dans toute sa diversité et son pluralisme convictionnel. Et les bâtiments scolaires – en tant que tels – ne sauraient être à devoir considérer comme des Temples de la laïcité.

Le grignotage progressif d’un précieux principe

Nadia Geerts
Maître-assistante en philosophie et
initiatrice du R.A.P.P.E.L. (https://www.le-rappel.be)

La décision récente de la Cocof est à mes yeux inquiétante, en ce qu’elle ne distingue pas entre les différentes filières d’enseignement qui composent l’enseignement supérieur et de promotion sociale. Or, s’il me paraît tout-à-fait défendable de considérer qu’un étudiant majeur faisant des études d’ingénieur ou de traducteur a parfaitement le droit de porter des signes convictionnels, les choses me semblent très différentes s’agissant de filières professionnalisantes dans lesquelles les étudiants se forment à un métier tel qu’enseignant, assistant social, infirmier ou éducateur spécialisé.

Ces professions, en effet, sont ou devraient être astreintes à une obligation de stricte neutralité d’apparence, cette dernière étant seule à même de rassurer l’usager ou le bénéficiaire quant au fait qu’il sera accueilli et servi avec tout le professionnalisme qui s’impose, c’est-à-dire sans que les convictions religieuses du professionnel auquel il a affaire jouent aucun rôle dans l’accueil et le service en question. L’argument selon lequel seul le service rendu doit être neutre néglige en effet totalement une évidence, qui est que toute communication se compose, dans des proportions non-négligeables, de ce qu’on a coutume d‘appeler le « non-verbal ». Les idées que l’on exprime par le biais de ce que l’on porte – vêtements, bijoux ou accessoires – font incontestablement partie de ce non-verbal.

S’agissant de l’enseignement supérieur pédagogique, les étudiants y sont formés à la neutralité, les décrets définissant celle-ci interdisant aux enseignants de « témoigner en faveur d’un système religieux ». Cette formation me paraîtrait vidée de son sens si elle ne s’accompagnait pas d’une évaluation « in situ » des capacités du futur enseignant à se conformer à ses obligations de neutralité. Comment, sinon, s’assurer que le futur enseignant est bien disposé à mettre ses convictions religieuses (ou politiques) au vestiaire lorsqu’il sera devant ses élèves ? Devrait-on se contenter d’une vague promesse, tout comme nous devons déjà, hélas, diplômer des étudiants qui persistent à prendre la théorie de l’évolution pour une fable de mécréants, mais servent à l’examen le discours qu’ils savent devoir produire ?

L’évaluation des compétences des étudiants en matière de neutralité ne saurait selon moi se réduire à une évaluation de leur maîtrise du contenu des décrets en la matière. La grille d’évaluation utilisée lors des stages comprend d’ailleurs le critère de neutralité parmi les devoirs professionnels évalués. Il me paraît totalement légitime d’attendre donc de l’étudiant qu’il fasse la preuve de sa neutralité, tant dans la manière dont il aborde certaines questions sensibles que dans la manière dont il se présente devant les élèves.

A ceux qui répondraient à cela que l’étudiant doit maîtriser les termes du décret, c’est-à-dire en somme la « théorie » de la neutralité, mais ne doit pas encore faire preuve d’une maîtrise pratique de cette neutralité, j’oserai un parallèle : quelle différence avec l’étudiant en mathématiques qui maîtriserait la théorie de la pédagogie, sans être capable de susciter l’intérêt de ses élèves, ou avec l’étudiant en éducation physique qui maîtriserait la théorie de la culbute avant sans être capable de la réaliser lui-même ?

À l’heure où la valorisation des compétences supplante de plus en plus celle des connaissances, comment peut-on imaginer priver les formateurs de futurs enseignants d’une possibilité d’évaluer les compétences en matière de neutralité de leurs étudiants ? Car s’il est évident que la neutralité ne se réduit pas à ôter ses signes convictionnels, il est tout aussi évident que l’étudiante qui refuserait – ou ne verrait pas la nécessité – d’ôter son voile en stage enverrait un signal très clair et peu rassurant concernant sa disposition à « s’abstenir de témoigner en faveur d’un système religieux ».

De même, dans tous les secteurs où il s’agit de venir en aide à un public fragilisé, qu’il s’agisse d’un jeune confronté à la découverte de son homosexualité, d’une adolescente confrontée à la nécessité d’une IVG, d’une personne toxicomane ou prostituée ou d’un malade en fin de vie souhaitant recourir à l’euthanasie, il est absolument essentiel que les professionnels chargés de l’accompagner mettent tout en œuvre pour l’assurer qu’ils ne portent aucun jugement sur la situation du bénéficiaire. Et une fois encore, cette assurance de non jugement passe par une apparence neutre, qui signifie que le professionnel est disposé à laisser ses propres convictions de côté pour accompagner au mieux, selon leurs valeurs, les personnes qu’il a pour mission d’aider.

Et cette neutralité ne tombant pas du ciel, elle nécessite un apprentissage et le développement, dès le cursus scolaire, de certaines attitudes professionnelles incompatibles avec l’affichage de ses convictions politiques ou religieuses.

Qui plus est, il est évident que la décision de la Cocof risque de faire tache d’huile, car on peut douter, vu la situation de marché scolaire dans laquelle nous nous trouvons, que les écoles supérieures « hors Cocof » maintiennent coûte que coûte une interdiction qui, leur vaudra probablement à terme de substantielles pertes d’étudiants – et donc d’enseignants. Prétendre que chaque école ou chaque pouvoir organisateur pourrait décider librement, c’est faire fi de la compétition que se livrent les écoles, compétition dans laquelle l’argument « diversité » – entendez : autorisation du voile islamique – joue malheureusement un rôle non négligeable, en particulier à Bruxelles.

Cette question de l’ouverture à la diversité désormais érigée en dogme – car accueillir un public aux origines et profils variés ne signifie pas renoncer à toute exigence quant à la tenue adoptée – m’amène à aborder un dernier point, à savoir l’argumentaire utilisé par Madame Kattabi quant au rôle émancipateur de l’école.

En effet, si l’on admet que l’enseignement supérieur a pour vocation, non pas de former des professionnels compétents, mais d’émanciper des individus en leur autorisant le port de signes religieux, il n’y a aucune raison de s’arrêter en si « bon » chemin, puisqu’après tout, nul ne contestera que l’emploi est au moins autant émancipateur que l’école. Le droit individuel d’afficher ses convictions religieuses primera alors sur tout autre principe, et en particulier, sur le sens-même du « service public », lequel exige que le fonctionnaire se mette consciemment au service du public et renonce donc à l’encombrer de ses convictions, lesquelles n’ont tout simplement pas leur place dans l’exercice de certaines fonctions.

Et nous verrons demain des policiers sikhs enturbannés, des juges voilées, des fonctionnaires publics arborant fièrement leur kippa ou leur crucifix, et des enseignants clamant joyeusement, par l’entremise de leur t-shirt, que Dieu est mort.

À moins évidemment que ce dernier exemple ne soit considéré comme une déplorable provocation, ce qui signerait une inacceptable différence de traitement entre les croyants et les autres, différence qu’un Etat neutre – à défaut d’être laïque – ne saurait accepter.

Mais si la décision de la Cocof est emblématique d’une chose, c’est hélas bien de cette rhétorique qui a le vent en poupe, selon laquelle le port de signes religieux – et en particulier du voile islamique – est un droit inaliénable et inconditionnel faisant partie intégrante de la liberté de culte. Ce qui semble évident à chacun concernant l’affichage de ses opinions politiques – c’est le droit le plus strict de chacun, mais pas dans l’exercice de certaines fonctions – devient soudain extrêmement sensible lorsqu’il s’agit des opinions religieuses. Le statut juridique des unes et des autres est portant tout-à-fait similaire. Cette différence de traitement en dit probablement long sur la défiance de ce siècle vis-à-vis du politique, défiance associée à une curieuse déférence envers le religieux. Pourtant, arborer des signes religieux partout ne doit-il pas être considéré comme un acte politique de réaffirmation du religieux, y compris dans des lieux et des fonctions d’où la laïcité exigerait qu’il soit écarté ?