Fraternité, je clame ton nom

Pierre Guelff - Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

À l’heure où l’on assiste à une recrudescence des idéologies nazies et fascistes, que le bruit des bottes est de plus en plus prégnant, que l’extrême droite est banalisée, voire, pour certains, assimilée à la démocratie par sa « dédiabolisation », que l’ultra individualisme supplante la notion de solidarité, il est urgent de clamer et de (re)mettre en pratique le concept de fraternité universelle. Reportage et témoignages.

Des cortèges où des slogans évoquent une « dictature » avec pour support visuel le sigle des SS ou la reproduction de l’étoile jaune portée par les juifs sur ordre des nazis lors de la Seconde Guerre mondiale, ou, encore, la photo transformée de l’entrée du camp d’extermination d’Auschwitz dans le but de manipuler l’opinion, des temples maçonniques saccagés, des tombes de juifs profanées, des habitations d’élus démocrates vandalisées, des tags contre la communauté musulmane chaulés sur des mosquées et accompagnés de têtes de porcs fraîchement coupées, des insultes et des menaces de moins en moins anonymes balancées sur les réseaux sociaux à l’égard d’humanistes, de militants pacifistes, de défenseurs de la Nature, des journalistes, photographes et dessinateurs de presse maltraités, parfois assassinés…, telle est une inquiétante réalité qui va en s’amplifiant.

Saccage du temple maçonnique de Serrières (Photo JL G.)

Récemment, des juges enjoignirent des hooligans, supporters d’une équipe de football, qui avaient brandi et scandé des propos nazis, antisémites et racistes à l’égard de joueurs et supporters « adverses », de visiter le Fort de Breendonk afin qu’ils se rendent compte de la portée de leur comportement.

Pourquoi Breendonk ?

Ode à la résistance

Lorsque les visiteurs pénètrent sur le site du fort, leur regard se porte obligatoirement vers la droite, là où, depuis le 26 septembre 2021, est érigé le monument « Ode à la résistance » élevé à l’occasion du 75e anniversaire de la Confédération nationale des prisonniers politiques et ayants droit de Belgique, dont le but est que les sacrifices et souffrances de celles et ceux qui furent emprisonnés à Breendonk lors de la Seconde Guerre mondiale, ne soient jamais oubliés.

Ce grandiose monument, œuvre de l’artiste Tom Frantzen, représente une botte (la « Botte brune », synonyme de fascisme, entre autres) qui opprime les citoyens.

Sous elle, on distingue des gens abattus, dont une mère, son enfant et leur chien, d’autres enfants qui tentent de s’enfuir, un homme et son ami qui résistent, un autre qui tire sur ladite botte, alors que le dernier personnage, qui est parvenu à s’échapper, lâche une colombe, symbole de paix, de liberté et de fraternité.

Ce monument, est-il expliqué sur place, est « une ode universelle à la résistance et à l’opposition contre toute forme d’abus de pouvoir, de domination, de dictature, d’injustice et d’intolérance, mais c’est aussi un signe d’espoir, un message de citoyenneté, de tolérance et de respect à la jeune génération. »

Je ne cache pas que, lors de mon reportage, je fus submergé par l’émotion parfois doublée d’incompréhension quand j’assiste au « spectacle » de contemporains véhiculant des propos qui menèrent tant de citoyens démocrates dans ce lieu d’horreur inimaginable, sauf pour les nazis, les fascistes et leurs sbires, bien entendu.

J’ai parcouru cette masse de béton, ces lieux sordides où chaque mur transpire encore le martyre, la famine, les coups, les humiliations endurés par des centaines de juifs, de prisonniers politiques, de francs-maçons, de tziganes, de communistes, de résistants, de citoyens dénoncés pour être des démocrates, certains étant passés auparavant par les caves de la Gestapo à l’avenue Louise à Bruxelles (voir ci-après le témoignage de Franz Bridoux).

J’ai parcouru des dortoirs où ils étaient entassés par dizaines, de rares points d’eau, des toilettes communes, j’ai vu ces wagonnets qu’ils poussaient jusqu’à l’épuisement sur le chantier voisin et, surtout, ce wagon qui symbolise les trains à bestiaux changés en convois d’êtres humains dirigés de Breendonk vers les camps de concentration. Vers la mort pour la plupart.

Témoignages

Cependant, certains, très rares, ont échappé à la mort et témoignèrent de cette étape de Breendonk sur l’itinéraire vers Auschwitz, Dachau, Buchenwald…

Quelques témoignages sont diffusés sur place :

• Une prisonnière wallonne : « Pour se laver, c’était une situation très désagréable, car on ne pouvait pas se déshabiller devant les soldats qui nous regardaient. Nous avions un petit robinet à l’extérieur de la cellule en traversant un couloir, mais je ne peux vous dire précisément le chemin car nous portions une cagoule. On pouvait seulement l’enlever pour se laver le bout du nez et les avant-bras, alors vous vous rendez compte de la situation au bout de 3 ½ mois de détention…

Je me souviens d’une odeur de ciment mêlée à une odeur fétide, c’était insupportable.

Notre rôle fut de s’encourager mutuellement et quand quelqu’un s’affaissait, on essayait de le redresser.

On parlait beaucoup de nourriture dans cette cellule. Le nombre de recettes imaginaires que nous avons confectionnées fut incroyable, ce fut comme si on les mangeait ! »

• Un prisonnier bruxellois : « Les SS avaient mis des grands tonneaux à l’extérieur et le matin les prisonniers devaient aller s’y asseoir pour se libérer. C’était à coups de chicottes …

Deux à trois cents prisonniers en même temps et d’autres, comme moi, qui devions éparpiller leurs merdes sur le potager pour la bouffe des SS flamands… qui vivaient sur notre sueur. C’était inouï ce truc (pleurs)… »

• En 1940, Wilchar (1910-2005), peintre, affichiste, linograveur, anarchiste pacifiste, ses « bombes » étaient des toiles et gravures dénonçant les injustices.

Il avait échappé à la captivité et prit une part active dans la Résistance en créant le groupe d’artistes « Contact » qui publia le journal clandestin du Parti communiste, « Art et liberté ».

Le 2 avril 1943, il fut arrêté par les SS et détenu à Breendonk jusqu’au 27 mai 1943 sous le matricule 1939.

Il fut ensuite transféré à la Citadelle de Huy et y resta emprisonné jusqu’à la Libération.

Son témoignage recueilli à Breendonk : « Pour faire nos besoins dans la journée, c’était toujours une aventure. Des prisonniers faisaient ça la nuit et le matin le bidon (servant de pot de chambre) débordait.

Il y avait de la saleté et des excréments partout, dans tous les coins, les prisonniers sous les coups de chicotte et les ordres « Schnell ! Schnell ! » devaient nettoyer… »

Probablement trop ému à ce souvenir, l’enregistrement de Wilchar s’arrêta là : il était sorti très meurtri de sa captivité à Breendonk et, par la suite, la RTBF lui consacra un documentaire sous le titre évocateur de « Wilchar, les larmes noires.

Défendre la mémoire

Des magistrats préconisent la visite de Breendonk à certaines personnes qui affichent leurs convictions néonazies ou néofascistes.

C’est une initiative louable, selon moi, mais elle n’est encore que parcimonieuse et, aux quatre coins de la planète, le bruit des bottes se fait donc à nouveau entendre.

Des bottes prêtes à écraser tous ceux qui dérangent les régimes dictatoriaux, d’extrême droite, les complotistes et conspirationnistes, comme on le rappelle au Fort de Breendonk, là où il y eut 3.500 détenus, 184 fusillés, 23 pendus et une centaine de morts des suites de mauvais traitements, de torture et d’épuisement.

Des êtres humains qui y ont souffert pour que nous puissions vivre libres.

Franz Bridoux, victime des nazis à l’âge de 20 ans (Photo L.D.)

En 1943, Franz Bridoux (1924 -2017) avait 20 ans et était membre de la section du Front de l’Indépendance du Rassemblement National de la Jeunesse, militait dans la presse clandestine, lorsqu’il fut pris dans une série d’arrestations en cascade.

Après avoir transité par les caves aux tortures de la Gestapo à Bruxelles, il se retrouva dans le camp d’Esterwegen et assista à la création de la Loge « Liberté Chérie » dans le baraquement n°6 du Camp de concentration Ermslandlager VII d’Esterwegen, réunions maçonniques qui se déroulaient dans la plus grande clandestinité.

Lors de la « Marche de la mort », il put s’enfuir et, à chaque fois que nous en parlions, cet homme profondément humaniste racontait cet épisode qui marqua de son empreinte mon esprit à tout jamais :

« Quelques-uns d’entre nous ont réussi à s’échapper du convoi grâce à un fermier allemand qui nous a hébergés en prenant un risque considérable pour lui-même et sa famille.

C’est pourquoi je ne cesse de clamer que nous n’avons pas combattu les Allemands, mais les nazis !

Dans la résistance, les uns combattaient les ‘‘boches’’ pour défendre la Patrie, les autres se battaient contre les nazis pour sauver la Liberté. »

Comme Robert Badinter, homme politique, juriste et essayiste français, principalement connu pour son combat contre la peine de mort, dont il obtint l’abolition en 1981, il clamait sans relâche que : « Défendre la mémoire, c’est surtout ne pas se laisser enterrer par celle-ci. »

Une autre victime du nazisme passée par les caves de la Gestapo à Bruxelles, fut Rosa Ehrlich (1921-2013), réfugiée allemande en Belgique avec ses parents. Durant l’Occupation, elle s’engagea dans la résistance et en juillet 1943 fut arrêtée sur dénonciation pour avoir distribué des journaux clandestins.

Envoyée au camp de Malines[1], puis déportée dans celui d’Auschwitz-Birkenau avec le vingt-quatrième convoi d’avril 1944, elle y subit les violences et traitements inhumains infligés par le docteur Mengele (1911-1979), criminel de guerre, actif dans la Shoah, qui effectuait des expérimentations médicales souvent mortelles sur des détenus (amputations inutiles, infections volontaires par le typhus, injections chimiques dans les yeux pour modifier leur couleur…)

Après la guerre, il fuit au Brésil et ne fut jamais jugé pour ses multiples crimes.

Quant à Rosa Ehrlich, elle survit durant trois jours à la terrifiante Marche de la mort et rejoignit le camp de Bergen-Belsen, d’où elle fut libérée le 15 avril par les soldats anglais.

De retour à Bruxelles, elle constata que toute sa famille avait disparu.

Elle épousa Maurice Goldstein (1922-1996), médecin, résistant, rescapé d’Auschwitz et, à deux, ils créèrent la Fondation Auschwitz afin de pérenniser le devoir de mémoire, lutter contre toute forme de nationalisme et de racisme.

Souvent, je corrobore ces faits historiques par des propos d’Albert Camus (1913-1960), Prix Nobel de Littérature, qui fut un résistant très actif lors de la Seconde Guerre mondiale dans son rôle de journaliste engagé à Combat : « Le fascisme, c’est le mépris. Inversement, toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. »

Terminons-en avec ces gens qui arborent des signes rappelant les heures très sombres de l’Humanité par un extrait de l’article de Jean-Paul Marthoz, journaliste et essayiste[1] : « Le ‘‘oui mais’’ appartient à la famille rhétorique des fausses équivalences. Comme celle, indigne, qui conduit aujourd’hui des manifestants antivaccin à afficher l’étoile jaune pour dénoncer la ‘‘dictature sanitaire’’. Sauf, comme le soulignait Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès : ‘‘ L’étoile jaune menait tout droit ceux qui la portaient, et ceux qui refusaient de la porter, dans les camps de la mort.’’ »

Liberté, j’écris ton nom

« (…) Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

(…) Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté. »

Paul Éluard (1895-1952)

Extraits de Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin) – Au rendez-vous allemand (1945, Les Editions de Minuit)

Breendonk : (Photos Marie-Paule Peuteman)

  1. La caserne Dossin à Malines fut un autre lieu d’horreur où étaient « triés » des Juifs et des Tziganes. Sur quelque 26.000 déportés passés par Malines, seulement 1.200 survécurent. Un musée et un centre de documentation sur l’Holocauste jouxtent la caserne.

Filles et garçons entre l’inné et l’acquis

Marie Béclard - FAML

« Tu vois c’est une vraie fille: elle aime le rose et les poupées”, “les filles savent faire deux choses en même temps mais elles sont incapables de lire une carte routière”…, “les garçons sont meilleurs en mathématiques car il y a une bosse dans leur cerveau”, “les hommes sont violents, c’est dans leur nature”… Tout cela, c’est la preuve que c’est inné, que dès la naissance on est programmé ainsi et qu’on ne peut rien y changer… Dans cent ans, on en sera toujours là.

Combien de fois a-t-on entendu ces phrases ? Combien de fois a-t-on douté en se demandant et “ si c’était vrai finalement?” . Parce que oui ma fille aime les poupées et est forte en français alors que mon fils préfère les lego et présente des facilités en mathématiques.

En 1949, Simone de Beauvoir écrivait dans un essai philosophique Le deuxième sexe: “On ne naît pas femme on le devient”. Elle affirmait ainsi que l’inégalité homme/femme est culturellement construite, et non naturelle. Des inégalités qui pèsent sur les femmes mais également sur les hommes.

Aujourd’hui, d’un côté on clame haut et fort que tous les êtres humains qu’ils soient femmes et/ou hommes ou transgenre[1] sont différents, pensent et agissent différemment et indépendamment de leur identité de genre mais doivent bénéficier des mêmes droits et des mêmes chances. Pourtant, on continue inlassablement d’attribuer des comportements et des caractéristiques à un sexe plutôt qu’à un autre: c’est parce c’est une fille qu’elle aime prendre soin des autres et rêve d’être aide-soignante … c’est parce que c’est un garçon qu’il a un excellent sens de l’orientation… On pourrait croire qu’en 2022, une question telle que “mon sexe influence-t-il mes goûts et mon intelligence” est réglée par la science et les progrès en imagerie cérébrale ou encore que les connaissances en biologie et en sociologie ont mis fin au débat mais ce n’est pas le cas.

Deux clans s’opposent toujours. Le premier défend un déterminisme biologique inné: les filles et les garçons fonctionnent définitivement de manière distincte à cause des gènes, des hormones et du cerveau. Dès la naissance, le cerveau serait différent selon notre sexe, ce qui influerait sur nos capacités: les filles sont douées pour les langues et les garçons excellent en mathématiques et ont un sens de l’orientation hors pair. On voit régulièrement sur internet des vidéos qui tentent de démontrer qu’il existe des différences qui sont innées entre fille et garçon. Une d’entre elles[2], a déjà été vue plus de 148 950 fois et se propose d’expliquer comment éduquer un petit garçon et insiste bien sur la différence avec “éduquer une fille”puisque les “différences hormonales et cérébrales entre les genres font que les garçons se développent différemment des filles et qu’ils sont plus nerveux et ont davantage tendance à bouger”. Ils ont une plus grande faculté de concentration et un meilleur raisonnement arithmétique, ce qui leur sera d’une grande aide à l’école. Les garçons se distinguent par leurs aptitudes mécaniques et spatiales, ce qui peut être facilement observé lorsqu’on s’attarde sur la manière dont ils construisent des structures avec leurs jouets. Dans cette vidéo, ils nous expliquent également que c’est aussi difficile que d’élever une fille car ils vont aussi pleurer (on est rassuré, les garçons peuvent pleurer) et faire des caprices de temps en temps (on ne sait pas s’ils en font plus ou moins que les filles) . La vidéo présente les choses comme si c’était scientifiquement prouvé mais quelles sont les preuves? On l’ignore.

Les défenseurs des différences innées utilisent des arguments et des études scientifiques qui sont souvent anciennes comme celle de Pierre Broca par qui durant la deuxième partie du XIXe siècle cherchait à établir le lien entre le volume du cerveau et l’intelligence. L’anatomiste déduit à l’époque que puisque le cerveau masculin est généralement plus gros que celui des femmes, cela explique la suprématie de l’intelligence des hommes. Pierre Broca démontre lui même que sa théorie est biaisée par ses propres stéréotypes: “On s’est demandé si la petitesse du cerveau de la femme ne dépendait pas exclusivement de la petitesse de son corps. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que la femme est en moyenne un peu moins intelligente que l’homme[3]”. Une recherche orientée ne peut donner que des résultats orientés. Ils savent pourtant déjà à l’époque que des variations importantes peuvent exister entre deux personnes de même sexe puisque le cerveau d’Anatole France pesait 1 kg quand celui de Ivan Tourgueniev était estimé à 2 kg. L’idée était donc clairement de prouver la supériorité de l’homme sur la femme et il a donc utilisé les éléments qui allaient dans le sens de ce qu’ils voulaient démontrer.

Dans l’autre clan, il y a les partisans d’une différence entre sexe qui se construit progressivement sous l’influence de la société. Ils appuient leurs théories sur les découvertes sur la plasticité du cerveau, une malléabilité qui lui permet d’évoluer au gré des expériences vécues et des apprentissages. Le sexe biologique ne définit donc pas qui nous sommes mais l’éducation différenciée que l’on peut recevoir peut être responsable des différences qui existent objectivement entre garçons et filles.

De plus, d’autres études tentent de démontrer que le volume et la forme du cerveau n’ont rien de décisif dans l’intelligence et qu’ils varient tellement fort d’un individu à l’autre qu’on ne peut même pas dégager des traits propres à un cerveau masculin ou féminin. Sur plus de dix mille études, seulement 2,6% ont montré des différences qui s’expliquent par le sexe.[4]

Il est vrai que les cerveaux masculins et féminins différent sur le plan biologique puisqu’ils contrôlent les fonctions physiologiques qui sont nécessaires à la reproduction sexuée.[5]Personne ne va nier que chez la femme en âge de procréer, les neurones de l’hypothalamus s’activent pour déclancher l’ovulation et qu’un tel phénomène ne se produit pas chez les hommes. Il y a donc objectivement des différences entre le cerveau féminin et masculin mais jusqu’à présent, il n’a pas été démontré que cela avait un impact sur l’intelligence.

De plus, il est très difficile d’évaluer l’importance de l’inné et de l’acquis puisque dès les premiers moments de vie de l’enfant et même déjà in utero, on se comporte différemment avec lui selon qu’on lui attribue le sexe féminin ou masculin. Son environnement (la couleur de sa chambre, de son matériel de puériculture, de ses vêtements ne seront souvent pas de la même couleur) mais aussi la façon dont on va lui parler, le type d’interaction qu’on aura avec le bébé sera différente même si cela se passe de manière totalement inconsciente chez l’adulte. Ensuite, les jouets qu’on lui offrira seront de plus en plus genrés au fil des mois.

On sait désormais que des différences de vécu peuvent influencer le rythme de croissance de certaines régions du cerveau qui est très malléable chez les plus jeunes. Cela peut donc expliquer les différences cérébrales observables. En effet, quand un nouveau-né vient au monde, il possède cent milliards de neurones mais les synapses, les connexions neuronales, commencent seulement à se former, puisque seulement 10% sont présentes à la naissance et donc 90% doivent encore se construire. Prétendre que tout se joue avec le sexe de l’enfant semble réducteur quand on voit le pouvoir des connexions neuronales, c’est l’expérience qui façonne le cerveau.

On entend souvent dire que les garçons ont un sens de l’orientation bien plus développé que les filles et que c’est inné et on ne cherche pas toujours plus loin. Si des différences peuvent exister et être objectivées, elles ne trouvent pas leurs racines dans des capacités cérébrales présentes dès la naissance mais dans l’environnement social et culturel.

A l’âge de 2 ans et demi, l’enfant s’identifie au féminin ou masculin mais depuis sa naissance, il évolue dans un environnement sexué et les filles et garçons ne sont pas amenés à réaliser les mêmes activités. Les garçons sont davantage poussés à jouer à l’extérieur et à des jeux comme le foot alors que les filles s’amusent davantage à l’intérieur et donc stimulent moins leur compétence de repérage. L’écart de compétence entre les deux sexes tend à s’accroître avec les années ce qui va dans le sens de l’acquis plutôt que de l’inné.[6]

Catherine Vidal balaie le dilemme qui oppose l’inné de l’acquis: “l’inné apporte la capacité de câblage entre les neurones, l’acquis permet la réalisation effective de ce câblage”. On est à la fois un être biologique et social. “Le sexe biologique ne suffit pas à faire un homme ou une femme”.

Des discours médiatiques véhiculent toujours le message que les différences entre filles et garçons sont le fruit des gènes, du cerveau, des hormones et cela malgré toutes les découvertes et avancées scientifiques qui montrent l’importance de la plasticité cérébrale. On continue à expliquer les différences de comportement entre les hommes et les femmes par un déterminisme génétique sans tenir compte des raisons sociales et culturelles. [7]

C’est probablement plus facile de penser que les discriminations sont dues à des différences innées plutôt que de remettre en cause tout le système qui les a créées.

Il est important d’insister sur le fait que tout tend à montrer actuellement que si les filles et les garçons ne font pas les mêmes choix d’orientation scolaires ou professionnels ce n’est pas à cause de différences cognitives, que si les femmes se trouvent toujours majoritairement en charge de l’éducation des enfants et du ménage, les hormones n’en sont pas la cause et que lorsqu’un homme agresse une femme, utiliser l’excuse de la testostérone qui rend les hommes agressifs est une insulte pour tous les hommes qui se comportent correctement.

Ce n’est en rien un problème qu’une petite fille aime jouer à la poupée et que plus tard elle choisisse de prendre un congé parental pour s’occuper de ses enfants, qu’elle préfère travailler à mi temps . Ce n’est un problème que si elle fait ce choix car la société entière fait inconsciemment pression sur elle et qu’elle croit que c’est son devoir même si elle préfèrerait recommencer à travailler directement. C’est également un problème si le petit garçon ne joue pas à la poupée parce qu’un jouet “dit de fille” est moins valorisé et qu’on a construit son éducation de telle manière qu’il ne prendra aucun de ses congés de paternité ou parental car lui il est là pour rapporter de l’argent. Comme, c’est un problème, si un homme ne peut pas pleurer et si la testostérone permet de justifier un viol ou tout autre acte violent.

Si aucune théorie n’a vraiment pu démontrer les différences innées, tout tend à démontrer que la société: nos parents, nos milieux de socialisation (crèche,écoles, activités parascolaires…) nous façonnent jour après jour de manière inconsciente.[8]

  1. Transgenre est utilisé ici dans le sens de personne qui ne s’identifie ni au sexe masculin, ni au sexe féminin)
  2. https://fb.watch/bwtiifzQ52/
  3. “Broca, 1861” dans C. VIDAL, Cerveau, sexe et idéologie”dans Diogène 2004, 4, 208, p.149.
  4. C. VIDAL, Hommes et femmes, avons-nous le même cerveau?, Paris, 2012, p.23.
  5. C. VIDAL, Hommes et femmes, avons-nous le même cerveau?, Paris, 2012, p.24.
  6. DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons. Socialisation différenciée?, Grenoble, 2006.
  7. C. VIDAL, Hommes et femmes, avons-nous le même cerveau?, Paris, 2012, p. 32-33.
  8. COLLET, L’école apprend-elle l’égalite des sexes?, France, 2019, p.30.

Contre les mesures sanitaires

Manifestation européenne du 23 janv 2022, 50,000 marchent contre les mesures sanitaires, contre la vaccination, présence nombreuse des partisans du mouvement « We are Awake»

Photos : Francis Duwyn – © 2022 Francis Duwyn

Manifestation contre les violences faites aux femmes

Manifestation contre les violences faites aux femmes le 28 novembre 2021 à Bruxelles

Photos: Francis Duwyn

Jeunes éco-anxieux et jeunes révoltés

Pierre Guelff - Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

Dans toutes les sphères de la Société et de la planète, il y a de plus en plus de jeunes en détresse face à l’inquiétante situation climatique. L’échec de la COP 26 n’a fait que confirmer ce constat.

Une immersion de trois ans parmi eux, permet de mieux cerner ce problème qui prend de l’ampleur. Reportage « engagé ».

« The Lancet », journal scientifique par excellence, publia récemment le résultat d’une vaste enquête de neuf chercheurs en psychologie auprès de 10 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans répartis sur les cinq continents : l’anxiété liée au climat s’accompagnant de frayeur, de chagrin, d’inquiétude, de colère…, nuit à leur vie quotidienne.

Ces jeunes s’exprimèrent sans ambages : « L’humanité est condamnée » (plus de 50%), « Le futur est effrayant » (quelque 75%), « C’est faute de ne pas avoir pris soin de la planète » (83%) et 39% déclarèrent hésiter à faire des enfants dans pareille situation.

Conclusion de ces chercheurs : « Pour un grand nombre de jeunes dans le monde, les gouvernements ne reconnaissent pas la crise ou n’y réagissent pas de manière cohérente et urgente, ou ne répondent pas à leur alarme. Cela est vécu comme de la trahison et de l’abandon, non seulement de l’individu mais des jeunes et les générations futures en général. »

Et sur le terrain ? Marie-Paule Peuteman, psychothérapeute au Planning familial d’Evere, voit également un accroissement assez significatif des jeunes parmi la patientèle : « Effectivement, comment vivre quand on est jeune et que l’on a la conviction d’assister à l’effondrement de la planète, puisqu’il n’est plus à démontrer qu’elle se meure, que les forêts primaires disparaissent, que la biodiversité se dégrade de façon affolante, que le climat se déglingue, que les défis démographiques sont énormes, que la pollution est généralisée et, en plus, voilà aussi cette jeunesse, comme nous tous, au cœur d’une crise sanitaire mondiale ?  »

Dans une chronique radio abordant ce malaise chez de nombreux jeunes, Marie-Paule Peuteman évoqua le dernier récit de Patrice Van Eersel « Noosphère », publié chez Albin Michel. Il met en scène un jeune homme de 30 ans qui ne croit en plus rien, qui est dans une spirale descendante et possède une conscience hyper-aigüe des menaces qui pèsent sur le monde. Il se dit à quoi bon travailler puisque tout va s’effondrer et il est donc littéralement tétanisé par l’ensemble des phénomènes de destruction.

Alors le narrateur, évoque la collapsologie, qui est un courant de pensée qui envisage les risques d’un effondrement de la civilisation industrielle et ses conséquences et va proposer une rencontre avec des collapsologues qui, malgré leur scepticisme, restent actifs et confiants dans le « monde d’après ». Le jeune homme désabusé va ainsi découvrir un nouvel horizon, l’extraordinaire vision de la « Noosphère » ou la perspective fantastique d’une « conscience humaine collective ».

L’auteur, dit-elle, s’appuie sur les travaux de Teilhard de Chardin et de Vladimir Vernadski qui eux ont compris cent ans avant tout le monde, l’influence prépondérante de l’action humaine sur la biosphère terrestre. Ces deux scientifiques cherchent à décrypter les lois de l’évolution. Et malgré toutes les violences et aveuglements durant la guerre 14-18, l’un et l’autre voient l’humanité prendre peu à peu conscience d’elle-même. D’ailleurs, ces deux visionnaires vont jusqu’à imaginer une science à venir qui intégrerait la notion d’amour.

Genèse d’un profond mal-être

En mai 2018, une certaine Greta Thunberg, participa à un concours écrit proposé par un journal aux jeunes suédois afin d’exprimer leur sentiment par rapport au climat. Elle y décrivit sa peur du réchauffement climatique et, quelques jours plus tard, une photo d’elle munie d’une pancarte « Grève scolaire pour le climat » commença à faire le tour du monde. Le phénomène « Greta » était lancé !

Née en janvier 2003 à Stockholm, souffrant du syndrome d’Asperger (forme d’autisme), elle devint militante écologique et se lança dans une sensibilisation aux catastrophes naturelles avec une détermination rare.

Il faut dire que l’un de ses lointains parents n’est autre que Svante Arrhenius (1859-1927), qui fut Prix Nobel de chimie en 1903 et l’un des premiers scientifiques à émettre une théorie du réchauffement climatique. Ceci explique peut-être cela.

En Belgique, le mouvement de jeunes en faveur du climat et contre l’inertie du monde politique en matière de défense de l’environnement débuta la première semaine de 2019 et fut initié par quelques adolescentes via les réseaux sociaux, principalement par Anuna De Wever, aujourd’hui 20 ans, néerlandophone, à l’origine du mouvement « Youth for Climate » avec Kyra Gantois, 21 ans, comme porte-paroles, et Adélaïde Charlier, coordinatrice des actions du côté francophone. Le mouvement des jeunes pour le climat était aussi en Belgique !

Un jour de janvier 2019, donc, 3 000 jeunes séchèrent deux à trois heures de cours pour clamer dans les rues bruxelloises leur volonté d’une prise en considération de ce grave problème par les autorités.

Cela n’avait pas été apprécié par les directions d’écoles qui firent pression et les menacèrent de sanctions disciplinaires.

Suite à un reportage consacré à cette manifestation pacifique, je fus catalogué d’« inconscient » car « encourageant les jeunes à déserter les bancs d’écoles » (La Libre Belgique, Facebook…) par ces mêmes directions. J’ai répliqué en signalant que, quand les enseignants faisaient grève pour porter leurs revendications, ce n’était ni le mercredi après-midi, ni le week-end ou durant les vacances scolaires ! Parenthèse fermée.

Il en fut de même une semaine plus tard, avec, réponse du berger à la bergère, puisque les jeunes furent 12 500, encore de manière pacifique, mais déterminée, à défiler jusqu’aux abords des ministères belges et de la Communauté européenne.

En troisième semaine, les rangs grossirent avec une énergie davantage marquée et remarquée : quelque 35 000 participants, selon la police, et de plus en plus d’adultes aux côtés des adolescents, même un groupe de grands-parents rassemblés dans un collectif créé pour la cause : « Grands-Parents pour le Climat ».

Au fil des semaines, ce ne furent plus seulement la presse dite militante et différents médias alternatifs qui relatèrent ces manifestations, puisque la presse traditionnelle nationale et internationale en fit également état avec des titres comme « La désobéissance civile, la nouvelle manière de militer pour le climat » (La Libre Belgique, 24 janvier 2019) et allusion à quelques slogans et déclarations, tels « Quand je serai grand je voudrais être vivant », « Nous sommes la dernière génération à pouvoir agir », et une petite touche d’humour avec « Le climat est plus chaud que mon mec », ou « Plus de degrés dans la bière et pas dans la nature ! »…

Le monde politique a bien cru que cette jeunesse avait viré sa cuti après les vacances. Il n’en fut rien. La manifestation de reprise, si j’ose dire, compta de 15 à 20 000 personnes, encore et toujours inspirées par Greta Thunberg, la jeune suédoise à l’origine de cette contestation planétaire.

Autre constatation, davantage d’ONG et les principaux syndicats du pays s’associèrent à ce mouvement « Jeunes pour le Climat ».

Plutôt que de longs discours, l’un de mes reportages se concentra sur les slogans scandés, chantés ou écrits, reflets incontestables de sentiments : « Nous sommes tous des colibris », « Pas de nature sans futur », « Savez-vous nager ? », « H&M = 12 tonnes d’invendus brûlés par an ! », « Halte aux fausses politiques, place à la pratique », « Fin du monde, fin du mois, même combat », « Sobriété, solidarité, humilité envers la Nature », « Arrête de niquer la mer », « Pas la guerre mais la révolution climatique ».

Poursuivant des grèves scolaires et défilés, certains thèmes furent parfois davantage développés, un peu comme les « Vendredis Alerte Incendie » de Jane Fonda au Capitole (voir notre magazine de janvier 2021).

Ainsi, un vendredi fut centré sur l’indispensable préservation de la vie marine et on vit quatre pingouins en glace être exposés en plein air et, au fil du défilé, fondre à l’instar du drame écologique avec la fonte de la banquise et des sommets de moins en moins enneigés : « Océans à la casse, on est tous dans la mélasse », « Nous voulons une terre à vivre pour nos petits-enfants », « De tous les maux, la complaisance est le plus mortel défaut », « Océans en chaleur, on en sent déjà la douleur » …

Durant des mois et jusqu’à la pandémie et les mesures sanitaires, des centaines de milliers de citoyens, voire des millions dans le monde, firent pression sur les élus pour qu’ils aient le courage de mettre au pas ceux qui salissent la Terre.

Il fut également réconfortant de constater que le nombre de « grands-parents pour le climat » qui se trouvaient aux côtés des jeunes allait aussi en augmentant, au point que des groupes structurés de personnes du 3e âge prirent un certain essor.

Cela allait-il influencer les politiciens ? Les décideurs allaient-ils être moins dédaigneux ? Le dénigrement à l’égard des jeunes activistes, telle Greta Thunberg, sur les réseaux sociaux et de la part d’une personnalité comme Michel Onfray, s’estomperait-il ?

Les provocations policières, les manipulations de l’opinion publique et les propos des climatosceptiques qui semblaient être fomentés par différents pouvoirs afin de décrédibiliser le mouvement citoyen, s’éteindraient-ils face à la réalité ?

La maison brûle

Ce n’est pas facile de faire entendre son avis quand on connaît les accointances entre certains politiciens et les lobbys (quelque 20 à 30 000 officiellement inscrits dans la capitale de l’Europe), et si, jusqu’à présent, ces Marches pour le Climat se sont déroulées dans le calme, on sent de plus en plus cet engagement pacifique voisiner avec des propos plus radicaux au cœur des manifestations.

Ainsi, un tract disait clairement : « Comme on a pu l’observer, les révoltes qui restent dans les cadres établis rentrent totalement dans le jeu du pouvoir et ne permettent pas d’obtenir de réelles avancées », alors qu’un slogan était assez explicite sur la manière d’agir : « Notre maison brûle, brûlons leurs palais », et qu’un jeune manifestant me déclarait que le « pacifisme ne sert plus à rien, il faut passer à autre chose… »

Il faut dire que le dédain du monde politique ou la récupération à des fins électorales par divers caciques de partis est littéralement pris comme une injure par la jeunesse.

M’avisant de leur place au sein de cortèges, les organisateurs m’assurèrent qu’ils continueraient à accueillir tous les citoyens, mais que les politiciens étaient priés de laisser la priorité à la société civile, c’est-à-dire ce qui désigne « l’ensemble des associations à caractère non gouvernemental et à but non lucratif qui agissent comme groupes de pression pour influencer les politiques gouvernementales dans un sens favorables aux intérêts de ceux qu’elles représentent. Il s’agit donc de l’auto-organisation de la société, en dehors du ou parallèlement au cadre institutionnel politique, administratif ou commercial » (Wikipedia).

Cependant, la violence n’est pas venue du côté des citoyens… Ainsi, une mobilisation intergénérationnelle, toujours pacifique, puisqu’il s’agissait de débats publics, se déroula en octobre 2019 à la Place Royale à Bruxelles, à quelques pas du palais royal.

Alors que, la veille à Londres, une action était menée par le mouvement pacifiste de désobéissance civile « Extinction Rebellion » (XR) qui clame l’urgence climatique, l’on y trouva parmi les nombreuses personnes arrêtées un membre de la famille royale belge !

« Esmeralda la princesse belge rebelle de 63 ans », souligna le quotidien « Le Soir », qui déclara : « Ce serait merveilleux que le roi Philippe prenne position sur le climat, car c’est un problème global, humain, urgent. Mais, compte tenu de la complexité du système belge, il ne parlera pas. »

À Bruxelles, place Royale, le pacifisme était également omniprésent dans les rangs des manifestants, de 7 à plus de 77 ans : « Nous respectons tout le monde : les uns envers les autres, envers le grand public, le gouvernement et la police, nous ne commettons aucune violence, ni physique ni verbale, nous ne portons ni armes ni masques, nous n’apportons ni alcool ni drogues, nous nous tenons responsables de nos actes et quiconque enfreint ces accords sera prié de partir… »

Les six cents manifestants ne forcèrent pas les barrages et furent installés à même le sol, en principe pour vingt-quatre heures.

Parmi eux, Xavier, trentenaire, me développa les motifs de sa participation « parce que les politiciens sont inactifs et qu’il espère que le roi va se ‘‘mouiller’’… »

Eh bien, ce furent les manifestants qui furent mouillés car, avec une rare violence, les policiers utilisèrent pompe à eau, gaz lacrymogènes, matraques pour les déloger, le tout fut suivi de dizaines d’arrestations musclées.

La réprobation fut quasiment unanime face à cette violence absolument injustifiée : les manifestants étaient tous pacifistes et leur comportement respectait scrupuleusement les mots d’ordre du mouvement non-violent.

Le bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Philippe Close déclara vouloir pacifier la situation et les autorités policières affirmèrent que ce fut une manifestation non autorisée (des pourparlers avaient eu lieu), qu’elle se déroulait dans une zone interdite (à l’exception de quelques individus, les 99,9% des manifestants étaient sur une place adjacente), que les manifestants refusaient de quitter cette place et entravaient la circulation or, ils pliaient bagages suite aux injonctions de l’officier des forces de l’ordre et se dirigeaient paisiblement vers les « sorties » ou des espaces reculés.

Même s’il n’y a pas lieu de généraliser ni d’établir des amalgames, car tous les membres des services de l’ordre n’ont pas cette attitude, il faut quand même reconnaître que cette violence policière est assez récurrente.

Ainsi, le 5 juillet 2021, le Tribunal de 1ère instance de Bruxelles condamna la Police de Bruxelles qui avait interpellé des dizaines de jeunes activistes d’« Extinction Rebellion » à la suite de la tentative (donc, avant la moindre action) contre le Black Friday, au titre que les arrestations ne se justifiaient pas. La condamnation fut étendue pour des fouilles d’activistes à nu, ainsi que pour leur avoir refusé d’appeler une personne de confiance et de les avoir menottés. Ces actes furent jugés injustifiés.

COP 26-espoir, COP-26 désespoir

Toute cette tension fut oubliée, car la pandémie au COVID-19 frappa de plein fouet la planète. Ce qui, bien entendu, ajouta encore de l’angoisse dans la Société.

Cependant, après un arrêt forcé par la crise sanitaire, le mouvement « Jeunes pour le Climat », soutenu par des dizaines d’associations, relança la contestation, ainsi que d’autres organisations citoyennes, compte tenu de catastrophes majeures de plus en plus marquantes sur toute la planète et du contenu du nouveau rapport du GIEC, le sixième, publié dès le 9 août 2021.

Un constat scientifique absolument catégorique sur la dégradation constante de la situation climatique. « L’alerte rouge est lancée » et il n’y a plus la moindre raison à rester climatosceptique : l’humanité risque de disparaître très rapidement.

À la veille d’un important Sommet européen qui se déroula à Bruxelles en octobre 2021 et la Conférence climatique de Glasgow (COP 26), du 2 au 13 novembre 2021, ce sont quelque 50 000 (selon la police) à 70 000 (d’après les organisateurs) personnes, principalement des jeunes, qui défilèrent à nouveau dans les rues de Bruxelles et passèrent devant les institutions fédérales belges et l’immense complexe de la Communauté européenne.

Près d’une centaine d’organisations, des « Jeunes pour le Climat » aux syndicats européens, et des citoyens vinrent en masse clamer que l’on était au point de bascule : « Où nous restons empêtrés dans le monde d’avant ou nous optons radicalement pour la solidarité et un changement de politique, car l’horloge tourne. Inexorablement. Inondations et sécheresses dramatiques, incendies dévastateurs, mépris des multinationales et des politiciens, même de prétendus élus écologistes qui font davantage de bla-bla-bla que de la véritable politique écologique, comme le clama Greta. Il est grand temps, mais c’est limite, de changer le cours de l’Histoire, selon des climatologues qui spécifient qu’il est encore possible de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, par exemple. »

Bien avant cette nouvelle Marche pour le Climat, Victor Hugo, qui fut un véritable défenseur de la Nature, écrivit : « Le chien, c’est la vertu – Qui ne pouvait se faire homme, s’est faite bête. »

Pourquoi citer ces propos canins ? Parce que, incontestablement, « la » vedette du cortège fut un chien tenu en laisse par son maître. Le bel animal portait sous le cou une pancarte : « Nos politiques traînent la patte, alors j’ouvre ma gueule pour le climat ».

Durant ce temps, ses amis les êtres humains brandissaient d’autres slogans dans une harmonie parfaite qui en disait long sur leur détermination face à l’inertie politicienne : « Honte aux décideurs », « Changeons le système pas le climat », « Merci les banques ! », « Ne pas casser ma planète », « Nous sommes prêts à agir, et vous les politiciens ? », « Protégeons notre planète, ce n’est pas une poubelle », « Assez marché ! Luttes locales et résistance globale », « Justice ? Quand les billets de banque pèsent plus qu’une vie… », « Les changements climatiques ne connaissent pas de frontières du Nord au Sud » …

Sophie, une adulte qui soutient la jeunesse : « J’attends que les politiciens prennent des décisions et leurs responsabilités, qu’ils arrêtent de tourner autour du pot en défendant, soi-disant, l’emploi. Il faut qu’ils défendent la terre et les gens, alors cela aidera beaucoup l’emploi ! Les lobbys ne devraient pas être autorisés à entrer dans les enceintes parlementaires. Il faut interdire ces influences ! »

Lèia, une manifestante de 20 ans, expliqua la raison de sa participation : « Il faut lutter pour ce qui se passe dans le monde depuis si longtemps, mais surtout actuellement tant les catastrophes s’accentuent. Il faut agir concrètement plutôt que parler et absolument mettre des solutions en place… »

Solutions radicales comme le spécifia un organisateur : « Changeons de système économique et social à l’échelon mondial, car les changements climatiques, eux, ne connaissent pas les frontières. De plus en plus, les citoyens montrent et démontrent aux politiciens qu’ils ne sont plus dupes et que leur bla-bla-bla est débusqué. L’heure de passer aux actes a sonné. Puisse-t-elle ne pas devenir un glas pour l’humanité. »

Une autre manifestation eut encore lieu le 31 octobre à Bruxelles en parallèle avec plusieurs défilés en Allemagne, à Glasgow…, comme un dernier rappel aux participants à la COP 26 : « L’humanité est à l’aube de retombées climatiques cataclysmiques. Nous voulons que les dirigeants européens et mondiaux respectent l’Accord de Paris avant que la terre ne devienne invivable ! »

Ironie de la situation, si j’ose dire, la Belgique officielle devait être représentée à Glasgow par QUATRE ministres du Climat… qui ne s’entendaient pas entre eux !

Les citoyens qui défilèrent, eux, leur redirent leurs immense inquiétude, colère, désespoir et attente, à travers des slogans et des calicots, tels « Merci pour le job, Greta », « Alors, on change ? », « Non-assistance à planète en danger », « Justice pour les sinistrés », « J’ai mal à la terre », « Inaction : excuses bidon » …

Jean-Louis, un habitué de ce type de rassemblements : « Les gouvernements et les politiciens, des citoyens, sont drogués aux énergies fossiles. Il faut agir pour les générations futures. La COP 26 ? Il faut se nourrir, même d’un peu d’espoir. Un petit pas largement insuffisant, mais il n’est jamais trop tard pour éviter le pire… »

Boris, jeune activiste : « Je n’ai pas beaucoup d’espoir en la COP 26, car il faut remettre en question toute la société dans laquelle nous vivons, l’économie de marché, la course aux profits des entreprises privées… »

Boris avait raison. La déclaration finale de cette COP 26 joua les prolongations pour remanier, manipuler, assaisonner et goupiller son texte, et, en définitive, elle fut synonyme de cynisme puisqu’elle donne « la possibilité d’aménagements pour circonstances nationales particulières ».

Autant dire que c’est la porte largement ouverte à des amendements, voire à un recul de la situation, entre autres par rapport aux énergies fossiles, peut-être avec une exception pour le charbon.

De plus, guère de changements notoires sur le principe de l’aide des pays riches, extrêmement riches, aux pays pauvres, de plus en plus pauvres.

En effet, ces derniers soulignèrent, à juste titre, que ce n’est quand même pas à eux de réaliser des efforts démesurés pour leurs capacités alors qu’ils paient déjà cash une situation climatique engendrée par les pays nantis : « Le Sud n’est quand même en rien responsable des méfaits occasionnés à la Nature par le Nord. »

Inutile, donc, de dire l’immense déception, une de plus, des jeunes qui, depuis trois années espéraient que leurs actions et réflexions porteraient leurs fruits.

Ne pas abandonner

Greta Thunberg, consciente de cette déception, elle qui ne fut pas invitée à la COP au contraire de centaines de lobbystes invités par l’ONU, fit parvenir un message post-COP 26 pour remobiliser les troupes : « Un rappel après la déception de la COP 26 : les gens au pouvoir n’ont pas besoin de conférences, de traités ou d’accords pour commencer à prendre de vraies mesures climatiques. Ils peuvent commencer aujourd’hui. Quand assez de gens se réuniront, alors le changement viendra et nous pourrons réaliser presque tout. Alors au lieu de chercher de l’espoir, commencez à le créer. Maintenant le vrai travail commence, et nous n’abandonnerons jamais, jamais. »

Par rapport à la situation d’une jeunesse qui n’est guère davantage rassurée sur son avenir en cette fin de 2021, la psychothérapeute Marie-Paule Peuteman spécifie :

« Lors de mes consultations avec des jeunes, je constate une perte de sens général avec une question récurrente : pourquoi encore étudier ? Ils me déclarent avoir principalement cours derrière un écran et que cette informatisation les empêche de se socialiser entre pairs. Ainsi, les étudiants qui quittent le secondaire pour entrer dans l’enseignement supérieur, n’ont guère de relations amicales établies en présentiel.

Certains me disent étudier pour voir s’ils en sont capables, sans plus d’attentes. Une question se pose : cette catégorie d’âge va-t-elle vivre sa jeunesse derrière un écran ?

Il y a également lieu de souligner une rupture générationnelle encore plus marquée, car les parents n’ont pas vécu ce que vivent les jeunes à l’heure actuelle. Des parents qui, par parenthèses, ont les soucis majeurs de garder leur emploi, de gérer la pandémie et leur propre couple… Donc, les jeunes se sentent encore plus largués !

À ces jeunes, je préconise de développer leurs ressources afin de gérer l’anxiété et l’angoisse, et je les accompagne à développer en eux leurs propres aspirations et désirs. Quand ils sont clairs avec cela, ils peuvent alors lutter contre leur état anxieux, ils ont le courage et la volonté qui se mettent en place : par exemple, désir du zéro déchet, agir pour un monde meilleur, jouer un rôle et tenir une place dans la société, avoir davantage de relations…, tout cela anime un moteur en eux.

Je peux citer le cas d’un garçon de 19 ans qui, à l’issue de son cycle secondaire, débuta des cours d’informatique spécialisée mais, au bout de deux mois, il n’y trouvait ni sa place ni son envie de poursuivre et il se mit rapidement à l’écoute de son malaise : ‘‘ Ce n’est pas comme ça que j’ai envie de vivre !’’

Alors, après avoir fait un bilan personnel sur ce qu’il vivait à l’université dans cette option et ses aspirations profondes et non guidées par un futur et lointain plan de carrière et de faire de l’argent à tout prix, il changea radicalement de voie et débuta des études basées sur le concept de l’Environnement et du bien-être. Il semble à présent s’y épanouir. »

À vrai dire, il est à se demander si ces gens de pouvoir pensent réellement à leurs enfants et petits-enfants, et aux citoyens en général, plutôt qu’à leur plan de carrière et à leurs attaches au consumérisme et à une croissance capitaliste effrénée qu’ils promeuvent envers et contre toute humanité. Poser la question est-il y répondre ?

Les stéréotypes s’invitent-il dans les lectures de nos enfants ?

Marie Béclard - FAML

TTrès tôt dans leur vie, on assigne aux enfants des rôles sociaux distinctifs reliés au fait d’être un garçon ou une fille, d’être d’une origine ou d’une autre, d’une religion ou d’une autre. On transmet de façon inconsciente des comportements qui peuvent induire par la suite des discriminations et des inégalités.

Les enfants ne sont pas éduqués, socialisés et pensés de la même manière selon qu’ils sont étiquetés filles ou garçons, qu’importe le lieu de vie (famille, crèche, école, lieux péri et extra-scolaires…) et à travers les différents agents périphériques de socialisation. Cette socialisation différenciée participe, dès lors, à la construction de l’identité sexuée des enfants.

« Dans les albums jeunesses, les stéréotypes sexistes n’existent plus ou beaucoup moins qu’avant ! On n’est plus à l’époque des Martine et des petites filles modèles… ». Cette impression peut elle se vérifier ou au contraire est-elle trompeuse ? La littérature jeunesse contribue-t-elle également à propager des stéréotypes ? Dès leur tout jeune âge, les enfants sont en contact à la maison ou à l’école avec ces livres créés spécialement pour eux. écrits et illustrés par des adultes. Chaque année, on publie des livres destinés aux enfants. Ce type d’objets plaisent souvent aux parents et aux enseignants car ils représentent un moyen d’accès à la culture mais ils sont également un important « support de socialisation ». 1 En effet, ils présentent des personnages de filles, de garçons, de femmes et d’hommes et ils « véhiculent des représentations à propos du masculin et du féminin, lesquelles sont intériorisées par les enfants eux-mêmes ». 2

Littérature jeunesse et construction sexuée

La littérature jeunesse à l’instar de la littérature adulte n’est pas unique. Si on édite un grand nombre de livres pour enfants de qualité chaque année, on trouve également parallèlement une littérature de jeunesse qui n’a de littérature que le nom. Quand un film ou une série sortent, on crée des produits dérivés dont des livres, purs produits de merchandising. On est alors face à des produits qui n’utilisent pas les mêmes codes que dans la littérature jeunesse traditionnelle. Les rayons des supermarchés sont remplis de livres de princesse rose à paillettes et de livres Pokemon ou Ninjago dans des couleurs sombres, des livres spécifiquement pour plaire à des filles ou des garçons. Ils sont clairement genrés mais ne se voilons pas la face : la majorités des albums jeunesse traditionnels présentent également des stéréotypes de genre même si à premier vue, ce n’est pas aussi flagrant. Les personnages des histoires sont très souvent présentés avec une répartition sexiste des rôles sociaux. Les filles y sont quasiment toujours clairement identifiées avec des attributs exclusivement féminins : il n’y a donc pas de doute sur le sexe des personnages représentés, si il n’y a pas de couettes, de robes ou de rose on est face à un garçon. 3 Le personnage neutre est quasi toujours considéré comme de sexe masculin.

Dans les albums illustrés, les auteurs et illustrateurs proposent une représentation du féminin et du masculin de manière consciente ou inconsciente qui va construire l’identité sexuée des jeunes. Les albums jeunesse présentent les trois dimensions stéréotypiques de la différence des sexes : intérieur/extérieur, privé/public et passif/actif.4 En effet, les filles sont plus souvent représentées à l’intérieur, dans un lieu privé et dans des attitudes passives alors que les garçons sont eux davantage dehors, dans un lieu public, dans des occupations actives voir même très actives : ils jouent, font du sport, se disputent, font des bêtises.5

Mais où sont les héroïnes dans nos histoires?

Selon certaines études, les livres qui racontent des histoires de héros masculins sont deux fois plus nombreux que ceux qui racontent des histoires d’ héroïnes et globalement, les garçons sont plus souvent présentés sur les couvertures. En effet, le déséquilibre en termes de représentation du masculin et du féminin s’affirme : les protagonistes correspondent à un monde masculin (Il y a dans le corpus étudié 258 personnages masculins et seulement 114 personnages féminins). Les garçons ont aussi des rôles plus centraux dans les histoires tandis que les filles sont elles plus nombreuses à occuper des rôles secondaires et elles sont plus souvent adultes qu’enfants puisqu’elles occupent fréquemment le rôle de la mère. Dans les albums, elles ont rarement un rôle professionnel. 6 Là où les hommes ont très souvent la double tâche, ils travaillent et jouent en rentrant avec leurs enfants.

Dans les albums jeunesse, il y a de nombreux personnages anthropomorphiques. On pourrait penser qu’ils sont asexués mais ce n’est pas le cas. Ces animaux représentent clairement un garçon ou une fille, un homme ou une femme. Il semblerait que « les histoires avec des personnages animaux humanisés donnent une représentation encore plus stéréotypées des rôles associés à chaque sexe ».7L’animal choisit pour représenter un sexe, n’est pas le fruit du hasard. Pour représenter un héro masculin, on choisira principalement un animal puissant comme l’ours, les animaux de la savane ou le loup. Alors que pour une fille, le choix se portera davantage sur un petit mammifère ou sur un insecte.

L’utilisation de personnages asexués ne semblerait pas être une solution car un personnage sans attribut typiquement féminin ou ne réalisant pas une tâche jugée maternante sera d’office perçu comme étant un homme.

Les enfants préfèrent des livres avec un héro de leur propre sexe. Alors pourquoi, est-ce qu’on trouve une grande majorité de livres avec des héros masculins ? La raison est simple et les « coupables » sont souvent les parents. C’est eux qui choisissent et achètent les livres et ils sont nombreux à penser qu’un personnage masculin conviendra à une fille mais que l’inverse ne fonctionnera pas. En effet, «  en raison de l’androcentrisme qui habite nos société, les adultes considèrent qu’une histoire où un garçon est le héros conviendra aux deux sexes et inconsciemment, se disent qu’une histoire d’héroïne ne plaira qu’aux filles ». 8

Les stéréotypes de genre présents dans la littérature jeunesse sont-ils dangereux ?

Le stéréotype est une notion complexe et axiologiquement ambivalente : nécessaire pour comprendre le monde, il consiste en des « représentations toutes faites, des schèmes culturels préexistants, à l’aide desquels chacun filtre la réalité ambiante » 9. Une illustration doit permettre de faire passer un message et donc l’utilisation d’images simplifiées, de stéréotypes, aide le lecteur à décoder rapidement le message de l’auteur et de l’illustrateur. Le stéréotype joue un rôle essentiel, il en est de même au niveau didactique. En effet, stéréotyper fait partie du processus cognitif dans le sens où « la démarche de catégorisation et de schématisation est indispensable à la cognition ».

Les stéréotypes, ce sont des idées qui ne reposent que sur des généralisations sans preuve ou fait vérifié, et qui mènent à des différences et particularités de comportements vis à vis des personnes discriminées, portant ainsi préjudice au principe d’égalité entre les humains. 10

« Les enfants comprennent, intègrent, intériorisent les attentes et les attitudes différentes de la société face aux deux sexes, qui encourage inconsciemment des comportements typés selon le sexe de l’enfant ». Pourtant les principaux acteurs/actrices de cette différenciation sont convaincus d’avoir un comportement identique et égalitaire et n’ont pas conscience d’agir différemment avec les filles et les garçons ». On entend ainsi souvent, « tu vois c’est une vraie fille, elle aime le rose, les poupées et les robes même si elle a accès à des jouets catégorisés « de garçons ». Tenir un tel discours c’est nier tous les messages qu’on envoie aux enfants parfois même avant leur naissance : combien de chambres roses, ou de layettes définissent déjà les goûts supposés de l’enfant selon son sexe ? 11

Les stéréotypes de genre présents dans la littérature jeunesse ont aussi une influence sur la perception de l’identité sociale de l’enfant, sur la construction de l’identité de soi et sur l’image de soi et comme les stéréotypes sont par définition des images réductrices du réel, et souvent des représentations culturelles dépassées, ils peuvent envoyer un mauvais message aux jeunes lecteurs. ». Par exemple, les jouets attribués aux filles et aux garçons sont souvent différents dans les albums jeunesse. Les dessins présentent les garçons avec des jeux de construction alors que les filles sont accompagnées de leur poupée. Mais quand on va plus loin et qu’on prend en compte les différentes compétences travaillées par chaque type de jouets on réalise l’impact sur l’avenir socio professionnel qu’on prépare aux enfants. En effet, une socialisation différenciée favorise également l’apprentissage d’habiletés cognitives et sociales différentes. Construire des LEGO complexes ou jouer à la poupée ne travaillent en effet pas les mêmes compétences.

« Les théories de l’apprentissage social postulent que c’est l’exposition à des modèles stéréotypés et les relations de contingence entre les stimuli et les réponses qui incitent l’enfant à se comporter de manière stéréotypée ». 12 Les stéréotypes peuvent ainsi participer à la construction de plafonds de verre qui peuvent impacter les ambitions des filles. 13

Pour certains, les enfants ont la capacité de faire la part des choses. Ils ont la capacité à comprendre qu’il y a des représentation abusives dans les histoires qu’on leur lit. Cependant, il faut garder un équilibre. A l’école, elle préconise de proposer des productions qui ne soient pas stéréotypées mais on peut aussi parfois utiliser un « mauvais livre » pour étudier les contre-exemples. Mais comment s’assurer de cet équilibre dans certaines familles où les modèles ne sont pas diversifiés ? De plus, les contre exemples peuvent perturber certains enfants issus de milieux moins favorisés. Ils sont perdus et ne trouvent plus leurs repères.

Une évolution dans la littérature jeunesse  ?

On voit depuis la fin des années 90 des changements dans la littérature jeunesse en termes de stéréotypes de genre mais c’est dans les années 2000 qu’on voit apparaître certaines maisons d’édition qui font de la déconstruction des stéréotypes de genre leur cheval de bataille. C’est le cas par exemple de la maison d’édition : « Talents Hauts, la maison d’édition jeunesse qui piétine les stéréotypes » et qui est née en 2005.14 La maison d’édition publie :La déclaration des droits des filles, La déclaration des droits des garçons, celle des droits des mamans ou encore ceux des papas… Si l’initiative est plus qu’intéressante pour déconstruire les stéréotypes, on peut cependant reprocher le côté répétitif qui donne l’impression qu’on tient un bon filon et qu’on va donc l’exploiter jusqu’au bout. Pour ce qui est des maisons d’éditions plus traditionnelles, certains livres luttent contre les stéréotypes mais ces livres côtoient cependant toujours des ouvrages qui véhiculent de nombreux stéréotypes sexistes.

Quelles solutions, pour une littérature jeunesse moins stéréotypée ?

Pour lutter contre les stéréotypes de genre qui enferment aussi bien les femmes que les hommes dans une répartition des rôles qui ne correspondent plus aux valeurs de la société actuelle et pour que ce ne soient plus des injonctions sociales qui dictent les conduites et les goûts des enfants,15

il convient de faire évoluer les textes au regard de la question du genre. Pour cela, il est important de faire la part belle aux personnages de filles, tout en veillant à ce que l’égalité ne soit pas seulement quantitative. Mettre des personnages féminins juste pour atteindre un cota ne changera rien. Il faut que filles et garçons aient des rôles qui soient valorisés dans les histoires. Il faut donner des rôles variés aux personnages de femmes dans les livres pour enfants : elles sont mères mais aussi travailleuses, elles font le ménage mais occupent des postes importants comme elles le font actuellement dans notre société. 16

Il a été mis en évidence qu’il était plus efficace de s’entraîner à l’affirmation de contre-stéréotypes positifs qu’à la négation de stéréotypes négatifs. Autrement dit, il serait plus efficace d’affirmer, par exemple, que « les filles sont courageuses » que d’affirmer que « les filles ne sont pas peureuses ».17

Il faut toujours garder à l’esprit que « les adultes, même s’ils sont de papier, restent des modèles ! ». Les auteurs, les éditeurs doivent donc veiller à ce que l’égalité des chances devienne également une réalité dans la littérature jeunesse. 18 la littérature jeunesse peut-être un outil puissant de lutte contre les inégalités de genre et lutter contre la socialisation différenciée. 19 20

Notes

1A. DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons. Socialisation différenciée ?, Presses universitaires de Grenoble, 2006, p. 304.

2A. DAFFLON NOVELLE, Littérature enfantine sous l’angle du genre publié en 2010 consulté 31 août 2021 sur le site

le https://m.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/fichiers/livret-dvd-ce-genre-que-tu-te-donnes.pdf

3A. DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons. Socialisation différenciée ?, Presses universitaires de Grenoble, 2006, p. 306.

4A. DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons. Socialisation différenciée ?, Presses universitaires de Grenoble, 2006, p. 307.

5A. DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons. Socialisation différenciée ?, Presses universitaires de Grenoble, 2006, p. 308.

6A. DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons. Socialisation différenciée ?, Presses universitaires de Grenoble, 2006, p. 309.

7A. DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons. Socialisation différenciée ?, Presses universitaires de Grenoble, 2006, p. 312.

10J. BASDEVANT, « La littérature jeunesse et les stéréotypes de genre : du véhicule de stéréotypes de genre à l’outil de lutte » dans Education consulté sur le site https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02278250/document

11 L. MARGARITO, « Influence de la littérature jeunesse dans la transmission des stéréotypes de genre » dans Education, 2017, p.5 consulté le 4 juillet 2021 sur le site ffdumas-01698499f.

12 D. POULIN, L.SERBIN, « La connaissance des catégories de genre et des stéréotypes sexués chez le jeune enfant »dans Enfance, 2006,3,Vol. 58, p. 285.

13 L. CORROY, S. JEHEL, Stéréotypes, discriminations et éducation aux médias, paris, 2016, p.115.

14Informations consultées le 30 juillet sur le site http://www.talentshauts.fr/

15V. ROUYER, Y. MIEYAA et A. LE BLANC, « Socialisation de genre et construction des identités sexuées »,dans  Revue française de pédagogie, 187 | 2014, 97-137.

16A. DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons. Socialisation différenciée ?, Presses universitaires de Grenoble, 2006,

17 GAWRONSKI et coll., « When “Just Say No” is not enough: Affirmation versus negation training and the reduction of automatic stereotype activation », dans Journal of Experimental Social Psychology, 44, 2, Mars 2008, p. 370-377.

18M. MANUELIAN, N. MAGNAN-RAHIMI, « La littérature pour la jeunesse et le genre : un corpus face à ses contradictions ? » dans Le français aujourd’hui , 2016, 2,193, p. 54.

19J. BASDEVANT, « La littérature jeunesse et les stéréotypes de genre : du véhicule de stéréotypes de genre à l’outil de lutte » dans Education consulté sur le site https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02278250/document

Derrière les mots,… les femmes dans l’histoire

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

Derrière les mots se cache une réalité bien plus interpellante. Refuser la prédominance du mâle passe aujourd’hui par l’écriture inclusive (illisible…), par la féminisation …des mots. Un hommage devient donc un femmage (ou mieux encore, une femmage). Des mots, toujours des mots…

Désormais, ne dites plus Journées du patrimoine, terme beaucoup trop « patriarcal » mais Heritage Days (non sans ironie lorsqu’on sait que Heritage se traduit par…patrimoine!).

Pour complaire aux ultras, la France devrait-elle changer sa devise, liberté oui, égalité oui mais fraternité ? Et la Marseillaise ? pourra-t-elle encore parler des enfants de la « patrie » comme si le pays appartenait aux hommes !

Mais derrière les mots, il y a une tout autre réalité…

Où sont les femmes dans l’histoire ? Quelle place ont-elles dans les manuels scolaires ? Dans notre culture générale ?

Où sont les peintres, les compositrices, les réalisatrices de cinéma ? Seules deux d’entre elles ont obtenu une palme d’or au festival de Cannes, Jeanne Campion l’avait reçue en 1993 pour son chef-d’œuvre « la leçon de piano » et vingt ans plus tard, c’est à Julia Ducourneau que revient cet honneur pour son film « Titane ». Deux femmes en 74 années d’existence du festival. …

Aucune autre n’a pu prétendre à cette haute récompense cinématographique.

Quant aux actrices, si elles sont nombreuses, elles obtiennent bien moins de premiers rôles que les acteurs masculins.

Que dire de la cuisine, domaine qui a toujours été réservé à la femme « de par sa nature », l’homme au boulot, la femme aux casseroles. Et, là aussi, ce sont les hommes qui brillent de leurs étoiles. Pourtant il y en a, même si celles qui voient afficher leur nom au firmament de la gastronomie avec trois étoiles ne sont que sept dans le monde ; à côté d’elles, une centaine de chefs. Si on connaît Hélène Darroze pour sa participation comme juge à l’émission Top Chef, quelles sont les autres ? Qui pourrait citer les noms d’Elena Arzak, d’Anne-Sophie Pic, de Nadia Santini, d’Annie Feolde, de Clare Smyth, de Dominique Crenn ? Alors que les noms de Guy Savoy, Alain Ducasse, Michel et César Troisgros, feu Paul Bocuse…nous viennent immédiatement sur les lèvres.

Et les scientifiques ? S’il est un domaine dont on prétend qu’il n’intéresse pas les filles, c’est bien celui des sciences.

Et si l’histoire ne célèbre pas ces dames des sciences, ce n’est pas qu’elles n’existent pas, elles sont même nombreuses. Cependant rares sont ceux qui peuvent nommer l’une ou l’autre d’entre elles.

Exception faite bien sûr de Marie Curie, de sa fille Irène Joliot-Curie… et peut-être de notre Lucia de Brouckère pour quelques anciens étudiants de l’ULB ?

En voici quelques-unes choisies au hasard dans une longue liste et dont les recherches ont eu une importance capitale dans les progrès de la science et les bénéfices (ou les effets négatifs) qui en ont découlé pour l’humanité.

Rosalind Franklin (1920-1968), physico-chimiste britannique, pionnière de la biologie moléculaire. Elle est la première à avoir formulé la structure hélicoïdale de l’ADN, découverte que se sont attribuée ses collègues masculins Watson et Crick qui recevront le prix Nobel de médecine pour cette découverte majeure tandis qu’elle restera dans l’ombre.

L’histoire célèbre Albert Einstein, ce savant de génie, mais dans son ombre, il y a Mileva, son épouse qui aurait collaboré à l’élaboration de la théorie de la relativité dont seul son illustre mari sera crédité.

Lise Meitner (1878-1968), cette physicienne austro-suédoise a découvert, avec ses collègues Otto Hahn et Fritz Strassmann, le mécanisme de la fission nucléaire à la base de l’énergie nucléaire mais aussi de l’armement du même nom. Lorsque le prix Nobel de physique fut attribué pour cette importante découverte, seul Hahn aura droit à cette récompense. Une nouvelle fois, une femme est évincée au profit d’un collaborateur.

Emilie Duchatelet (1706-1748). Obligée de se déguiser en homme pour pouvoir participer aux débats scientifiques de l’Académie des Sciences de Paris qui en interdit l’accès aux femmes, Émilie, scientifique et philosophe, collaborera avec Voltaire qui l’encouragera à approfondir ses connaissances en physique et en mathématiques.

En 1737, elle participe à un concours anonyme de l’Académie royale des sciences portant sur le feu, sa nature et sa propagation. Elle rédige une « dissertation sur la nature et la propagation du feu », étude dérivée des travaux de Newton. Bien que n’ayant pas remporté le concours, la qualité de ses écrits fait qu’ils seront publiés par l’Académie, une première pour une femme !

Ada Lovelace

Ada Lovelace (1815-1952). Son nom dira peut-être quelque chose aux geeks …

Fille de Lord Byron, Ada convaincue que la machine pourrait manipuler non seulement des chiffres mais aussi des lettres et des symboles en « tissant » des motifs algébriques, elle a inventé le premier algorithme logiciel, le premier programme destiné à être utilisé par une machine : elle est donc , en 1842, la première codeuse au monde.

Avec le mathématicien Charles Babbage, elle travaillera à la mise au point de la « machine analytique », ancêtre de nos ordinateurs.

Elle bénéficie d’une reconnaissance tardive lorsque le Département de la Défense américain donne, en 1997, son nom à un langage de programmation tandis que le CNRS nommera en son hommage un de ses supercalculateurs.

Un film lui sera aussi dédié. Elle reste néanmoins peu connue du grand public.

Jocelyn Bell, (1943) est une astrophysicienne britannique qui a découvert le premier pulsar. Ce n’est pas elle mais son directeur de thèse, Antony Hewish qui recevra pour cette découverte la récompense suprême, le prix Nobel de physique. Une fois de plus, c’est l’homme qui s’attribue sans vergogne le travail de sa collègue et le prix qui lui revenait de droit.1

Katherine Thompson (1918-2020) Cette mathématicienne de génie (elle a obtenu son diplôme d’humanités à 13 ans), informaticienne et ingénieure spatiale afro-américaine à la NASA a contribué à repousser les frontières de l’espace. Ce sont ses calculs qui ont permis à la mission Apollo 11 de se poser sur la lune et de ramener son équipage sain et sauf sur la terre.

Plusieurs fois récompensée pour ses travaux, le président Obama lui octroiera la plus haute distinction civile des États-Unis, la médaille présidentielle de la liberté, elle reste néanmoins inconnue du grand public.

Maryam Mirzakhani (1971-2011), mathématicienne née à Téhéran. Elle obtient la plus prestigieuse des récompenses attribuées dans sa discipline , la médaille Fields, équivalant du Nobel pour les mathématiques. Elle est la première femme à avoir été honorée de cette haute distinction .

Hedy Lamar, (1914-2000) cette actrice connue pour sa grande beauté est aussi, et cela on l’ignore, une scientifique et une inventrice brillante. Mariée à un marchand d’armes, elle a avec lui de nombreuses conversations autour des missiles radioguidés. Après leur séparation, elle se rend aux USA et rencontre le pianiste George Antheil. Ensemble ils imaginent  un système de codage des transmissions par étalement du spectre applicable aux torpilles radioguidées pour lequel un brevet est déposé en 1941. Cette invention importante passe inaperçue. Ce n’est que 21 ans plus tard, alors qu’elle est tombée dans le domaine public que l’armée américaine s’en saisit et fait de cette invention majeure l’ancêtre de technologies modernes comme le Wifi, le Bluetooth, le GPS et le téléphone portable.

Il faudra attendre 1997, elle a alors 82 ans, pour qu’elle soit récompensée du prix de l’Electronic Frontier Foundation. 2

Hedy Lamarr

Clémence Augustine Royer, née le 21 avril 1830 à Nantes et morte le 6 février 1902 à Neuilly-sur-Seine, est une philosophe et scientifique française. Elle a traduit en français l’ouvrage de Darwin « l’origine des espèces ».

Elle fut à la fin du XIXᵉ siècle une figure du féminisme et de la libre pensée. Vous la connaissez ?

Qui sait que le vaccin contre le COVID d’Astra Zeneca a été co-créé par une femme ? Sara Gilbert, professeure de vaccinologie à l’université d’Oxford, est une spécialiste des vaccins contre la grippe et des pathogènes viraux émergents.

Elle a dirigé l’équipe qui a mis au point le vaccin qui utilise un vecteur adénoviral en stimulant une réponse immunitaire contre la protéine de pointe du coronavirus.

Consciente du peu de visibilité qui leur est donné , la société Mattel a créé une poupée Barbie à l’effigie de la scientifique pour promouvoir les femmes dans la science et les encourager à choisir ces carrières.3

Et il y en a de nombreuses autres …

Pourquoi laisse-t-on dans l’ombre ces femmes qui ont à leur actif des découvertes d’une importance capitale pour l’humanité ? Pourquoi leur confisque-t-on les récompenses qu’elles auraient largement mérité ?

Le phénomène, théorisé par l’historienne Margaret Rossiter qui fait que les femmes, contrairement à leurs homologues masculins, ne bénéficient que très peu, voire pas du tout lorsqu’elles se font spolier par leurs collègues, des retombées de leurs découvertes et des récompenses qui les accompagnent s’appelle l’effet Matilda en référence à la militante féministe américaine du 19ème siècle Matilda Joslyn Gage. Celle-ci avait remarqué que des hommes s’attribuaient les pensées intellectuelles des femmes et que leurs contributions étaient ( et sont ?) souvent réduites à des remerciements en bas de pages.

La liste des scientifiques mâles connus est quant à elle interminable. De Thalès, Pythagore, Archimède à Oppenheimer et Stephen Hawking en passant par Newton, Darwin, Mendeleïev, Lavoisier, Volta, Fermi et tous les autres ….

Où sont les compositrices ?

Pas moins de 700 compositrices, du 17ème siècle à aujourd’hui, sont répertoriées sur une plate-forme numérique. 4Sept cents et combien d’entre elles connaissent la gloire ?

Sept cents et notre culture musicale les ignore en se limitant la plupart du temps aux « grands compositeurs », toujours des hommes. Ces dames restent une fois encore dans l’ombre.

Si le nom de Schumann est connu de tous, c’est surtout celui de Robert. Et pourtant son épouse Clara fut une excellente pianiste mais aussi une compositrice de talent. Même constat pour l’ épouse de Friedrich Mendelssohn, Fanny, pour la fille d’Ernest Boulanger, Lili,…

D’après la plate-forme, Francesca Caccini serait, au 17ème siècle, la première femme à avoir composé un opéra et Barbara Strozzi, l’une des premières compositrices professionnelles. Il semble que ce soit un secret bien gardé…

Quant à Hildegarde de Bingen (1098-1179), sainte de l’Église catholique, elle aurait été l’une des premières compositrices « connues ».

Sept cents connues probablement des seuls musicologues …

Et en peinture ?

Si Berthe Morisot, Suzanne Valadon, Sonia Delaunay, Frieda Kahlo, et Marie Laurencin célébrée par Joe Dassin … jouissent d’une certaine notoriété, combien d’autres sont restées dans les limbes de l’histoire picturale ?

La politique semble faire exception même si le nombre de femmes y reste encore beaucoup plus faible que celui de leurs homologues masculins. Peu de lois portent un nom de femme (la loi Veil en France, elle portera en Belgique le nom de Lallemand-Michielsen, donnant prédominance à son homologue masculin). Peu d’entre elles ont été à la tête d’un parti politique ou d’un gouvernement si on excepte le court intérim de Sophie Wilmès, qui, il faut le souligner, géra avec efficacité les débuts de la crise sanitaire.

Quand elles viennent à occuper des postes de premier plan dans des organismes internationaux ou à la tête de grandes entreprises publiques ou privées, on attend d’elles qu’elles se comportent comme des hommes. Ou peut-être le font-elles inconsciemment ?

Alors, femmage, matrimoine, … peut-être, mais avant tout, donner à la femme sa place dans la société et la reconnaissance à laquelle elle a droit.

On peut vivre sans la gloire qui ne prouve rien
Être inconnu dans l’histoire et s’en trouver bien …
Bourvil

On peut aussi être connue dans l’histoire et s’en trouver mieux !

Voitures électriques

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

La lutte contre le changement climatique l’exige, la neutralité carbone doit être atteinte d’ici 2050. Pour les prochaines décennies, la star de nos futurs déplacements sera électrique ou ne sera pas.

Exit donc les voitures à moteurs thermiques.

A Bruxelles, l’interdiction s’appliquera dès 2030 aux véhicules à moteur diesel même si ceux-ci rejettent moins de CO2 que les voitures à essence qui seront quant à elles, tout comme les hybrides, bannies de la capitale en 2035. Cette interdiction fait partie de l’accord de gouvernement de 2019.

D’autres capitales européennes, Paris, Amsterdam, Londres ont d’ores et déjà affirmé leur intention de mettre en place la même interdiction.

L’intention est bien sûr bonne et nécessaire puisque le mode de propulsion des véhicules électriques produit deux fois moins de CO2 que celui des voitures à moteur thermique.

Une récente étude de la VUB fait état d’une diminution de 25 % des émissions de CO2 même dans le cas où l’électricité serait produite, comme en Pologne, par des centrales au charbon, extrêmement polluantes.

Dans le cas où l’alimentation se ferait par un ensemble de modes de production (nucléaire et renouvelable en Belgique), c’est à une diminution de 65 % des émissions que l’on assisterait. Cette baisse pourrait atteindre 85 % si l’on se sert uniquement des énergies renouvelables.1

Un certain nombre de questions se posent néanmoins.

La première est celle de l’approvisionnement

Chaque année à l’approche de l’hiver, de ses jours plus courts et des besoins accrus en chauffage, la menace d’un black-out électrique pend au-dessus de nos têtes.

Comment dès lors imaginer alimenter en électricité un parc automobile actuellement de près de six millions de véhicules  – il se limitera probablement à deux millions lors de la transition – sachant que dès 2025, les centrales nucléaires cesseront de fonctionner ?

Les prévisions sont plutôt rassurantes, du moins pour les quelques prochaines années. Une étude de la CREG montre qu’il est possible, dès aujourd’hui, de s’engager dans l’électrification massive du parc automobile. La hausse de la consommation se limiterait, dans l’hypothèse où deux millions de véhicules circuleraient dans le pays, à 4 %, si toutefois les recharges ont lieu dans les périodes creuses, lorsque la demande est peu importante. Les statistiques montrent d’ailleurs que c’est la nuit qu’ont lieu la plupart des recharges à domicile et ceci afin de bénéficier des tarifs horaires plus avantageux. Ce type de rechargement nécessite néanmoins de posséder un garage ou un emplacement à l’écart de la voie publique. A l’exception des bornes prévues à cet effet, le rechargement sur sur la voie publique n’est pas autorisé en raison du danger qu’un câble ferait courir aux piétons. Certaines villes, c’est le cas de Bruges, l’autorisent néanmoins pour autant que le câble soit recouvert de manière à éviter les risques de chute.

Que se passera-t-il lorsque les centrales nucléaires auront cessé de fonctionner sachant que celles-ci produisent 46,6 % de l’électricité du pays (les centrales à combustibles fossiles représentent 30,3 % tandis que les énergies renouvelables ne sont que pour 22,7 % dans notre approvisionnement énergétique).

Elia, le gestionnaire du réseau de transport de l’électricité, tire la sonnette d’alarme. Il ne reste que peu de temps pour trouver des alternatives si on veut anticiper les conséquences de la sortie du nucléaire. Faute de quoi le pays se trouvera dans une grave situation de dépendance énergétique à l’égard d’autres pays.

La solution serait, selon Elia, de proposer des incitants à des investisseurs privés pour la construction de nouvelles centrales au gaz et leur assurant un revenu garanti.

Une autre question est celle de la recharge du véhicule.

Si les Pays-Bas offrent sur leur territoire un réseau de plus de 75.000 bornes de recharge, soit un tiers du total de l’Union européenne – à quoi il faut ajouter les 190.000 citoyens possédant leur propre borne – ce nombre est encore insuffisant. C’est pourquoi il devrait passer à 500.000 d’ici à 2025 et à … 2,5milllions en 2030 !2

A Bruxelles, il faudra attendre 2035 pour voir 11.000 bornes installées sur son territoire. Certaines d’entre elles seront placées dans des parkings publics dont l’accès est bien sûr payant et limité par les heures d’ouverture. On en est encore loin ! L’ambition est de proposer 250 bornes d’ici la fin 2021 !

Quand on sait que deux millions de véhicules électriques devraient se trouver sur nos routes d’ici 2035, leur recharge risque de ne pas être simple.

Circulation de la voiture peu polluante mais qu’en est-il de ses composants ?

La production des batteries qui alimenteront les véhicules électriques est extrêmement énergivore  puisqu’elle nécessite l’extraction de nickel, de cuivre, de cobalt, de graphite,… A quoi il faut ajouter le néodyme et le lithium, terres rares. Autant de ressources qui ne sont pas inépuisables et qui nécessitent l’extraction de tonnes de terre, autant de dégâts environnementaux dans les pays fournisseurs… notre bonne conscience au prix de la délocalisation de la pollution ! Au prix du pillage des ressources !

Derrière l’extraction de ces matières premières il y a aussi le travail des enfants. C’est ce que montre un rapport d’Amnesty International. Au Congo, les enfants sont utilisés pour l’extraction du cobalt fourni, via une société chinoise, à l’industrie automobile et aux entreprises technologiques.3

Notre bonne conscience écologique au prix de la santé des enfants africains !

Prix de ces véhicules

Contraints d’abandonner nos voitures thermiques, aurons-nous les moyens financiers pour les remplacer par des équivalents électriques ?

L’achat d’un véhicule électrique représente encore aujourd’hui un surcoût par rapport à celui d’un véhicule thermique. Il faut encore compter 25.000 € pour une petite citadine de base alors qu’une berline familiale vous coûtera au minimum 60.000 €. Même si l’écart s’amenuise à mesure de l’augmentation de la demande et de l’évolution de la technologie, le prix reste élevé et prohibitif pour les petits et moyens revenus.4

Des incitants ?

Une réduction d’impôt pour l’achat d’une voiture électrique existait mais a été supprimée en 2014, quand peu de gens en achetaient … ça c’est la Belgique !

Toutefois, des avantages fiscaux existent dans les trois régions : la Flandre dispense le propriétaire d’un véhicule électrique de la taxe de mise en circulation mais aussi de la taxe annuelle. Quant à Bruxelles et à la Wallonie, la mise en circulation vous coûtera 61,5€ et la taxe annuelle sera d’un montant forfaitaire fixe de 81,3€. Nos compatriotes néerlandophones économiseront donc plusieurs centaines d’euros par rapport à leurs voisins francophones et germanophones sur la durée de vie du véhicule.

Des primes à l’achat ?

En Allemagne, l’acheteur bénéficie d’une prime de 6.000€, la France a fait passer le bonus écologique de 6.000 à 7.000€ pour l’achat d’un véhicule électrique par un particulier qui pourra en outre recevoir une prime à la conversion allant jusqu’à 5.000€ pour les plus bas revenus. L’avantage peut donc aller jusqu’à 12.000€. Quant au Grand Duché de Luxembourg, bien que n’ayant aucune industrie automobile à soutenir, une prime de 8.000€ est accordée aux acheteurs de voitures électriques.

Et en Belgique ? Il n’en sera rien. Le but n’est pas de voir les voitures thermiques remplacées par leurs équivalents électriques mais bien d’éradiquer ce mode de transport … ou de le réserver aux plus nantis ?

Il faut, dit le gouvernement bruxellois, promouvoir une mobilité « douce » et la voiture électrique n’en fait pas partie. Nous partirons désormais en vacances à pied, à trottinette, à vélo …ou en avion, le prix des trains étant souvent rédhibitoire pour des familles.

Plus question de faire ses courses du samedi au supermarché. Pas grave, nous nous devons de privilégier les commerces de proximité, Färm et autres enseignes bio aux prix prohibitifs pour beaucoup de ménages.

Les transports publics doivent être privilégiés ! Où en est le RER ? Où sont les P+R autour de nos villes ? Pourquoi ferme-t-on des gares jugées insuffisamment rentables  privant des citoyens-contribuables d’accès aux transports ferroviaires en niant la notion-même de service public  ?

De nombreuses villes à l’étranger offrent la gratuité des transports en commun, c’est le cas en France (Montpellier, Strasbourg, Lille, …), au Grand-Duché où la gratuité couvre l’ensemble du territoire , en Suisse (Fribourg,…).

Et en Belgique ? Il n’en est rien. Pas de gratuité juste quelques tarifs préférentiels pour certaines catégories de la population.

Neutralité carbone oui, voitures électriques peut-être mais pas pour tout le monde, villes pour riches, loin de la mixité voulue par nos élites, certainement ….

Slovénie : « orbanisation » de la présidence tournante de l’Union européenne

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

Il y avait la Hongrie avec les dérives autoritaires d’extrême droite de Viktor Orban : une révision de la Constitution, votée par un Parlement qui lui est acquis, lui accorde des pouvoirs particulièrement étendus.

Son parti, le Fidesz se faisant fort de garantir les valeurs chrétiennes du pays et en particulier celles de la famille traditionnelle, définit entre autres l’institution du mariage comme étant « l’union de vie d’un homme et d’une femme », et c’est de facto une porte fermée à la possibilité de reconnaître le mariage homosexuel.

Le pays est, depuis trois ans, sous le coup d’une procédure pour violation des valeurs européennes .

Orban s’en moque, tout comme il se moque des dispositions du Traité fondateur de l’Union et des valeurs que tout membre s’engage à respecter et à promouvoir, une Union à laquelle son pays a librement fait le choix d’adhérer.

Dans son pays, il y a des atteintes graves à la liberté d’expression et en particulier à la liberté de la presse. La création d’un mécanisme de régulation déséquilibré d’un point de vue politique, doté de pouvoirs disproportionnés sans être soumis à un contrôle judiciaire suffisant fait peser de lourdes menaces sur l’indépendance des médias audiovisuels de service public.1

Atteintes aussi à l’indépendance de la justice avec la limitation des pouvoirs de la Cour constitutionnelle, avec la mise à la pension d’office de certains juges et leur remplacement par deux cents magistrats soigneusement sélectionnés et nommés par le Président de l’Office national de la justice, lui-même désigné directement par le Gouvernement pour une durée de neuf ans.

Quitte à bafouer, bafouons et ce sont les droits et l’humanité des réfugiés entassés aux frontières de cette forteresse bien gardée qui sont niés, le racisme est devenu affaire d’État.

La liberté religieuse existe en Hongrie mais seulement pour les catholiques. Tout autre communauté confessionnelle devra désormais obtenir son agréation par le Parlement qui, rappelons-le est entièrement dévoué à un président très catholique.

Récidive récente dans la discrimination de certaines minorités avec le vote d’une loi interdisant la « promotion » de l’homosexualité auprès des mineurs, texte qui va à l’encontre de toutes les valeurs de l’Union européenne en décrétant l’invisibilité de ces communautés, au point que le premier ministre hollandais déclarait que la Hongrie n’avait plus sa place au sein de l’Union, tandis qu’Ursula von der Leyen la présidente de la Commission qualifiait le texte de honte.

Celle-ci enverra une lettre à Budapest pour manifester son indignation, et celle de l’Union européenne, à propos d’une « loi qui discrimine les personnes sur base de leur orientation sexuelle ». On ne verra désormais plus en Hongrie d’homosexuel, trans,… dans des films, à la télé, dans des pubs, … c’est beaucoup trop traumatisant pour les enfants !

Le texte qui prétend lutter contre la pédophilie fait un amalgame tout à fait scandaleux entre cette déviance impliquant des enfants, parfois très jeunes, et l’homosexualité qui concerne des adultes consentants.

Lutter contre la pédophilie ? En condamnant à une faible amende et à aucune peine de prison l’ambassadeur de Hongrie au Pérou coupable d’avoir stocké sur son ordinateur plus de vingt mille clichés d’enfants !

Le texte est entré en vigueur malgré tous les avertissements de ses partenaires européens, de certains tout au moins. La Pologne et la Slovénie n’en font pas partie…

Ce 25 juillet, des milliers de Hongrois ont envahi la capitale pour le défilé annuel de la Budapest Pride. La manifestation avait, cette année, un fort goût de protestation contre la loi homophobe du gouvernement Orban.

La Hongrie n’a plus sa place au sein de l’Union ?

L’exclusion d’un membre de l’Union, qu’il ait commis une faute grave ou qu’il en ait violé les principes, n’est pas prévue par les traités.

Seul l’article 7 du Traité prévoit la possibilité, en cas de violation grave et persistante des valeurs fondatrices de l’Union définies à l’article 2 et qui sont le respect de la dignité humaine, la liberté, la  démocratie, l’égalité,  l’état de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités, non pas d’exclure un membre mais de suspendre son droit de vote du pays au sein du Conseil.

Cette suspension n’empêche pas que les décisions auxquelles il n’a pas pu participer, s’appliquent à lui.

Sachant que le vote de sanctions contre un pays requiert l’unanimité, cette procédure a très peu de chance d’aboutir dans le cas de la Hongrie qui bénéficie du soutien indéfectible et réciproque entre autres de ses amis Polonais.

La Commission planche toujours sur le nouveau mécanisme qui devrait conditionner les subsides européens au respect de l’État de droit.

Il y avait aussi la Pologne.

Même combat, mêmes dérives autoritaires, mêmes violations des règles européennes… mêmes violences envers ceux qui pensent ou vivent « autrement ».

Un gouvernement nationaliste, un parti Droit et Justice qui cherche à imposer sa vision traditionaliste de la société polonaise, voilà de quoi encourager tout ce que le pays compte de groupes d’extrême droite à se croire investis de la mission, par la force ça va de soi, de réprimer toute manifestation contre le pouvoir ou contre ses lois.

Rendue responsable de la quasi interdiction de l’avortement par un haut tribunal, l’Église catholique subit, à travers ses édifices, la vindicte des manifestant(e)s. Encouragés par le gouvernement nationaliste et par le parti Droit et Justice de Jarosław Kaczyńsk, des groupes d’auto-défense d’extrême droite néofascistes, ultranationalistes accompagnés de hooligans du football se sont érigés en défenseurs des églises. Les rebelles qualifié(e)s de barbares gauchistes s’en souviendront , violences, insultes ont plu contre ces progressistes qui entendaient défendre les droits des femmes, des LGBTQ,,…

Dégoûtés par leur Église, par son intolérance et son accointance avec un pouvoir qu’elle sert avec dévotion,les Polonais apostasient, en masse, plusieurs milliers semble-t-il. Non pas qu’ils cessent d’être croyants, la foi ils l’ont toujours. Simplement, ils refusent désormais de faire partie de cette Église polonaise rigide et rétrograde, cette Église qui protège les prêtres pédophiles mais condamne tout ce qui n’est pas un couple composé d’un homme et d’une femme, qui a fait pression sur le gouvernement pour rendre quasi impossible l’interruption volontaire de grossesse. Impossible et surtout illégal, ça l’est de facto puisque le tribunal constitutionnel a considéré que la malformation du fœtus ne pouvait en aucun cas donner à la femme le droit de faire interrompre sa grossesse.. 2

Cette Église dont les valeurs sont distantes, de plus en plus, de celles qu’elle prétend défendre et dont le chemin qu’elle prend l’éloigne de l’Église officielle, celle du Pape François mais aussi de ses propres ouailles.

C’est désormais sur 41 % d’opinions favorables que l’Église polonaise peut compter, score en baisse de 22 % par rapport au dernier sondage.

Tout comme la Hongrie, le pays est sous le coup d’une procédure intentée par l’Europe ; tous deux refusent le plan de relance post COVID car celui-ci est lié au respect des valeurs démocratiques de l’Union.

Les menaces, ils n’en ont cure, la règle de l’unanimité leur donne raison. Soutenus par leurs voisins, ils se sentent invincibles. Pour eux, ce n’est que l’ingérence d’une Union dont ils ont souhaité faire partie mais dont ils ont décidé de ne pas respecter les règles.

On croyait, avec la Pologne et la Hongrie, avoir tout vu en matière de gouvernement d’extrême droite, c’était sans compter avec la Slovénie, pays qui tiendra les rênes de l’Europe durant les six prochains mois puisque c’est à elle que revient d’occuper la présidence tournante de l’Union .

Ce petit pays est issu de l’éclatement de la Yougoslavie en diverses républiques qui sont, outre la Slovénie, la Serbie, le Monténégro, la Croatie, la Macédoine du Nord et la Bosnie-Herzégovine.

Gouvernée par le centre gauche jusqu’en 2004, année de l’effondrement du parti libéral démocrate, la Slovénie a amorcé, depuis 2018, un virage à droite à 180° sous l’impulsion de son premier ministre, Janez Janša, ami de Viktor Orban, et de son parti, le parti démocratique slovène (SDS). C’est donc un homme condamné à deux ans de prison pour corruption et qui passera neuf mois derrière les barreaux qui tient les rênes du pays et avec lui une droite identitaire et xénophobe. 3

Grand admirateur de personnalités aussi controversées que Donald Trump et que son ami Viktor Orban, il est surnommé maréchal « Twitto » pour la propension qu’il partage avec l’ex-président américain à twitter de manière frénétique. 4

Ce tournant à droite se traduit par des attaques contre les ONG, contre les médias que Janša accuse d’être aux mains des communistes et d’avoir été un frein à son accession au pouvoir. Pour les contrer, il a mis en place, avec l’aide d’un entrepreneur étroitement lié à Viktor Orban, son propre pool médias.5 Ceux-ci se sont spécialisés dans la propagande en faveur du premier ministre et dans des campagnes de diffamation des membres de l’opposition ou des associations de défense des droits humains, des LGBTQ ou encore celles de protection de l’environnement dont il faut savoir que son ministre manifeste davantage d’intérêt pour des investissements dans des centrales électriques que pour la protection de l’environnement.

Le premier ministre s’affiche d’ailleurs ouvertement climato-sceptique, tout comme son modèle, le milliardaire américain Trump.

Des ONG menant des projets humanitaires et sociaux ont vu leurs subsides supprimés. Un recours contre ces mesures a été introduit auprès de la Cour constitutionnelle qui les a suspendues.

La pandémie a constitué un parfait prétexte pour voter des restrictions à la liberté de manifester avec grosses amendes à la clé.

En 2015, la Slovénie s’est trouvée sur la route empruntée par des millions de réfugiés. La Hongrie ayant fermé ses frontières, c’est entre autres vers la Slovénie que le flux s’est dirigé pour ensuite passer en Autriche et puis en Allemagne. Lorsque Vienne à son tour bloque le poste frontalier emprunté par les candidats réfugiés, Ljubljana tente de militariser sa frontière avec la Croatie mais doit renoncer suite à l’opposition de certains membres de la coalition au pouvoir. Les droits des migrants sont néanmoins drastiquement limités.

C’est donc à un président qui a Trump – il est lui aussi partisan de thèses conspirationnistes – et Orban pour modèles que sont confiées les clés de la Maison Europe à partir du 1er juillet 2021 et pour six mois, probablement parmi les plus longs de sa vie.

D’une manière générale, dans les Balkans les partis d’extrême droite ont le vent en poupe et sont souvent incarnés par un leader charismatique. Viktor Orban en Hongrie, Janez Janša en Slovénie tandis que la Pologne a Jarosław Kaczyński, président du parti conservateur Droit et Justice.

A l’inverse de l’extrême droite française qui tente de se donner une respectabilité par les propos plus édulcorés de sa présidente, par le choix d’un nouveau nom plus rassembleur, celle des pays balkaniques est totalement décomplexée et ne craint pas d’afficher sa xénophobie, son mépris de la femme et des minorités sexuelles, son ultralibéralisme,… son rejet des valeurs humanistes d’une Europe dont ils ont voulu faire partie.

L’élargissement de l’Union aux anciennes républiques socialistes est sans doute une bonne chose pour le maintien de la paix, principale réussite de la construction européenne. Pour autant ces pays étaient-ils prêts à intégrer cette structure supranationale, à en respecter les règles et les valeurs, en avaient-ils la maturité ?

On peut en douter…

Religion cathodique

Zelda Boucher - FAML

L a chaîne C8 met la religion catholique à l’honneur. Dimanche 15 août 2021, la chaîne de télévision C8 appartenant au groupe Canal de Vincent Bolloré, catholique pratiquant, a décidé de mettre à l’honneur le catholicisme en consacrant pas moins de douze heures d’affilée à des programmes en lien avec la religion.

Ce n’est pas un hasard de calendrier si la date retenue pour cette programmation coïncide avec le jour de l’Assomption, une fête religieuse qui célèbre la montée au ciel de la vierge Marie. Un cadeau qui ne s’arrête d’ailleurs pas là pour les catholiques les plus conservateurs puisque le lendemain, la chaîne enfoncera encore le clou en diffusant en prime time le film ouvertement anti-avortement “Unplanned”.

Un film polémique qui plaît aux plus rétrogrades.

Unplanned (traduit en français par “Non planifié”) est le long-métrage américain sorti en 2019 et financé par l’Eglise évangélique protestante et qui retrace une histoire basée sur des faits réels. Le film suit la vie d’Abby Johnson (interprétée par Ashley Brachter), directrice d’une des cliniques du Planning Familial au Texas, jusqu’à sa démission en octobre 2009. Ce film qui prend souvent le parti de privilégier les scènes extrêmement choquantes et qui ne laisse aucune place à la nuance est, sans grande surprise, interdit au public âgé de moins de seize ans. Dès la cinquième minute du film, le spectateur est témoin d’une scène aussi choquante qu’invraisemblable lorsque, à travers l’écran d’un moniteur d’échographie, Abby Johnson assiste à l’avortement par aspiration d’un fœtus de 13 semaines qui se débat pour survivre tout au long d’un processus qui semble alors plus barbare que jamais. A la suite de cet événement, Abby décide de devenir militante anti-IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) et de consacrer le reste de sa vie à cette cause.

Avec son scénario totalement surréaliste et le manque d’engouement général lors de sa sortie, Unplanned aurait en toute logique dû connaître le sort d’un film de série B et terminer directement dans les oubliettes du cinéma. C’était malheureusement sans compter sur les prises de position du vice-président de Donald Trump, Mike Pence, qui n’a pas manqué de vanter les mérites du film sur le réseau social Twitter. En 2019 il écrivait : “La vie est en train de gagner grâce à des histoires puissantes comme celles-ci. Allez voir Unplanned”.

La véracité du récit de la Texane Abby Johnson, les détails et la motivation de sa conversion ont depuis lors été contestés par des journalistes d’investigation. Le Monthly Texas avait dès 2010 (c’est-à-dire avant même la sortie du film) mis en lumière une série d’incohérences dans l’ouvrage publié par Abby Johnson duquel directement est inspiré le film. Il est important de noter que les dossiers médicaux eux-mêmes ont également contredit certaines de ses affirmations.

Lors de sa sortie aux Etats-unis, seule Fox News la chaîne conservatrice et ouvertement pro-Trump, avait accepté sans la moindre hésitation de diffuser la bande-annonce du film et d’en assurer la promotion.

Bien que ce film soit basé sur une vision très simpliste et manichéenne des principes absolus du bien et du mal, sans jamais faire dans la nuance et la modération, il est tout de même parvenu à séduire un certain public. En mars 2019, il a permis d’engranger 12 millions de dollars de recettes, seulement deux semaines après sa sortie au cinéma. Un succès qui n’a rien de véritablement étonnant lorsque l’on sait que le film a largement servi d’outil de propagande aux militants pro-Trump.

Du côté francophone, notons que seule la société “SAJE Distribution”, une plateforme de films et téléfilms d’inspiration chrétienne, a accepté sa distribution, une exception qui cessera avec la diffusion prévue sur C8 le 16 août 2021.

La diffusion du film Unplanned: un acte non planifié ?

Aussitôt annoncée la diffusion du film, une grande vague d’indignation a ébranlé la chaîne C8 en interne. Chloé Sitbon et Guillaume Orsat, les deux personnes qui prêtent leur voix aux bandes annonces, ont notamment souhaité se désolidariser du contenu du programme.
Sur Twitter, Chloé Sitbon écrit : «Nous avons, Guillaume et moi, fait la demande à nos employeurs de ne pas utiliser nos voix et de trouver une autre solution pour cette bande annonce». Le Parisien précise que Guillaume Orsat aurait quant à lui déjà posé sa voix sur la bande annonce du film sans avoir été averti au préalable ni du titre, ni du contenu de ce film très engagé. Pour eux, refuser de participer à la promotion de ce film s’apparente surtout à une volonté de ne pas cautionner le message anti-IVG véhiculé par Unplanned.

Étonnement ou non, ce n’est pourtant pas la première fois que la chaîne de Vincent Bolloré, mécène de la promotion d’idées réactionnaires, se retrouve intimement liée au mouvement et aux idéaux portés par les anti-IVG. Durant l’émission de deuxième partie de soirée, “Balance ton poste !” diffusée en octobre 2018, le très controversé Cyril Hanouna avait animé un débat en posant la question: pour ou contre l’IVG en France? Sur Twitter, Laurence Rossignol, ancienne Ministre des Droits des Femmes en France, avait alors réagi avec virulence en lui suggérant d’autres propositions de débat telles que: “pour ou contre les aiguilles à tricoter? Pour ou contre l’eau de javel dans l’utérus? Et puis allez.. pourquoi se priver… pour ou contre la prison pour les femmes qui avortent?”.

D’après 20 Minutes, le quotidien d’information générale français, Marlène Schiappa sa successeuse avait également envoyé un message d’indignation à l’animateur en lui rappelant que “ l’entrave à l’interruption volontaire de grossesse est un délit “.

Mon droit mon choix

La diffusion d’Unplanned est épineuse parce qu’elle constitue manifestement un danger. Ce film s’appuie en effet sur le recit, manifestement erroné d’après les journalistes qui ont mené l’enquête, d’une femme qui a changé d’avis et qui a décidé d’entreprendre une véritable croisade contre l’avortement, un droit fondamental qui reste encore trop fragile et menacé.

Si l’avortement est légal aux États-Unis depuis 1973, suite à l’arrêt “Roe vs Wade“ rendu par la Cour Suprême, il n’en demeure pas moins extrêmement compliqué de pouvoir accéder à ce droit dans les faits. Les mouvements anti-IVG aux Etats-unis n’ont jamais réellement cessé d’intimider et de harceler les personnes qui pratiquent l’avortement comme en témoignent les images de femmes devant être escortées au travers d’une foule de militants souvent agressifs pour se rendre dans les cliniques pratiquant l’interruption volontaire de grossesse.
En 2017, l’arrivée au pouvoir de Donald Trump ne va faire qu’empirer une situation déjà très compliquée. Ainsi, si l’IVG n’est pas légalement interdite, dans plusieurs Etats républicains il est encore aujourd’hui impossible d’y recourir. De novembre 2016 à janvier 2017 ce ne sont pas moins de 14 projets de lois anti-avortements qui ont été préparés. Parmi eux, tout comme la législation déjà en vigueur au Texas ou en Indiana, on retrouve notamment l’obligation d’enterrer les fœtus avortés. Dans un certain nombre d’Etats, comme en Arkansas on retrouve en outre l’introduction de régles comme l’interditction de recourir à la méthode de dilatation et d’extraction intacte, pourtant reconnue comme la méthode la plus fiable et la plus commune pour des avortements pratiqués entre 14 et 20 semaines.

Et en Belgique ?

En Belgique, l’avortement a longtemps été inscrit dans le Code pénal comme une crime contre l’ordre des familles et la moralité publique. Il faudra attendre 1990 pour voir émerger une première avancée au sujet de l’avortement, lorsque ce dernier devient dépénalisé sous les conditions reprises dans le Code pénal. Il n’est donc plus depuis considéré comme un délit passible de sanctions, mais uniquement sous certaines conditions bien précises.

28 ans plus tard, à la suite de nombreuses actions menées par les mouvements féministes et progressistes, plusieurs partis politiques souhaitent tout simplement voir l’avortement sortir du code pénal. En effet, en octobre 2018, une nouvelle loi soustrait l’interruption volontaire de grossesse du Code pénal. Cependant, l’amélioration tant demandée des conditions légales d’avortement reste quant à elle malheureusement inchangée. La principale demande vise à allonger le délai légal de l’IVG de 12 semaines à 18 semaines dans la mesure où le fœtus n’a toujours pas atteint le seuil de viabilité à ce stade de la grossesse. Une autre demande vise à raccourcir le délai de réflexion à 48 heures au lieu des 6 jours actuellement en vigueur entre autres pour ne pas dépasser le délai de 12 semaines mais également pour atténuer les éventuelles souffrances psychologiques de la personne désireuse de mettre un terme à sa grossesse.

Un autre cheval de bataille concerne la menace de peines de prison pour les patientes et les médecins qui iraient à l’encontre de la loi. A cet égard, la seule véritable avancée réside dans le fait que la nouvelle loi punit l’entrave à l’accès des centres IVG et que chaque médecin refusant de réaliser un avortement doit référer la patiente dans le besoin à un autre médecin. Fortement influencée par les dogmes de la religion catholique et des partis politiques conservateurs, la question de la dépénalisation totale de l’interruption volontaire de grossesse suscite donc toujours de vives tensions dans le paysage politique belge.

En 2020, une proposition de loi visant à dépénaliser totalement l’IVG et à allonger le délai de 12 à 18 semaines est déposée mais le cdH, le CD&V, la N-VA et le Vlaams Belang refusent en bloc de la signer. Suite à une série de dépôts d’amendements, le vote est reporté à plusieurs reprises et a fini, au fil du temps, par ne plus être à l’ordre du jour.

La question du droit à l’avortement reste donc un combat de tous les jours et dont les avancées acquises difficilement au fil du temps demeurent extrêment fragiles. Les choix programmatiques de la chaîne de télévision C8 sont la triste illustration des tensions permanentes exercées sur ce droit et du long chemin qu’il reste encore à parcourir pour que les femmes puissent un jour disposer librement de leur corps.

À l’heure où Cyril Hanouna demande qu’on ne “touche pas à son poste”, les femmes sont plus que jamais aujourd’hui en droit d’exiger qu’on ne touche pas à leurs droits !