Travailleuses du sexe, toutes victimes d’un système ?

Avril Forrest - FAML

“C’est le contrôle exercé sur nous qui est violent, cette faculté de décider à notre place ce qui est digne de ce qui ne l’est pas.[1]

Ça s’est passé en mars dernier : notre plat pays a voté à la majorité, pour une nouvelle loi visant à décriminaliser le travail du sexe.

Entrée en vigueur le 1er juin 2022, cette loi fait de la Belgique le premier pays européen à dépénaliser la prostitution et devrait permettre aux travailleur.euse.s du sexe (TDS) de sortir de l’illégalité et de profiter, comme tout autre travailleur, d’un véritable statut, de protections sociales et de santé[2]. Incorporation du principe de consentement, dépénalisation du travail du sexe, mais aussi extension de la définition juridique du viol, voilà, entre autres, ce que comprend cette réforme.

Les concerné.es poussent un énorme “ouf” de soulagement et cela semble être, effectivement, une très bonne nouvelle pour assurer leur sécurité et leur permettre de sortir de la stigmatisation sociale et de l’insécurité dans laquelle ils et elles se trouvent.

Pourtant, en dehors de ce “ouf” partagé par les TDS ainsi que de nombreux organismes (OMS, Amnesty, Médecins du Monde,….), d’autres voix s’élèvent, contestant cette vision et assurant qu’une dépénalisation de la prostitution ne serait, au final, pas si favorable aux TDS.

Puisqu’une loi comme celle-ci pourrait permettre aux TDS un suivi médical, d’être protégé.e.s, reconnu.e.s et que la société soit finalement régularisée ou régulée?, pourquoi y a-t-il des oppositions ?

Parlons abolition et dépénalisation, parlons santé et protection, parlons prostitution. Considérant que les TDS sont les victimes d’un système qui les exploite, les partisans de l’abolutionnisme revendiquent, comme son nom l’indique, l’abolition complète de la prostitution ainsi que tous les mécanismes de réglementation la concernant. A l’inverse, les membres du mouvement de la dépénalisation de la prostitution prônent la mise en place de réglementations visant à assurer la protection des TDS.

Jusqu’à cette fameuse date du 1er juin 2022, l’art. 380 du Code pénal belge interdisait le racolage, l’incitation à la débauche et le proxénétisme[3]. Désormais, la réforme décriminalise la prostitution, encadre sa publicité, mais ne décriminalise pas le proxénétisme qui sera puni d’un à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende allant de 500 à 25.000 euros[4]. Les sanctions et peines de prison ont également été revues à la hausse, passant ainsi de 5 à 10 ans de prison pour des faits de viol, à 15 à 20 ans d’emprisonnement.[5] ????

Mais ce n’est pas tout, cette loi aborde également un point important dont on parle de plus en plus et sous tous les angles possibles : la question du consentement.
Dorénavant, la loi précise que : “Le consentement doit être donné librement et ne peut être déduit de la seule absence de résistance, il peut être retiré à tout moment avant ou pendant l’acte sexuel. Une précision qui a son importance si, par exemple, le partenaire retire son préservatif.“[6] Formidable, on aurait presque envie de dire qu’il était temps.

Alors, comment expliquer, en lisant cela, qu’une vague de groupes féministes et autres organisations hissent le drapeau d’alerte, soutenant que, derrière des lois comme celle-ci, réside encore et toujours un système dans lequel les femmes sont exploitées pour répondre à une demande masculine ? Serait-il utopique de penser que la prostitution puisse disparaître pour de bon ? S’il s’agit d’un choix, en quoi la prostitution est-elle une atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes ? Pourquoi chaque personne ne serait-elle pas libre de vivre son rapport au corps comme il ou elle l’entend ? Abolir la prostitution n’aurait pas, au contraire, un impact dramatique sur les conditions de travail des TDS ? Cela n’encouragerait-il pas la clandestinité, la traite des êtres humains et finalement les risques qu’encourent ces TDS ? Beaucoup de questions,… et il semblerait qu’il y ait également beaucoup de réponses, beaucoup de points de vue et de nombreux arguments dans un sens, comme dans l’autre.

Lorsque l’on enfile nos chaussures de manifestant.e pro abolition, on s’entend dire que la prostitution n’est jamais réellement un choix, qu’il s’agit d’actes sexuels imposés par une contrainte physique, financière ou sociale, que “personne ne fait ça pour le plaisir”. On lit que dans le système prostitueur, l’argent est un instrument puissant de la mise à disposition des femmes au profit des hommes[7], que cela accentue davantage les inégalités en termes de genre. Il est vrai qu’en Belgique, 95% des TDS sont des femmes[8] et la clientèle est presque exclusivement masculine. La prostitution ne serait donc, selon les partisans de l’abolition de la prostitution, qu’un moyen de légitimer un acte sexuel, consenti mais non désiré, imposé par les hommes, une violence envers les femmes, considérées comme des marchandises.

Bien. D’un autre côté, il y a les partisans de la dépénalisation pour qui la prostitution est un droit pour les femmes[9] qui désirent l’exercer, celles-ci étant libres de disposer de leur corps comme elles l’entendent. Dans cette approche, la prostitution est reconnue comme un métier et la dépénalisation a pour but d’encadrer la prostitution libre et de lutter contre la prostitution forcée en sanctionnant les proxénètes.

Dépassons nos frontières et allons voir ce qu’il se passe à l’étranger. Voyageons le temps d’un paragraphe, en direction des Pays-Bas et de l’Allemagne. Cela fait maintenant plusieurs années que ces deux pays ont décidé de légaliser la prostitution. Comprenons que légaliser et dépénaliser sont deux choses différentes, puisque légaliser la prostitution signifie concevoir et mettre en place une nouvelle législation pour instaurer et organiser cette profession. Et finalement et bien, il semblerait que le bilan de ces deux pays ne soit pas très glorieux. On constate, en effet, que suite à la légalisation, la prostitution clandestine n’a pas diminué pour autant, au contraire, la demande ne fait qu’augmenter, les cas d’exploitation et de traite d’êtres humains également[10]. En Allemagne, un rapport estime que les victimes sont de plus en plus jeunes et que suite à l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile, la prostitution a vu naître une nouvelle forme d’exploitation sexuelle : le Refugee Porn. Des femmes, parfois des actrices porno, souvent de réelles réfugiées, humiliées, mises en scène de façon dégradante et maltraitées,… Voilà qui reflète bien notre humanité, notre bienveillance et la façon dont sont perçues les demandeuses d’asile. En 2017, un reportage a dévoilé l’existence de réseaux de prostitution dans des foyers pour migrants à Berlin. À Stuttgart, seulement 1500 TDS se trouvent dans la légalité, contre 3000 qui exercent dans la clandestinité, donc dans des conditions de travail dangereuses[11].

Si l’on survole le bilan des Pays-Bas, ce n’est pas beaucoup mieux,… Il ressort que 50 à 90% des TDS du secteur légal se trouvent, en réalité, forcé.e.s d’exercer ce travail, la prostitution clandestine a continué de se développer et la situation des TDS s’est détériorée[12].

En résumé, après plus d’une dizaine d’années, le constat de la légalisation de la prostitution en Allemagne et aux Pays-Bas est triste. Plus que triste, il est inquiétant et plutôt catastrophique, comme on a pu le voir. Légaliser la prostitution ne semble donc pas forcément améliorer les conditions de travail des TDS, puisque la protection et la réglementation ne paraissent bénéfiques qu’à une minorité de TDS, la majorité préférant continuer à travailler dans l’anonymat.

Continuons notre petite expédition et voyons quels sont les résultats d’un pays où la prostitution a été abolie. Nous voilà à présent en Suède, pays souvent cité comme modèle de référence en termes de tolérance, de libération des mœurs et d’égalité de genre. Il s’agit du premier pays au monde à prononcer, en 1999, une loi condamnant l’achat de services sexuels et non la vente.

“Pour nous, c’est une question d’égalité hommes-femmes. Une société moderne ne peut pas accepter qu’un homme achète le corps d’une femme.(…) Ici, c’est impensable, la prostitution est une honte.”[13]

Alors que la chancelière Suédoise affirme que cette loi a permis de diminuer drastiquement la prostitution sans engendrer les effets redoutés, à savoir l’augmentation de la prostitution clandestine et la traite des êtres humains, d’autres démontrent que ce n’est pas si simple. Renaud Maes, sociologue belge explique qu’il y a toujours de la prostitution en Suède, mais qu’il y a de moins en moins de Suédoises qui se prostituent. Il semblerait, en réalité, qu’il s’agisse de plus en plus de femmes étrangères se trouvant dans des situations extrêmement précarisées et que l’explosion du sexe sur internet serait à l’origine de cette diminution[14].

La prostitution est une violence envers les femmes, les hommes font de la femme une marchandise que l’on achète”, voilà un des arguments que l’on retrouve souvent chez les partisans de l’abolitionnisme et qui, pourtant, n’est pas correcte étant donné que ce n’est pas la femme qui est à vendre, mais le service qu’elle propose. Cette honte, ce dégoût pour la prostitution ne traduit-il pas des croyances partagées par la société, des perceptions stéréotypées de ce qui est “bien” et de ce qui est “mal” ?

La France a, en 2016, décidé de marcher sur les pas de la Suède en signant une loi pénalisant les clients et non pas les TDS. Selon une étude menée par des chercheurs en coopération avec Médecins du Monde, 63% des TDS ont connu une détérioration de leurs conditions de vie et d’exercice de leur activité depuis l’adoption de cette loi et 78% ont été confrontés à une diminution de leurs revenus[15]. Les résultats de ce rapport ont également mis en évidence une augmentation des violences physiques et sexuelles, des insultes de rue, et du harcèlement[16].

Alors, à quoi doit-on s’attendre en Belgique ? Ce “ouf” de soulagement qui paraissait presque incontestablement positif, l’est-il véritablement ?

D’emblée on pourrait penser qu’il n’y a pas de mauvais métier, qu’il n’y a que de mauvaises conditions de travail, que le problème vient de la société, du regard qu’elle porte sur cette activité et non pas du métier en soi. Que c’est une histoire de tabou, de mœurs et de morale. On pourrait penser que c’est un sujet qui gêne et met mal à l’aise parce qu’on ne parle pas de ces choses-là, parce que c’est dégradant. On pourrait penser que c’est de là que proviennent les contestations et les oppositions, que la société n’est pas assez “ouverte”. Pourtant, lorsque l’on constate les résultats d’autres pays, d’autres sociétés, on peut tout de même se poser la question.

Il est évident que certain.e.s TDS ne sont en réalité pas de véritables “travailleur.euse.s”, mais bien des victimes de réseaux clandestins, des victimes d’esclavage sexuel et de la traite des êtres humains. Mais que fait-on des personnes pour lesquelles c’est un choix ? Que fait-on de celles et ceux qui travaillent à leur compte, qui trient leur clientèle sur le volet ? Que fait-on de ceux et celles dont c’est le métier et qui défendent leurs droits corps et âmes ? Ces TDS qui parlent librement de leur profession, qui marchent dans les rues pour appeler à la réglementation, pour appeler à la justice et à la non stigmatisation.

Il ne faut pas prendre la parole à la place des concernées, mais il ne faut pas non plus négliger le fait qu’elles ne sont pas forcément la majorité. Il faut lutter contre la traite des êtres humains, mais il faut aussi sortir des tabous et du regard jugeant de la société. Il faut permettre à chacun.e d’être libre de son corps, sans oublier que dans de nombreux cas, c’est une liberté qui a été prise par un tiers. Il faut différencier une prostitution libre de l’esclavage sexuel. Il y a le noir et le blanc, l’abolition et la dépénalisation et peut-être que ce que l’on aimerait c’est d’y trouver un peu de nuance, un peu de gris.

  1. DESPENTES, V., King Kong Théorie, 2006.
  2. STROOBANTS, J-P., Le Monde, La Belgique décriminalise la prostitution, 2022, https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/02/la-belgique-decriminalise-la-prostitution_6128596_3210.html
  3. LEFEVRE, L. et EFOUMENE, A., Belle de nuit ! Un statut qui flirte entre légalité et illégalité, 2020, https://www.altermedialab.be/belle-de-nuit-un-statut-qui-flirte-entre-legalite-et-illegalite/#:~:text=Que%20dit%20la%20loi%20en,la%20d%C3%A9bauche%20et%20le%20prox%C3%A9n%C3%A9tisme
  4. LAXMI, L. et REGJEP, A., La Belgique dépénalise la prostitution : une première en Europe : tout va changer, 2022,
  5. LAXMI, L. et REGJEP, A., La Belgique dépénalise la prostitution : une première en Europe : tout va changer, 2022,
  6. DJOUPA, A., Travail du sexe et lutte contre les violences sexuelles, 2022, https://www.madmoizelle.com/travail-du-sexe-et-lutte-contre-les-violences-sexuelles-la-belgique-montre-la-voie-en-reformant-son-droit-penal-sexuel-1261449
  7. LEGARDINIER, C., Mouvement du Nid, 30 arguments en faveur de l’abolition de la prostitution, 2014, https://mouvementdunid.org/prostitution-societe/dossiers/30-arguments-abolition-prostitution/
  8. STROOBANTS, J-P., Le Monde, La Belgique décriminalise la prostitution, 2022, https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/02/la-belgique-decriminalise-la-prostitution_6128596_3210.html
  9. Et les hommes dans une moindre mesure.
  10. CHARPENEL, Y., Fondation Scelles, Système prostitutionnel : Nouveaux défis, nouvelles réponses (5ème rapport mondial), 2019, http://fondationscelles.org/pdf/RM5/ALLEMAGNE_extrait_5eme_rapport_mondial_Fondation_SCELLES_2019.pdf
  11. CHARPENEL, Y., Fondation Scelles, Système prostitutionnel : Nouveaux défis, nouvelles réponses (5ème rapport mondial), 2019, http://fondationscelles.org/pdf/RM5/ALLEMAGNE_extrait_5eme_rapport_mondial_Fondation_SCELLES_2019.pdf
  12. Fondation Scelles, Pays-Bas, voyage au coeur du réglementarisme, 2019, https://infos.fondationscelles.org/dossier-du-mois/pays-bas-voyage-au-coeur-du-reglementarisme-n24
  13. Propos de la chancelière Suédoise Anna Skarhed cité dans OUIMET, M., “Prostitution : le modèle suèdois, miracle ou échec ?”, 2014, https://www.lapresse.ca/international/europe/201405/03/01-4763313-prostitution-le-modele-suedois-miracle-ou-echec.php
  14. Centre d’Action Laïque., Prostitution : reglementation, prohibition, abolition ?, 2019, https://www.youtube.com/watch?v=BRbXHKyOOpQ
  15. MSF., La situation des travailleurs et travailleuses du sexe en France, 2019, https://www.medecinsdumonde.org/sur-le-terrain/travailleuses-du-sexe/
  16. MSF., La situation des travailleurs et travailleuses du sexe en France, 2019, https://www.medecinsdumonde.org/sur-le-terrain/travailleuses-du-sexe/

Toutes coupables

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

Etre une femme libérée tu sais c’est pas si facile – Cookie Dingler

Mademoiselle, votre tenue est inadéquate

Ce lundi 21 mars, une élève de l’Athénée Royal Air Pur à Seraing a été punie pour avoir porté une tenue jugée «  inappropriée » par la direction de l’établissement. Avec le retour des beaux jours, les tenues plus légères font leur apparition et avec elles les remarques désobligeantes voire totalement sexistes à l’égard de celles qui les portent.

La jeune fille porte, alors que les premiers rayons d’un soleil printanier réchauffent nos journées, un legging, un top et une chemise mais pas de soutien-gorge et, le cours de gymnastique terminé, s’apprête à rentrer chez elle.

C’est alors que la proviseure de l’établissement l’arrête et lui signifie que sa tenue est « inappropriée » et qu’elle risque d’embarrasser la direction si des garçons se mettent à les regarder, elle et ses amies, ou à lancer des rumeurs les concernant. Et, se basant sur le règlement d’ordre intérieur de l’école qui stipule que les élèves doivent porter une tenue vestimentaire appropriée, elle décide que ce n’est pas le cas de cette étudiante et lui inflige aussitôt une retenue de 4 heures.

Il appartiendrait donc aux jeunes filles de surveiller leur tenue vestimentaire afin de ne pas exciter la concupiscence de jeunes gens apparemment incapables de contrôler et de maîtriser leurs ardeurs.

Surveille ton verre

De même, lorsque faisant la fête dans un bar, les filles sont priées de surveiller leur verre afin que n’y soient pas versées subrepticement le GHB ou le rohypnol, deux substances plus communément appelées drogues du viol. Le rohypnol est un puissant sédatif hypnotique qui, associé à l’alcool ou au cannabis voit ses effets décuplés et devient vraiment dangereux, effets qui se produisent extrêmement rapidement, empêchant celle qui en est la victime, de réagir à temps. Ils durent environ 8 heures et permettent ainsi au violeur de prendre son temps.

Désinhibition, somnolence, nausées et perte de la capacité de jugement, de mémoire, difficulté à s’exprimer clairement et à marcher droit… à forte dose même, perte de conscience sont les terribles conséquences de l’ingestion de cette drogue.

Quant au GHB, il est un anesthésiant euphorisant utilisé en médecine pour les anesthésies générales. Celle qui l’absorbe ressent diverses sensations comme une ivresse avec flottement, a des pertes d’équilibre et de repère de temps, elle perd toute inhibition et ressent une impression de bien-être, d’euphorie…

A forte dose, le produit provoque une réaction hypnotique et annihile tout souvenir au réveil. Un risque de convulsions ou même de coma ne sont pas à exclure.

Ces drogues disparaissant rapidement de l’organisme, il est particulièrement difficile de les déceler et de prouver qu’il y a eu viol. L’agresseur ne ressent généralement aucune culpabilité puisque la victime, désinhibée par les effets de la drogue, peut paraître consentante et n’a généralement aucun souvenir de ce qui s’est passé. Porter plainte devient presque impossible, ce qui accroît encore la douleur de celle qui a subi l’acte violent.

On suggère donc aux jeunes filles de ne pas laisser leurs verres sans surveillance et de ne pas en accepter de la part d’inconnus. Elles doivent aussi privilégier les sorties entre amis et éviter de porter des tenues qu’un agresseur potentiel pourrait prendre comme une invitation à un rapprochement très intime.

Pourquoi pas, comme certains le conseillent, donner aux jeunes filles des cours de self defense qui leur permettraient de mettre KO un éventuel agresseur. D’autres encore les voilent, parfois entièrement pour les soustraire à la concupiscence des hommes. Une chevelure est donc si excitante qu’elle est capable de provoquer chez l’homme un désir incontrôlable.

Faire la fête sans contraintes, sans avoir à craindre d’ingérer des produits toxiques est devenu difficile. Les jeunes filles victimes d’attouchements voire de viols sont donc coupables, coupables d’être trop « aguichantes », trop « sexys » et trop imprudentes. L’agresseur, face à tant de provocations, succombe et ne ressent aucune culpabilité d’avoir profité d’un corps qu’il estimait offert.

Tu as ce que tu mérites…

Quant aux victimes de violences conjugales, leurs bourreaux les manipulent à un point tel qu’elles finissent par se sentir responsables des coups qu’ils leur portent. Si elles sont battues c’est qu’elles l’ont bien cherché , tous les prétextes sont bons.

Culpabilité, honte, ce sont elles qui les éprouvent, elles, les victimes.

Idem dans les affaires de harcèlement.

L’affaire Weinstein est emblématique de la culpabilisation des femmes qui ont eu le courage de porter plainte contre le producteur. Tant les hommes que d’autres femmes leur reprochent au mieux de n’avoir pas réagi plus tôt au pire, de l’avoir cherché…

Elle l’a bien cherché

Aucune victime de viol, de violence, de harcèlement ne l’a cherché. Qu’elle ait bu, qu’elle porte une mini-jupe ou un décolleté plongeant, rien ne justifie de lui faire subir de tels outrages, rien ne justifie de la rendre responsable, coupable de sa propre agression.

Et, lorsque la victime porte plainte, il appartient à celui qui reçoit cette plainte non pas de souligner une possible ivresse, non pas de lui faire remarquer une tenue « aguichante », un maquillage outrancier qui feraient d’elle une provocatrice, il lui appartient de constater les faits, de les enregistrer et d’incriminer le présumé coupable et non pas de blâmer la victime, de s’en moquer, de ne pas entendre sa souffrance.

Pourquoi a-t-elle attendu pour en parler ?

Si certaines victimes en parlent, portent plainte immédiatement après l’agression, pour d’autres, le chemin pour y arriver est long et pénible. Que ce soit la honte qu’elles ressentent, la peur de ne pas être crues, que ce soit le déni, la volonté d’enfouir au plus profond de leur mémoire, le souvenir du traumatisme qui les a laissées souillées, meurtries dans leur corps et dans leur esprit, pour celles-là la démarche est difficile. Souvent le déclic aura lieu lorsqu’une autre femme ayant vécu la même expérience violente s’exprimera. De victime isolée, elle deviendra alors partie d’un groupe, avec la force probatoire qu’il représente.

Tant l’affaire Weinstein que celles des bars autour du cimetière d’Ixelles suivis par de nombreux autres comme les Jeux d’hiver, que celle des acteurs harceleurs,…, sont emblématiques de la puissance que détiennent les victimes et ceux qui les soutiennent lorsqu’elles s’unissent : condamnation pénale du producteur, bars désertés, retrait du casting,…

Conclusion

Non, la femme n’est pas coupable, non elle n’est pas responsable des violences qui lui sont infligées. Oui la femme peut s’habiller comme il lui plaît de le faire, et oui elle peut boire et même être saoule si ça lui chante, non elle ne doit pas être paranoïaque et surveiller son verre en permanence, non elle ne doit pas devenir miss karaté pour pouvoir vivre en sécurité. Oui la femme doit pouvoir vivre librement en toutes circonstances.

C’est aux hommes de respecter les femmes, c’est à nous d’éduquer nos garçons dans ce sens, c’est à la police d’écouter les victimes avec bienveillance plutôt qu’ironie ou mépris. Des inspecteurs sont spécialement formés dans ce sens dans certains commissariats.

Ne nions pas non plus que les hommes peuvent aussi être victimes de violence, de harcèlement voire même de viol et si les cas sont beaucoup plus rares, ils sont aussi graves et traumatisants.

Ils sont d’ailleurs plus généralement le fait d’autres hommes. Rares sont les femmes qui droguent, qui sont à ce point excitées par les tenues vestimentaires des messieurs qu’elles ne peuvent résister à des pulsions malveillantes.

Soyons quand même de bon compte et reconnaissons que la majorité des hommes ne sont pas des violeurs, des agresseurs, des prédateurs. Ils ne sont en fait qu’une petite minorité mais une minorité particulièrement malfaisante.

 

Sur le plateau du Heysel

Avec les réfugiés ukrainiens, entre espoirs et galères

Photos: Francis Duwyn

Leurs yeux ne peuvent même plus pleurer

Pierre Guelff - Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

Ils sont des millions à avoir fui les horreurs de la guerre en Ukraine. Leurs yeux ne peuvent même plus pleurer cet exil. Depuis leur arrivée en zone sécurisée, à quelque 2 000 km de chez eux, nous avons été à leur écoute et nous sommes à leurs côtés, dans ce moment de solidarité exceptionnel où beaucoup de citoyens se mobilisent au nom de la fraternité universelle.

En compagnie de dizaines de professionnels et de bénévoles, principalement de la Croix-Rouge, nous sommes depuis le lundi 7 mars 2022 au cœur de la tragédie. Nous, ce sont des citoyens, comme vous et moi, aguerris ou non au geste humanitaire, qui avons réagi au quart de tour pour secourir d’autres humains, pendant que militaires, lobbys, marchands de canons, adeptes de l’arme nucléaire et politiciens à leur solde décident du sort de millions de gens. Comme vous et moi.

Ce n’est pas Ludovine Dedonder, ministre social-démocrate, issue du sérail « socialiste », celui où est né le concept de l’antimilitarisme cher au monde ouvrier et à Jean Jaurès, qui me contredira, elle qui ne cesse de réclamer (et d’obtenir) des augmentations du budget de la « Grande Muette » pour l’achat d’armes.

Aujourd’hui, c’est l’Ukraine et la Syrie, demain ce sera peut-être la France et la Belgique. Ne l’oublions jamais, car, ces gens-là, les marchands de mort, n’ont ni foi ni loi, seul le business compte à leurs yeux.

Symbole émouvant des bagages et poussettes d’enfants dans le hall d’entrée de l’ancien hôpital Bordet

Des yeux, les Ukrainiens ne peuvent les cacher. Ils reflètent l’horreur et la détresse, l’angoisse et, toujours, cette reconnaissance à l’égard de ceux qui tentent, vaille que vaille, de les soutenir, de les guider dans leur exil.

Au premier jour, une Ukrainienne m’expliqua qu’elle avait fui dans leur petite voiture familiale avec son mari, leurs quatre enfants, laissant sur place sa mère, très âgée, qui n’avait pas voulu les « encombrer », dit-elle, et ne plus avoir la force physique et morale de quitter son logement.

Une autre, accompagnée de ses trois petits enfants, déclara être tétanisée à l’idée d’avoir laissé son mari au pays car, boulanger, il voulait continuer à produire du pain tant qu’il le pouvait, pour nourrir la population entre deux bombardements.

Un autre venait de se faire opérer d’un cancer et n’avait plus assez de médicaments pour supporter la douleur, était à bout de force dans la longue file d’attente pour obtenir un sésame permettant un séjour et une couverture sociale.

Allant de l’un à l’autre, les équipes baptisées « Pour mesures exceptionnelles » déploient une humanité qui, face à l’innommable, réchauffe quelque peu les cœurs.

Certes, cet élan de solidarité est exceptionnel mais, il y a lieu de souligner, aussi, que d’autres peuples méritent pareille attention et sollicitude de la part des autorités, et, encore, qu’il y aura lieu de maintenir constante cette aide et que cela ne soit pas un « one shot », enfin, et, surtout, que les citoyens se mobilisent pour inciter leurs dirigeants à parler de paix plutôt qu’à cautionner ceux qui fourbissent leurs armes.

Une semaine après les conditions plus que difficiles, pour ne pas dire délicates, à Bordet, le cap fut mis vers l’immense hall 8 du Heysel où un accueil digne de ce nom fut organisé.

D’aucuns, se demandèrent la raison de pareil déficit au départ de l’accueil, d’une telle situation de désorganisation structurelle, de la flagrante insuffisance de personnel encadrant efficacement ces gens apeurés et perdus, tous des manques heureusement quelque peu atténués par les bénévoles.

La réponse est simple : quand des Maggie De Block, secrétaire d’État à l’Asile, et Theo Francken, ministre de l’Asile et des Migrations, passèrent beaucoup de leur temps à imaginer des stratégies de refoulement des réfugiés et de leur renvoi dans leurs pays d’origine (souvent en guerre), il fallut à l’État (re)construire un accueil humanitaire performant.

File d’attente d’exilés devant l’Institut Bordet

Et la Paix ?

Jamais, il ne me sera possible d’oublier le sourire de cette petite fille à qui nous permettions de garder « pour toujours » les trois poupées qu’elle serrait contre elle dans le coin des jeux du Centre d’accueil.

Jamais, il ne me sera possible d’oublier les pleurs de cette mère entourée de ses deux adolescents, le père étant resté « au pays », confondue en remerciements alors qu’elle recevait un colis alimentaire au local de la Croix-Rouge de la localité bruxelloise où ils étaient hébergés.

Ces deux moments de solidarité prévalurent sur tous les discours politiques et, il est à nouveau apparu dans la société la nécessité d’œuvrer (militer) pour la Paix.

À ce sujet, malgré le régime dictatorial appliqué par leur gouvernement, l’exemple de milliers de Russes clamant publiquement leur opposition à la guerre et leur solidarité envers d’autres êtres humains victimes collatérales de la toute-puissance et de la mainmise de l’industrie de l’armement et du nucléaire (qui se frotte les mains devant pareil pactole), sans omettre la propagande militariste, cet exemple, donc, ne peut nous laisser insensibles.

« Aucune armée n’est sortie ‘‘gagnante’’ d’un conflit depuis la Seconde Guerre mondiale », rappela Boris Cyrulnik, éthologue et chantre de la résilience, à l’occasion de la guerre en Ukraine et, il est patent que tout conflit se termine obligatoirement par un arrêt de l’utilisation des armes.

Alors ? Et si notre société déployait un arsenal de pacifisme plutôt qu’entretenir le mythe de la « Grande Muette », celle qui apprend à tuer ? Un pacifisme militant doublé d’un activisme citoyen développé dans un esprit de solidarité sans frontières, n’est pas utopique.

Faut-il rappeler, encore et encore, que « l’utopie n’est pas ce qui est irréalisable, mais ce qui est irréalisé », comme le clama Cabu, dessinateur de presse et pacifiste notoire ?

Un génocide en Ukraine ?

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

Des corps entassés dans des fosses communes, des morts jonchant les rues, femmes, hommes et enfants victimes des exactions commises par les soldats russes, la communauté internationale cherche à qualifier ces faits d’une grande cruauté.

Ukrainiens, Américains et Canadiens considèrent en effet que l’opération russe en Ukraine s’apparente à un génocide.

Tandis que d’autres pays ont de la situation une vision différente. La France et l’Allemagne estiment le terme inapproprié et préfèrent parler de crime de guerre ou de crime contre l’humanité.

Qu’en est-il ? Génocide ou crime contre l’humanité ?

Il faut savoir que la qualification de génocide ressort de la justice et non de la politique. C’est pourquoi il ne suffit pas de parler de génocide, il faut le prouver par la réunion de plusieurs conditions énumérées par la définition officielle. Le terme a été défini en 1948 par une convention des Nations-unies suite à la Shoah comme étant un « crime commis dans l’intention de détruire, de manière totale ou partielle, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

Cette définition comprend donc deux éléments essentiels.

En premier lieu, une énumération exhaustive des groupes pouvant faire l’objet d’un génocide à savoir une race, une ethnie, une nation ou une religion.[1]

Deuxièmement, l’existence d’un génocide nécessite de démontrer, dans le chef de l’auteur, une intention de détruire le groupe en tant que tel.

Génocides reconnus par l’ONU

Le génocide des Arméniens par le pouvoir ottoman

Perpétré en 1915 par l’empire ottoman, allié de l’Allemagne, le massacre a été reconnu en tant que génocide par une sous-commission des droits de l’Homme de l’ONU en 1985 et dans une résolution du Parlement européen en 1987. Le massacre des chrétiens arméniens fit plus d’un million de victimes.

Bien que reconnu comme tel par l’ONU et par les Parlements d’une trentaine d’États, la qualification de génocide est contestée par d’autres au premier rang desquels se trouve bien évidemment la Turquie. Le pays admet des massacres mais récuse le terme de génocide. Une guerre civile en Anatolie doublée d’une famine serait responsable de l’hécatombe qui aurait fait autant de victimes chez les Turcs que chez les Arméniens.[2]

Génocide des juifs par le régime nazi

Holocauste, shoah, ces termes recouvrent l’entreprise d’extermination systématique menée par l’Allemagne nazie à l’encontre du peuple juif durant la seconde guerre mondiale au nom d’une soi-disant pureté et d’une supériorité de la race aryenne. Le mythe du grand blond aux yeux bleus dont le führer était un parfait représentant !

L’anéantissement d’un groupe devient une politique gouvernementale officielle dès 1942 lors de la conférence de Wannsee, sous l’appellation de « solution finale ».

Ce sont six millions de juifs qui y laisseront la vie.

Moins médiatisés, les roms et les Sinti ont subi le même sort.

Le génocide des Tutsis par le pouvoir hutu du Rwanda

Le génocide rwandais s’est déroulé du 6 avril au 4 juillet 1994. En seulement 100 jours, environ 800.000 personnes, principalement de la tribu Tutsi, minorité ethnique, ont été massacrées par les forces gouvernementales, par des milices et même par des citoyens ordinaires, des voisins. Des femmes et des jeunes filles ont subi des violences sexuelles. Des Hutus modérés ayant refusé de participer au massacre l’ont payé de leur vie.

Ce génocide est l’aboutissement de décennies de haine envers la population tutsie de la part d’extrémistes hutus à la tête de l’État. Il est aussi la conséquence de la mauvaise gestion par l’ONU censée maintenir la paix sur le territoire et de l’indifférence de la communauté internationale qui préférait y voir une guerre et ce, malgré les appels qui incitaient la population à commettre des massacres diffusés sur RTLM (radio-télévision des Mille Collines).

Crimes contre l’humanité, crimes de guerre

Quant aux crimes contre l’humanité, ils sont définis par l’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale comme étant des actes « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque »

C’est donc toute population civile qui est protégée par l’incrimination de crime contre l’humanité sans nécessité de prouver une quelconque volonté d’anéantissement d’un groupe tel que défini par le concept de génocide.[3]

Qu’il s’agisse de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocides, tous sont imprescriptibles.

Si une définition du génocide en détaille les éléments nécessaires, force est de constater que de vifs débats ont eu lieu quant à la portée du terme alors même, et au vu de la gravité des faits incriminés, qu’il devrait exprimer une vision commune.

Démontrer l’intention de détruire en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tels est difficile et nombreux sont ceux qui font de cette condition une interprétation personnelle éloignée de celle voulue par le législateur.

Bosnie-Herzégovine, un même cas, deux interprétations

Ainsi, les exactions commises par les Serbes en Bosnie-Herzégovine n’ont pas été qualifiées de génocide par la Cour internationale de justice qui y a vu les conséquences des conquêtes militaires et non la volonté d’éradiquer un groupe en particulier.

Le crime de génocide sera par contre retenu s’agissant du massacre de Srebrenica en raison de son caractère systématique visant essentiellement des musulmans.

Les Khmers rouges au Cambodge

Certains voient dans les massacres commis par les Khmers rouges des crimes constitutifs de génocide alors même qu’aucune race, ethnie ou religion n’était visée.

Les Indiens d’Amérique

Malgré les massacres de 14 millions d’Amérindiens – certains parlent de plus de 50 millions – depuis l’arrivée de Christophe Colomb sur le territoire américain, il n’est pas question d’un génocide reconnu par l’ONU pour ce qui concerne ces populations.

Ici aussi, ce sont deux visions qui s’affrontent. Les uns y voient un génocide en raison de l’ampleur des massacres, les autres considèrent que l’étalement dans le temps de la disparition de ces populations ne justifie pas l’appellation de génocide.

Conclusion : crimes de guerre ou génocide ?

Début mars, le procureur de la Cour pénale internationale a fait ouvrir une enquête sur la situation en Ukraine.

Cette institution basée à La Haye est née en 2002 pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les génocides et plus récemment les crimes d’agression.

Il semble que, à l’heure actuelle, la procédure porte essentiellement sur des potentiels crimes de guerre, qualificatif qui regroupe toutes les actions commises par des combattants à l’encontre des populations civiles, ainsi que l’utilisation d’armes interdites.

Si la procédure aboutit à reconnaître l’existence de crimes de guerre, celle-ci pourrait mener les responsables devant les tribunaux nationaux ukrainiens ou étrangers ou devant la cour pénale internationale. Pour cela, des preuves doivent être réunies, cette mission est accomplie par des enquêteurs dépêchés sur les lieux par la CPI. Ceux-ci ont relevé de nombreuses violations du droit international : école détruite par des bombes à sous-munitions (armes interdites par la convention d’Oslo) , viols, civils tués, exécutions sommaires,…

Qui sera accusé ?

En premier lieu, Vladimir Poutine, chef des armées ayant validé toutes les opérations militaires. Viennent ensuite le gouvernement et les hauts gradés de l’armée.

Quelles peines encourues ?

La condamnation éventuelle de Poutine reste très aléatoire. Celui-ci devrait être extradé par son pays, non signataire du statut de Rome, pour être jugé à La Haye. Cette hypothèse semble plus qu’improbable du moins tant qu’il est à la tête de l’État.

Nombreux sont ceux qui qualifient de génocide des massacres de grande ampleur commis contre des populations civiles et ce, bien que les conditions constitutives ne soient pas réunies. Or, il est important de ne pas galvauder le concept de génocide en considérant comme tels des crimes, certes graves, mais qui n’en réunissent pas les éléments.

Compte tenu de ces éléments, peut-on considérer les actes violents commis par la Russie en Ukraine comme étant un génocide ?

Doit-on plutôt y voir des crimes de guerre ou contre l’humanité commis dans le cadre d’opérations militaires en vue de la conquête de territoires ?

La question du génocide reste posée et n’obtiendra sa réponse qu’une fois le conflit terminé.

  1. Olivier CORTEN, une introduction critique au droit international, Éditions de l’ULB, 2017
  2. https://www.geo.fr/geopolitique/ou-en-est-on-de-la-reconnaissance-du-genocide-armenien-dans-le-monde-204559
  3. Olivier CORTEN, IBIDEM

La stérilisation volontaire, libre de choisir pour mon corps?

Marie Béclard - FAML

En 2022, de nombreuses personnes font le choix d’une stérilisation volontaire. Elles ont des profils très différents :d’une part des gens, femmes et hommes, qui ont eu des enfants et qui optent pour cette pratique pour ne plus devoir s’occuper de contraception, ne plus utiliser d’hormones, d’autre part des personnes qui ont fait le choix de ne pas avoir d’enfant. On les appelle les childfree. Les raisons évoquées par les childfree sont également nombreuses : simplement un non désir d’enfant, des raisons écologiques (on est déjà bien assez nombreux sur la planète et ce n’est pas la peine d’en rajouter , le refus du travail reproductif, l’envie de s’occuper de sa carrière, en passant encore par la peur de l’avenir (les guerres, les attentats, …) il serait irresponsable d’imposer cela à des enfants ou encore le refus de transmettre une maladie génétique ou héréditaire à une potentielle descendance.

La stérilisation volontaire, qu’est-ce que c’est?

La stérilisation concerne aussi bien les hommes que les femmes, elle consiste à supprimer la fécondité chez un être humain en le rendant incapable de procréer, sans pour autant modifier ses fonctions sexuelles ou endocrines. [1] Il existe différentes méthodes pour arriver à la stérilisation.

Dans nos sociétés actuelles, où femme rime encore très souvent avec maternité, les femmes dès la vingtaine passée reçoivent de nombreuses injonctions à la maternité :« et toi, c’est pour quand ? » ; « l’horloge biologique tourne », et si la personne dit ne pas vouloir d’enfant : tu ne veux pas d’enfant mais tu changeras d’avis un jour », « tu dois faire des enfants, c’est égoïste de ne pas en faire ».

Les childfree

Les raisons imaginées par le grand public et celles des personnes concernées ne sont pas toujours les mêmes. Pour l’opinion générale, les motivations qui semblent les plus évidentes sont :

l’absence d’instinct paternel ou maternel, l’absence d’intérêt pour les tâches propres à la vie de parent, le refus de sacrifier son temps pour des enfants ou encore des raisons économiques. Pour les childfree, le panel des raisons est beaucoup plus large. On les taxe souvent d’être égoïstes mais pour une partie d’entre eux c’est créer volontairement un autre être vivant qui l’est. Le parent crée un bébé non de façon désintéressée mais parce qu’on veut transmettre ses gènes, parce qu’on a peur de se retrouver seul en fin de vie, parce qu’on veut retenir son conjoint, ou encore parce que l’on cède aux pressions familiales et sociales. Un être qui devra assumer les erreurs des générations précédentes.

Pour d’autres, le refus de faire des enfants vient de leur intime conviction que le fait de ne pas mettre au monde d’enfant est un service à rendre à la planète qui est déjà surpeuplée.

Être Childfree n’est pas bien vu mais est probablement encore moins bien accepté quand on est une femme. Ne pas vouloir d’enfant continue d’étonner, voir de choquer.

Les médecins et la stérilisation volontaire

Nombreux sont les médecins qui refusent qui la stérilisation du patient parce que c’est une opération qu’on peut éviter en utilisant d’autres moyens de contraception. Les raisons invoquées pour refuser une stérilisation sont nombreuses : l’âge de la personne, le fait de ne pas avoir d’enfant ou pas assez (pour certains praticiens, il semblerait que même sept enfants ne soit pas suffisant), le fait d’être célibataire (car si on rencontre une personne qui veut des enfants, on peut regretter son choix) …

Mais en pratique, on observe qu’avoir 18 ou 40 ans, ne pas avoir d’enfant ou au contraire en avoir sept, avoir ou non des pathologies, être marié ou célibataire, rien n’empêche une personne d’essuyer un refus d’un médecin en termes de stérilisation volontaire. La demande de stérilisation amène souvent à la « confrontation entre le principe d’autonomie de la personne qui s’exprime par le respect de sa décision d’agent autonome d’une part et, d’autre part, la déontologie du médecin, encore parfois teintée d’un certain paternalisme ». [2] Mais qu’est-ce qui explique que de si nombreux médecins refusent les opérations de stérilisation volontaire?

La dangerosité de l’opération ?

La dangerosité de l’opération : il ne s’agit pas de grosses opérations, les risques sont donc limités et résident dans les risques inhérents à toute opération : l’anesthésie et les infections post opératoires. La vasectomie se fait même souvent en anesthésie locale.

Le taux élevé de regrets ?

Il y a d’abord peu d’études sur les regrets post stérilisation volontaire et les résultats connus montrent des taux de regrets assez faibles. Une étude de 2013 montre des résultats de 23/10 000 pour la ligature de trompe.

La stérilisation sur le plan juridique ?

La convention européenne des droits humains prévoit un « droit à la vie » et un « droit à disposer de

son propre corps ». La loi peut cependant prévoir des exceptions mais ce n’est pas le cas pour la stérilisation volontaire en Belgique qui donc relève du droit à la maîtrise de son corps. Il faut cependant être majeur pour qu’une procédure de stérilisation volontaire puisse être enclenchée.

Le consentement du patient est important pour ce type d’opération définitive mais il n’est en aucun cas légal de demander le consentement du ou de la conjointe. Un délai de réflexion de quatre mois peut être demandé.

Le médecin peut cependant refuser de procéder à l’opération pour des raisons éthiques mais il doit clairement informer son patient sur l’opération et lui renseigner un autre médecin qui effectuera celle-ci.

La stérilisation volontaire pour les femmes ou porteur d’utérus

Il existe différentes opérations possibles pour rendre une femme stérile.

La ligature tubaire consiste à « bloquer les trompes de Fallope afin d’empêcher l’ovule de se rendre à l’utérus » . Cette opération peut se réaliser de différentes manières :

la première méthode consiste à lier ou à cautériser les trompes en réalisant une laparoscopie sous anesthésie générale. Les trompes sont alors imperméables.

La deuxième méthode consiste à installer des clips qui obstrueront vont écraser les trompes et les obstruer à terme. Cette opération contrairement à la première implique la présence d’un corps étranger.

Une autre solution est l’hystérectomie. Il s’agit d’une opération plus importante puisqu’on enlève complètement l’utérus. On maintient généralement les ovaires pour éviter une ménopause précoce. En enlevant l’utérus, on supprime les règles.

L’ensemble de ces pratiques s’agit d’opérations qui sont très peu réversibles d’où l’inquiétude des médecins de les réaliser sur des personnes trop jeunes et qui pourraient ensuite le regretter.

La stérilisation pour les hommes ou personne disposant de spermatozoïdes.

Une seule méthode est disponible, il s’agit de la vasectomie.

Les spermatozoïdes sont produits dans les testicules et rejoignent l’urètre (le conduit qui évacue le sperme et l’urine) par les canaux déférents. L’opération vise à sectionner ou à boucher ces canaux déférents. Elle est permanente et irréversible. L’opération peut généralement se faire sous anesthésie locale et rarement sous anesthésie générale.

Elle est jugée efficace comme méthode contraceptive. En Angleterre, un homme sur cinq a recours à une vasectomie. On pratique beaucoup la vasectomie en Nouvelle-Zélande et au Canada mais en Belgique et en France, cela continue à bloquer. Bien que cette méthode de contraception ait fait ses preuves avec un taux de réussite à plus de 99% . L’opération est également peu coûteuse et bénigne.

Pourquoi les hommes sont-ils si peu nombreux à sauter le pas ?

La contraception n’est pas une affaire d’homme ? Depuis l’invention de la pilule féminine, ce sont les femmes (les personnes possédant un utérus et des ovaires) qui portent la charge de la contraception dans le couple. Si la pilule est certes une avancée majeur pour la femme, cela lui impose de prendre des hormones. Beaucoup de personnes n’y voit aucun soucis puisqu’il n’y a pas de réelles alternatives masculines et donc ne cherchent pas une solution qui n’incomberait pas à la femme.

Les représentations des médecins concernant la masculinité seraient également responsable du peu d’informations qui circulent sur la vasectomie. En effet, les professionnels sont nombreux à penser que les hommes ne sont pas intéressés de s’impliquer et d’être responsables en matière de contraception. Si on considère que la contraception est du ressort de la femme, on ne propose pas à ses patients de subir des vasectomies.

Ce qui peut expliquer les faibles chiffres de personnes ayant bénéficié d’une vasectomie. En 2017, en Belgique, 10.050 hommes ont eu recours à une vasectomie (ils étaient 8143 en 2007) .[3]

Dans les pays où la vasectomie est plus développée, comme au Royaume-Uni ou en Nouvelle- Zélande, on observe un nouveau phénomène : la vasectomie serait associée à une nouvelle forme de masculinité. La vasectomie y est parfois perçue comme un « bain de sang » héroïque et fait partie de l’identité masculine valorisée de père de famille.[4] Alors qu’en Belgique ou en France, les hommes semblent encore avoir des idées reçues négatives au sujet de la stérilisation comme « La vasectomie rend impuissant et donc moins viril », « La vasectomie impacte négativement la vie sexuelle des couples » , « La vasectomie a un effet négatif sur la libido masculine » . Trois idées reçues qui sont fausses et que l’on peut facilement démonter mais qui ont un impact important sur le recours à la vasectomie en Belgique.

Conclusion

Notre société entretient un climat nataliste qui impose une forte injonction à la parentalité. Le désir d’enfant est perçu comme une évidence où chaque individu à juste le choix de quand il sera parent et combien d’enfants il désire. Mais certains, refusent cette voie et choisissent celle de la stérilisation. Une voie qui n’est pas simple tant à cause de la pression de l’entourage et des refus très fréquents des médecins. Entre des professionnels qui empêchent ces opérations parce qu’elles ne sont pas nécessaires et une société qui impose un délai de réflexion de quatre mois alors que pour d’autres opérations comme des opérations chirurgicales, le délai n’est que de deux semaines. Il n’est pas si simple de choisir et de se faire entendre pour son propre corps.

  1. Information consultée le 12 avril 2022 sur le site https://www.senate.be/www/?MIval=/publications/viewPub.html&COLL=S&LEG=3&NR=419&VOLGNR=1&LANG=fr#:~:text=La%20st%C3%A9rilisation%20concerne%20tant%20les,ses%20fonctions%20sexuelles%20ou%20endocrines.
  2. M.A. Masella, et E. Marceau. « La stérilisation volontaire chez les femmes sans enfant de moins 30 ans : dilemme éthique et déontologique. » Canadian Journal of Bioethics / Revue canadienne de bioéthique, volume 3, numéro 1, 2020, p. 58–69. https://doi.org/10.7202/1068764ar
  3. Informations consultées le 1e avril 2022 sur le site http://www.femmesprevoyantes.be/wp-content/uploads/2018/12/Analyse2018-vasectomie.pdf
  4. Informations consultées le 1e avril 2022 sur le site http://www.femmesprevoyantes.be/wp-content/uploads/2018/12/Analyse2018-vasectomie.pdf

 

Prix de l’énergie

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

Hausse du prix du gaz, du pétrole, des matières premières agricoles… L’invasion de l’Ukraine par la Russie risque de déstabiliser l’économie mondiale encore en rémission à la suite de la pandémie de COVID.

L’offensive lancée par Poutine contre l’Ukraine a des répercutions humaines et matérielles inadmissibles sur les populations civiles des villes assiégées, maisons détruites, morts, blessés, femmes et enfants envoyés sur les routes de l’exil en abandonnant tout ce qui fut leur vie tandis que les hommes restent pour défendre le territoire contre l’envahisseur.

Cette guerre entreprise par un président russe à la fois nostalgique de la grandeur de l’« empire » soviétique et aussi inquiet de voir l’OTAN s’installer à ses frontières, cette guerre a et aura aussi de lourdes conséquences pour nos porte-monnaie.

Depuis le début de la crise, les prix des céréales (blé, maïs), du gaz, de matières premières (nickel, titane) et surtout du pétrole ou du charbon connaissent des hausses historiques démontrant si besoin est, la grande dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie qui dispose ainsi d’une arme redoutable, celle de la menace de fermeture du robinet qui nous approvisionne en gaz et en pétrole.

Parmi les sanctions mises en place ou proposées à l’encontre de la Russie, il y a l’embargo sur le gaz et le pétrole. Réclamé par plusieurs pays de l’Union européenne, à l’exception de l’Allemagne qui ne ne peut se passer des énergies fossiles, par l’Ukraine mais aussi et surtout par les États-Unis, ceux-ci n’étant pas tributaires du gaz ou du pétrole russes, il ne fait qu’accroître l’envolée des prix.

C’est tout à la fois le prix des carburants à la pompe, celui du gaz de chauffage et de l’électricité qui deviennent impayables par une très grande partie de la population.

Ainsi le carburant passe d’environ 1,6 euros au litre à 2,25 euros en l’espace de quelques jours.

Quant aux factures de gaz et d’électricité, l’organisme de défense des consommateurs Test-achats prévoit qu’elles augmenteront, pour un ménage moyen, de 6 à 8 mille euros. Des acomptes mensuels augmentés de plus de 500 euros, voilà à quoi il faudrait s’attendre si aucune mesure n’est prise.

Que fait le gouvernement ?

Après des heures et des heures de discussion, trois premières mesures ont été prises : une baisse temporaire de la TVA sur l’électricité, une prolongation du tarif social élargi qui profite aux plus bas revenus et surtout, un chèque énergie de 100 euros, saluons comme il se doit cette générosité.

Le gain pour un ménage est évalué à plus ou moins 300 euros. Tarifs avantageux pour les moins nantis, aucune difficulté de paiement pour les riches, la classe moyenne, durement éprouvée par ces augmentations vertigineuses est, comme d’habitude celle qui subira le plus durement les effets de cette crise.

Pour le reste, il réfléchit, il discute et surtout, il temporise…

Le mécanisme dit du « cliquet inversé » qu’il est tellement prompt à mettre en œuvre pour contrer la baisse du prix du baril de pétrole semble légèrement grippé quand il s’agit de l’activer pour atténuer une hausse encore jamais vue… et pour cause, chaque augmentation engendre des millions de revenus supplémentaires grâce à la TVA et aux accises !

Finalement, les mesures tant attendues ont vu le jour.

Le gaz bénéficiera lui aussi d’une diminution temporaire de la TVA. Celle-ci entrera en vigueur le 1er avril et devrait prendre fin en septembre, elle couvrira donc la période printemps été et se terminera à l’aube de la saison froide.

Les citoyens se chauffant au mazout recevront quant à eux, une réduction « automatique » unique de leur facture d’un montant de 200 euros.

La tarif social qui bénéficie à deux millions de familles sera prolongé jusqu’au 30 septembre.

Quant au carburant à la pompe, ce sera une baisse des accises de 0,175 euros qui devrait aider les automobilistes. C’est donc à une diminution de 10 euros par plein de 60 litres qu’il faut s’attendre, soit moins de 10 % du prix total, le litre avoisinant encore les 2 euros.

Les billets de train ne subiront pas l’augmentation prévue pour les usagers. Celle-ci sera prise en charge par l’État.

Mesures certes mais mesures insuffisantes face à l’ampleur de la hausse, que sont quelques centaines d’euros face à des milliers ?

Et l’Europe ?

Le gouvernement assure qu’il fait pression sur l’Europe afin de trouver une solution structurelle pour faire face durablement à la hausse des prix de l’énergie. La sécurité d’approvisionnement et la garantie d’un prix abordable pour l’énergie à l’approche de l’hiver sont deux préoccupations importantes des vingt-sept qui attendent de la Commission qu’elle avance à ce sujet des propositions ambitieuses.

Des solutions ?

Pour nos voitures

Le remplacement du carburant habituel par du bioéthanol est une première solution. Solution qui bien évidemment a un coût. Équiper son véhicule d’un boîtier permettant l’utilisation de ce produit coûtera entre 700 et 1100 euros. L’investissement en vaut la peine puisque un litre de ce carburant revient 80 centimes. Encore faut-il trouver la pompe qui le propose.

Le GPL (gaz de pétrole liquéfié) est une autre possibilité. Le prix de l’installation de ce réservoir avoisine les 2000 euros.

Ces deux options ne fonctionnent que pour les véhicules équipés de moteur à essence et non pour ceux qui roulent au diesel.[1]

La troisième solution consiste en l’achat d’un véhicule électrique ! Ironique en pleine crise de l’énergie, d’autant que ces voitures sont plus chères à l’achat.

Bien sûr, comme le suggèrent les écolos, il y a le vélo, la trottinette dont on connaît les désagréments (conducteurs avec leur propre code de la route qui consiste à leur octroyer tous les droits, abandons sauvages,…). C’est oublier un peu vite que certaines personnes ont besoin de leur voiture pour se rendre à leur travail lorsque leur gare a été supprimée pour insuffisance de rentabilité, oui, oui, un service public sera rentable ou ne sera plus ou lorsque seul un bus le matin et un autre le soir dessert le village.

Rallier Bruxelles par les transports en commun demande, pour certains, beaucoup de patience et peu de sommeil, le périple pouvant durer plusieurs heures soit bien au-delà du temps potentiellement passé dans les embouteillages matinaux.

Pour nous chauffer, nous éclairer,…

Alors que le chauffage au gaz nous a été vanté durant de nombreuses années comme étant l’énergie de l’avenir, voilà qu’aujourd’hui, on envisage de le bannir.

La France interdit, depuis le 1er janvier 2022, la pose de chaudières au gaz dans les nouveaux logements.

La Flandre envisage d’interdire l’installation dans les nouvelles constructions et ce, à partir de 2023, de tout système de chauffage fonctionnant aux énergies fossiles. [2]

Les nouveaux modes sont certes plus performants tant en termes de rendement que de rejet polluant mais ils ont un coût. Le prix d’une chaudière à condensation avoisine les 8.000 euros.

Quant aux panneaux solaires et photovoltaïques, outre leur prix élevé, ils nécessitent évidemment la présence de soleil afin d’offrir une production optimale.

Que n’avons-nous suivi les conseils du ministre bruxellois écolo Maron qui nous suggérait d’installer dans nos petits jardins de ville, sur nos terrasses ou balcons, de jolies petites éoliennes…qui nous auraient permis d’assurer notre indépendance énergétique !

Une baisse de 3° de la température de nos habitations est également évoquée. Rhumes, refroidissements nous guettent.

En tout cas, voilà une crise qui a des conséquences plus qu’inattendues, miraculeuses même, puisque les plus farouches opposants au nucléaire viennent de signer, avec l’ensemble du gouvernement, la prolongation de deux réacteurs jusque 2035.

Ce n’est pas seulement l’énergie et les carburants qui nous ruineront mais aussi le pain, la farine, l’huile, certaines matières premières, … à croire que nous dépendons totalement d’un pays dont l’Europe se méfie, une Europe qui une fois de plus montre son incapacité à apporter des réponses unanimes à une crise grave.

Et on reparle, une fois de plus, d’une Europe de la défense, …

  1. https://rmc.bfmtv.com/actualites/economie/comment-la-hausse-du-prix-des-carburants-chamboule-notre-quotidien_AV-202203120014.html#:~:text=%22L’installation%20co%C3%BBte%20plus%20cher,chef%20du%20magazine%20AUTO%20PLUS.
  2. https://www.rtbf.be/article/vers-la-fin-du-chauffage-au-gaz-en-flandre-lopen-vld-veut-interdire-les-chaudieres-a-energie-fossile-dans-les-nouvelles-constructions-des-2023-10872121

Le monde est fou…

Patricia Keimeul - Administratrice FAML

Il était un monde dans lequel les professeurs, les médecins, les avocats, les chercheurs… tous ceux qui œuvraient d’une manière ou d’une autre au bien-être de leurs concitoyens, au respect de leurs droits, tous ceux qui mettaient tout leur amour et leur patience à former des petites têtes bien faites, méritaient et obtenaient le respect de tous.

Il était un monde dans lequel les parents respectaient les professeurs et inculquaient ce respect à leur progéniture.

Il était un monde dans lequel être médecin, diplôme obtenu après 7 longues années d’études, c’était en quelque sorte faire partie de l’élite de la société.

Sans crouler sous des fortunes imposantes, ils vivaient confortablement et pouvaient même se permettre quelque superflu.

Aujourd’hui, le médecin ne bénéficie plus de cette aura qui faisait de lui un notable, le métier d’enseignant est dévalorisé tant en termes de rémunération que de respect qui devrait lui être dû. Combien de professeurs sont insultés voire frappés tant par les parents qui n’acceptent pas les mauvaises notes attribuées à leurs chers bambins, que par les élèves eux-mêmes (quand ils ne se font pas assassiner…).

D’autres ont acquis notoriété et surtout comptes en banque bien garnis.

Qui est donc cette nouvelle « élite » de la société ?

Qui sont ces nouveaux riches tant admirés ?

Ils sont joueurs de foot et gagnent des millions pour taper dans un ballon mais sont, pour la plupart incapables d’aligner correctement dix mots lorsqu’ils sont interviewés. Ils sont vendus à des prix totalement hallucinants à d’autres clubs comme de vulgaires marchandises. Ils perçoivent des salaires à 9 chiffres. Ainsi, le Paris Saint Germain débourse pour le joueur Lionel Messi récemment acquis, la somme de 41 millions d’euros nets par an (114.000 euros par jour), soit un coût total pour le club de 120 millions d’euros répartis sur deux ans. À ce maigre salaire, il faut encore ajouter les recettes publicitaires et les cadeaux offerts par les marques (voitures, montres de luxe, …).

D’autres sports rémunèrent aussi très largement les joueurs. C’est le cas par exemple du tennis. Les revenus du suisse Roger Federer s’élèvent à 90,6 millions de dollars annuels, Séréna Williams reçoit 41,8 millions, Novak Jokovitch empoche 38 millions et, dernier de ce groupe Rafael Nadal n’est gratifié que de 27 millions. Les dix joueurs de tennis les mieux payés ont perçu, ensemble, durant l’année 2021, en pleine pandémie, la modique somme de 320 millions de dollars.

Même si les efforts physiques consentis sont aussi intenses, tous les sportifs ne sont pas logés à la même enseigne. Lorsqu’ils pratiquent un sport moins médiatique, beaucoup sont contraints de conserver, à côté des entraînements, des matches, un emploi rémunéré. Ils paient de leurs propres deniers leurs déplacements, leurs séjours à l’étranger. Ils bénéficient du soutien de sponsors lorsque les résultats sont de nature à attirer l’attention du public. L’équipe nationale de hockey sur gazon en est un exemple. Jusque-là ignorés du grand public, ils sont mis sous les feux de l’actualité grâce à leur place de champions du monde et suscitent l’intérêt des sponsors.

Si beaucoup de sportifs sont à la tête de fortunes colossales, ils ont donné de leur personne pour arriver à amasser autant d’argent.

D’autres, et c’est là qu’on est en droit de se questionner sur la santé mentale de nos sociétés, ont bâti des fortunes sur … du vent.

Emblématique de cette dérive, « l’incroyable famille Kardashian ». Cette télé-réalité diffusée durant 14 années dans le monde entier raconte, en live, la vie de cette famille qui s’est bâti un véritable empire fondé sur son image et sur les scandales dont les membres ont été les protagonistes.

Si le père était un avocat connu pour avoir été le défenseur de O.J Simpson, le reste de la famille vivait dans l’ombre. À l’exception de la cadette, Kim et de ses frasques parmi lesquelles une sextape tournée en amateur avec le chanteur Ray J et qui a été cédée par la jeune femme pour 5 millions de dollars aux studios Vivid.[1]

Celle-ci devient alors l’héroïne de la télé-réalité qui raconte le quotidien de sa famille. Véritable succès, l’émission rapporte une fortune que les protagonistes savent faire fructifier. Kim est une redoutable femme d’affaires à la tête d’un empire – sa fortune est évaluée à plus d’un milliard de dollars – tout comme ses sœurs Kourtney et Kloé.

Quant à la jeune sœur Kylie Jenner, elle est, à 21 ans, la plus jeune milliardaire.

Pourquoi ce succès ?

C’est leur vie privée exposée au jour le jour à travers une télé-réalité qui attire tous les regards et qui les a rendus célèbres et riches. Toujours plus riches car on a le sens des affaires chez les Kardashian. Les revenus de la télé-réalité sont aussitôt investis dans les cosmétiques, la mode,…

Elles utilisent, avec talent, les réseaux sociaux pour faire acheter par leurs millions de followers des produits en leur faisant croire qu’ils leur sont indispensables. Faire naître chez leurs fans l’espoir de leur ressembler, l’espoir d’accéder à ce monde où l’or pleut et où tout paraît tellement facile. Posséder un rouge à lèvres de leur idole leur permet de s’identifier à elle durant quelques instants.

Pendant qu’ils contemplent ceux qui étalent leur richesse, leurs excès. Kylie offre à sa fille de deux ans rien moins qu’une maison pour son anniversaire tandis que celle de Kim recevra en cadeau une veste du roi de la pop Michaël Jackson payée 60.000 dollars. Nul doute que la fillette de 6 ans apprécie le geste généreux de ses parents.

Quant à Kylie, elle est l’influenceuse la mieux payée. Chacun de ses posts sur Instagram lui vaut la modique somme de 1,2 millions de dollars. Le prix à payer pour la marque qui voudrait toucher les 150 millions d’abonnés de la demoiselle.[2]

Viennent ensuite la chanteuse Ariana Grande qui, grâce à ses 160 millions d’abonnés, perçoit pour chaque post près de un million de dollars. Elle-même suivie de près par le joueur de foot portugais Cristiano Ronaldo qui récolte 875.000 dollars par publication.

Et Nabilla ?

Après Martin Luther King et son « I have a dream », après le « vive le Québec libre » du général de Gaulle, il y a Nabilla et son « non mais allô quoi, t’es une fille et t’as pas de shampooing,  c’est comme si j’te dis: t’es une fille, t’as pas d’cheveux!  ».

Issue de la télé-réalité « les anges de la télé », la jeune femme a acquis sa notoriété grâce à cette pensée hautement philosophique.

Après avoir abandonné la télé, elle devient influenceuse et est suivie par 7 millions d’abonnés grâce auxquels elle a pu se constituer un plantureux bas de laine.

Discrète sur le montant de sa fortune, pour ne pas choquer dit-elle, elle reconnaît cependant percevoir des revenus semblables à ceux d’un bon joueur de foot de ligue 1, ce qui fait d’elle une multimillionnaire.

Comme quoi on peut très bien devenir riche et célèbre sans dire la moindre chose intelligente. Et elle l’a bien compris puisqu’elle débite stupidité sur stupidité. C’est normal puisqu’elle affirme elle-même que son cerveau aurait brûlé à force de trop réfléchir… quelle belle lucidité !

Notre célèbre penseur Jean-Claude Vandamme fait figure de débutant à côté de ça.

Les autres…

Influenceurs connus ou moins célèbres, tous ont en commun de s’exposer, d’étaler leur vie, celle de leurs enfants et conjoint sur les réseaux sociaux. Ils se filment ou se font filmer dès le lever jusqu’au coucher. Ils se mettent en scène avec les cadeaux que les marques leur ont offerts, oubliant souvent de signaler que le contrat qui les lie les oblige à vanter les produits … ils publient des photos de leurs séjours sur des plages paradisiaques, de leurs assiettes, de leurs intérieurs,…

Ils sont devenus la cible préférée des publicitaires. Le marché représente aujourd’hui 15 milliards d’euros et 500.000 influenceurs dont une partie bénéficie de revenus bien supérieurs à la moyenne.

Les marques passent par eux pour toucher un public jeune en défaut de confiance vis-à-vis de la publicité traditionnelle. Les influenceurs sont devenus les modèles de ces jeunes qui les suivent sans trop de discernement.

Or les dérives existent. Certains vantent des produits de contrefaçon, proposent des faux permis de conduire et, très tendance, des faux pass sanitaires,…

D’autres tentent d’éluder l’impôt en domiciliant leurs sociétés à l’étranger et font des montages financiers douteux pour éluder l’impôt.

C’est le cas, entre autres, de Caroline Receveur, influenceuse aux 4 millions de followers . La jolie blonde issue elle aussi de la télé-réalité doit son début de notoriété aux rumeurs de chirurgie esthétique et à sa vie sentimentale débridée.

Plus tard, mariée et enceinte, elle expose sa vie sur les réseaux sociaux, de l’annonce de sa grossesse à son ventre qui s’arrondit, à l’enfant devenu lui aussi une star, tout y passe.

Et ça rapporte gros tellement gros que payer ses impôts dans son pays lui pose un problème. Elle domicilie donc ses sociétés en Angleterre et oublie malencontreusement de faire ses déclarations à la TVA.

Rattrapée par le fisc français, elle s’en est allée retrouver sa copine Nabilla à Dubaï où elle vit désormais en exil … doré.

C’est donc en regardant des gens qui étalent leur richesse aux yeux ébahis d’autres, beaucoup moins nantis qu’eux grâce à qui ils deviennent chaque jour plus riches. Durant quelques heures, ils partagent la vie de ces milliardaires, rêvent et s’identifient à eux et prennent ce qu’ils disent pour parole d’évangile.

Vendre du vent, étaler sa vie, celle de sa famille – et s’étonner parfois de recevoir des messages peu amènes – proposer des produits contrefaits, oublier de payer ses impôts, …

Voilà la recette pour faire partie de la nouvelle « élite » de notre société, d’une société malade.

Cherchez à comprendre.

  1. https://www.dhnet.be/lifestyle/people/plus-crue-et-mieux-une-autre-sextape-de-kim-kardashian-existerait-61499e1f9978e255c0ca2ba0
  2. https://www.bfmtv.com/people/kylie-jenner-personnalite-la-mieux-payee-au-monde-en-2020-selon-le-magazine-forbes_AN-202012170230.html#:~:text=Radio-,Kylie%20Jenner%2C%20personnalit%C3%A9%20la%20mieux%20pay%C3%A9e%20au%20monde%20en,%2C%20selon%20le%20magazine%20%22Forbes%22&text=La%20star%20de%20t%C3%A9l%C3%A9%2Dr%C3%A9alit%C3%A9,des%20personnalit%C3%A9s%20les%20mieux%20pay%C3%A9es.

Laïcité à l’école : « Surtout, pas de vague ! »

Pierre Guelff - Auteur, chroniqueur radio et presse écrite

« Quand Paris tousse, Bruxelles s’enrhume ! » Deux enquêtes françaises lancent l’alerte : la laïcité est sérieusement battue en brèche dans l’école publique d’outre-Quiévrain. Indéniablement, la vigilance s’impose aussi en Belgique. « L’école laïque sous le joug de Dieu »[1] ?

La mission de la Fondation Jean Jaurès, première des fondations politiques françaises, est à la fois celle d’un groupe de réflexion, d’un acteur de terrain et d’un centre d’histoire au service de tous ceux qui défendent le progrès et la démocratie dans le monde.

Dans ce cadre, elle a récemment effectué une étude sur l’évolution du concept de laïcité au sein des enseignants de l’école publique française âgés de moins de 30 ans.

Il en ressort les résultats suivants[2] :

• 59% sont d’accord sur le port du burkini à la piscine contre 26% pour l’ensemble des enseignants ;

• 51% acceptent des horaires réservés aux femmes dans les piscines pour 20% ;

• 55% sont d’accord qu’une mère voilée accompagne les élèves en sorties scolaires pour 36% ;

• 32% des professeurs âgés de moins de 30 ans déclarent que la laïcité consiste à placer toutes les religions sur un pied d’égalité contre 16% pour l’ensemble du corps professoral et 10% chez les plus de 50 ans ;

• 14% sont favorables au port de signes religieux dans les écoles contre 6% pour leurs collègues plus âgés.

Dans la Charte de la laïcité affichée dans toutes les écoles publiques françaises, nous lisons au quatorzième point : « Le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

En d’autres termes, il est interdit de faire du prosélytisme, c’est-à-dire du « zèle déployé pour attirer de nouveaux adeptes ou propager une doctrine, parfois en imposant des convictions. »

Le mouvement de la laïcité a donc de nouveau beaucoup de travail à effectuer, même parmi les enseignants de l’école publique.

Ceci est confirmé par une deuxième enquête[3] pour le compte de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) à l’occasion de la « Journée nationale de la laïcité » fixée au 9 décembre en souvenir du 9 décembre 1905, date du vote de la loi de séparation de l’Église et de l’État. En somme, origine officielle de la laïcité en France.

Laïcité, est-il besoin de le rappeler, qui permet « d’assurer la liberté de conscience » et de « garantir le libre exercice des cultes » et permettre à l’État français d’être indépendant du clergé et impartial à l’égard de toutes les confessions religieuses. Le principe de laïcité implique la neutralité de l’État français vis-à-vis des religions, la liberté de croyance et de culte de chaque citoyen et l’égalité de traitement entre toutes les croyances. »[4]

Sous le titre « Les dix chiffres de l’enquête », voici quelques extraits de cette enquête :

• Plus d’un lycéen sur deux (55 %) a déjà été confronté à une forme d’expression du fait religieux en milieu scolaire ;

• 16 % des lycéens du public ont déjà constaté l’organisation à la cantine de tables en fonction de la religion (33 % dans les lycées classés « prioritaires »), 15 % des WC séparés en fonction de leur religion (30 % en milieu « prioritaire ») et 13 % l’institution de robinets réservés aux élèves en fonction de confession (32 % en milieu « prioritaire ») ;

• Près d’un lycéen sur deux du secteur public (48 %) rapporte avoir aussi déjà observé des élèves contester le contenu même des enseignements au nom de leurs convictions religieuses ;

• Les élèves inscrits dans un établissement classé « prioritaire » (selon l’OZP) sont beaucoup plus nombreux (74 %) que les autres (44 %) à avoir déjà observé au moins une forme de contestation d’un cours. Cette surexposition se retrouve notamment dans la contestation des cours portant sur la mixité filles-garçons (rapportés par 51 % des élèves en milieu « prioritaire) ou les cours d’éducation sexuelle (58 % en milieu « prioritaire ») ;

• L’idée selon laquelle « les règles édictées par leur religion sont plus importantes que les lois de la République » est par exemple beaucoup plus partagée par les lycéens (43 %) que les adultes (20 %) : les élèves musulmans se distinguant eux-mêmes des autres élèves par un niveau d’adhésion massif à cette idée (65 %) ;

• La question du droit à la critique des religions à l’école met encore plus en exergue le fossé existant entre les élèves musulmans et les autres sur ces sujets. En effet, alors que la majorité des lycéens (61 %) soutiennent le droit des enseignants à « montrer (…) des caricatures se moquant des religions afin d’illustrer les formes de liberté d’expression », ce n’est le cas que de 19 % des musulmans. La plupart (81 %) désapprouvent ce genre de pratique, au point qu’un sur quatre (25 %) ne « condamne pas totalement » l’assassin de Samuel Paty.

Ces résultats méritent d’être analysés en profondeur dans l’esprit de tolérance qui caractérise toute démocratie, tout en rappelant, qu’en Belgique, la participation officielle d’autorités à des offices religieux (Te deum du 21 juillet, par exemple), le subventionnement de l’enseignement libre, le financement public des cultes…, ont fait l’objet, tout au long des décennies, de multiples débats musclés, allant parfois jusqu’à des « guerres scolaires » (1879 à 1884, 1950 à 1959) et, récemment, en juillet 2021, par un arrêt de la Cour Constitutionnelle déclarant que l’enseignement libre devait être mieux subsidié.

Cependant, nous sommes en présence d’un débat de fond qui exclut, bien évidemment, de pointer du doigt ou d’ostraciser la seule communauté musulmane au nom, par exemple, du « Grand rassemblement » cher à Éric Zemmour habitué aux discours identitaires, quand on sait qu’il y a plus de mots arabes qui composent la langue française que gaulois et que la plupart des mots français sont des mots immigrés !

Également, en présence d’une attitude qui, parfois au nom de principes divers, veut que l’on ne fasse pas de vagues, que l’on censure ou interdise tels propos dénonçant des faits avérés, voire revendiqués par leurs auteurs, afin de ne pas « stigmatiser » la communauté à laquelle ils appartiennent (cas des attentats à Charlie Hebdo, de l’assassinat de Samuel Paty…)

Assurément, la laïcité mérite beaucoup mieux que ces types de discours et d’attitude, car elle fait partie intégrante de la Philosophie des Lumières, celle qui, par essence, est contre toute forme d’obscurantisme.

  1. Gérard Biard, Charlie Hebdo, 15 décembre 2021.
  2. Ifop, décembre 2020.
  3. Ifop, décembre 2021.
  4. Les Journées mondiales.fr, décembre 2021.

Le philosophe et la chouette

Benjamin Sablain - Journaliste

La chouette est un animal de proie de la famille des strigidés. Il ne faut pas les confondre avec les hiboux, dont les oreilles sont ornées d’aigrettes, petites touffes de plumes qui leur donne cet air sévère de professeur pointilleux. Rapace nocturne, la chouette se nourrit principalement de petits mammifères et oiseaux, de serpents et d’insectes. Elle est dotée d’une ouïe très fine ainsi que d’une vision nocturne exceptionnelle qui lui permet de localiser précisément ses proies. Ces capacités perceptives hors-du-commun en font un prédateur redoutable. Il en existe environ deux cents espèces. On compte ainsi la très connue chouette effraie, avec sa face en cœur si caractéristique, la très élégante chouette Harfang, avec son magnifique plumage surmonté de deux superbes yeux, ou encore la discrète chouette hulotte et son hululement si caractéristique.

Cependant, ce que l’on manque de noter, ce sont toutes les sortes de chouettes qui peuplent l’imaginaire mondial et la place centrale qu’elle a acquise pour des organismes laïques. La raison de cette connivence tient à son attribution à Athéna, déesse de la sagesse, prenant alors les traits de la minuscule chouette chevêche. Également, Athéna évoque Athènes, l’académie de Platon, le lycée d’Aristote, les dialogues de Socrate sur les chemins de la Grèce antique, tout ce qui a posé les bases d’une rationalité occidentale en rupture avec le religieux (qu’il soit polythéiste, comme il l’était durant cette ère reculée, ou monothéiste) et ouverte au libre examen. Mais, peut-être qu’un autre regard, plus nuancé, est possible. La chouette est peut-être le signe de choses bien plus complexes, comme Giordano Bruno derrière le symbole de la lutte contre une religiosité mortifère.

Comme la chouette, Giordano Bruno avait un regard chevêche sur la réalité, que ce soit à travers sa pensée politique aux allures machiavéliennes (L’expulsion de la bête triomphante), sa pensée métaphysique (le De la cause, de l’un et du principe), ou encore sa si particulière théorie de la connaissance (Les Fureurs héroïques). Son regard était si perçant qu’il a anticipé de nombreuses conceptions élaborées tout du long de la philosophie allemande et au-delà. Il fait ainsi penser à Kant, pour avoir élaboré des siècles auparavant un schématisme qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui du philosophe allemand. Sa conception du Dieu comme nature est très proche de la version que Spinoza élaborera et, à sa suite, celle de Schelling. Sa philosophie de l’histoire ramène quant à elle à Hegel. Plus avant, il est également possible d’y trouver des élaborations philosophiques qui feront indéniablement penser à Heidegger. Enfin et surtout, son style fougueux qui culmine dans ses œuvres en italien, un véritable bijou de littérature, rappelleront sans le moindre doute Nietzsche, celui-là même qui clamait préférer les climats secs italiens aux climats marécageux de ses prédécesseurs et compatriotes. Sans nul doute que Nietzsche pensait à cet ensemble de penseurs qui comprenait la si saine philosophie de Pic de la Mirandole, la philosophie lorgnant vers l’antiquité d’un certain Marcile Ficin et bien sûr son ténébreux continuateur Giordano Bruno.

Giordano Bruno

Comme la chouette, ce dernier avait un sens aigu pour repérer sa proie, l’enserrer entre ses griffes conceptuelles et les saisir tant à vif qu’il ne laissait à ses successeurs que des bouts de viande n’ayant plus leur fraicheur première (puisque déjà passé par là). Comme le célèbre philosophe italien, la chouette trouve sa subsistance dans les marges de la vie nocturne. Toutefois, si la chouette est pour sa part un animal sédentaire malgré son vol vif qui ne laisse aucune chance au malheureux mulot de passage, les ailes de Giordano Bruno le menèrent à travers toute l’Europe. Après avoir été bani pour hérésie de son monastère dominicain à Nola, il voyage à Chambéry, puis à Genève, puis même à Paris où il rejoignit la cour d’Henri III ! Nuccio Ordine, spécialiste du philosophe, raconte pour sa part que cette étape expliquerait un certain attrait pour l’œuvre de Ronsard… Toutefois, cette hypothèse mise à part, ce n’est pas à Paris que son œuvre littéraire et philosophique s’épanouit, mais bien à Londres, dans ses œuvres en italien mêlant prose, poésie et dialogues. Les titres on ne peut plus baroques témoignent de l’élan qui le portait alors : « le banquet des cendres », « l’expulsion de la bête triomphante », « Des fureurs héroïques » et d’autres encore. Malheureusement, coutumier de ne pas tenir sa langue dans sa poche, il se brouilla avec ses mécènes après les avoir traités de noms d’animaux dans le Banquet des cendres. Il poursuivit alors sa route jusqu’à l’université de Heidelberg, soit rien de moins que l’une des universités les plus prestigieuses de l’actuelle Allemagne. Se trouvant des affinités avec l’esprit germanique (affinités qui se confirmeront comme il a déjà été montré), il s’y trouvera comme une chouette dans son nid. Au niveau de sa production philosophique, sa plume fut toutefois loin de l’éclat de sa période londonienne. Sa dernière flamboyance ne fut pas intellectuelle, mais bien corporelle, par sa condamnation au bûcher. Ainsi, il vécut pour ses idées, préférant se déplacer que de concéder quoi que ce soit. Telle la chouette, il fut indéniablement un symbole de connaissance et de savoir.

Toutefois, la chouette comme Giordano Bruno ont des côtés bien plus ambigus qu’il faut explorer. L’histoire du second est bien plus riche que ce statut de libre penseur et précurseur de la modernité en laisse penser. Toujours revient l’épisode du bucher, mais, comme déjà observé, son parcours est bien plus tortueux. Ouvrir ne fut-ce qu’un de ses écrits expose à une pensée en dialogue avec la théologie, les philosophies médiévales (arabes, hébraïques et chrétiennes), ainsi que les philosophes grecs. Il n’est pas une pensée d’une rupture, mais plutôt un nœud dans un réseau d’une formidable complexité. Il est un aboutissement dans un processus intellectuel millénaire. La définition de la chouette comme symbole de savoir n’est quant à elle pas partagée par toutes les cultures et toutes les époques.

Pour en rester d’abord à la culture européenne, la chouette est dans l’écrasante majorité des cas associée à des figures plutôt négatives. Dès l’Antiquité, sa représentation positive était déjà assortie d’une série de représentations plus inquiétantes. Elle est en effet associée à la sorcellerie, comme son nom latin l’indique. Strigidae signifie sorcière. Sa taxinomie savante hérite de cette connivence : la chouette est le nom populaire d’un regroupement d’oiseaux appartenant à la famille des strigidés… L’association est donc tenace. Elle ne concerne d’ailleurs pas que le monde antique romain, puisqu’on la retrouve jusque dans les cultures africaines. Autrement, la chouette est aussi régulièrement symbole de mort, de ruse, etc. En bref, elle est associée au monde de la nuit, dans tout ce que cela implique. Elle y éclaire et dévoile ce qui était dissimulé. Parfois, cela peut être en « bien », lorsqu’elle s’en détache et devient ce qui illumine la connaissance et ainsi l’arrache au dogmatisme. Parfois, cela peut être en « mal », lorsqu’elle s’enveloppe de l’obscurité et épouse plutôt que ne rejette les êtres qui peuplent les ombres.

Il en est de même pour Giordano Bruno. Il s’imprègne de théories magiques, d’hermétisme (du nom « Hermès Trismégiste », auteur auquel est attribué une série de textes ésotériques rédigés en grec ancien et en latin) et d’occultisme au point où certain-e-s historiennes et historiens de la philosophie lui affubleront le titre de « mage ». Il a écrit des essais sur la magie (le De Umbris idearum et le traité éponyme). L’hermétisme quant à lui se mêle à sa pensée à de nombreuses reprises, constituant une sorte d’arrière-fond à partir duquel il articule sa pensée, tout comme il le fait régulièrement avec Nicolas De Cues et Marcile Ficin. Est-ce qu’il faudrait pour autant en faire un mage ? Selon de nombreux commentateurs que je rejoindrai (mais c’est un parti pris qu’on peut tout à fait discuter), ce serait aller un peu vite en besogne, étant donné qu’il s’agit surtout et avant tout dans cette perspective de philosophie élaborée dans les règles de l’art. Le traité sur la magie est anecdotique et ne satisfera certainement pas quiconque est amateur de grand frisson et de recettes à base de bave de crapaud. Giordano Bruno intègre plutôt toutes ces influences pour faire bouger les lignes établies depuis si longtemps par les autorités ecclésiastiques et élaborer une conception de monde dépouillée de toute référence à un dieu surplombant. Dieu et la nature sont une seule et même chose (ce qui est scandaleux d’un point de vue catholique). Il s’agit de sources à mettre sur le même plan que son intérêt pour les travaux de Copernic et de Galilée, ou ses discussions vives avec les « encapuchonnés » (comme il aime les nommer avec son ton provocateur habituel), ou sa revisitation brillante de la cosmologie néoplatonicienne qui fera d’ailleurs date. Giordano Bruno est plutôt un être baroque, versatile, souvent téméraire voire excessif mais certainement brillant. Ses sources hermétiques, son intérêt pour la magie, ne ressortent pas du bouillonnement de sa pensée, mais en seraient pour ma part plutôt des ingrédients qui ajoutent des nuances décisives à la saveur d’ensemble, mais non moins décisives que d’autres références qui pourraient toutes aussi bien être considérées comme en étant le coeur. C’est d’ailleurs le cas non seulement pour Giordano Bruno, mais pour de nombreux autres penseurs et savants de cette époque et des époques suivantes ! Galilée était féru d’astrologie et Newton prenait l’alchimie très au sérieux.

Francisco de Goya_-Vuelo de brujas_(1798)

Magie et science ont en effet des liens étroits comme les deux domaines ont à cœur d’agir sur le monde en en maîtrisant les forces fondamentales. Cette dimension pratique de la magie a certainement été un élément essentiel pour préparer le passage d’une conception du monde « théiste » à celle moderne que nous connaissons aujourd’hui. Pour comprendre la modernité, il faudrait donc en revenir, étrange paradoxe !, à ses origines magiques… et donc à Giordano Bruno, grand penseur qui semblerait-il a compris la nécessité de se plonger dans l’occultisme pour en tirer de nouvelles lumières. L’évolution spirituelle de l’humanité pourrait donc être considérée comme passant d’un éclat devenu trop aveuglant pour être supportable à un besoin de s’enfoncer dans les profondeurs obscures de la connaissance afin d’y animer de nouvelles lueurs… qui à leur tour un jour failliront et nécessiteront de nouvelles ressources parmi les ombres. Après tout, après le règne du catholicisme, le règne de la modernité a vacillé lors des deux guerres mondiales, où les technologies qui auraient dû être bienfaitrices pour l’humanité sont devenues engins de mort. Après tout, actuellement, le progrès continu vanté par les modernes se heurte au mur des exigences climatiques. A nous à présent de trouver de nouvelles solutions, de trouver nos propres voies occultes pour mieux ressortir de l’autre côté du tunnel, si c’est encore possible.

Cependant, par ces dérivations de chouette en philosophe, il est déjà possible d’affirmer sans devoir spéculer intensément que ces deux symboles laïques que sont la chouette et Giordano Bruno portent une zone d’ombre qui permet de nuancer la vision que l’on peut avoir de la laïcité. Elle n’est pas un jardin à la française, bien ordonnée et géométrique, mais bien un jardin à l’anglaise où un chaos méticuleusement cultivé permet à la nature un devenir imprévisible. La laïcité, ce n’est pas faire place nette au point d’avoir la sensation de mettre pied dans les couloirs aseptisés d’un hôpital. Ce serait plutôt offrir un espace d’expression, d’expérimentation, où les débats pourront s’entrecroiser sans se dominer, les cultures s’hybrider, les voix se démultiplier, afin que tous les possibles puissent en naître et participer au débat. Un état laïc, c’est un état qui cherche à se définir comme un lieu de rencontre plutôt que comme un lieu de divisions. Pour ces raisons, la laïcité peut se faire aisément chouette, portant son regard perçant sur les multiples réalités qui bouillonnent sous la surface, elles-mêmes à la fois inquiétantes par ce que cela témoigne d’étrangeté et à la fois vitales en ce qu’elles peuvent délivrer de nouvelles réponses. Pour ces raisons, la laïcité peut se faire aisément brunienne, accepter les théories magiques aussi sérieusement que l’on parlerait de physique quantique, veillant à tout instant à ne limiter l’expression de quelque conviction que ce soit. Cela s’est d’ailleurs déjà fait : la sorcellerie est revenue dernièrement sur le devant de la scène comme un phénomène positif qui a porté les germes précoces des féminismes. Il n’y a donc pas de dualité définitive entre l’ombre et la lumière, mais une lumière accueillante qui, pour ne pas devenir aveuglante, s’ouvre à ce qui n’est pas et baigne encore dans les limbes de l’ignorance.